B. LA COMMUNICATION GÉRÉE AU NIVEAU CENTRAL SEMBLE PLUS CRITIQUABLE

La part la plus importante du budget de la campagne « Image de la France » est donc gérée (et affectée d'un point de vue budgétaire) par le siège parisien de l'Agence .

1. Une campagne très centralisée

La campagne « Image de la France » est pilotée par le siège parisien de l'AFII, avec l'agence de publicité britannique Ogilvy. Celle-ci, par le biais de sa filiale, l'agence médias MindShare, a en outre géré les achats d'espaces publicitaires. Seul le Japon, marché très spécifique, a été traité par une agence locale.

La définition des messages est résolument centralisée, par souci de cohérence selon l'AFII. Pour résumer, le concept central consiste à « faire dire par des étrangers du bien de la France » en tant que terre d'investissement . Cela passe, dans les publicités, par des témoignages de PDG de grands groupes ayant investi dans notre pays. Cela passe aussi par des articles de journalistes étrangers ou des études de « laboratoires d'idées » anglo-saxons suscités par l'AFII. Enfin, il s'agit d'obtenir des organisateurs de forums tels que celui de Davos, la tenue de tables rondes ou d'événements qui permettront de mettre en avant les atouts de la France.

2. Des cibles à la pertinence parfois douteuse

La campagne est très ciblée :

- elle se limite à 5 pays (Etats-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, Japon, Chine) ;

- elle ne vise que les dirigeants d'entreprises susceptibles d'investir à l'étranger.

Le choix de ces pays est contestable 9 ( * ) .

Certes, le choix des Etats-Unis et du Japon, les deux premiers investisseurs non européens en France, plutôt que de pays européens réalisant en France des investissements d'un montant supérieur (comme la Belgique ou les Pays-Bas), semble pertinent. En effet, on peut supposer que si la plupart des investissements européens effectués en France ne pouvaient avoir lieu qu'en France, les pays européens sont en revanche en concurrence pour des entreprises non européennes désireuses de s'implanter en Europe.

En revanche, on peut s'interroger sur la pertinence de réaliser une campagne à destination du Royaume-Uni et de l'Allemagne , qui sont respectivement le premier et le troisième investisseurs en France. En particulier, comme cela est indiqué ci-après, la campagne en Allemagne ne semble pas avoir été utile, ce dont l'AFII a d'ailleurs tiré les conséquences en l'arrêtant à la fin du premier semestre de l'année 2005.

De même, le choix de la Chine suscite des interrogations, dans la mesure où la Chine ne réalise quasiment pas d'investissements en France (moins de 10 millions d'euros par an en moyenne). Cela vient du fait que, en raison d'un niveau de développement encore modeste, ce pays investit très peu à l'étranger (environ 2 milliards de dollars par an, soit moins que les seuls investissements italiens réalisés en France). Dans ces conditions, n'est-il pas prématuré de réaliser une campagne de communication à destination de la Chine ? De plus, n'est-il pas naïf de croire que des décisions stratégiques d'implantation, dans le système économique chinois, dépendent d'une campagne médiatique ?

3. Une campagne particulièrement onéreuse

La campagne « Image de la France » a pris de l'ampleur, d'un point de vue budgétaire, au fil des années. En 2006, ses crédits de 13,5 millions d'euros, pourtant réduits par le Parlement, représentent même 51 % de l'ensemble des crédits de l'AFII, ce qui peut laisser à penser que l'attractivité de la France serait, dans l'esprit de ses responsables, davantage une affaire d'image que de fond.

L'objectif affiché de la campagne est de cibler les décideurs économiques de haut niveau, à travers une présence médiatique sélective et une campagne de relations publiques et de relations presse.

Votre rapporteur général s'est fait communiquer les principaux postes de dépenses de la campagne.

a) La campagne publicitaire

Pour l'année 2006, il est prévu des dépenses d'achats d'espace de 4,3 millions d'euros (3,9 millions d'euros dans la presse écrite et 0,4 million d'euros sur internet) suivant la répartition géographique suivante :

- Pour la presse

? « monde », c'est-à-dire journaux et magazines anglo-saxons ayant une large diffusion internationale ( Wall Street Journal , The Economist , Harvard Business Review , International Herald Tribune ) : 1,1 million d'euros ;

? Etats-Unis ( New-York Times , Business Week , Fortune , Forbes , Barron's ) : 1,1 million d'euros ;

? Japon ( Nikkei , Nikkei Business , Shukan Diamond , Courrier ) : 0,8 million d'euros ;

? « Europe » ( Financial Times ) : 0,4 million d'euros ;

? Royaume-Uni ( The Sunday Times , The Daily Telegraph , The Times ) :  0,5 million d'euros.

A la lecture de cette liste, on s'interrogera d'abord sur l'argument de la direction de l'AFII selon lequel tous ces medias seraient spécifiquement dirigés vers le public des chefs d'entreprise susceptibles de prendre des décisions d'investissement en France. Manifestement, nombre de ces titres ont un lectorat beaucoup plus généraliste, voire « grand public »...

- Pour internet

? Etats-Unis (wsj.com, forbes.com) : 0,2 million d'euros ;

? Japon (nikkei.net) : 0,1 million d'euros ;

? « Europe » (ft.com) : 0,1 million d'euros.

A ces frais d'achats d'espace, il convient d'ajouter des frais techniques pour la campagne sur internet (soit environ 15.000 euros), mais surtout les honoraires de l'agence de publicité choisie.

Comme le détaille l'encadré infra , ces frais d'intermédiation, si l'on additionne les multiples types d'honoraires de conception, de « conseil en frais d'intermédiation », de  « relations presse » et les commissions d'achats d'espaces, devraient s'élever à 2,3 millions d'euros .

La rémunération de l'agence Ogilvy pour la campagne « Image de la France »

Ogilvy, l'agence de communication retenue par l'AFII pour la campagne « Image de la France », perçoit contractuellement de l'AFII plusieurs types de revenus :

- des commissions sur l'achat d'espaces publicitaires, par le biais de sa filiale spécialisée MindShare, qui représentent 11 % du prix des espaces achetés. On relèvera que ce type de rémunération n'est pas de nature à inciter le prestataire de service à se montrer performant dans la négociation des tarifs des espaces, ce qui fait pourtant partie de ses missions. Pour 2006, les achats d'espaces prévus s'élevant à 4,4 millions d'euros, ce poste devrait atteindre environ 500.000 euros ;

- des honoraires de « conseil en communication, suivi événementiel et relations presse », conclus sur une base forfaitaire annuelle par pays. Ces honoraires s'élèvent à 400.000 euros pour les Etats-Unis et le Japon, à 170.000 euros pour le Royaume-Uni et à 168.000 euros pour l'Allemagne, soit un total d'un peu plus de 1,1 million d'euros ; ce dispositif n'est en rien lié au degré de satisfaction atteint sur tel ou tel territoire : il ne responsabilise pas le prestataire ;

- des honoraires de « coordination de la campagne », visant à assurer, de Paris, la cohérence du message délivré dans l'ensemble des pays ciblés. Ces honoraires sont également conclus sur une base forfaitaire, de 300.000 euros par an ;

- des honoraires de « suivi hors média », qui correspondent principalement à la conception « d'outils » (plaquettes...) pour les événements auxquels s'associe l'AFII, pour un montant forfaitaire de 360.000 euros.

b) Les « événements » et les relations publiques

Le principal autre poste de la campagne « Image de la France » concerne son action de « lobbying » entrepris sous des formes diverses, et qui représente un budget global d'un peu plus de 2,9 millions d'euros.

Le budget de la campagne prévoit ainsi 1,7 million d'euros pour les « événements et relations publiques », afin d'assurer la participation de l'AFII à des manifestations comme le forum de Davos ou d'autres tribunes du même type, au cours desquels elle essaie de susciter des ateliers permettant de mettre en valeur l'attractivité de la France. Il convient d'ajouter à cette somme 671.000 euros pour les « outils » utilisés à ces occasions.

Quant aux « relations presse » et au lobbying, consistant à essayer de susciter des articles favorables à notre pays en tant que terre d'accueil d'investissement signés par des journalistes étrangers ou par des « laboratoires d'idées » influents sur les entrepreneurs étrangers, un total de 548.000 euros leur est consacré. Ce montant apparaît à la fois modeste, au vu de l'importance des enjeux, et sans doute excessif par rapport à la nature des dépenses susceptibles d'être ainsi financées : achète-t-on des écrits de journalistes réputés indépendants ou se borne-t-on à faire paraître des quasi « publi-reportages » ?

L'étendue de ces coûts peut certes se comparer à celui d'une campagne de publicité d'une multinationale dans plusieurs pays. Elle oblige néanmoins à s'intéresser de près aux résultats concrets de la campagne « Image de la France ». Or, votre rapporteur général a quelques raisons de ne pas être convaincu de son efficacité en termes d'investissements réalisés in fine sur le territoire français .

4. La campagne « Image de la France » est-elle vraiment incitative ?

Afin de compléter son appréciation de l'efficacité potentielle de la campagne « Image de la France », votre rapporteur général a consulté le site Internet consacré à cette campagne ( http://www.thenewfrance.com/ ).

Le visiteur est accueilli par le slogan : « Welcome to the New France - where the smart money goes ». Le site peut être consulté en anglais, en allemand, en chinois et en japonais. Après une introduction tenant du clip vidéo, le visiteur a la possibilité de télécharger un économiseur d'écran « The New France », et arrive sur un message de la présidente de l'AFII, qui apparaît en photo. Il peut alors cliquer sur trois onglets : « ils ont choisi la France », « investir en France », et « vous aider à réussir ».

La rubrique « investir en France » permet notamment d'accéder à des informations pratiques relativement précises sur l'environnement juridique et fiscal des entreprises étrangères investissant en France. La rubrique « vous aider à réussir » renvoie, quant à elle, au site de l'AFII.

Cependant, le « coeur » de la campagne repose sur des arguments beaucoup moins rationnels, comme cela est normal pour une campagne de publicité, mais présente peut-être une utilité limitée dès lors qu'il s'agit de convaincre des chefs d'entreprise d'investir en France, et non d'inciter des consommateurs à acheter un nouveau produit à la mode. On voit bien que le contenu de la campagne contredit son ciblage tel que le proclame la direction de l'agence.

La rubrique « ils ont choisi la France » réunit des témoignages d'entreprises étrangères ayant investi en France. Ainsi, M. Kunio Egashira, président de la société japonaise Ajinomoto, déclare : « les Français sont célèbres pour leur créativité. Ceci, combiné avec l'approche japonaise des affaires, a permis des réalisations remarquables ».

Exemple de témoignage de la campagne « Image de la France »

Source : http://www.thenewfrance.com/

La rubrique « investir en France » présente, en outre, diverses données - les « chiffres-clés relatifs à la France » - qui sont impossibles à vérifier, faute d'indication de la source, et peuvent susciter des confusions avec des notions voisines. Ainsi, à titre d'exemple :

- le « second pouvoir d'achat en Europe » ne correspond pas au PIB par habitant (inférieur en 2002, parmi les pays de l'Union européenne, à celui de l'Irlande, du Danemark, des Pays-Bas, de l'Autriche, du Royaume-Uni, de la Belgique et de la Suède) 10 ( * ) ;

- le fait que la France est « n° 2 en Europe en pourcentage des travailleurs détenant des diplômes scientifiques et techniques » dissimule qu'en France en 2002 le nombre moyen d'années d'études de la main-d'oeuvre était de 10,9, pour une moyenne de 11,8 dans l'OCDE 11 ( * ) .

Au total, on peut se demander quel chef d'entreprise pourrait être incité à investir en France au vu de cette campagne. Une réaction vraisemblable serait la méfiance, face à une AFII qui semble vouloir l'attirer à tout prix, au besoin par des données apparemment destinées à susciter une confusion dans son esprit.

5. Des résultats contrastés ayant entraîné des ajustements

a) Des résultats en demi-teinte

Il convient tout d'abord de rappeler que la campagne court, de façon structurelle, le risque de se télescoper avec la couverture par la presse internationale d'une actualité française peu engageante en termes d'attractivité. Ainsi, au Japon au moins, la fin de la campagne de l'automne 2005 a été presque immédiatement suivie par le déclenchement de la vague de violences urbaines. Votre rapporteur général ne peut que constater que la contradiction entre ces images est de nature à affaiblir singulièrement la portée du message.

La campagne « Image de la France » fait l'objet de post-tests menés sur une base annuelle dans chacun des pays cibles par TNS Sofres.

Les principaux enseignements de la dernière étude disponible, c'est-à-dire celle réalisée à la mi-2005, sont assez contrastés. On peut les résumer ainsi :

- le souvenir spontané de la campagne s'élève de 3 % à 7 % selon les pays et les scores de reconnaissance à 12 % ou 13 % , ce qui serait, certes, dans la norme de ce type de campagne, mais ce qui montre clairement les limites de l'efficacité des vecteurs choisis ;

- en termes d'agrément, la campagne a plu dans les pays anglo-saxons et y aurait amélioré l'image de la France auprès des décideurs visés. Cela semble particulièrement sensible aux Etats-Unis, où les chiffres pré-campagne étaient très mauvais ;

- en revanche, au Japon, les résultats sont peu exploitables , la culture et la politesse locales interdisant aussi bien les critiques ouvertes que l'expression d'opinions trop personnelles (sur de possibles projets d'investissements par exemple) ;

- enfin, en Allemagne, les post-tests montrent que la campagne n'a servi à rien , l'image de la France en termes d'attractivité y étant très bonne à la base et les messages n'étant pas très adaptés à l'image que les Allemands se font de notre pays. Il convient de relever que, commissions d'agence incluses, le coût de la campagne médiatique allemande a représenté 398.627 euros en 2004 (sur la période d'octobre à décembre) et 254.409 euros en 2005 (sur la période de janvier à mars).

La Chine n'a pas été sondée car, pour ne pas interférer avec l'année culturelle de la France en Chine (qui insistait pour une grande part sur les « clichés traditionnels »), la campagne ne va commencer que dans le courant de l'année 2006 dans ce pays.

b) Les corrections apportées

Au vu de ces résultats, diverses corrections ont été apportées à la campagne :

- aux Etats-Unis, elle a été renforcée , et ne fait plus apparaître que les témoignages de grands patrons américains (comme M. Steve Ballmer, de Microsoft) ;

- au Japon, elle a été modifiée dans le même sens, en se concentrant exclusivement sur des patrons japonais (notamment ceux de Sony et de Toyota) ;

- en revanche, elle a été abandonnée en Allemagne .

Ces corrections montrent à la fois les limites de l'exercice avec une centralisation, sans doute trop forte, de la campagne et l'insuffisance des études en amont.

Dans le même esprit, la campagne de publicité sur internet de l'automne dernier a été décalée de trois semaines en raison de la vague de violences urbaines. A ce sujet, comme sur celui des manifestations anti-CPE, les dirigeants de l'Agence insistent sur le fait que leur cible n'est pas le grand public (effectivement « matraqué » d'images catastrophistes) mais des dirigeants économiques, selon eux bien mieux informés et cédant moins facilement à la caricature.

6. Une prolongation de la campagne, sur une base moins « publicitaire », est envisagée

Si la campagne « Image de la France » a été lancée en 2004 pour une durée de 3 ans, l'AFII souhaiterait à présent la pérenniser , faisant valoir que :

- un message comme celui de l'attractivité de la France doit nécessairement être porté sur le long terme pour atteindre son but ;

- les concurrents de la France ne relâchent pas leur effort.

En revanche, la structure de la campagne devrait changer. Si la publicité dans les médias est qualifiée par l'agence « d'incontournable pour incarner la politique suivie face à l'ensemble des cibles », la stratégie d'investissement est, selon l'AFII, à réorienter en privilégiant les pays anglo-saxons d'un point de vue géographique, et le recours à internet du point de vue du support . Ce média serait le plus à même de fournir un contenu riche et argumenté.

Dans cette logique, l'AFII souhaiterait également améliorer son site internet, qui, selon elle, n'est pas à la hauteur de ceux de pays tels que le Royaume-Uni.

Enfin, l'AFII compte poursuivre sa politique événementielle, ainsi que ses actions de relations presse et de lobbying .

En conséquence, les crédits qui devraient être demandés à ce titre dans le cadre du prochain projet de loi de finances devraient s'élever à 10 millions d'euros (après 15 millions d'euros, réduits à 13,5 millions d'euros par le Parlement, en 2006). Votre rapporteur général estime, compte tenu des observations ci-dessus et des conditions d'élaboration du budget 2007, que le niveau les crédits de cette campagne devrait être compris entre 5 et 7,5 millions d'euros .

* 9 Source utilisée ci-après : Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (UNCTAD), d'après les données de la Banque de France dans le cas de la France. La période prise en compte est celle allant de 1996 à 2003.

* 10 Source : OCDE, « Purchasing Power Parities », 11 janvier 2005.

* 11 Source : OCDE, « Regards sur l'éducation 2004 », 2004.

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