B. QUELLES POLITIQUES EN FAVEUR DE L'INNOVATION ET DE LA PRODUCTIVITÉ ?

Ce rapport d'information suggère que le ralentissement de la productivité en Europe aurait résulté à la fois de politiques volontaristes de lutte contre le chômage et d'une adaptation plus lente qu'aux États-Unis à la nouvelle organisation du tissu économique et aux fonctionnalités permises par les Technologies d'information et de communication (TIC).

La compréhension de la lenteur du processus d'ajustement européen aux nouvelles technologies au cours des dernières années a considérablement progressé 92 ( * ) . Ces avancées ont ainsi permis une meilleure définition des politiques susceptibles de stimuler la productivité ainsi que des conditions de leur mise en oeuvre.

Deux considérations générales s'imposent cependant avant de détailler le contenu de ces politiques :

Les dispositifs susceptibles de stimuler la productivité sont très différents dans une économie en phase de rattrapage , c'est-à-dire dont le niveau de productivité est éloigné de celui des pays les plus avancés et dans une économie qui se situe au contraire au stade le plus avancé du développement technologique, « à la frontière technologique », dont le niveau de productivité est le plus élevé, et qui se caractérise également par les coûts de production les plus élevés.

Dans un processus de rattrapage, le moteur de la productivité réside dans l'imitation des processus et des stratégies sectorielles les plus productifs. Des institutions économiques adaptées à cet objectif ont ainsi fourni le cadre dans lequel se sont déroulées les « Trente Glorieuses » : grandes entreprises financées par le secteur bancaire et des soutiens publics, grands programmes et commandes publiques dans des secteurs à fort potentiel de croissance et sélectionnés par imitation des pays les plus avancés, limitation de la compétition dans ces secteurs afin de permettre l'accumulation de rentes, système éducatif qui privilégie l'enseignement initial, adapté à la mise en oeuvre de technologies existantes, marchés du travail qui privilégient l'accumulation de connaissances à l'intérieur d'une même entreprise (par rapport à la mobilité).

Le rattrapage par l'Europe du niveau de productivité américain, jusque dans les années 80, s'est appuyé sur cet environnement économique et réglementaire.

Au contraire, dans une économie qui se situe «  à la frontière technologique », la capacité à innover en permanence est la condition de l'augmentation de la productivité et de la performance économique.

Ceci peut s'illustrer par l'exemple de l'investissement en Recherche et Développement (R et D). L'exigence d'investir dans la R et D est également présente dans une économie en rattrapage, mais cet investissement peut se limiter aux secteurs les plus technologiques, que les pouvoirs publics veulent soutenir. Dans une économie à coûts de production et productivité élevés, l'exigence d'investir dans la R et D s'applique à tous les secteurs : dans le secteur pharmaceutique par exemple, où l'intensité de la R et D est « naturellement » élevée mais aussi dans le secteur textile où la survie des entreprises dépend de leur capacité à innover.

Dans une économie au stade le plus avancé du développement technologique, l'investissement dans la R et D doit ainsi augmenter dans l'ensemble de l'économie et pas seulement dans quelques secteurs à fort potentiel de développement.

Une partie du retard pris par l'Europe sur les États-Unis résulterait d'un déficit d'innovation . Mais le processus d'innovation s'appuie sur des facteurs multiples :

- le développement de vecteurs de l'innovation (intensification de la Recherche-Développement, enseignement supérieur,...) ;

- des institutions économiques qui favorisent la diffusion de l'innovation (ouverture des marchés à la concurrence, développement du marché du crédit qui permet un meilleur financement de l'innovation, marché du travail qui permet aux entreprises d'évoluer continûment et de privilégier les produits ou processus les plus innovants...) ;

- un environnement macroéconomique dans lequel les politiques économiques amortissent autant que possible les fluctuations conjoncturelles et privilégient le maintien de la croissance sur sa trajectoire potentielle, de telle sorte que l' incitation à innover ne soit pas contrainte par l'insuffisance des débouchés et par l'augmentation du risque lié à l'investissement et l'innovation .

De la même manière que le ralentissement de la productivité en Europe ne se réduit pas à une seule explication, les politiques de soutien à l'innovation constituent ainsi un puzzle dans lequel chaque élément est complémentaire des autres.

Cette exigence de complémentarité et de cohérence des politiques publiques constitue sans aucun doute un apport important des travaux récents sur les déterminants de la productivité : une politique publique, telle que l'investissement en Recherche et Développement, ne suffit pas à elle seule à stimuler la productivité, si elle ne bénéficie pas d'un cadre propice à sa mise en oeuvre et favorable à la diffusion de l'innovation.

1. Les vecteurs de l'innovation

a) La Recherche-Développement

Le principal vecteur d'innovation et d'augmentation de la productivité est l'intensification de l'effort de recherche et développement (R et D). En outre, les bénéfices à attendre en termes de productivité, d'un investissement dans la recherche, sont d'autant plus élevés qu'une économie se trouve à un stade de développement technologique avancé.

Votre délégation a déjà présenté un ensemble de simulations réalisées à l'aide d'un modèle macroéconomique 93 ( * ) sur l'impact d'une augmentation des dépenses de recherche qui mettaient en évidence un effet multiplicateur très élevé des dépenses de R et D : 1 euro investi dans la recherche se traduirait, selon ces simulations, par un supplément de production de 7 euros à un horizon de long terme (une quinzaine d'années).

Toutefois, un financement public de la recherche se traduit à court-moyen terme par une aggravation du déficit budgétaire. Ceci conduit à s'interroger sur la capacité actuelle des gouvernements européens à investir dans la recherche. Mais, surtout, si un soutien public à la recherche peut s'avérer efficient dans une économie en phase de rattrapage et dont le développement repose sur une stratégie d'imitation, dans une économie qui se situe à la frontière technologique, un soutien direct à des technologies ou des secteurs en particulier suscite des interrogations quant à la capacité des autorités publiques à faire les bons choix .

C'est pourquoi l'enjeu essentiel pour la France concerne la capacité de ses entreprises à redresser leur investissement dans la Recherche, aujourd'hui à la fois déclinant et en retard sur nos concurrents (cf. tableau ci-dessous).

Tableau n° 14

DÉPENSES INTÉRIEURES BRUTES DE R&D EN ENTREPRISES
(EN % DU PIB)

ÉTATS-UNIS

SUÈDE

ALLEMAGNE

FRANCE

2001

2,00

3,32

1,75

1,41

2002

1,87

3,35

1,75

1,43

2003

1,79

3,42

1,73

1,36

Source : OCDE

Toutefois, un redressement de l'investissement des entreprises dans la R et D, déterminant fondamental d'une augmentation de la productivité, suppose un environnement favorable , autant sur le plan macroéconomique que sur un plan microéconomique.

* 92 L'économiste Philippe AGHION, Professeur à Harvard propose une synthèse très convaincante de ces travaux. Voir notamment les deux rapports du Conseil d'analyse économique (CAE) : « Education et croissance » cosigné avec Elie COHEN (2004) ou « Politique économique et croissance en Europe », cosigné avec Jean PISANI-FERRY et Elie COHEN (2006).

* 93 Rapport Sénat, n° 391, 2003-2004, « Objectif 3 % de R et D : plus de recherche pour plus de croissance ? », présenté par Joël Bourdin au nom de la Délégation pour la planification.

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