III. PROPOSITIONS : ACCROÎTRE SIGNIFICATIVEMENT LES MARGES DE MANoeUVRE

Votre rapporteur ne revient pas sur les propositions du précédent rapport, ni sur celles du rapport au gouvernement qu'il a rédigé avec notre collègue Henri de Raincourt. Ces propositions méritent d'être étudiées de façon approfondie. La proposition de loi n° 3320 de notre collègue député Michel Diefenbacher va dans un sens analogue et mérite aussi examen. Votre rapporteur estime de même qu'il faut aller de l'avant et que les seize propositions du gouvernement méritent aussi réflexion : il n'est pas possible de se contenter de ne rien faire au motif que ces propositions seraient imparfaites.

Le principe des quelques propositions supplémentaires de votre rapporteur est simple : le RMI doit relever de la seule responsabilité des conseils généraux, l'Etat doit s'en retirer.

A. LA PRIORITÉ : UNE AUTONOMIE ACCRUE SUR LES DÉPENSES

L'amélioration du financement du RMI doit passer d'abord par une maîtrise accrue de la dépense. La décentralisation telle que la concevait le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin consistait à gérer de façon plus efficace, plus performante, les politiques publiques qui peuvent relever du niveau local. Si le RMI doit continuer à être un puits sans fond, la gestion centralisée suffisait largement.

Sur le volet « insertion », l'autonomie des conseils généraux est très grande et suffisante. Ils adoptent leurs plans départementaux d'insertion et pilotent les conseils départementaux d'insertion (CDI), ainsi que les commissions locales (CLI). L'étude Ernst & Young montre d'ailleurs que les conseils généraux sont capables de faire des économies sur ce poste pour faire face à la croissance du volet « allocation ».

C'est, en effet, sur le volet « allocation » qu'un accroissement sensible de l'autonomie des départements est indispensable, car ce volet est la clé de la maîtrise de la dépense.

La contrainte sur ce volet est forte puisque les deux déterminants quasi exclusifs de la dépense sont fixés au niveau national, à savoir :

- le niveau de la prestation ;

- les conditions de son attribution.

Le Conseil constitutionnel a fixé le cadre de cette contrainte dans sa décision sur la loi de 2003 : le législateur doit fixer « les conditions suffisantes pour prévenir la survenance de ruptures caractérisées d'égalité dans l'attribution du revenu minimum d'insertion, allocation d'aide sociale qui répond à une exigence de solidarité nationale ». Cette contrainte doit néanmoins être conciliée avec le principe de « libre administration » des collectivités territoriales.

Le régime du RMI continue donc d'être fixé au niveau national par la loi et le règlement.

Toutefois, cette contrainte n'implique pas nécessairement :

- d'une part, la prééminence des autorités de l'Etat central ;

- d'autre part, l'absence totale de possibilité de modulation de la prestation.

• Dans un pays qui a du mal à se débarrasser de ses oripeaux jacobins, on considère que lorsqu'une politique publique doit rester définie dans ses grandes lignes au niveau national, il appartient nécessairement au ministre en charge du secteur de procéder par effets d'annonce à la télévision et dans les autres médias . C'est ainsi que, le 6 novembre dernier, le ministre délégué à la famille a annoncé la création de 40 000 places de crèche en cinq ans, alors que la construction d'une crèche et le recrutement de son personnel, ainsi que les financements correspondants, sont en très grande partie à la charge des communes.

Le fait que la politique du RMI doive rester nationale dans ses déterminants aurait donc pour corollaire que la décision relève au premier chef du ministre des affaires sociales.

Or, lorsqu'une politique est complètement décentralisée, comme le RMI aujourd'hui, votre rapporteur estime que le ministre ne devrait même plus avoir droit à la parole sur ce sujet .

Il faut inventer un processus de décision qui homogénéise les grandes lignes du régime du RMI au niveau national, mais qui laisse aux responsables du RMI, à savoir les conseils généraux, une place prééminente dans la définition de ce régime.

En matière de finances locales, des précédents probants existent : le Comité des finances locales (CFL) et la Commission consultative d'évaluation des charges (CCEC). Le Comité des finances locales a une responsabilité importante dans l'attribution des dotations de l'Etat. En pratique, ce sont les élus membres du comité qui exploitent les marges de manoeuvre laissées par la loi : la décision reste nationale, mais les collectivités locales y prennent une part majeure via leurs représentants. De la même façon, la présence d'élus à parité égale des représentants de l'Etat à la Commission consultative d'évaluation des charges a permis d'infléchir très sensiblement les propositions des administrations dans le cas des transferts de compétence de la loi du 13 août 2004.

Les exécutifs départementaux doivent donc être associés de façon étroite et déterminante tant aux décisions relatives au niveau du RMI qu'à celui de ses conditions d'attribution . On peut imaginer qu'un groupe de travail au sein du Comité des finances locales soit chargé d'y réfléchir. On peut imaginer qu'un rendez-vous annuel d'examen du régime du RMI soit fixé et donne lieu à un avis de la section des départements de la CCEC. On peut imaginer que le CFL lui-même puisse être amené à prendre une décision encadrée par une fourchette de possibles, comme c'est le cas aujourd'hui pour les dotations de l'Etat.

Il est également possible de créer une instance ad hoc , qui représente les départements, pour la fixation des différents régimes de la politique sociale qui leur est confiée : le CFL et la CCEC peuvent être une source d'inspiration.

L'instance choisie serait, par ailleurs, amenée à statuer sur tout projet qui, n'étant pas directement relatif au RMI, serait néanmoins susceptible d'avoir un impact sur lui (indemnisation du chômage, régime des autres allocations...).

• Sur le second point, le Conseil constitutionnel a interdit les « ruptures caractérisées d'égalité ». Cela signifie-t-il que les conseils généraux ne peuvent utiliser la moindre marge de manoeuvre dans la fixation du niveau et les conditions d'attribution du RMI ? Votre rapporteur ne le pense pas.

S'agissant du niveau, il est certain que la marge ne peut être que faible, mais les conseils généraux devraient pouvoir attribuer un bonus ou un malus en fonction des efforts d'insertion réalisés par les bénéficiaires.

Sur les conditions d'attribution , là encore, la marge ne peut être que réduite. On peut imaginer toutefois que les conseils généraux puissent plus librement apprécier la réalité de ces conditions.

• Enfin, il convient de résoudre un problème secondaire, mais significatif sur la dépense, qui est celui des indus . Les conseils généraux subissent des dépenses importantes pour aller au-devant des titulaires du RMI, pour les insérer (avec l'ANPE et le système de l'intéressement) et pour les contrôler (avec les CAF). Le principe selon lequel il y a présomption de droit au RMI dès lors qu'on l'a demandé occasionne un montant d'indus très considérable, supérieur à 300 millions d'euros par an, à l'origine d'un décalage de trésorerie et de pertes, car une partie seulement des indus est recouvrée.

Les titulaires du RMI devraient donc régulièrement justifier eux-mêmes de leurs droits. L'allocation pourrait, par exemple, être suspendue, à moins que son titulaire ne justifie de ses droits auprès de sa CAF ou de la CLI à intervalle régulier. L'absence à ce rendez-vous déclencherait un contrôle automatique de la CAF.

Votre rapporteur rappelle que la rigueur dans le versement du RMI est, au-delà de la question financière, une question d'équité, non seulement en ne versant pas le RMI à ceux qui n'y ont pas droit, mais aussi en le versant à tous ceux qui le justifient et dont certains ne sont pas couverts aujourd'hui par le dispositif.

Accessoirement, il serait utile que les administrations centrales chargées des statistiques et de la réflexion économique et sociale mettent au point des outils de prévision du nombre de titulaires du RMI. Il y a évidemment des liens entre la croissance, le chômage (en nombre et en durée) et le nombre de titulaires du RMI, probablement avec un décalage dans le temps et aussi avec une élasticité variable. Mais aucune recherche n'a été réalisée dans ce domaine. Or, il est important que les budgets départementaux puissent être bâtis sur une prévision assez fiable. Le graphique suivant montre qu'en moyenne les départements les plus touchés par le chômage le sont aussi par le RMI, mais de façon non proportionnelle et avec des écarts importants.

Prévoir le RMI d'après le chômage : le point de vue de la DGAS

La Direction de la Recherche, des Etudes, de l'Evaluation et des Statistiques (DREES) a développé un modèle permettant d'analyser les contributions de différents facteurs à la croissance du nombre d'allocataires du RMI au niveau national. Ce modèle repose sur des relations entre le nombre d'allocataires du RMI, l'emploi salarié marchand et le chômage non indemnisé. Plus précisément, l'évolution du chômage non indemnisé s'expliquant à la fois par l'évolution du potentiel de chômeurs indemnisables et par celle du taux d'indemnisation, ce modèle permet de distinguer les contributions de trois facteurs explicatifs :

- le marché du travail, c'est-à-dire de l'évolution de l'emploi et du chômage (à taux de couverture de l'indemnisation du chômage inchangé)

- le taux de couverture de l'indemnisation du chômage (à niveau d'emploi et de potentiel de chômeurs indemnisables inchangé)

- et enfin l'augmentation tendancielle du nombre d'allocataires du RMI. En effet, pour certaines catégories de RMIstes comme les familles monoparentales et les bénéficiaires de plus de 50 ans, on observe une croissance pratiquement linéaire au cours du temps, et largement indépendante des fluctuations conjoncturelles.

Ce modèle de la Drees permet de bien rendre compte des évolutions observées. Ainsi en 2005, le nombre de bénéficiaires du RMI a augmenté de 49 900 personnes, et seuls 15 % de cette évolution n'ont pas été expliqués par le modèle. L'effet d'autres facteurs explicatifs mériterait sans doute d'être pris en compte dans ce modèle, comme l'évolution des emplois aidés ou de l'emploi public.

En revanche, au niveau départemental, la Drees ne dispose pas actuellement d'outil d'analyse et de prévision des évolutions du nombre de bénéficiaires du RMI. L'adaptation du modèle national au niveau local est en effet rendue délicate par plusieurs facteurs. Tout d'abord, on se heurte à la disponibilité des données : certaines peuvent ne pas être disponibles au niveau départemental, d'autres n'être disponibles qu'avec retard. Par ailleurs, il apparaît que les évolutions du nombre d'allocataires du RMI sont très contrastées selon les départements. La hiérarchie des évolutions peut d'ailleurs varier nettement d'une année sur l'autre.

Une partie de ces divergences entre départements peut résulter d'évolutions différentes du marché du travail ; les spécialisations sectorielles ainsi que les structures par âges peuvent en effet influer sur la sensibilité des départements aux fluctuations conjoncturelles. Cependant, d'autres facteurs peuvent expliquer des divergences d'évolution. En effet, s'il semble qu'au niveau départemental comme au niveau national, l'évolution sur longue période du nombre de bénéficiaires soit liée à celle du chômage, ce constat n'est plus que partiellement vrai lorsqu'on étudie les évolutions annuelles ; les évolutions du chômage peuvent par exemple se répercuter avec un décalage sur celles du RMI, ce décalage pouvant varier entre les départements.

L'analyse des évolutions au niveau départemental nécessite donc de prendre en compte d'autres facteurs explicatifs dont la connaissance n'est souvent disponible qu'au niveau local. En particulier, depuis la décentralisation de la gestion du RMI, il serait nécessaire de disposer d'informations de nature institutionnelle, par exemple sur les politiques d'insertion, que les départements mettent en oeuvre. L'influence des marchés du travail dans les départements limitrophes, ou dans les pays voisins pour les départements frontaliers, ainsi que les possibilités de migrations entre départements peuvent également jouer un rôle.

Il apparaît donc difficile de disposer à court ou moyen terme d'un outil permettant aux conseils généraux de prévoir à un niveau local l'évolution du nombre de bénéficiaires du RMI. Tout au plus une décomposition départementale, fondée sur les régularités passées, des évolutions projetées au niveau national pourrait-elle être envisagée, mais il serait indispensable que ces travaux fassent l'objet d'une réappropriation par les acteurs locaux compte tenu notamment des spécificités des politiques mises en oeuvre.

Source : DGAS

B. UNE ACTION ACCESSOIRE SUR LES RECETTES

Lorsque tout aura été mis en oeuvre pour que les départements soient mieux en mesure de maîtriser eux-mêmes leurs dépenses de RMI, il leur reviendra naturellement d'en assumer les conséquences financières.

Dans l'intervalle, une action complémentaire sur le financement peut être entreprise, sachant que la création du FMDI constitue une grande partie de la réponse au problème.

1. Neutraliser les effets pervers

Il paraîtrait tout d'abord logique de compenser aux départements qui avaient émis des titres de recettes pour les indus de 2004 la part de ces indus qui n'aurait pas été recouvrée , par exemple à l'issue d'une période de trois ans.

Ensuite, il convient de garantir au minimum la neutralité financière aux départements qui font des efforts en matière d'insertion via le CI-RMA, le contrat d'avenir et l'intéressement. Pour les deux premiers, la troisième part du FMDI ne suffira probablement pas, or il est primordial que les conseils généraux ne soient pas découragés de signer des CI-RMA et des contrats d'avenir. L'Etat doit donc, au minimum, prendre en charge le surcoût généré à ce titre pour les départements. Le cas échéant, il devra le faire aussi s'agissant du nouvel intéressement.

Enfin, dans le cadre de la conférence des finances publiques, toute décision gouvernementale susceptible d'avoir un effet sur le nombre de titulaires du RMI doit faire l'objet d'une étude d'impact et d'une compensation en application de la deuxième phrase du 4 e alinéa de l'article 72-2 de la Constitution.

2. Indexer le droit à compensation sur le niveau de l'allocation

Du 1 er janvier 2003 au 1 er janvier 2007, le produit de la TIPP a stagné. En conséquence, le droit à compensation des départements a produit une ressource qui n'a pas varié.

Dans le même temps, les allocations de RMI ont été revalorisées de 7,08 % par le gouvernement, de façon unilatérale. La revalorisation du droit à compensation dans les mêmes proportions serait de 350 millions d'euros en 2007.

Votre rapporteur indique à cet égard que l'article 72-2 de la Constitution prévoit que « toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi ».

Dans sa décision n° 2004-509 DC du 13 janvier 2005 portant sur la loi de programmation pour la cohésion sociale, le Conseil constitutionnel a considéré qu'une compensation financière devait être prévue lorsque la mesure prise portait sur une compétence obligatoire et qu'elle entraînait un accroissement du volume financier de la compétence .

Bien que la revalorisation annuelle du RMI ne soit pas de nature législative, elle semble bien avoir les attributs d'une « extension de compétence » au sens que lui donne le Conseil constitutionnel : elle est obligatoire et se traduit par un accroissement du volume financier de la compétence . En outre, elle est unilatérale, sans aucune association des exécutifs départementaux.

Il conviendrait donc que le droit à compensation soit indexé sur le niveau de l'allocation . En effet, la logique de l'attribution de recettes fiscales pour financer les compétences transférées est de permettre d'assurer à long terme l'équilibre de leur financement. Or, il a été maintes fois démontré (par votre rapporteur notamment) que ce ne sera pas le cas du RMI par la TIPP. Celle-ci est au mieux stagnante. Il ne serait donc pas anormal que l'effet-prix du RMI soit intégré au droit à compensation.

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