2. Le rapport de la commission Spellings : une autocritique sévère

Dans le rapport qu'elle a présenté en septembre 2006, la commission réunie autour de la secrétaire d'Etat Margaret Spellings a dressé un constat sans complaisance des forces et des faiblesses de l'enseignement supérieur américain et des objectifs qu'il doit se fixer pour répondre au double défi de la globalisation et de la société de la connaissance.

Certes, rappelle le rapport, l'enseignement supérieur peut être considéré comme l'une des grandes réussites de l'histoire des Etats-Unis. Mais ce succès incontestable a fini par alimenter un sentiment d'autosatisfaction dangereux. « Nous avons dépassé, et de loin, nos concurrents pendant si longtemps, que nous avons fini par considérer comme acquise la supériorité de notre enseignement supérieur » , énonce-t-il en introduction.

Il invite les Etats-Unis à tourner le dos à cette complaisance trop facile et à regarder en face les fragilités de leur système.

Deux séries de raisons qui se renforcent mutuellement, rendent indispensable cet examen de conscience :

- une compétition internationale accrue en matière d'enseignement supérieur : « De nombreux autres pays ont suivi notre exemple et se sont mis à former à un meilleur niveau que nous un nombre supérieur de leurs concitoyens. » ;

- l'essor d'une économie de la connaissance qui suppose précisément de mieux former un nombre croissant de personnes. « Nous risquons de nous faire dépasser au moment précis où l'éducation joue dans la prospérité commune un rôle plus important que jamais ».

Le rapport insiste sur l'importance de l'enseignement supérieur :

- au plan collectif : « 90 % des créations d'emplois dans le secteur en forte croissance de l'économie de la connaissance s'adressent à des diplômés de l'enseignement supérieur » ;

- un plan individuel : « le revenu moyen d'un bachelier du secondaire est, aux Etats-Unis, inférieur de 37 % à celui d'un diplômé du supérieur ».

Le rapport considère que le système américain d'enseignement supérieur n'a pas su réagir à ce nouveau défi, mais présente les travers de ce que, dans le monde de l'économie, on appelle une « entreprise mature » : une aversion croissante pour le risque, une tendance à l'autosatisfaction, et un alourdissement excessif des coûts. Il voit dans les chiffres publiés dans le rapport de l'OCDE précité, une incitation à réagir.

Les points sur lesquels il concentre sa critique peuvent être ainsi résumés.

a) Un accès trop restreint à l'enseignement supérieur

Le rapport déplore que l'accès à l'enseignement supérieur soit, aux Etats-Unis, compromis par le fossé qui sépare le niveau que requiert le premier cycle d'enseignement supérieur, et celui que dispense l'enseignement secondaire, souvent très insuffisant.

L'évaluation à laquelle a procédé la « National Assessment of Educational Progress » (NAEP) a montré que seuls 17 % des élèves de terminale sont au niveau en mathématiques, et 36 % en lecture et compréhension de l'écrit. Ces insuffisances de l'enseignement secondaire rendent indispensables des cours de rattrapage pour environ 40 % des nouveaux étudiants. Elles se répercutent, d'ailleurs, sur le premier cycle de l'enseignement supérieur.

Ces insuffisances touchent plus particulièrement les étudiants issus des milieux économiquement défavorisés, ou des minorités ethniques. Les statistiques donnent la mesure de ces disparités, et montrent qu'à l'intérieur de la classe des 25/29 ans :

- 34 % des « blancs » obtiennent une licence ;

- 17 % des « noirs » ;

- 11 % des « latinos ».

Ces restrictions d'accès affectent également les adultes qui souhaitent compléter leur formation : 40 % des étudiants de plus de 24 ans doivent subvenir à leurs propres besoins en travaillant. Parmi eux :

- la moitié suit un cursus à temps partiel ;

- plus du tiers travaille sur un emploi à plein temps ;

- 27 % ont eux-mêmes des enfants.

Toutefois, l'offre d'enseignement peine à répondre à l'accroissement de cette demande, et le rapport s'inquiète de ce que les « community colleges » atteignent maintenant leurs limites dans de nombreux États.

b) Une augmentation des coûts qui devient dissuasive.

Le rapport s'alarme de l'augmentation soutenue des frais de scolarité au cours de la période récente, augmentation qui s'est effectuée à un rythme beaucoup plus rapide que l'inflation et que l'évolution des revenus des ménages.

Au cours des années 1995 à 2005, les frais d'inscription et de scolarité ont augmenté de 30 % dans les « community colleges », de 51 % dans le premier cycle des universités publiques, et de 36 % dans le premier cycle des universités privées.

Le rapport attribue cette inflation à l'augmentation mal maîtrisée des coûts de gestion, à un manque de vigilance dans la maîtrise des dépenses, et à des surenchères motivées par une recherche du prestige ou la crainte de perdre une réputation académique chèrement acquise.

Cette augmentation des coûts s'est accompagnée d'une diminution des aides financières attribuées aux étudiants par le gouvernement fédéral, qui sont tombées à leur plus bas niveau depuis 20 ans.

La conjonction de ces deux phénomènes finit par dissuader les étudiants de poursuivre des études supérieures, ou les amène à s'endetter lourdement.

c) Un système d'aides fédéral à restructurer

Le rapport émet d'ailleurs un jugement particulièrement sévère à l'égard du système d'aide financière fédéral aux étudiants, qu'il juge « confus, complexe, inefficace, plein de doublons » et auquel il reproche en outre de ne pas aider ceux qui en auraient le plus besoin.

Trois phénomènes en résultent :

- le nombre de demandes non satisfaites déposées par des familles à bas revenus a augmenté de 80 % entre 1995 et 2004 ;

- d'après la commission consultative des bourses étudiantes ( Advisory Committee on Student Financial Aid ), deux millions de candidats issus des classes moyennes et des milieux défavorisés seraient découragés, dans les premières années du nouveau siècle, de suivre des études supérieures ;

- d'après un autre organisme officiel, les trois quarts des étudiants en premier cycle universitaire de l'enseignement privé, et 62 % des étudiants des organismes publics ont dû contracter un emprunt pour poursuivre leurs études ; leur endettement moyen est de 15 500 dollars pour les étudiants du public, et de 19 400 dollars pour les étudiants du secteur privé non lucratif ;

- les sondages montrent que 59 % de la population juge trop élevé le niveau d'endettement des étudiants de premier cycle ; cette proportion remonte à 63 % parmi les parents d'étudiants.

d) Performances et savoirs

Le rapport relève un certain nombre d'indices qui témoignent d'une inadaptation aux besoins des formations délivrées : régression de la compréhension de l'écrit, dans le secondaire et dans le premier cycle du supérieur, taux d'échec (seuls 66 % des étudiants obtiennent en six ans le diplôme du premier cycle qui dure en principe 4 ans), écart significatif entre les résultats des étudiants « blancs » et « asiatiques » d'une part, et ceux des «noirs » et des « hispaniques » de l'autre.

e) Problèmes d'évaluation

La commission déplore une certaine opacité du système, et l'insuffisance des données à la disposition du Gouvernement pour évaluer l'efficacité des établissements. Elle estime que l'évaluation réalisée par les agences de notation, qui jouent un rôle clef, fait une trop grande part à la réputation et aux ressources financières de l'établissement et ne s'attache pas assez à la mesure des capacités et des connaissances acquises par les étudiants.

Une des difficultés pointées par la commission tient aux obstacles que rencontre la reconnaissance des « crédits » entre universités différentes.

Compte tenu de leur grande indépendance et de la variété des formations qu'ils proposent, les établissements d'enseignement supérieur ont du mal à connaître et évaluer les formations délivrées par leurs partenaires et concurrents.

Aussi hésitent-ils à valider les « crédits » universitaires délivrés par un autre établissement, ce qui constitue un frein à la mobilité des étudiants.

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