B. UN EXEMPLE ARCHÉTYPIQUE : LE DOMAINE DE L'ÉNERGIE

En n'hésitant pas à couper le robinet de gaz et de pétrole à deux reprises pour dicter ses conditions à ses voisins - l'Ukraine en janvier 2006 puis la Biélorussie en janvier 2007 - la Russie est apparue comme une superpuissance énergétique prête à se servir de l'arme énergétique à des fins tant économiques que politiques. Dans le même temps, ces deux crises ont révélé aux yeux des Européens la forte dépendance énergétique de l'Union européenne vis-à-vis de la Russie. Elles amènent donc à s'interroger sur la stratégie énergétique de l'Union européenne à l'égard de la Russie.

1. L'énergie au service du projet politique russe

a) Un géant énergétique

La Russie est devenue, avec Vladimir Poutine, un acteur de premier plan sur la scène énergétique mondiale.

Après avoir fortement chuté après la disparition de l'Union soviétique (de près de 50 % pour le pétrole), la production pétrolière et gazière russe a retrouvé en 2006 le niveau de 1990. La Russie est aujourd'hui le premier producteur et le premier exportateur mondial de gaz naturel . Elle est également le troisième producteur (derrière l'Arabie Saoudite et les États-Unis) et le deuxième exportateur mondial de pétrole .

Elle détient environ 30 % des réserves mondiales de gaz naturel , ce qui la place au premier rang devant l'Iran et le Qatar (avec chacun près de 15 %), loin devant les autres pays producteurs. Elle dispose aussi de 6 % des réserves mondiales de pétrole, de 20 % des réserves mondiales de charbon et de 14 % des réserves mondiales d'uranium . Au total, la Russie est aujourd'hui le premier exportateur mondial d'énergie (électricité, pétrole et gaz).

b) La reprise en main du secteur énergétique par l'État

Alors que le secteur énergétique avait été largement privatisé dans les années 1990 sous la présidence de Boris Eltsine, les deux mandats successifs de Vladimir Poutine ont donné lieu à une reprise en main par l'État. L'affaire de la nationalisation de la compagnie pétrolière indépendante Ioukos et la condamnation de ses dirigeants, notamment Mikhaïl Khodorkovsky, en a offert l'illustration la plus marquante.

Actuellement, l'État contrôle environ 30 % de la production pétrolière et 87 % de la production de gaz. La seule exception concerne le marché de l'électricité dont le gouvernement russe souhaite la libéralisation. La principale entreprise russe d'électricité (RAO EES Rossia), qui est la plus grande compagnie d'électricité du monde, doit ainsi être scindée en différentes sociétés, dont certaines pourraient être privatisées. Gazprom illustre à lui seul le poids de l'État dans le secteur de l'énergie.


Gazprom
(1)

Héritier des différentes structures ministérielles qui ont organisé l'industrie du gaz en Union soviétique puis en Russie, Gazprom est devenue une entreprise en 1989 puis une société d'actionnaires en 1993 dénommée OAO Gazprom.

Il s'agit de la plus grande société russe (400.000 employés) et du plus gros producteur de gaz au monde : Gazprom contrôle aujourd'hui 94 % de la production de gaz naturel en Russie et 25 % de l'ensemble des réserves mondiales. Elle possède également la totalité de l'infrastructure de transport de gaz en Russie et toutes les stations de compression. C'est aussi la seule entreprise autorisée à exporter du gaz hors de la Russie. L'activité de Gazprom ne se limite pas au gaz. Elle est également présente dans l'électricité, le nucléaire, le pétrole, la pétrochimie et le nucléaire. Gazprom contrôle aussi plusieurs chaînes de télévision et des journaux, une compagnie d'assurance et même des équipes de football en Russie et à l'étranger.

La capitalisation boursière de Gazprom, qui était de 269 milliards de dollars en mai 2006, la place au troisième rang mondial.

En 2005, l'État russe est devenu son actionnaire majoritaire avec la moitié plus une action. 7,45 % du capital est détenu par des actionnaires non résidents, dont l'entreprise allemande E.ON.

Le Président de Gazprom, Alexeï Miller, est un proche de Vladimir Poutine, de même que le Président du Conseil d'administration, Dimitri Medvedev, qui a dirigé l'administration présidentielle avant de devenir Vice-premier ministre. Le ministre du développement économique et du commerce, German Gref, et le ministre de l'industrie et de l'énergie, Viktor Khristenko, sont également membres du Conseil d'administration de Gazprom.

(1) Christophe-Alexandre Paillard, « Gazprom : mode d'emploi pour un suicide énergétique », Russie.Nei.Visions n° 17, IFRI, mars 2007.

Cette reprise en main du secteur énergétique par l'État n'est pas surprenante, dans la mesure où ce secteur constitue aujourd'hui le seul attribut de puissance dont dispose la Russie, compte tenu des difficultés de son industrie, de l'état déplorable de ses forces militaires et de sa faiblesse démographique. On constate d'ailleurs le même phénomène dans d'autres pays producteurs, comme l'Arabie Saoudite, le Venezuela, et, dans une moindre mesure, la Norvège.

Il faut également reconnaître que la privatisation des entreprises de ce secteur sous la présidence de Boris Eltsine s'était faite dans des conditions extrêmement favorables aux « oligarques ».

Enfin, il convient de mentionner qu'il s'agit là d'une conviction profonde du Président de la Russie puisque après avoir quitté, à l'été 1996, ses fonctions à la mairie de Saint-Pétersbourg, Vladimir Poutine avait soutenu une thèse qui portait précisément sur la place des matières premières - en particulier des hydrocarbures - dans le développement économique de la Russie et sur le rôle central de l'État, considéré comme le garant de l'intérêt national et devant donc, à ce titre, disposer des leviers nécessaires à l'impulsion d'une politique industrielle (8 ( * )) .

* (8) Arnaud Dubien, « Energie, l'arme fatale du Kremlin », Politique Internationale, n°111, printemps 2006, p.371-386.

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