c) La fiscalité, un critère de second rang, bien que toujours important, dans les choix de localisation des entreprises

Ainsi que le fait apparaître le classement de l'AFII ci-dessus reproduit, à rebours d'une idée parfois reçue, la fiscalité n'est pas un critère primordial de localisation des centres de décision des entreprises. La position géographique et l'accès au marché qu'elle autorise, le capital humain, les infrastructures, la sécurité économique, juridique et sociale du pays d'implantation, généralement, sont considérés comme des facteurs prioritaires.

Lors de son audition par le rapporteur de la mission commune d'information, M. Philippe Mills, directeur général adjoint du Centre d'analyse stratégique 94 ( * ) , ayant exposé que la localisation d'un pays représentait le premier des critères retenus par une entreprise pour décider de l'implantation d'un quartier général, a fait valoir qu'en conséquence, la politique fiscale de nos voisins européens, sur certains aspects plus attractive que la nôtre pour les entreprises, devait avant tout être envisagée, sous un jour peu conforme aux habitudes, comme une sorte de compensation de leur situation géographique moins favorable que celle de la France.

Cependant, l'analyse du coût des prélèvements obligatoires peut tout de même « faire la différence » entre les territoires , et décider du pays d'implantation, après qu'a été fixée, par l'entreprise, la liste restreinte des choix possibles en fonction des critères de premier rang.

La remarque vaut aussi bien à l'égard des impôts dus par les sociétés que pour ce qui touche à la fiscalité des personnes. Comme l'a exposé M. Jean-Philippe Cotis, lors de son audition précitée, « la pression sociale et fiscale qui pèse sur les cadres de haut niveau est, en effet, un facteur de délocalisation important aujourd'hui : par exemple, le fait que les cotisations maladie soient déplafonnées - c'est-à-dire que quelqu'un gagnant dix fois le SMIC paie dix fois la cotisation - est un facteur de coût très important, si l'on examine le coût d'un état-major - tout comme l'impôt sur le revenu. La combinaison de ces prélèvements peut inciter à des départs non négligeables. »

De fait, la dimension fiscale au sens large, qui pour n'intervenir que dans un second temps n'en risque pas moins d'être décisive dans les choix de localisation des quartiers généraux, s'avère problématique pour l'attractivité de notre pays 95 ( * ) .

L'attractivité française pour les centres de décision économique :

un florilège des palmarès

Magazine Fortune, 2006 : Paris est classée 2 e ville du monde pour l'accueil, derrière Tokyo, pour les quartiers généraux des 500 premières entreprises multinationales. Il convient d'observer la concentration des quartiers généraux de groupes français à Paris et des quartiers généraux de groupes japonais à Tokyo ; les quartiers généraux des groupes allemands et américains sont répartis entre un plus grand nombre de villes.

Enquête IPSOS pour Paris-Ile-de-France capitale économique, 2006 : Paris est bien notée en matière de proximité au marché, de main d'oeuvre qualifiée, de sécurité politique, économique et sociale, d'infrastructures de transport (internationales et locales). Mais sa position est médiocre pour ce qui concerne le coût de la main d'oeuvre, la fiscalité et les prélèvements sociaux.

Global Competitiveness Report 2006-2007 : le World Economic Forum classe La France dans le peloton de tête, au niveau mondial, pour la qualité des systèmes d'éducation et de santé, les infrastructures énergétiques et de télécommunication, la gestion des entreprises, et même la capacité d'innovation. Mais ces « bons points » sont gâchés par des handicaps graves en matière de pression fiscale, de droit du travail et d'environnement administratif, reléguant notre pays au 18 e rang pour l'indice global de compétitivité.

Enquête IFOP réalisée pour l'AFII en juillet 2006, auprès d'un échantillon de décideurs internationaux : la France présente une bonne attractivité en termes de marché, d'environnement, de cadre de vie, d'infrastructures, de tissu industriel, de qualité de la main d'oeuvre, de niveau de recherche et développement. Cependant, elle reçoit une mauvaise note en ce qui concerne le coût et de droit du travail, ainsi que la fiscalité des entreprises.

Enquête annuelle European Cities Monitor de Cushman et Wakefield, 2006 : Paris est placée au « top » des métropoles européennes s'agissant de l'accès au marché, de la qualité de la main d'oeuvre, des infrastructures de transport et de télécommunications, des conditions de vie. Mais une mauvaise position en matière d'environnement fiscal et administratif des affaires (17 e sur 33 villes classées) empêche la capitale française de ravir la première place à Londres, et doit se contenter d'une honorable place de deuxième. Quant aux autres métropoles nationales, comme Lyon, souffrant des mêmes handicaps que la capitale sans avoir les mêmes atouts, elles sont reléguées dans les profondeurs du classement.

Enquête Ernst & Young auprès des quartiers généraux européens de firmes américaines : notre pays est bien placé en terme d'infrastructures et de qualité de la main d'oeuvre pour la localisation des quartiers généraux. A l'inverse, il est relativement mal placé en termes de coûts (liés à la fiscalité notamment).

Etude Doing business de la Banque mondiale, 2007 : la France, globalement, se trouve assez mal placée quant à l'environnement administratif et réglementaire des affaires (elle occupe le 35 e rang sur 175 pays classés). Ses principaux points forts tiennent à la facilité de créer une entreprise et à l'efficacité du système judiciaire ; ses principaux points faibles sont identifiés comme résidant dans les conditions d'embauche, l'enregistrement de la propriété, le paiement des impôts. La position de notre pays, cependant, s'améliore progressivement du fait de l'impact positif de différentes mesures de simplification administrative.

Source : AFII

Les entreprises multidomestiques : structures stables ou instables ?

Les groupes réellement plurinationaux s'avèrent très rares . On vise ici les entreprises dont un ancrage géographique et identitaire dominant ne peut être établi avec certitude, en raison d'un partage égal entre plusieurs appartenances nationales, tant objectives que subjectives.

Ainsi, auditionné par la mission commune d'information, M. Nicolas Véron, membre du laboratoire BRUEGEL (1) , n'a décelé, au niveau européen, que trois entreprises dans cette situation : EADS , Unilever et Reed Elsevier : « Pour les deux dernières, ceci est lié à des raisons historiques, les fonctions de sièges étant complètement partagées entre le Royaume Uni et les Pays-Bas. [...] Shell est maintenant une entreprise néerlandaise. Les fonctions de direction opérationnelle ont été regroupées à Rotterdam, même si l'entreprise est enregistrée et cotée à Londres. Dexia est également devenue une entreprise non ambiguë. »

De même, sur le plan français, M. Jean-Michel Charpin, directeur général de l'INSEE (2) , a signalé que le seul cas indécidable en la matière, pour les statisticiens, était celui d'EADS, qui ne peut être considéré que par convention comme relevant de la nationalité française plutôt que de la nationalité allemande : « les autres cas nous sont toujours apparus comme allant de soi . »

Si leur identité est effectivement partagée, la stabilité de telles entreprises se trouve-t-elle plus menacée que celle d'autres firmes ? La question mérite d'être posée.

L'exemple d'EADS, du moins, paraît témoigner de la faiblesse des structures aux rapports de force trop parfaitement équilibrés . En effet, lors de son audition par la mission commune d'information, M. Louis Gallois, président du comité exécutif du groupe (3) , n'a pas caché les lourds inconvénients de ce modèle, qui en constituent évidemment les limites : « cet équilibre particulier a pour conséquence une gouvernance que je qualifierai avec indulgence de baroque, avec deux co-présidents et deux présidents exécutifs [...]. Cette organisation n'aboutit naturellement pas à une gestion facile [...] : l'effet principal de ce système de gestion est surtout la consolidation d'un camp français et d'un camp allemand. [...Les] clivages nationaux [...] constituent véritablement un poison dans l'entreprise. A ce titre, ces clivages s'observent lors des nominations. Si un compromis dans la nomination d'un Français ou d'un Allemand ne peut être trouvé, un Anglais est placé. Ceci crée un climat très dangereux pour EADS . »

Au-delà des aspects de gouvernance, l'organisation industrielle elle-même est handicapée du fait des clivages nationaux internes . M. Louis Gallois, évoquant la situation d'Airbus, s'est ainsi déclaré « frappé de voir à quel point l'appareil industriel que j'avais laissé il y a dix ans est resté en l'état. Je ne fais pas allusion aux usines, qui ont été magnifiquement modernisées, mais au fait que les mêmes pièces sont toujours fabriquées aux mêmes endroits. Aucune réorganisation industrielle n'a eu lieu pour préserver les filières nationales. [...] l'une des causes profondes des difficultés de l'A380 est l'absence d'intégration d'Airbus couplée à des logiques de fonctionnement beaucoup trop nationales. Il convient désormais d'apporter rapidement des changements. En effet, notre concurrent [la compagnie américaine Boeing] ne rencontre pas ce genre de problèmes, d'autant qu'il a consenti à un gigantesque effort de réorganisation interne . »

Dans ce contexte, M. Louis Gallois a déclaré qu'EADS devrait « inévitablement [se] diriger vers un modèle d'entreprise plus souple dans son actionnariat, avec davantage de simplicité dans sa gouvernance, et une gouvernance qui tienne moins compte des clivages nationaux . [...] je considère que l'expérience EADS risquerait de faire long feu si nous ne parvenions pas à dépasser ces clivages nationaux. » L'avenir dira si cette la plurinationalité d'EADS et les handicaps dont elle s'accompagne pourront s'estomper en faveur de l'identité purement européenne dont M. Louis Gallois a exprimé le voeu.

Par comparaison avec les difficultés d'EADS, on remarquera la réussite de Thalès, entreprise intervenant dans les mêmes secteurs, mais représentant une firme multidomestique de type « classique », dont l'enracinement national n'est pas douteux. Sans doute, comme l'a fait observer son président-directeur général, M. Denis Ranque, à la mission commune d'information (4) , le groupe, dans la mesure où ses activités touchent à l'aéronautique, la défense et les systèmes de sécurité critique, se trouve confronté à des enjeux de souveraineté qui l'amènent à se montrer « peut-être plus sensible que d'autres sociétés aux questions de nationalité ». Néanmoins, le montage capitalistique de l'entreprise garantit sa stabilité : le dispositif protège l'intérêt de l'Etat du fait d'une action spécifique ( golden share ) ; l'Etat, premier actionnaire en détenant 27 % du capital, et Alcatel, second actionnaire qui en possède 21 %, ont formé un concert ; le reste du capital étant flottant, la détention de 48 % du capital leur suffit pour contrôler le groupe.

(1) Brussels European and Global Economic Laboratory ; audition du 18 octobre 2006.

(2) Audition du 18 octobre 2006.

(3) Audition du 17 janvier 2007.

(4) Audition du 17 janvier 2007.

* 94 Audition du 25 avril 2007.

* 95 Pour l'analyse détaillée de ce point, cf. infra .

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