Une fiscalité française qui incite à la mise en place de montages d'optimisation

L'imagination est reine en matière fiscale et les groupes internationaux français et étrangers ont mis en oeuvre de nouveaux schémas d'optimisation 277 ( * ) qu'il n'est pas toujours aisé pour l'administration de réprimer sur le terrain de l'abus de droit. L'approche globale de ces montages, compte tenu de la territorialité de l'IS, consiste à délocaliser les revenus dans des pays où l'imposition est plus faible, ce qui implique parfois le déplacement d'un centre de décision, siège ou quartier général . On peut ainsi mentionner :

- la localisation de holdings, sièges pour l'Europe ou centrales d'achat (dans les secteurs de la grande distribution et de la grande consommation) en Suisse, en particulier dans les cantons de Genève et Lausanne (où les profits peuvent être taxés à environ 7 %), permet de rapatrier dans ce pays des marges élevées de commercialisation auprès des filiales françaises. Les rulings suisses permettent également de n'appliquer qu'un taux effectif de 2,7 % 278 ( * ) sur les activités financières . Sont ainsi concernées des sociétés telles que Renault, Lafarge, Carrefour, Leclerc, Axa, L'Oréal ou Colgate-Palmolive.

Ces régimes très favorables sont toutefois contestés par la Commission européenne, qui a été mandatée le 14 mai 2007 par les Etats membres pour engager des négociations avec la Suisse ;

- le transfert de la propriété de brevets et d'actifs immatériels auprès d'une filiale domiciliée et imposée aux Pays-Bas , où peut être pratiqué un amortissement de ces actifs déductible du bénéfice imposable. Les Pays-Bas accueillent aussi des sièges sociaux bénéficiant du paiement de royalties et redevances par des filiales pour l'utilisation de marques et brevets ;

- les prix de transfert intra-groupes peuvent être optimisés pour majorer les revenus versés par les structures de commercialisation établies en France aux sociétés prestataires ou productrices établies dans des pays où la fiscalité est plus clémente. Cette technique tend toutefois à être de plus en plus encadrée, en conformité avec le principe de concurrence, les règles de l'OCDE et les lignes directrices de la Commission européenne (cf supra ) ;

- certaines banques, compagnies d'assurance et entités financières de groupes disposent d'actifs mobiliers ou immobiliers et de filiales domiciliés dans des territoires à régime fiscal privilégié (Iles Caïmans, Bahamas, Jersey, Bermudes, Antilles néerlandaises...). Elles créent également des structures au Luxembourg , où le régime des Soparfi ou « holdings mixtes », créé en décembre 1990 et essentiellement dédié à la gestion de participations, se révèle encore attractif 279 ( * ) , bien que certaines de ses caractéristiques aient été reprises dans d'autres pays, notamment en France (exonération des plus-values sur titres de participation), et que Chypre offre un régime encore plus favorable ;

- Jersey , en tant que paradis fiscal sous souveraineté britannique 280 ( * ) , incite les contribuables personnes physiques ou morales à recourir à de nombreux montages qui confortent son activité de services financiers 281 ( * ) . L'île dispose d'une complète autonomie fiscale, économique et administrative, et bénéficie d'un système judiciaire de common law , d'une expertise financière et juridique, d'une main-d'oeuvre bien formée, et d'un régime fiscal très attractif (absence d'impôt sur les plus-values, de droits de succession et d'IS, taux unique d'IR de 20 %). La fraude fiscale y est toutefois considérée comme un crime depuis 1999 ; ses institutions financières doivent donc déclarer toute transaction suspecte. Le statut fiscal de résident non-ordinaire (cf. infra ) et les trusts patrimoniaux 282 ( * ) sont des vecteurs privilégiés de localisation de revenus dans l'île.

* 277 Selon une étude du cabinet d'avocats Arsène, mentionnée par le magazine « L'Expansion » en avril 2007, les sociétés de l'indice CAC 40 auraient acquitté en 2005 une charge globale d'impôt représentant en moyenne 26,6 % de leur bénéfice taxable, inférieur aux 34,4 % du taux de l'IS français.

* 278 Soit une double imposition aux niveaux cantonal (20 %) et fédéral (20 %), mais appliquée à une base réduite à 1/11 e des profits.

* 279 Compte tenu de son caractère mixte, la Soparfi peut avoir une activité de holding, mais également une activité connexe à la gestion de ses participations (conseil en gestion, immobilier, exploitation de brevets ou marques...) ou toute autre activité industrielle ou commerciale directement en rapport avec la gestion de ses participations.

Les principales caractéristiques du régime sont les suivantes :

- exonération, dans certaines conditions de détention (participation d'au moins 10 % du capital de la société fille pendant au moins douze mois), des boni de liquidation et des dividendes distribués à la holding par une société de capitaux résidente ou non-résidente ;

- exonération des plus-values de cession, sous conditions analogues de détention ;

- possibilité d'imputer sur le bénéfice dégagé par d'autres activités imposables les moins-values de cession de participations et les crédits d'impôt étrangers ;

- déductibilité des charges d'exploitation directement liées aux participations.

* 280 Jersey ne fait pas partie du Royaume-Uni , mais en dépend pour ses affaires extérieures (défense et diplomatie). L'île n'est pas non plus membre de l'Union européenne , mais en est un territoire associé et fait partie de l'union douanière. Elle doit donc appliquer le tarif extérieur commun comme le principe de libre-circulation des personnes. Aucune autre disposition communautaire n'a vocation à s'y appliquer (TVA notamment), bien qu'un système euro-compatible en matière de fiscalité de l'épargne ait récemment été mis en place sous la pression du Royaume-Uni, comme à Guernesey et Man.

* 281 L'activité financière représente 60 % du PIB de l'île comme de l'impôt collecté. Jersey est désormais une place financière internationale forte de la présence de 51 banques, de 30.000 sociétés immatriculées, de 200 trusts , et de montants en dépôt de plus de 180 milliards de livres sterling (dont près des deux tiers libellés en devise étrangère).

* 282 La Jersey Financial Services Commission autorise, via un système de licences, l'immatriculation de trusts , utilisés tant par des clients particuliers fortunés (répartition d'héritage) que par des entreprises (plans de stock options, 90 % des sociétés composant l'indice FTSE 100 disposent ainsi d'une telle structure enregistrée à Jersey). Tout trust résident de Jersey, mais dont aucun bénéficiaire n'y a sa résidence, échappe à l'impôt à Jersey, à raison de ses revenus de source étrangère et des intérêts acquis au titre de placements dans des banques établies dans l'île.

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