b) Quelles perspectives de développement ?

L'hydroélectricité se situe, dans notre pays, dans une phase de stagnation, aucun développement significatif n'ayant été réalisé depuis 2002 167 ( * ) . Le rapport sur la PPI 2006 estime que cette situation est liée au fait que les ouvrages les plus rentables ont déjà été installés. Votre mission d'information a constaté cependant que cette opinion n'est pas entièrement partagée par de nombreux acteurs du secteur de l'électricité 168 ( * ) . M. Gérard Mestrallet 169 ( * ) , PDG de Suez, lui a ainsi précisé que des développements de 10 % de la capacité hydraulique française étaient envisageables. L'UFE estime quant à elle que 2,3 GW d'ouvrages de pointe, dont 2 GW de STEP, ainsi que 1,6 GW de petite hydroélectricité pourraient être mis en service d'ici 2015. Surtout, un rapport récent du haut fonctionnaire de développement durable du ministère des finances 170 ( * ) évalue à 28,4 TWh l'électricité supplémentaire qui pourrait être produite chaque année avec des développements complémentaires de l'hydroélectricité en France, estimation ramenée à 13,4 TWh si l'on tient compte des contraintes liées à l'application de la réglementation environnementale 171 ( * ) .

c) Le poids des contraintes environnementales

Le Sénat s'était fortement mobilisé, au moment de la discussion du projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques, pour que son adoption ne se traduise pas par un affaiblissement trop conséquent du potentiel hydroélectrique français, souhaitant notamment qu'un équilibre soit trouvé entre la légitime protection de la qualité des eaux et des milieux aquatiques et la nécessaire préservation d'une source d'énergie qui joue un rôle majeur en matière de lutte contre le réchauffement climatique . Au terme de cette discussion, le compromis auquel le législateur était parvenu semblait respecter cette exigence d'équilibre. Toutefois, il semblerait que ce compromis soit en passe d'être fragilisé par les modalités d'application de certaines des dispositions de cette loi, selon des informations communiquées à votre mission d'information par Mme Anne Penalba 172 ( * ) , présidente du Groupement des producteurs autonomes d'énergie hydroélectrique (GPAE).

Dans un souci de protection de la qualité des eaux et de la vie aquatique, la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques a modifié les dispositions donnant à l'autorité administrative la possibilité de dresser une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux sur lesquels aucune autorisation ou concession ne peut être accordée pour la construction de nouveaux ouvrages s'ils constituent un obstacle à la continuité écologique. Sur ces cours d'eau, le renouvellement des concessions ou autorisations des ouvrages existants est subordonné à des prescriptions permettant de maintenir l'état écologique des eaux ou d'assurer la protection de la vie aquatique. Peuvent faire l'objet d'un classement par l'autorité administrative les cours d'eau en très bon état écologique , ceux dans lesquels une protection complète des poissons migrateurs est nécessaire ou ceux identifiés par les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) comme jouant le rôle de réservoir biologique nécessaire au maintien ou à l'atteinte du bon état écologique des cours d'eau d'un bassin versant. Selon Mme Anne Penalba, le décret d'application de cette disposition irait au-delà de l'intention du législateur puisqu'il donnerait à la notion de réservoir biologique une définition extensive conduisant à geler tout développement hydroélectrique sur de vastes zones , en particulier sur les cours d'eau qualifiés par les hydrauliciens de « petit chevelu » (cours d'eau qui se situent en amont du réservoir biologique). Afin de maintenir la continuité écologique entre ces cours d'eau amont et le réservoir biologique, le décret empêcherait ainsi tout nouvel équipement hydroélectrique sur la totalité du cours d'eau, ce qui pourrait conduire à des classements extrêmement larges.

Par ailleurs, la loi sur l'eau a modifié les règles relatives au « débit réservé » (débit minimal que tout ouvrage hydraulique doit laisser écouler en aval afin de garantir en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces). Ces dispositions, extrêmement complexes, prévoient néanmoins des dérogations aux règles générales, notamment sur les cours d'eau atypiques. A titre d'illustration, cette disposition vise le cas des cours d'eau très pentus, dans lesquels la vie aquatique ne peut se développer quel que soit le niveau du débit minimal, ou des cours d'eau sur lesquels sont installés des ouvrages enchaînés, c'est-à-dire qui présentent une succession de barrages pour lesquels le pied du barrage amont est au bord de la retenue du barrage aval. Or, le décret réserverait, pour le cas des retenues enchaînées, le bénéfice de cette dérogation aux centrales de plus de 20 MW, ce qui, aux yeux du GPAE, apparaît « peu légitime et peu cohérent » et qui, d'après l'analyse de votre mission d'information, n'apparaît conforme ni à l'intention du législateur, ni à la lettre de la loi .

Comme tout texte réglementaire concernant le secteur énergétique, ce projet de décret a fait l'objet d'un examen par le Conseil supérieur de l'énergie qui, d'après les informations recueillies par vos rapporteurs, a émis un avis extrêmement réservé sur ses dispositions. Ces réserves n'ont cependant pas été prises en compte dans le projet de texte définitivement transmis au Conseil d'Etat, qui devrait donc être prochainement promulgué. Votre mission d'information ne peut que déplorer l'interprétation qui a été faite par le pouvoir réglementaire de ces dispositions pour lesquelles le législateur avait souhaité une application raisonnable .

A brève échéance devrait être élaboré un autre projet de décret d'application d'un article de la loi sur l'eau introduit par le Sénat lors de son examen en première lecture. Or, il présente de très fortes implications pour la sécurité d'approvisionnement puisqu'il vise à arrêter la liste des ouvrages hydroélectriques qui, de par leur capacité de modulation, contribuent à la production d'électricité en période de pointe de consommation et bénéficient, pour cette raison, de contraintes allégées en matière de « débit réservé ». Votre mission d'information sera particulièrement vigilante sur les modalités d'application de cette disposition, au regard des volumes d'électricité d'origine hydraulique 173 ( * ) qui pourraient être « menacés » dans le cas où ce texte retiendrait une liste restreinte d'ouvrages.

Elle rappelle que tout affaiblissement du productible électrique de ces ouvrages a pour contrepartie immédiate un affaiblissement des réserves de sûreté du système électrique ainsi qu'un accroissement des émissions de CO 2 liées à l'obligation de compenser par des moyens thermiques toute électricité qui ne pourra plus être produite par ces barrages.

* 167 10 MW de « petit hydraulique » auraient été installés entre 2002 et 2006.

* 168 Les Agences de l'eau sont actuellement en train d'effectuer des études sur le potentiel hydroélectrique résiduel, dont les résultats pourraient être connus prochainement.

* 169 Audition du 28 mars 2007.

* 170 Rapport sur les perspectives de développement de la production hydroélectrique en France - M. Fabrice Dambrine - Mars 2006.

* 171 Notamment la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques.

* 172 Audition du 18 avril 2007.

* 173 Les volumes en jeu étaient estimés à 3 TWh chaque année par notre collègue Bruno Sido, alors rapporteur de ce projet de loi au nom de la commission des affaires économiques.

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