B. LE RECRUTEMENT DES JUGES ALLEMANDS : UNE PROCÉDURE SÉLECTIVE COMPLÉTÉE PAR UNE PÉRIODE DE MISE À L'ÉPREUVE

1. Le recrutement des juges allemands : une procédure de sélection rigoureuse, des modalités variées

La réussite au second examen d'Etat ouvre l'accès à toutes les professions juridiques et judiciaires. Pour autant, elle ne constitue pas une condition suffisante pour devenir juge ou membre du ministère public.

Le métier de magistrat est très recherché compte tenu des garanties d'indépendance et de la sécurité de l'emploi qui s'y attachent. Aussi cette fonction attire-t-elle de nombreux candidats Or, le nombre de postes offerts par l'Etat, très inférieur à celui des diplômés, oblige à une rigoureuse sélection. Selon les informations communiquées par le ministère fédéral de la justice, parmi les juristes titulaires du certificat d'aptitude aux fonctions de juger. 5 % seulement ont vocation à entrer dans la magistrature. Environ 800 à 900 magistrats sont recrutés chaque année en Allemagne dont 100 à 130 magistrats 129 ( * ) pour le Land de Bavière.

Une difficulté supplémentaire peut en outre accentuer le caractère sélectif du recrutement certaines années. En effet, le nombre des postes de juges et de substituts offerts par les Länder varie en fonction des besoins du Land, comme a pu l'expliquer au cours de son audition M. Wolfgang Schild, secrétaire d'Etat à la justice et aux affaires sociales de la Sarre : le nombre de candidats diplômés recrutés dans la magistrature varie entre 3 et 15 130 ( * ) dans ce Land et il peut même arriver qu'aucun poste ne soit proposé.

Les nominations des juges et membres du parquet sont décidées par l'exécutif du Land. Toutefois, les règles de détail peuvent varier d'un Land à un autre.

Ainsi, dans certains Länder (Berlin, Brandebourg, Hambourg, Schleswig-Holstein et Thuringe), le ministre de la justice arrête son choix conjointement avec une commission spéciale comme le permet l'article 98, paragraphe 4 de la Loi Fondamentale. Ces commissions, dont la composition diffère d'un Land à l'autre, regroupent majoritairement des députés ou des personnes désignées par eux ainsi que des représentants des magistrats du siège, voire même parfois, un ou deux représentants des avocats.

Dans d'autres Länder (Sarre), le ministre de la justice décide après avis d'une commission composée de représentants des magistrats ( Präsidialrat ) ;  lorsque cet avis est consultatif (Sarre), l'exécutif passe rarement outre.

En application de la loi fédérale sur le statut des juges allemands de 1961 (paragraphe 9), quatre conditions sont requises pour intégrer la magistrature :

- être de nationalité allemande  (paragraphe 9.1) ;

- donner la garantie de toujours défendre l'ordre libéral et démocratique institué par la Loi fondamentale  (paragraphe 9.2) ;

- posséder l' « aptitude aux fonctions de juge » conférée par la réussite au second examen d'Etat (paragraphe 9.3) ; les juristes diplômés peuvent présenter leur candidature pour intégrer la magistrature dans tous les Länder, sans considération du Land dans lequel l'aptitude aux fonctions de juge a été acquise. Ainsi, les représentants du ministère de la justice bavarois ont indiqué à la délégation qu'en Bavière, 20 % des jeunes magistrats recrutés ont reçu leur formation juridique dans un autre Land, tout en relevant que d'autres Länder étaient plus « protectionnistes » ;

- disposer de la compétence sociale nécessaire  (paragraphe 9.4) ; ce critère est un ajout de la loi du 17 juillet 2002. Comme l'a expliqué le chef du bureau de la formation initiale et continue des magistrats au ministère fédéral de la justice, M. Michael Gressmann, cette exigence nouvelle, fruit d'un compromis 131 ( * ) , a été ajoutée pour marquer la volonté de prendre en compte des qualifications démontrant une certaine « expérience de la vie ».

Le candidat est sélectionné sur la base d'un ou plusieurs entretiens dont la forme peut varier.

Les notes obtenues au second examen d'Etat sont un critère de sélection déterminant dans tous les Länder . En Bavière, elles sont essentielles : la sélection au mérite est d'ailleurs explicitement consacrée dans la Constitution bavaroise (article 94) 132 ( * ) . Mme Ursula Schmid-Stein, chef du bureau des ressources humaines au ministère de la justice bavarois, a expliqué à la délégation que lorsque deux candidats étaient difficiles à départager, les certificats des stages et les notes obtenues pendant le service préparatoire étaient pris en compte.

Cette interlocutrice a signalé la difficulté pour le ministère d'apprécier dans la pratique le critère relatif à la « compétence sociale nécessaire », la loi fédérale n'en ayant pas dessiné les contours précis. Une première expérience professionnelle en cabinet d'avocats de deux ou trois ans, la participation à des actions caritatives ou encore la justification d'une qualification complémentaire en matière de formation 133 ( * ) semblent constituer autant d'éléments susceptibles d'être pris en compte. On peut donc observer que l'intention -louable- du législateur se heurte à la difficulté -bien réelle- d'appréhender, par un critère unique objectif, la faculté de discernement indispensable pour être un bon juge.

M. Wolfgang Schild a exposé à vos rapporteurs les principales qualités susceptibles d'être attendues de la part d'un bon candidat : « une très bonne qualification professionnelle, une capacité à gérer les conflits et à prendre des décisions, un sentiment de justice, l'identification avec la mission de justice et la capacité à assumer des responsabilités ». En Sarre, outre les résultats aux deux examens d'Etat, le dossier personnel des candidats constitue un élément d'appréciation capital. Un entretien d'embauche d'une durée d'une heure avec le ministre de la justice et d'autres personnalités 134 ( * ) est organisé, au cours duquel la personnalité du candidat est évaluée. La « compétence sociale » des candidats est appréciée par une série de questions variées -notamment sur les devoirs du juge au regard de l'exigence de probité et de la déontologie- et des mises en situation.

D'autres Länder ont adopté des procédures de recrutement plus souples étalées sur plusieurs journées. Les candidats sont évalués par un jury composé de personnalités diverses, dont un président de cour d'appel, un représentant des magistrats exerçant dans le ressort de la cour d'appel et un psychologue. Les épreuves peuvent prendre la forme d'une discussion collective sur un sujet politique et juridique, un entretien ou une épreuve pratique -par exemple dans le Land de Rhénanie du Nord-Westphalie, les candidats doivent trier une série de dossiers en fonction du degré d'urgence en une heure.

2. Un recrutement concentré sur les jeunes diplômés en droit

L'accès aux fonctions de juge ou de substitut du procureur requiert exclusivement l'obtention des deux examens d'État. Aucune autre voie d'entrée dans ces métiers n'est ouverte.

Bien que le vivier des candidats -qui concerne potentiellement tous les titulaires des deux examens d'Etat avec ou sans expérience professionnelle- soit très large, les Länder recrutent principalement des jeunes diplômés n'ayant jamais exercé une profession juridique ou judiciaire et âgés en moyenne de 29-30 ans.

Vos rapporteurs ont observé que ce constat valait dans le Land de Bavière avec quelques nuances. En effet, 80 % des recrutements concernent des référendaires ayant réussi le second examen d'Etat.

Toutefois, Mme Ursula Schmid-Stein, chef de bureau des ressources humaines au ministère de la justice bavarois, a signalé que l'intégration dans la magistrature était également ouverte, à hauteur de 20 % des recrutements, aux avocats justifiant de deux ou trois ans d'expérience dans ce métier et n'ayant pas forcément obtenu les meilleures notes aux examens d'Etat. Cette interlocutrice a jugé très positif ce profil de candidats, faisant valoir qu'ils s'intégraient avec facilité au milieu judiciaire. Cette pratique s'observe dans d'autres Länder, notamment dans celui de la Sarre, mais l'ouverture du recrutement à de jeunes professionnels reste marginale.

Il est paradoxal de constater qu'en Allemagne, bien que les professions judiciaires ou juridiques soient accessibles par une filière unique, les passages d'une carrière à l'autre sont en pratique très rares. A la différence du système britannique caractérisé par une grande perméabilité entre les métiers d'avocat et de magistrat 135 ( * ) , on observe en effet une stricte séparation dans le déroulement des carrières de chaque profession du droit.

Comme l'a expliqué à vos rapporteurs M. Horst Heitland, magistrat de liaison allemand en France, les Länder ne recrutent pas de juristes chevronnés ayant exercé une autre profession, à la différence de la France qui a institué des voies parallèles de recrutement (intégration directe, concours complémentaires d'entrée dans la magistrature ou exercice temporaire des fonctions judiciaires) 136 ( * ) .

3. Les premières années d'exercice rigoureusement encadrées, un temps de probation conjugué à une obligation de mobilité fonctionnelle

La loi fédérale statutaire prévoit que le magistrat débutant est nommé en qualité de juge stagiaire ( Richter auf Probe ) durant une période comprise entre au minimum trois ans (paragraphe 10) et au maximum cinq ans (paragraphe 12). M. Wolfgang Schild a expliqué à vos rapporteurs que les magistrats stagiaires les plus brillants étaient rapidement titularisés « juge à vie » (après trois ans), ajoutant que l'ancienneté professionnelle acquise par exemple en qualité d'avocat pouvait même être déduite du temps minimal de la probation. Il semble que les Länder de l'Est de l'Allemagne attendent en moyenne cinq ans avant de titulariser les magistrats stagiaires. Cette probation s'impose aux futurs juges du siège comme aux futurs membres du ministère public.

Le magistrat stagiaire exerce ses fonctions comme magistrat du siège dans un tribunal d'instance ou de grande instance ou comme substitut du procureur. La première année, celui-ci ne peut exercer les fonctions de juge aux affaires familiales, réservées aux magistrats ayant au moins une année d'expérience professionnelle.

Durant la probation, il n'est pas inamovible . En effet, le paragraphe 13 de la loi fédérale statutaire précise que cette affectation peut être modifiée sans son consentement , ce qui implique la possibilité d'être affecté du siège au parquet et inversement.

Chaque Land organise la période probatoire selon ses propres règles avec une philosophie commune : sensibiliser les juges débutant à la polyvalence des fonctions . Telle est la raison pour laquelle le passage au parquet est une obligation durant cette période.

M. Wolfgang Schild a expliqué à vos rapporteurs que les juges stagiaires occupent alternativement des fonctions au siège et au parquet durant un ou deux ans. En Bavière, le système diffère un peu : les juges débutants doivent obligatoirement exercer au moins une année au parquet : ceux nommés au parquet (70 % d'une promotion) y restent pendant trois ans, ceux qui commencent au siège (30 % d'une promotion), au terme d'un délai maximum de deux ans, sont affectés au parquet. Dans le Land du Bade-Württemberg, les juges stagiaires exercent successivement un an au tribunal d'instance, un an au tribunal de grande instance et un an comme substitut au parquet.

Le juge stagiaire est régulièrement évalué par le président et le procureur du tribunal où il exerce ses fonctions, sous le contrôle du premier président de la cour d'appel (lecture des jugements...). Le ministère de la justice du Land n'intervient pas dans ce processus.

Le Land de Bavière a renforcé cet encadrement en mettant en place un tutorat confié à un magistrat plus expérimenté dont le bilan est positif d'après les représentants du ministère de la justice bavarois. En Sarre, ce tutorat est encouragé mais pas organisé.

Le juge stagiaire qui démontre de réelles insuffisances professionnelles peut être licencié à tout moment, sous réserve de l'avis du conseil consultatif des magistrats 137 ( * ) . Les deux premières années, le licenciement n'est pas motivé. Au-delà de cette durée, le Land doit démontrer l'incapacité de l'intéressé à exercer ses fonctions.

Toutefois, la non titularisation d'un juge stagiaire demeure exceptionnelle, comme l'ont expliqué M. Wolfgang Schild, secrétaire d'Etat à la justice et aux affaires sociales du Land de la Sarre, et la responsable du recrutement des juges au ministère de la justice bavarois, Mme Ursula Schmid-Stein. Lorsque tel est (rarement) le cas, l'intéressé choisit le plus souvent de quitter ses fonctions volontairement pour s'orienter vers une autre profession juridique.

Comme l'ont souligné tous les interlocuteurs allemands rencontrés par la délégation, la période probatoire présente plusieurs avantages en :

- constituant une ultime étape pour détecter de graves défaillances et, donc, une sécurité supplémentaire pour éviter des dysfonctionnements de la justice ;

- offrant une souplesse de gestion très appréciable dans un contexte de faible mobilité géographique des juges du fait d'un recrutement régionalisé et de l'absence d'obligation de mobilité. L'affectation des juges stagiaires dans une juridiction est laissée à la libre appréciation de l'autorité de nomination 138 ( * ) . Ce statut rappelle, sous l'importante réserve relative à l'absence d'inamovibilité, celui des magistrats placés en France 139 ( * ) ;

- imposant une nécessaire implication des chefs de juridiction dans l'apprentissage du métier de magistrat. L'évaluation à laquelle ils procèdent régulièrement leur impose nécessairement d'être attentifs aux pratiques professionnelles des jeunes magistrats ;

- prolongeant la formation pratique acquise durant le service préparatoire par l'apprentissage de différentes fonctions au siège comme au parquet.

* 129 Parmi 1.500 à 1.600 juristes diplômés (soit 8 %). Plus de la moitié des nouvelles recrues sont des femmes.

* 130 La Sarre (1 million d'habitants) qui compte 250 juges du siège et 60 membres du ministère public se situe dans la moyenne nationale en nombre de magistrats par habitant. Cf en annexe 5 la note sur le contexte judiciaire en Allemagne.

* 131 Certains auraient souhaité imposer l'obligation d'avoir une expérience de deux ans en cabinet d'avocat avant d'intégrer la magistrature, d'autres militaient pour un éventail d'expériences plus large (activités à l'étranger, activités de coopération...).

* 132 Qui impose un recrutement des fonctionnaires par concours.

* 133 Le land de Bavière permet par exemple de suivre des séminaires complémentaires (« rhétorique », informatique...).

* 134 5 ou 6 personnes dont le chef de bureau des ressources humaines du ministère de la justice sarrois et un représentant du parquet.

* 135 Voir infra encadré sur le système britannique de recrutement et de formation des magistrats.

* 136 Voir le I-A de la première partie du présent rapport.

* 137 Paragraphe 22 de la loi fédérale statutaire.

* 138 En revanche, l'affectation fonctionnelle du magistrat est décidée par le praesidium, collège des représentants des magistrats du tribunal (voir en annexe, fiche sur le contexte judiciaire en Allemagne).

* 139 Rattachés à la cour d'appel et ayant vocation à être affectés dans le ressort, selon les besoins, par ordonnance du premier président ou du procureur général -selon qu'il s'agit d'un juge du siège ou du parquet- de la cour d'appel.

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