J. L'AGENCE EUROPÉENNE DE DÉFENSE : DEUX ANS APRÈS

Dans l'introduction de l'exposé des motifs de son Rapport n° 1965, M. Yves Pozzo di Borgo, Sénateur (Paris - UC-UDF), présente la situation de l'Agence et son évolution récente :

« L'Agence européenne de défense (AED) a franchi le cap de ses deux premières années d'activités3 en janvier 2007. Pendant cette période, l'Agence a réussi à devenir la référence incontournable en matière de coopération européenne dans le domaine des capacités, des équipements, des technologies et de l'industrie et du marché de défense (CETIM). Deux ans, c'est peu pour faire des projections à moyen et long terme, mais l'activisme dont l'AED fait preuve témoigne d'une volonté de s'inscrire dans la durée de manière décisive et déterminante.

L'Agence, créée par une Action conjointe du Conseil de l'Union européenne du 12 juillet 2004, est le résultat d'un long processus de coopération européenne en matière de capacités, d'équipements et de technologies de défense (CETIM), dont les premières démarches structurées remontent aux années 1960 et 1970. Les coopérations bilatérales sur certains équipements, le travail en commun au sein de l'OTAN, le contrôle des armements mené par l'UEO, ont été les précurseurs de ce mouvement. La création de l'Eurogroupe en 1968, puis du Groupe européen indépendant de programmes en 1976 (GEIP, destiné à tenir compte de la France, qui ne faisait pas partie du premier) expriment aussi une volonté commune de promouvoir des solutions européennes en matière de CETIM, à l'intérieur et à l'extérieur de l'OTAN.

Le Traité de Maastricht, signé le 7 février 1992, constitue le « grand bond en avant » pour l'Europe de la défense. La volonté d'autonomie et de promotion des intérêts européens par rapport aux Etats-Unis est affirmée par la transformation de la Communauté économique européenne en Union européenne et par l'inclusion du thème de la défense dans ses compétences. Vient ensuite l'évolution parallèle de l'Union mais aussi de l'UEO et de l'OTAN, sur fond de guerre dans l'ex-Yougoslavie. Les besoins en matière de mécanismes politiques et militaires de gestion des crises et de capacités militaires, nécessaires pour une intervention efficace, deviennent pressants. C'est une question de survie et de crédibilité dans un monde de plus en plus complexe où l'Europe (l'Union) cherche sa place.

Une place à la fois de puissance régionale et mondiale et de partenaire de la grande puissance américaine. Les dernières années du XXe siècle ont vu une accélération de la construction européenne, non sans difficultés, qui a fini par aboutir aux Déclarations du Conseil européen de Cologne et d'Helsinki sur la transformation de l'Union en une organisation politique et militaire, capable d'intervenir militairement dans la gestion des crises internationales.

La question des capacités, des équipements et des technologies de défense a été, et est, au coeur de tout ce processus. Des coopérations et des structures ont été mises en place et d'innombrables panels ont discuté, débattu, élaboré. Les industries se sont regroupées, certaines ont acquis une dimension internationale, d'autres se sont consolidées au niveau national et ont cherché des partenariats en Europe mais aussi aux Etats-Unis. C'est l'Europe du compromis perpétuel mais de l'avancement continu, où l'absence d'une vision stratégique commune claire est compensée par l'empirisme, le pragmatisme, les approches sectorielles.

Le grand bouleversement stratégique du XXIe siècle, consécutif aux attentats d'Al Qaida contre les Etats-Unis, à New York et à Washington, rend encore plus pressante la mue européenne. L'Objectif global 2003 devient 2010, la recherche des capacités s'accélère. L'Union se dote d'une Stratégie européenne de sécurité, cherche à faire approuver une Constitution et finalement, crée l'Agence européenne de défense, le maillon manquant dans le processus capacitaire européen. Hormis pour la défense collective, l'Union est aujourd'hui une alliance de défense, pour la protection de ses intérêts « régionaux », mais aussi une organisation « offensive » pour la défense de ses intérêts dans le monde.

L'Agence européenne de défense s'inscrit dans cette longue marche de l'Union vers la puissance. Créée en 2004, elle est en 2007 un acteur central de la PESD avec quelques réussites à son actif, dont une très importante, la rationalisation de la coopération européenne en matière de capacités, d'équipements, de technologies et de l'industrie et du marché de défense. L'Agence est guidée par la recherche de résultats ; elle est orientée en priorité vers la « production » de capacités. Ce n'est pas encore la pierre philosophale qui va résoudre tous les problèmes, c'est une étape nécessaire dans un processus long et complexe, dont l'issue déterminera l'avenir non seulement de l'Union mais de tout le continent européen. »

Puis, concluant son Rapport sur le rôle fédérateur de l'Agence européenne de défense, M. Yves Pozzo di Borgo rappelle que les conférences régulières que l'Agence organise sur la R&T de défense, sur la BITDE et autres sujets relevant de ses compétences démontrent son rôle fédérateur en tant que forum de discussion et d'échange d'informations et d'expériences. Ceci est valable pour tous ses domaines d'action et contribue à susciter de nouvelles initiatives et à identifier de nouvelles priorités et approches.

L'Agence se place ainsi au centre du débat sur les capacités, équipements et technologies de défense européennes. Elle le fait aussi par des initiatives dans des domaines concrets, où les États membres se retrouvent pour coopérer selon leurs intérêts et priorités. L'Agence est un forum d'initiatives autant que de débat, mais c'est sur des résultats concrets qu'elle assied sa crédibilité et son avenir.

Le programme d'activités pour 2007, approuvé par le Comité directeur le 13 novembre 2006, s'inscrit clairement dans cette perspective. Trois domaines majeurs sont définis pour orienter les activités de l'AED en 2007 : questions stratégiques, processus de développement des capacités, autres projets et initiatives.

La protection des forces est le nouveau grand programme coordonné par l'Agence. C'est le résultat « collatéral » des guerres conduites par l'administration Bush en Afghanistan et en Irak. Le recours intense à des engins explosifs improvisés de différents types (allant du détonateur électrique classique à l'explosion actionnée par téléphone portable, par exemple), les attaques suicides et autres actions « non conventionnelles » (le recours à des camions contenant des produits chimiques, comme le chlore en Irak) ont poussé à une réflexion accrue sur la protection des soldats et des équipements.

C'est l'un des objectifs du programme européen en coopération, lancé en novembre 2006, auquel participent 19 Etats européens34 pour un montant initial de 54,23 millions d'euros. Ce programme de recherche (et d'investissement conjoint, Programme d'investissement conjoint, PIC) est géré par les Etats participants sous la houlette de l'Agence, qui préside le Comité de gestion. Ses objectifs couvrent 18 sujets de recherche répartis en cinq domaines capacitaires :

« la capacité de survie collective (unités, plateformes, infrastructure) reposant sur l'amélioration des performances en matière de détection, identification et réaction ;

la protection individuelle ;

l'analyse des données, y compris la fusion de données de différentes sources ;

le système de télécommunications tactiques sécurisé en milieu urbain ;

la planification des missions dans un environnement asymétrique et la formation des personnels à ces missions ».

Ce programme a un aspect fédérateur important puisqu'il regroupe un grand nombre d'Etats membres participants et un non-membre, la Norvège. Les résultats, attendus pour 2010, seront sans doute incorporés dans la finalisation de l'Objectif global 2010 et au-delà (2015-2025, ce qui correspond à la période couverte par la Vision à long terme).

C'est aussi une coopération sui generis en matière de défense européenne, où les décisions sont prises à l'unanimité (ce qui est la règle presque absolue en matière de PESD), mais avec un système de pondération des voix en cas de vote. Le nombre de voix est fonction de la contribution de chaque Etat. Dans ce cas, une décision est adoptée si elle obtient deux tiers de voix favorables et le soutien de la moitié des Etats contributeurs.

Les autres projets pour l'Agence en 2007 concernent essentiellement l'organisation et la dynamique de la R&T de défense européenne et les questions relatives à l'état et aux perspectives du marché européen des équipements de défense (MEED).

Le programme d'activités de l'Agence pour 2007 appelle aussi à la poursuite des contacts et des démarches en vue de développer la coordination et le renforcement des liens avec d'autres partenaires, tels que l'OTAN, l'OCCAR et la Lettre d'Intention/Accord-cadre sur la restructuration des industries de défense européennes. Les relations avec l'OCCAR sont celles qui, pour le moment, posent le moins de difficultés.

Les relations avec l'OTAN se heurtent à des blocages institutionnels, imputables à la fois à l'Alliance et à l'Union, notamment à cause des différences d'appartenance et de l'existence de divers accords bilatéraux/multilatéraux entre certains Etats membres des deux organisations. Quant à l'Accord-cadre, c'est une enceinte de contact, de discussion et de consultation intergouvernementale dont les progrès sont très dépendants des politiques et priorités nationales à un moment donné.

Le programme d'action pour 2007 consolide la place de l'Agence parmi les institutions européennes de la coopération en matière de capacités, d'équipements et de technologies de défense. En attendant les décisions sur le budget et les programmes pluriannuels, d'année en année, l'AED prend de l'importance et c'est déjà un acteur incontournable de la PESD. Les Etats membres de l'Union ont ainsi à leur disposition un outil stratégique dont, bien sûr, ils déterminent le développement futur mais qui a acquis une dynamique qui lui est propre.

Les activités opérationnelles, l'assimilation du GAEO, de l'OAEO et, progressivement, des groupes de projets du PAEC, sont l'image de marque d'une structure, de dimensions encore modestes, mais à l'avenir prometteur. Ceci est aussi le résultat du travail sans relâche d'une équipe dynamique et très compétente, conduite par une direction efficace.

Un ralentissement ou un arrêt de ces activités aurait des conséquences négatives durables pour la PESD et le processus de développement des capacités de défense de l'Union européenne. La seule issue est la croissance et ceci aura un coût, comme le signalait le Chef de l'Agence, Javier Solana, Haut représentant de l'Union pour la politique étrangère et de sécurité commune (qui inclut la PESD), lors de la première conférence R&T de l'Agence, tenue à Bruxelles, en février 2006 :

« Premièrement, dépenser davantage. Je sais que c'est difficile dans un monde aux ressources financières limitées. Mais c'est impératif.

Deuxièmement, nous devons dépenser mieux, afin que chaque euro versé rapporte davantage. Il faut avant tout mettre l'accent sur les technologies clés de demain.

Troisièmement, et c'est peut-être le plus important : nous devons dépenser davantage ensemble. C'est une question fondamentale et la principale raison d'être de l'Agence ».

Ce message est clair, et investir dans l'Agence fait partie de cet effort nécessaire. C'est le prix de l'autonomie, de la sécurité de l'approvisionnement et de l'accès aux meilleures capacités et technologies. La dispersion et la fragmentation sont encore très présentes mais l'instrument de la rationalisation existe déjà, à condition que les États membres comprennent quel est son potentiel et décident de le réaliser. Cet agent de transformation, c'est l'Agence européenne de défense : un outil stratégique au service de la politique européenne de sécurité et de défense pour « une Europe sûre dans un monde meilleur ».

À l'issue du débat qui porte sur le Rapport n° 1965 , l'Assemblée a adopté, à l'unanimité la Recommandation n° 803 .

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page