C. LE PAYSAGE AUDIOVISUEL JAPONAIS

Avec plus de 100 millions de téléviseurs équipant les quelque 45 millions de foyers nippons, la télévision tient incontestablement une place essentielle dans la vie des Japonais. En 2004, le temps moyen quotidien passé devant la télévision par un Japonais approchait même les 4 heures !

Du point de vue des opérateurs, le Japon compte 375 diffuseurs hertziens, 133 diffuseurs satellitaires et plus de 500 câblo-opérateurs. La diffusion numérique existe depuis plusieurs années sous tous formats et la diffusion analogique (hertzienne ou satellitaire, fixe ou mobile) doit cesser au Japon le 24 juillet 2011.

1. Un paysage télévisuel bipolaire

Le Japon est le second plus grand marché de télévision (0,5 % du produit national brut) après les États-Unis. Son paysage audiovisuel est composé d'un opérateur public considéré comme une véritable institution et d'opérateurs privés regroupés en réseaux régionaux.

a) La NHK, une véritable institution

La Nippon Hoso Kyokai (NHK) ou Japan Broadcasting Corporation (NHK) est une véritable institution aux Japon. Le groupe public japonais bénéficie en effet d'un statut unique au monde et, comme le soulignait le sénateur Jean Cluzel 23 ( * ) , peut être assimilé à « une ORTF qui aurait réussi »...

Il réunit dans une même entité, qui emploie plus de 15 000 personnes, 6 chaînes de télévision et 3 programmes nationaux de radio et finance des orchestres, dont la réputation n'est plus à faire, ainsi que des troupes de théâtre. Il assure également une activité d'édition non négligeable sur tous les supports.

La NHK propose ainsi deux chaînes de télévision hertzienne (l'une généraliste, l'autre éducative) et trois stations de radiodiffusion, plus trois chaînes de télévision par satellite, qui émettent simultanément des signaux analogiques et numériques. Fait intéressant, 90 % des programmes de la chaîne généraliste sont déjà diffusés en haute définition contre 50 % de ceux de sa chaîne éducative.

Il n'y a aucune publicité sur ces chaînes, qui sont financées par la redevance publique. Les membres de la mission ont toutefois constaté que ce système, basé sur le volontariat, posait des difficultés et était actuellement remis en question tant par le gouvernement que par les dirigeants du groupe public.

b) Des réseaux privés régionaux

Le secteur privé hertzien est dominant, tant en terme de chiffre d'affaires (74 % au total) qu'en part d'audience (73 % de part de marché sur Tokyo). Il est aussi le plus ancien au monde après celui des États-Unis. La première diffusion d'une chaîne commerciale (NTV à Tokyo) date du 28 août 1953, trois ans après le vote de la Broadcasting law , qui a autorisé les diffuseurs commerciaux.

Comme en Corée, le secteur privé est organisé en réseaux de chaînes commerciales régionales selon le système de la syndication. Chaque réseau dispose de « stations clés » à Tokyo : Nippon TV (1953), Fuji TV (1959), TBS (1955), TV Asahi (1956) et Tokyo TV. La seconde chaîne de chaque réseau est située à Osaka. Chaque station dispose d'une autonomie financière et de structures de production propres.

Le plus souvent intégrées à un groupe de communication qui dispose d'un quotidien de presse écrite (Fuji TV et le Sankei, NTV et le Yomiuri, TV Asahi et l'Asahi Shimbun, TV Tokyo et le Nikkei), certaines chaînes régionales sont néanmoins indépendantes des réseaux, comme TVK à Yokohama. L'ensemble des chaînes hertziennes privées sont regroupées au sein de la National Association of Commercial Broadcasters in Japan (NAB).

Les chaînes privées se financent exclusivement par la publicité et le sponsoring. Selon l'article 140 des Critères de Diffusion de la NAB, le volume total hebdomadaire de publicité ne doit pas dépasser 18 % du total de la diffusion hebdomadaire d'une chaîne commerciale.

2. La télévision numérique terrestre, un véritable enjeu industriel

D'abord opérationnel dans 3 zones pilotes (Tokyo, Osaka et Nagoya) depuis le 1 er décembre 2003, le signal numérique hertzien couvrait près de 40 millions de foyers fin 2006 (84 % de la population).

Il convient de rappeler que le programme gouvernemental pour le développement de la TNT a été lancé dès 1997 par le Ministry of Internal Affairs and Communications (MIC), sa mise en oeuvre et sa promotion ayant été placées sous la responsabilité du Terrestrial Digital Broadcasting Promotion Headquarters, une agence interne du MIC.

Comme en Corée mais pour des raisons différentes, ce plan est stratégique pour l'industrie japonaise. Le développement de la TNT implique en effet le renouvellement global du parc de récepteurs (soit 100 millions de téléviseurs dans 45 millions de foyers) d'ici le 24 juillet 2011, date à laquelle la diffusion analogique sera officiellement abandonnée.

Ce plan bénéficie ainsi principalement aux entreprises d'électronique grand public nationales. Le Japon, qui ne connaît aucune barrière légale à l'entrée sur le marché, se caractérise en effet par la préférence très prononcée des consommateurs pour les marques japonaises. Ainsi les cinq fabricants japonais ne connaissent aucune concurrence sur le marché domestique.

D'après les données fournies par les dirigeants de la NHK aux membres de la mission, le pays est pourtant loin d'être prêt pour cette « bascule » : le nombre de téléviseurs en circulation capables de recevoir la TNT est en effet aujourd'hui estimé à 6 millions d'unités sur un parc de 100 millions, pour environ 5 millions d'utilisateurs réels.

3. Les défis de la télévision mobile japonaise

Tous les opérateurs de téléphonie mobile japonais ont intégré la télévision dans leur stratégie et proposent depuis 2004 des modèles de téléphone portable équipés d'un tuner analogique.

Mais le véritable enjeu pour l'ensemble du secteur se situe plutôt dans le lancement des premiers services de télévision mobile personnelle numériques à l'échelle de l'archipel.

a) Les spécificités techniques du 1-seg

La télévision mobile personnelle a été officiellement lancée à titre expérimental dans 29 départements du Japon le 1 er avril 2006 ; sa diffusion a été étendue à l'ensemble du territoire à la fin de la même année. Les signaux 24 ( * ) utilisant la norme ISDB-T peuvent être reçus par les téléphones portables mais aussi par d'autres terminaux mobiles tels que les assistants électroniques ou les consoles de jeu.

Le signal utilise pour sa transmission une des treize fréquences des canaux hertziens alloués à la diffusion des services télévisés, d'où son nom : 1-seg pour « one segment broadcast ». Les douze autres segments du canal sont quant à eux dédiés à la diffusion d'un service en haute définition (HDTV) 25 ( * ) .

b) Des services contraints de proposer les chaînes de la TNT

Le service 1-seg permet de regarder gratuitement les programmes de la télévision numérique terrestre sur la partie supérieure de son mobile et de bénéficier d'informations télétexte fournies par la chaîne et transmises via le signal hertzien ou via internet sur le tiers inférieur de l'écran.

M. Takeatsu Yamauchi, président directeur de la NHK a précisé aux membres de la mission qu'aux termes de la loi, l'obligation de diffuser en simulcast les programmes de la télévision numérique terrestre devait cesser le 31 octobre 2008.

A partir de cette date, les opérateurs mobiles et les chaînes de télévision pourront par conséquent proposer des programmes spécifiques aux clients. Dans cette optique, les différents acteurs de la chaîne de valeur travaillent à l'élaboration de modèles économiques plus profitables que le modèle actuel, fondé principalement sur le télé-achat. Face à la coopération de NTT DoCoMo avec Nippon TV et Fuji TV, KDDI a finalement décidé de s'associer avec TV Asahi pour créer des services spécifiques Internet-TV.

c) Un succès commercial mais une qualité de service susceptible d'être améliorée

Au 31 décembre 2006, 3,4 millions de clients bénéficiaient d'après la NHK du service 1 - seg sur leur téléphone mobile et 260 000 dans leur voiture.

Ce résultat semble plutôt flatteur compte tenu des limites actuelles du service : si la qualité du service est bonne lorsque la réception se fait près d'une fenêtre ou dans la rue, il n'en va pas de même en matière de réception mobile, « extérieure » ou de « deep indoor ».

La qualité du signal se dégrade en effet fortement au-delà d'une vitesse de déplacement de 20 kms/h et le nombre réduit de réémetteurs provoque de fréquentes coupures de signal et empêche l'accès aux services dans le métro, les tunnels et certains bâtiments.

Là encore, tous les acteurs impliqués dans le 1-seg tentent de mettre en place un réseau de réémetteurs suffisamment dense pour permettre l'accès au service dans tous types de conditions.

4. La diffusion par satellite : deux bouquets complémentaires

Comme le précise la Mission économique de Tokyo 26 ( * ) , le Japon compte deux principales plates-formes satellitaires aux caractéristiques différentes : le bouquet BS qui s'est longtemps contenté de proposer les programmes de la NHK et la plate-forme payante SKY PerfecTV!

a) La plate forme BS

L'opérateur public NHK avait, jusqu'en décembre 2000, le quasi-monopole de la diffusion analogique directe par satellite. Il proposait ainsi trois chaînes aux téléspectateurs :

- deux chaînes analogiques depuis 1984 : BS-1 (information internationale et sport) et BS-2 (divertissement, musique et cinéma) ;

- une chaîne en haute définition depuis 1994 : BS-hi.

Aux côtés des services de la NHK, une seule chaîne du secteur privé avait accès à la diffusion directe par satellite : la chaîne cryptée WOWOW, conçue en partie sur le modèle de Canal+.

Depuis le 1 er décembre 2000, ces quatre chaînes du bouquet BS sont disponibles en numérique.

Ce bouquet de 4 chaînes a été complété par 5 nouvelles chaînes numériques en décembre 2000, le MIC ayant accordé à chaque chaîne hertzienne de Tokyo une licence de diffusion en numérique sur le satellite BS. Ainsi les 5 grandes chaînes hertziennes privées ont créé 5 chaînes numériques : BS Nippon pour NTV, BS-i pour TBS, BS Fuji pour Fuji TV, BS Asahi pour Asahi TV, et BS Japan pour Tokyo TV, démultipliant ainsi l'offre des chaînes existantes. Une dixième chaîne numérique, Star Channel, entièrement dédiée au cinéma est venue compléter le bouquet BS.

Ces chaînes, reçues par 15 millions d'abonnés, sont tenues de diffuser une partie de leurs programmes en haute définition. Gratuites (à l'exception de WOWOW et Star Channel), financées par la publicité et offrant des services de transmission de données, dont certains directement liés aux programmes (informations, jeux interactifs, télé-achat), ces chaînes restent pourtant dans le rouge, avec un résultat d'exploitation négatif depuis l'année 2000.

La fin de l'analogique, en 2011, devrait aboutir à une réallocation de fréquences, et de nouvelles chaînes pourraient voir le jour, le MIC ayant annoncé l'arrivée de 40 nouvelles chaînes en plus de la dizaine existante.

b) SKY PerfecTV!

Depuis mai 2000 et l'absorption de son concurrent DirecTV, SKY PerfecTV!, exerce un monopole de fait sur la diffusion par satellite de communication. En janvier 2006, il totalisait plus de 3,5 millions d'abonnés.

SKY PerfecTV! diffuse près de 300 chaînes (cinéma, sport, musique, divertissement, information et documentaires, loisirs...) dont les chaînes du groupe Murdoch, CNN, MTV, Discovery Channel ... Différents bouquets de chaînes sont proposés auxquels peuvent s'ajouter des bouquets thématiques (baseball, séries télévisées, cinéma).

Sky Perfect Communications, nom du diffuseur du service SKY PerfecTV!, est en négociation depuis plusieurs mois avec Jsat, premier opérateur satellitaire japonais, pour une éventuelle fusion.

c) L'échec de la diffusion satellitaire mobile

Un service de diffusion satellitaire mobile est également disponible depuis octobre 2004 : MobaHO. Il fournit des programmes TV et radio principalement sur récepteur dédié, notamment embarqué en voiture. Cependant le succès n'est pas au rendez-vous, en raison notamment de l'absence de réception sur téléphone mobile (quelques téléphones offrent cependant le service radiophonique).

5. La réception par câble et par internent : des marchés dynamiques

Longtemps handicapé par la domination des opérateurs terrestres et par une législation défavorable interdisant notamment à un même opérateur de posséder plusieurs réseaux de diffusion, le secteur du câble connaît un regain d'intérêt depuis sa numérisation.

a) La diffusion par câble

En mettant leurs réseaux à niveau et en passant progressivement au numérique, les nombreux câblo-opérateurs ont pu augmenter leur offre de chaînes (reprise successive des chaînes hertziennes, des chaînes de BS et de SKY PerfecTV!) et offrir des accès haut-débit (3,23 millions d'abonnés en janvier 2006), de la téléphonie et divers services interactifs (dont la vidéo à la demande).

Ces réseaux disposent d'une tête de réseau et offrent un service multi-chaînes dont au moins cinq chaînes diffusant des programmes propres. Aujourd'hui, plus de 120 chaînes de télévision ne sont diffusées que sur le câble.

Les câblo-opérateurs investissent également dans la fibre optique pour permettre la diffusion des chaînes en Haute Définition, et proposent désormais des offres de « triple-play » en très haut débit.

b) La diffusion par internet

Plusieurs opérateurs ont lancé des services de télévision sur internet (ADSL et fibre optique) via décodeur, associés à de la vidéo à la demande et souvent à du karaoké.

Cette innovation a été rendue possible par l'accroissement des débits, et par une nouvelle réglementation entrée en vigueur en janvier 2002, autorisant les diffuseurs de contenus télévisés à utiliser les réseaux de télécommunications. Ces offres sont bien sûr proposées en complément des abonnements à internet haut débit et des services de téléphonie en triple-play. Softbank, principal concurrent de NTT sur le marché de l'Internet haut débit, est le premier FAI à avoir mis en place un service de télévision et de vidéo à la demande sur ADSL.

Ces services sont encore peu usités, mais semblent appelés à se développer plus rapidement avec l'essor de la fibre optique.

Cependant, la télévision par internet et la vidéo à la demande soulèvent un grand nombre de problèmes de droit d'auteur au Japon car la diffusion de ces programmes est toujours considérée comme de la télécommunication, et non de la télévision. Ainsi on ne retrouve pas sur internet les programmes hertziens.

Cette différence de statut est remise en cause au sein du gouvernement. Il existe également de nombreux sites internet de vidéo à la demande, généralement en streaming, payant par accès ou à la vidéo, ou gratuit avec publicité incrustée à la vidéo. Ce marché semble pour le moment peu profitable, aucun modèle économique convaincant ne s'est encore dégagé. La VoD via décodeur semble plus rentable, même si le marché est encore minime.

* 23 Saisir les opportunités du numérique en Asie, rapport n° 214 (1996-97) réalisé par M. Jean Cluzel au nom de la commission des finances du Sénat.

* 24 Adoptée officiellement en 2003 par le Japon, cette norme est aussi utilisée par le Brésil.

* 25 La norme ISDB-T utilisée au Japon pour la diffusion des services de télévision numérique terrestre permet de diffuser sur une même bande de fréquences trois services de télévision numérique standard multiplexés (SDTV) ou un seul service de télévision numérique haute définition (HDTV).

* 26 Missions économiques, l'audiovisuel au Japon, MINEFI-DGTPE.

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