C. UNE DIMENSION OPÉRATIONNELLE À CONCRÉTISER

1. La question des compétences

L'approche globale se présente comme un « paquet » de négociations dans lequel la coopération des Etats d'origine sur l'immigration clandestine est facilitée par la perspective de débouchés pour l'immigration légale. Or l'immigration de travail restant de la seule compétence des Etats membres, la Commission n'est pas en mesure de proposer des accords complets et ne peut qu'en appeler à la bonne volonté des Etats membres.

Le programme d'action relatif à l'immigration légale, adopté en décembre 2005 devrait conduire à l'adoption de textes législatifs définissant les droits fondamentaux des travailleurs migrants dans l'Union européenne ainsi que les conditions d'entrée et de séjour de certaines catégories d'immigrants, les Etats membres restant compétents pour déterminer les volumes de travailleurs migrants à admettre.

Il faut rappeler qu'en France, la gestion des flux migratoires de travail est déconcentrée et confiée aux préfets. L'octroi d'un titre de travail , et partant, d'un titre de séjour est régi par l'article R341-4 du code du travail qui prévoit que le préfet prend en considération : la situation de l'emploi présente et à venir dans la profession demandée par le travailleur étranger et dans la zone géographique où il compte exercer sa profession ; les conditions d'application par l'employeur de la réglementation relative au travail ; les conditions d'emploi et de rémunération offertes au travailleur étranger , qui doivent être identiques à celles dont bénéficient les travailleurs français ; les dispositions prises par l'employeur pour assurer ou faire assurer, dans des conditions normales, le logement du travailleur étranger.

2. Des différences d'approche entre Etats membres

Le degré d'implication des Etats membres dans la mise en oeuvre de l'approche globale varie en fonction de nombreux critères : leur proximité géographique avec les pays de départ et de transit, leur tradition d'immigration ou encore la situation de leur marché du travail.

Au sein même des Etats partageant des caractéristiques communes, les priorités ne sont pas toujours convergentes. Les pays d'immigration récente ont des pratiques différentes de celle des pays d'immigration ancienne. Les cinq ou six grands pays européens qui accueillent 80 % des flux migratoires de l'Union européenne reçoivent des migrants d'origine différente et n'ont par conséquent pas les mêmes priorités géographiques. Enfin, la situation démographique et la situation du marché du travail sont très différents : d'après l'INSEE, l'accroissement naturel explique près des ¾ de la croissance démographique française à la différence de l'UE-15 dont l'augmentation de la population de sept millions entre 1999 et 2004 est imputable pour les trois-quarts au solde migratoire. Avec la Finlande et les Pays-bas, la France figure au nombre des seuls pays européens dont l'augmentation de la population relève principalement ou exclusivement de l'accroissement naturel. Elle se situe en quinzième position pour la contribution des flux migratoires à l'augmentation de sa population.

Ces différences d'approche et de situation objective expliquent les réticences des Etats membres à une harmonisation des politiques d'immigration légale et à la mobilité des immigrants dans l'espace européen. En tout état de cause, l'idée d'une « carte verte européenne » qui ouvrirait aux migrants qui en seraient titulaires l'accès à l'ensemble du marché du travail européen, souvent évoquée dans la perspective d'une approche plus consensuelle avec les pays d'origine, semble difficilement réalisable à court terme. De même, l'établissement de quotas nationaux, un temps proposé par le Commissaire européen Franco Frattini, difficilement compatible avec le rythme d'évolution du marché du travail ne semble pas à l'ordre du jour.

Les divergences sont sensibles également chez les Etats d'origine. L'organisation de la conférence de Tripoli à la suite de celle de Rabat, traitait certes de routes migratoires différentes mais aussi de différences de sensibilité entre ces Etats.

Il est probable que les aspects les plus opérationnels de l'approche globale ne seront pas mis en oeuvre à 27. Il importe que les règles soient définies au niveau communautaire mais que leur déclinaison opérationnelle soit plus souple en fonction du profil de l'immigration des différents Etats membres et des filières migratoires qui les concernent le plus directement.

3. Le centre d'informations et de gestion des migrations de Bamako, une première emblématique, une réponse adaptée ?

Assortie d'un plan d'action détaillé, la Conférence de Rabat ne s'est pas traduite par des réalisations concrètes en dehors des initiatives conduites sur un mode bilatéral, à l'exemple de celles de la France ou de l'Espagne.

Annoncée lors de la visite du Commissaire Louis Michel à Bamako le 8 février 2007, et co-parrainée par la France et l'Espagne, la création du centre d'informations et de gestion des migrations (CIGEM) est emblématique de l' « approche globale des migrations », la proposition en a été faite lors de la Conférence de Tripoli.

Cette structure malienne devrait être destinée à l'information sur tous les aspects de la migration, notamment sur les conditions et les opportunités de travail et de formation au niveau national, sous-régional et européen, sur les risques et les aléas de la migration clandestine et sur l'accompagnement des migrants de retour dans leur pays d'origine. Elle comporterait une maison des maliens de l'extérieur et un centre d'information et de gestion des migrations.

Le CIGEM doit fonctionner en relation étroite avec les dispositifs existants, tant sur « l'amélioration des connaissances du phénomène migratoire », sur sa mission « d'accueil d'information d'orientation et d'accompagnement des migrants potentiels et des migrants de retour que sur la « valorisation du capital technique, scientifique et financier de la diaspora ». Il est prévu que la France y intègre la cellule « co-développement » de l'ambassade à Bamako.

Elle semble faire l'objet d'appréciations différentes entre les différents acteurs de son élaboration. Dans un premier temps, cette structure est apparue comme une agence de migration légale vers l'UE et vers les pays voisins selon une logique consistant à favoriser la migration légale afin de diminuer la pression sur l'immigration illégale, selon le concept de « migration accompagnée » développé par le commissaire Louis Michel. Puis le concept a été revu et précisé dans une logique plus proche de celle du co-développement.

Dans l'état actuel du projet, les objectifs sont l'amélioration de la connaissance des flux migratoires, l'accueil, l'information, l'orientation des migrant potentiels et des migrants de retour, l'information sur les conditions juridiques de la migration et la sensibilisation de la population pour la prévention de la migration clandestine et la valorisation du capital humain, financier et technique des Maliens de l'extérieur. Cette structure à vocation à s'étendre dans la région et à la CEDEAO.

Le montant du projet est très important, 10 millions d'euros sur trois ans financés sur le IX è FED, dont 4 millions de frais de structure. Ce projet mobilise les deux tiers de l'enveloppe dévolue à l'Afrique de l'Ouest sur le IX è FED au titre de la question des migrations.

Vos rapporteurs s'interrogent sur les difficultés possibles de ce projet, aussi élevées que les espoirs qu'il suscite. Si la recherche sur les migrations est effectivement indispensable du fait de l'imprécision et de la faiblesse des connaissances sur ce sujet, les autres volets des missions du CIGEM ne sont pas dépourvus d'ambiguïtés.

Les opportunités de migration légale vers l'Europe sont forcément limitées. L'objectif du Centre est par conséquent davantage de décourager la migration illégale que d'offrir des possibilités de migration légale. La France gère déjà avec beaucoup de prudence l'ouverture de son marché du travail aux ressortissants des nouveaux Etats membres de l'Union européenne, elle n'est pas en mesure de faire des propositions concrètes aux candidats maliens à l'émigration. Quant à l'implication d'autres partenaires européens dans le CIGEM, elle s'annonce très mesurée. La coexistence de la nouvelle structure avec la maison des maliens de l'extérieur ne peut qu'entretenir des espoirs qui seront forcément déçus.

Votre délégation se demande si ce projet n'a pas été marqué par une précipitation excessive. Elle observe que les montants de crédits opérationnels disponibles sur trois ans, 6 millions d'euros, seront à peine supérieurs à ce que la France investit en bilatéral dans des projets de co-développement. Par conséquent, l'effet de levier de l'intervention européenne, dont on peut comprendre qu'il soit recherché en raison de la faiblesse des crédits bilatéraux, apparaît limité.

Ce projet, emblématique de l'approche globale des migrations, risque de souffrir de ses contradictions d'origine, qui ne sont surmontées qu'au prix d'une ambiguïté dommageable.

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