N° 467

SÉNAT

DEUXIÈME SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2006-2007

Annexe au procès-verbal de la séance du 26 septembre 2007

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires culturelles(1) sur les associations de supporters ,

Par MM. Bernard MURAT et Pierre MARTIN,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Valade, président ; MM. Ambroise Dupont, Jacques Legendre, Serge Lagauche, Jean-Léonce Dupont, Ivan Renar, Michel Thiollière, vice-présidents ; MM. Alain Dufaut, Philippe Nachbar, Pierre Martin, David Assouline, Jean-Marc Todeschini, secrétaires ; M. Jean Besson, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Yannick Bodin, Pierre Bordier, Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Jean-Pierre Chauveau, Gérard Collomb, Yves Dauge, Christian Demuynck, Mme Béatrice Descamps, MM. Denis Detcheverry, Louis Duvernois, Jean-Paul Émin, Mme Françoise Férat, M. Bernard Fournier, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, MM. Philippe Goujon, Jean-François Humbert, Mme Christiane Hummel, MM. Soibahaddine Ibrahim, Alain Journet, Philippe Labeyrie, Pierre Laffitte, Alain Le Vern, Simon Loueckhote, Mme Lucienne Malovry, MM. Jean Louis Masson, Jean-Luc Mélenchon, Mme Colette Mélot, M. Jean-Luc Miraux, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Bernard Murat, Mme Monique Papon, MM. Jean-François Picheral, Jack Ralite, Philippe Richert, Jacques Siffre, René-Pierre Signé, Robert Tropéano, André Vallet, Jean-François Voguet.

« Du pain et des jeux / Et le peuple sera content »

Juvénal (I er siècle après J.-C.).

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Les événements du 23 novembre 2006 ayant conduit à la mort d'un supporter du Paris Saint-Germain (PSG) ont démontré une nouvelle fois que le déchaînement rituel des passions humaines dans les stades ne permettait pas de réduire la violence réelle des spectateurs sportifs à l'intérieur et à l'extérieur des enceintes sportives. En effet, loin de constituer un incident ponctuel, une exception à la règle selon laquelle le sport adoucirait les moeurs, ce décès semble être la conséquence tragique de manifestions de violences coutumières, voire ordinaires se déroulant lors des matchs de football.

Entre cet évènement et la constitution du groupe de travail sur les associations de supporters en mars dernier, on a encore assisté :

- le 30 novembre 2006, à des violences de la part des ultras de Feyenoord, en déplacement à Nancy pour la coupe de l'Union des associations européennes de football (UEFA) ;

- le 20 février 2007, à une charge de police avec gaz lacrymogènes lors d'un match entre Lille et Manchester United ;

- le 3 mars suivant, à un affrontement opposant des supporters du Football club d'Utrecht et du Paris-SG lors d'une rencontre entre Sedan et le club parisien d'une part, et à une bataille de fumigènes entre supporters stéphanois et lyonnais, d'autre part.

Seule la trêve estivale est en fait venue interrompre la valse des affrontements en Ligue 1. Et pendant le même temps, en Italie, le 2 février dernier, un policier mourait lors d'affrontements entre forces de l'ordre et supporters de l'équipe de Catane, qui affrontait Palerme pour un match de championnat 1 ( * ) . Ironie tragique, le match avait été précédé d'une minute de silence en mémoire du dirigeant d'une équipe amateur décédé le samedi précédent, alors qu'il s'interposait entre ses joueurs et les supporters d'un club rival qui tentaient de s'en prendre à eux !

On peut tirer quelques constats rapides de ces évènements :

- loin d'être seulement un spectacle apaisant, le sport apparaît en fait comme un catalyseur de violence ;

- le problème de la violence des supporters est pour l'instant circonscrit au football ;

- les violences liées au football ont autant lieu à l'extérieur que dans les stades ;

- et le phénomène est répandu dans toute l'Europe .

Forte de ce constat et consciente des limites d'une approche exclusivement individuelle de la prévention du hooliganisme d'une part, et seulement centrée sur l'enceinte sportive d'autre part, la commission des affaires culturelles a souhaité engagé une analyse sans préjugés et en profondeur du rôle et du fonctionnement des associations de supporters de football, notamment dans leurs rapports avec les phénomènes de hooliganisme.

La prise de conscience au niveau européen de la nécessité de répondre à ces problèmes de violence dans les stades peut être datée du match entre le Liverpool Football Club et la Juventus de Turin du 29 mai 1985, se déroulant au stade du Heysel et retransmis en direct à la télévision, au cours duquel l'invasion d'une tribune par les supporters de Liverpool a entraîné l'écrasement des spectateurs contre les grillages séparant les gradins du terrain, faisant 39 morts et 600 blessés.

Si, dans un premier temps, les réponses législatives ont tardé à venir, notamment parce que le problème était considéré comme principalement britannique, le Parlement français a ensuite été saisi de cette question à multiples reprises 2 ( * ) et l'arsenal juridique de la lutte contre les violences dans les stades, à la fois préventif et répressif, s'est peu à peu étoffé, le plus souvent avec pertinence. De son côté, le monde du football s'est doté de règlements plus stricts afin d'encourager l'encadrement des supporters par les clubs.

Pour autant, les dérapages des supporters ont persisté et le nombre d'incidents n'a pas baissé 3 ( * ) . Par ailleurs, tout en restant liée au football, la violence s'est notamment déplacée en dehors des stades .

Ainsi, parallèlement à une atténuation globale de la violence dans le sport, avec une codification de plus en plus précise des règles, celle des supporters a-t-elle plutôt tendance à augmenter. Vos rapporteurs ont donc souhaité déterminer les raisons de ce paradoxe et l'impact des associations de supporters sur les dérives violentes.

Ne se cantonnant pas à l'étude des aspects strictement sécuritaires, liés à l'organisation de l'évènement sportif, vos rapporteurs se sont attachés à analyser la « culture supporter » , afin d'en tirer les leçons appropriées sur l'attitude que doivent adopter les pouvoirs publics à leur égard.

Au fur et à mesure de leurs auditions, ils ont au demeurant constaté que le phénomène supporter ne pouvait être résumé à ces seules dérives violentes . En effet :

- les divergences de comportement constatées entre les supporters révèlent de réelles différences dans les modes d'organisation des associations de supporters , que vos rapporteurs ont estimé nécessaire d'expliquer ;

- l'encadrement supporter dépasse le strict cadre des stades et constitue un mode de socialisation important pour certains membres des groupes, notamment les plus jeunes ;

- la violence réelle dans les stades a semblé finalement moins forte que celle ressentie et ritualisée sous des formes gestuelles (organisations de mouvements chorégraphiés qui peuvent paraître impressionnants) ou verbales (chants agressifs...).

Il est finalement apparu à vos rapporteurs que leur rôle devait être prioritairement de dépassionner le débat qui peut exister entre les supporters et le reste de la population, afin de proposer des solutions concrètes et consensuelles aux difficultés qui nuisent à l'image du football.

Vos rapporteurs ont adopté un certain nombre de partis pris. Bien que conscients que d'autres sports aient pu connaître des débordements de la part des spectateurs, ils se sont concentrés sur le football, qui est particulièrement concerné par ces dérives violentes. Ils ont toutefois donné quelques exemples montrant que d'autres disciplines pouvaient être concernées et que le phénomène n'était pas nouveau. Ils ont par ailleurs insisté sur le football professionnel, sans méconnaître les passerelles de la violence entre sport professionnel et sport amateur 4 ( * ) .

Vos rapporteurs ont, dans un premier temps, mis en lumière les différentes formes de « supportérisme », la fonction d'encadrement des associations de supporters et les relations qu'elles entretiennent avec les clubs, avec les collectivités territoriales et avec l'État.

Analysant ensuite les sources de la violence des supporters, ils ont tenté de définir le rôle que pouvait jouer chacun de ces acteurs dans la lutte contre le hooliganisme.

* *

*

Afin d'éclairer les ressorts de l'activité dite « supportériste » et les raisons des dérives violentes, vos rapporteurs se sont appuyés sur de nombreuses analyses sociologiques et sur les auditions de personnalités du monde du sport : ont ainsi été entendus des représentants institutionnels (ministères des sports et de l'intérieur), des sociologues spécialistes du phénomène supporter, des responsables de cette question dans les ligues professionnelles et les clubs , des présidents d'associations de supporters , soit des associations classiques, soit des associations dites « ultras », des journalistes sportifs et même un hooligan repenti , qui a expliqué au groupe de travail ses motivations personnelles. Par ailleurs, un déplacement à Londres a été organisé, les autorités britanniques bénéficiant d'une expérience à la fois ancienne et reconnue dans le traitement des violences sportives.

I. LES ASSOCIATIONS DE SUPPORTERS ENTRE ENJEUX SPORTIFS ET FONCTIONS SOCIALES

Le phénomène des supporters sportifs ne date pas d'hier. En effet, lors des courses de chars organisées à Constantinople sous l'Empire romain, les tribunes étaient occupées par des spectateurs, qui prenaient déjà activement part au spectacle. Ils avaient constitué deux camps, les Bleus et les Verts, véritables groupes de supporters des deux principales équipes de chars . Pline le Jeune s'étonnait ainsi « des passions infantiles » pour les courses de chars et du fait que la principale préoccupation des spectateurs était non pas tant les capacités des conducteurs de chars ou des chevaux que la couleur de l'équipe gagnante 5 ( * ) ! Procope (Bellum Persicum, I, 24) partageait cette incompréhension : « de longue date le peuple était divisé dans les villes [byzantines] en Bleus et Verts, mais il n'y a pas longtemps que, pour ces dénominations et pour les gradins qu'ils occupent pendant le spectacle, les gens dilapident leur argent, s'exposent aux pires violences physiques et n'hésitent pas à affronter la mort la plus honteuse. Ils luttent contre ceux qui sont assis du côté opposé (...). Est donc née entre eux une haine qui n'a pas de sens, mais qui reste pour toujours inexpiable » 6 ( * ) .

Si le supportérisme apparaît donc comme intrinsèque au spectacle sportif, vos rapporteurs se sont attachés à définir les caractéristiques de la « culture supporter » contemporaine , principalement dans le domaine du football, le sport le plus concerné par les dérives violentes.

A. LES SOURCES DE LA « CULTURE SUPPORTER »

1. Les causes de l'existence du supportérisme

a) Le football, une passion planétaire

Le sport moderne inventé au XIX e siècle a pour objectif l'entretien moral et physique de ceux qui s'y adonnent et il n'est en aucun cas perçu comme un possible spectacle. Ses pratiquants, membres des classes aisées, perçoivent les spectateurs au mieux comme des béotiens ne sachant pas reconnaître le « beau jeu », au pire, comme une menace.

Le football est pourtant rapidement devenu un spectacle de masse, en raison notamment de l'augmentation du temps libre . Le jeu prend en effet son essor dans les métropoles industrielles du nord-ouest de l'Angleterre à la fin du XIX e siècle, qui comptent une importante population jeune masculine disposant du samedi après-midi libre 7 ( * ) . Ces transformations sociologiques expliquent en partie que les stades se remplissent rapidement et durablement, sans expliquer toutefois l'écart entre la futilité d'un jeu et l'ampleur et l'intensité des passions qu'il suscite, concrétisées par l'augmentation très importante du nombre des spectateurs et la constitution de groupes de supporters.

* 1 Selon l'Équipe, du 2 février 2007, « au total, soixante-et-onze personnes ont dû être hospitalisées dans la nuit à Catane, et quatorze supporters de Catane, dont neuf mineurs, ont été arrêtés ».

* 2 Voir à ce titre, les lois n° 92-652 du 13 juillet 1992 modifiant la loi n° 84-610 du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives et portant diverses dispositions relatives à ces activités, n° 93-1282 du 6 décembre 1993 relative à la sécurité des manifestations sportives, dite « loi Alliot-Marie », n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure renforçant le dispositif issu de la loi du 9 décembre 1993, n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et enfin n° 2006-784 du 5 juillet 2006 relative à la prévention des violences lors des manifestations.

* 3 Voir infra (I.A.).

* 4 Le ministère de la santé, de la jeunesse et des sports a au demeurant une approche globale de la lutte contre la violence et les incivilités, dont a fait part au groupe de travail Mme Fabienne Bourdais, chef de bureau à la direction des sports, lors de son audition du 18 avril 2007.

* 5 B. Radice, Letters of the Younger Pliny , Penguin books, 2006.

* 6 Cité dans C. Bromberger, Le match de football, ethnologie d'une passion partisane à Marseille, Naples et Turin , Éditions de la maison des sciences de l'homme, Paris, 2001.

* 7 Pierre Lanfranchi, « Point de vue », dans le Dossier Football, Ombres au spectacle , Les cahiers de la sécurité intérieure, n° 26, 4 e trimestre, 1996.

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