B. PRÉVENIR LES IRRÉGULARITÉS, LUTTER CONTRE LA FRAUDE

Selon le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires relatif à la fraude fiscale de mars 2007, l' irrégularité, fiscale ou en matière de cotisations sociales, regroupe l'ensemble des cas où le contribuable n'a pas respecté ses obligations, qu'il ait agi de façon volontaire ou involontaire, de bonne foi ou de mauvaise foi. La fraude suppose un acte intentionnel de la part du contribuable, décidé à contourner la loi pour éluder le paiement du prélèvement. Pour reprendre une définition utilisée par le conseil des impôts en 1977, « il y a fraude dès lors qu'il s'agit d'un comportement délictuel délibéré ». La fraude est donc un sous-ensemble de l'irrégularité.

Dans la lettre de mission adressée par le Président de la République et le Premier ministre le 11 octobre 2007 à M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, il est indiqué que « les recettes nouvelles liées à la lutte contre la fraude, tout comme les économies réalisées sur les dépenses de transfert, rendront possible la baisse des prélèvements qui pèsent encore sur le travail des Français ».

Aujourd'hui, selon le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires précité, le montant global d'irrégularité et de fraude serait compris entre 29 et 40 milliards d'euros , soit entre 1,7 et 2,3 % du PIB. Cette estimation serait probablement une fourchette plutôt basse du niveau d'irrégularité et de fraude dans notre pays.

Evaluation de l'irrégularité et de la fraude par catégorie de prélèvements

(en milliards d'euros)

Type de prélèvement

Prélèvements fiscaux

Prélèvements sociaux

Total PO

TVA

IS

IR

Impôts locaux

Autres

Total

Travail au noir

Hors travail au noir

Total

Montants éludés

7,3 à 12,4

4,6

4,3

1,9

2,4

20,5 à 25,6

6,2 à 12,4

2,2

8,4 à 14,6

28,9 à 40,2

Source : Conseil des prélèvements obligatoires, « La fraude aux prélèvements obligatoires et son contrôle », mars 2007

Sur le montant global d'irrégularité et de fraude, environ 70 % des montants éludés émaneraient de la sphère fiscale et 30 % de la sphère sociale. Pourtant, en matière de droits redressés, les montants vont de 1 à 16 entre le contrôle fiscal et le contrôle en matière de prélèvements sociaux : 15,9 milliards d'euros en matière fiscale contre 1 milliard d'euros en matière sociale. Certes, les droits rappelés ont augmenté de 35,3 % entre 2002 et 2006 en ce qui concerne la sphère sociale , mais les chiffres ne sont toujours pas à la hauteur du montant de la fraude évaluée par la Cour des comptes ou de la part des prélèvements sociaux au sein des prélèvements obligatoires.

Résultat global des contrôles 42 ( * )

(en millions d'euros)

2002

2003

2004

2005

2006

Variation 2002-2006

Sphère sociale (URSSAF, travail illégal)

739

723

772

921

1.000

+ 35,3 %

Sphère fiscale (contrôles sur place et aux pièces)

14.790

15.059

15.094

15.467

15.913

+ 7,6 %

Total des droits et pénalités redressés

15.529

15.782

15.866

16.388

16.913

+ 8,9 %

Source : Cour des comptes, annexe « Voies et moyens » au projet de loi de finances pour 2008

Toutefois, la Cour des comptes dans son rapport précité fait valoir que les évaluations réalisées concernant le niveau de la fraude « ne doivent pas être considérés comme une « cagnotte » dont les pouvoirs publics pourraient disposer grâce à un accroissement de l'effort de lutte contre la fraude. Certes, on peut penser qu'une partie plus importante de ces montants pourrait effectivement être récupérée grâce à une stratégie adaptée de lutte contre la fraude ».

Mais la Cour des comptes appelle à « se méfier de raisonnements trop simples qui mettraient face à face le niveau de fraude et le niveau de déficit public et déduiraient de l'évaluation de la fraude qu'il y a là un moyen « facile » ou en tout cas atteignable de régler les problèmes de financement de l'Etat et des organismes sociaux. Certes, la lutte contre la fraude doit permettre de faire rentrer des recettes supplémentaires dans les caisses des organismes publics mais elle ne sera pas suffisante pour ramener à des niveaux plus soutenables les déficits publics. Ceci dépend en effet principalement de l'écart entre le rythme d'augmentation des dépenses et celui des recettes, sur lesquels la fraude ne joue pas en dynamique ».

Pour autant, des progrès considérables sont encore possibles, en matière de fraude fiscale s'agissant notamment du recouvrement, dont un récent rapport 43 ( * ) de notre collègue Bernard Angels, rapporteur spécial de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » a montré qu'il restait perfectible, et plus globalement en ce qui concerne la coordination interadministrations de lutte contre la fraude. C'est pourquoi il faut se féliciter que la lettre de mission adressée à M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, par le Président de la République, en soulignant que « l'éclatement et le cloisonnement des administrations gestionnaires est un facteur de complexité indéniable » prévoit une réforme des attributions du comité national de lutte contre la fraude et le croisement de fichiers informatiques.

1. Une fraude fiscale insuffisamment recouvrée

a) Une mobilisation significative des administrations fiscales contre les irrégularités et la fraude

Ainsi que le rappelle l'annexe des « Voies et moyens » (tome 2) au projet de loi de finances initiale pour 2008, la politique de contrôle fiscal 44 ( * ) repose sur trois finalités : couvrir de manière proportionnée aux enjeux les différents catégories de contribuables (finalité dissuasive), collecter l'ensemble des impôts et taxes éludés (finalité budgétaire) et sanctionner sévèrement les comportements plus frauduleux (finalité répressive). 64 % des opérations de contrôle fiscale externe relevaient de la finalité budgétaire en 2006.

Pour cet exercice, le montant des droits redressés, et des pénalités appliquées, par la direction générale des impôts et la direction générale de la comptabilité publique, en matière d'irrégularités et de fraude fiscale, s'établissait à 15,9 milliards d'euros . Ce montant se répartit entre 12,4 milliards d'euros de droits rappelés et 3,5 milliards d'euros de pénalités.

Le contrôle fiscal depuis 2002

Source : annexe « Voies et moyens » au projet de loi de finances pour 2008

La productivité des agents du contrôle fiscal paraît importante au regard de nos partenaires, du moins en ce qui concerne le contrôle fiscal des entreprises.

Nombre d'entreprises par agent réalisant le contrôle fiscal externe

Pays

Effectifs dédiés au contrôle fiscal externe

Nombre d'entreprises

Nombre d'entreprises par agent réalisant le contrôle fiscal externe

Allemagne

16.667

7.320.000

439

Espagne

5.006

2.934.000

586

France

5.039

3.620.000 45 ( * )

718

Irlande

1.036

130.000

126

Italie

15.248

5.750.000

377

Pays-Bas

3.158

2.670.000

845

Royaume-Uni

7.080 46 ( * )

2.200.000

310

Source : ministère du budget, des comptes publics et de la fonction publique

Les deux principaux impôts faisant l'objet de redressements sont, dans l'ordre, l'impôt sur les sociétés, pour plus de 3 milliards d'euros de droits redressés en 2006 (sans prise en compte de l'examen contradictoire de l'ensemble de la situation fiscale personnelle pour lequel une ventilation par impôt n'est pas disponible) et la taxe sur la valeur ajoutée, à hauteur de 3,4 milliards d'euros. S'agissant des droits d'enregistrement, le montant des droits rappelés s'établit à 1,7 milliard d'euros. Pour l'impôt sur le revenu, les droits redressés (sans prise en compte de l'examen contradictoire de l'ensemble de la situation fiscale personnelle) s'établissent en 2006 à 1,8 milliard d'euros.

Il faut regretter qu'aucune ventilation ne permette, même à titre indicatif, de distinguer la fraude des irrégularités. Ceci fonde une politique qui applique de mêmes instruments à des comportements relevant de deux logiques différentes. Ainsi, en matière de contrôle fiscal externe, le ratio pénalités/droits rappelés est élevé et s'élève à 44 % en 2006 , alors qu'il atteignait 39,1 % fin 2002 et 43 % en 2004 et 2005.

Certes, l'administration fiscale s'efforce de mieux cibler ces contrôles. Elle fait ainsi valoir que la part des opérations réalisées sur des affaires au « fort contenu fraudogène » atteint 16,4 % en 2006 pour un objectif fixé à 15 %.

Par ailleurs, la part des pénalités exclusives de bonne foi dans les sanctions est passée de 50,2 % en 2005 à 53 % fin 2006.

b) Des redressements fiscaux peu recouvrés

Le rapport précité de notre collègue Bernard Angels souligne que l'indicateur de recouvrement commun à la direction générale des impôts et à la direction générale de la comptabilité publique en matière de contrôle fiscal externe était de 40,3 % en 2006 . Ce pourcentage est insatisfaisant, et en-deçà de l'objectif assigné aux services, de 43 %.

Au cours de son audition devant la commission des finances du Sénat le 11 juillet 2007, M. Bruno Parent, directeur général des impôts, a pourtant rappelé que le recouvrement suite à contrôle fiscal, inscrit au titre des objectifs du contrat de performance de sa direction, constituait l'une de ses premières priorités et qu'aucune n'y était supérieure dans son système de contrôle de gestion. Il a montré que le ciblage sur la fraude la plus grave avait un effet mécanique sur le taux de recouvrement car ce type de fraude était la plus difficile à recouvrer.

Taux de recouvrement suite à contrôle fiscal externe selon la finalité (sur échantillon)

(en %)

Finalité

Part des montants recouvrés

Répressive

21,7 %

Dissuasive

60,4 %

Budgétaire

69,6 %

Source : inspection générale des finances

Néanmoins, la Cour des comptes, dans l'enquête remise en application de l'article 58-2° de la LOLF à votre commission des finances, à l'appui du rapport précité, souligne, outre l'absence de la direction générale des douanes et des droits indirects de l'indicateur commun de recouvrement, l'ampleur des admissions en non valeur qui représentent entre 10 % et 30 % des apurements et atteignent souvent un taux de 10 % l'année même de la prise en charge des titres.

En matière de pénalités, l'enquête de la Cour des comptes fait valoir le faible recouvrement des pénalités de contrôle fiscal . Ainsi, deux ans après avoir été taxées, les pénalités d'assiette ne sont jamais recouvrées à plus de 15 % pour le contrôle fiscal externe. Selon la Cour des comptes, ce « faible taux de recouvrement des pénalités reflète à la direction générale des impôts le niveau élevé des remises et transactions réalisées dans le cadre de la juridiction gracieuse de l'impôt ». Elle ajoute : « le niveau global de ces remises est préoccupant car il peut alimenter un sentiment d'injustice chez les personnes qui ont acquitté l'intégralité des sommes réclamées, voire entretenir des comportements d'incivisme fiscal, résultat à l'opposé de la finalité des pénalités ».

En conséquence se pose la question de l'adéquation des règles applicables en matière de pénalités aux objectifs du contrôle fiscal, pour ce qui concerne notamment sa finalité budgétaire . S'agissant des transactions, qui constituent une modalité de règlement des contentieux que votre rapporteur général appelle à développer, la lisibilité de la politique des remises pose néanmoins problème. Celle-ci gagnerait à être explicitée.

c) Une adaptation nécessaire de la politique fiscale, entre incitation aux comportements vertueux et répression des comportements frauduleux

La répression des comportements frauduleux appelle une action résolue de l'administration fiscale et des sanctions exemplaires. La commission des infractions fiscales a ainsi autorisé le dépôt de 917 plaintes correctionnelles pour fraude fiscale en 2006.

S'agissant des irrégularités, une politique efficace du point de vue du rendement budgétaire appelle d'autres moyens d'actions , qui visent à inciter à l'accomplissement volontaire des obligations fiscales, en évitant les contentieux pouvant naître des divergences, de bonne foi, d'interprétation de la norme, ou en autorisant les corrections des redevables dans des conditions qui ne soient pas trop dissuasives. Les lettres de relance amiables permettent d'atteindre un objectif de rendement sans procédures trop lourdes.

Le rescrit paraît de ce point de vue un autre moyen de sécuriser les relations entre les contribuables et l'administration. La procédure de rescrit, introduite dans le droit fiscal français en 1987, peut être définie comme la possibilité ouverte aux usagers d'obtenir un avis de la direction générale des impôts sur les conséquences fiscales d'une opération donnée. Lorsque l'administration a formellement pris position sur l'appréciation d'une situation de fait au regard d'un texte fiscal, elle ne peut plus procéder à aucun rehaussement.

L'année 2006 a été marquée par un fort développement de l'activité de rescrit. Le nombre de dossiers traités par les services déconcentrés est passé de 6.981 en 2005 à 9.814 en 2006, soit une augmentation de l'ordre de 40 %.

Source : rapport d'activité sur les rescrits en 2006

Enfin, lorsque le paysage fiscal est amené à évoluer, comme cela est le cas en ce qui concerne la fiscalité du patrimoine où la prise en compte des impératifs de compétitivité fiscale et d'acceptation de l'impôt sont essentiels, il peut par ailleurs s'avérer souhaitable, dans un but de rendement budgétaire, d'apurer une large partie des irrégularités du passé, par l'application des prélèvements libératoires.

* 42 Ces chiffres correspondent aux droits rappelés, non aux droits effectivement recouvrés.

* 43 Rapport d'information n° 381 (2006-2007) « Recouvrement des sanctions pénales et fiscales : la fin de l'impunité ? ».

* 44 On distingue le contrôle fiscal sur place (vérification de comptabilité et examen contradictoire de l'ensemble de la situation fiscale personnelle), dit aussi « contrôle externe », du contrôle sur pièces, dit aussi « contrôle de bureau ».

* 45 Entreprises BIC-IS, BNC, BA avec un chiffre d'affaires connu.

* 46 Dont effectif dédié au contrôle du bureau des impôts directs.

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