AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La sécurité sociale française est aujourd'hui, on le sait, confrontée à un grave problème de déficits structurels touchant, au premier chef, ses branches Maladie et Vieillesse. Cette situation est le résultat de tendances lourdes , à l'oeuvre depuis déjà de nombreuses années : les charges croissent systématiquement à un taux supérieur au rythme d'évolution de la richesse nationale, alors que parallèlement la compétitivité économique de notre pays impose d'alléger l'assiette salariale sur laquelle reste prélevée une part encore majoritaire de la ressource.

Face aux déficits accumulés, et afin d'empêcher que d'autres n'apparaissent dont nos enfants devront assumer le coût exorbitant, notre premier devoir est d'agir sur les dépenses et, sans doute, de « réduire la voilure ». C'est à cette tâche d'intérêt national que le Président de la République et le Gouvernement se sont attelés avec courage et détermination. La santé est ainsi l'un des premiers domaines de l'action publique passés au crible, dans le cadre de la nouvelle procédure de révision générale des politiques publiques . Dans la lettre de mission que lui a adressée le Président de la République, la ministre de la santé, de la jeunesse et des sports s'est également vu assigner l'objectif de rendre plus efficace la démarche de maîtrise médicalisée mise en oeuvre ces dernières années. Par ailleurs, notre collègue Gérard Larcher a été désigné pour présider la commission sur les missions de l'hôpital public qui devrait remettre un rapport d'étape dès ce mois de décembre et ses propositions début 2008. Enfin, 2008 sera également l'année du rendez vous sur les retraites qui doit permettre de fixer les conditions d'un retour à l'équilibre durable de la branche Vieillesse.

La « feuille de route » du meilleur contrôle de nos dépenses sociales étant fixée, d'autres questions devront aussi recevoir une réponse rapide. En particulier :

- quelles sont les assiettes et les ressources susceptibles d'être mobilisées pour élargir le financement de la protection sociale et le rendre compatible avec les exigences d'une économie ouverte ? En effet, si la maîtrise des charges est un préalable impératif, elle ne sera pas suffisante demain pour permettre de faire face à la montée en puissance massive des dépenses liées au vieillissement de la population ;

- comment parvient-on à piloter de façon efficace, c'est-à-dire coordonnée et cohérente, le budget de l'Etat et celui de la sécurité sociale , alimentés par des prélèvements obligatoires pesant sur les mêmes contribuables et dont les champs de compétences se recoupent ou se complètent sur plusieurs points ?

Au moment où des choix importants vont devoir être effectués pour assurer la pérennité de notre système de protection sociale, la Mecss a souhaité faire un bilan de ces deux questions et expertiser les différentes solutions évoquées pour y répondre. Deux réponses, fréquemment avancées, méritent que l'on s'y attarde, eu égard à l'importance considérable des enjeux :

- le basculement des cotisations assises sur les salaires vers une assiette plus large tenant compte de la valeur ajoutée. La principale proposition en ce sens consiste en la mise en place d'une TVA sociale qui garantirait, selon ses défenseurs, une ressource dynamique à la sécurité sociale, et offrirait de surcroît l'avantage de ne pas grever la compétitivité de l'économie française et même de l'améliorer ;

- la fusion des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale qui permettrait, selon ceux qui la proposent, de tirer les conséquences de la fiscalisation inéluctable des ressources de la protection sociale et s'inscrirait de toute façon dans la logique même de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), érigée en matrice vertueuse de la modernisation de la gestion publique.

A titre d'alternative à cette dernière mesure, d'autres préconisent aussi la budgétisation de certaines branches (Famille, Maladie hors indemnités journalières), en raison du caractère universel des prestations qu'elles offrent.

La Mecss a recueilli un grand nombre de témoignages au cours du printemps et a souhaité en faire la synthèse, à l'occasion du débat sur les prélèvements obligatoires qui ouvre traditionnellement au Sénat la session financière, rythmée par l'examen des projets de loi de financement, de loi de finances et de loi de finances rectificative.

Elle a pu vérifier, une nouvelle fois, les réserves quasi unanimes qu'inspire la TVA sociale dont on peut dire qu'elle crée en définitive plus de difficultés qu'elle n'en résout. Les autres propositions touchant le recours à l'assiette valeur ajoutée semblent devoir être accueillies avec le même scepticisme et ne paraissent pas davantage pouvoir être retenues. Sans doute est-il temps d'élargir le débat sur les recettes , alors que d'autres solutions, plus convaincantes, existent. De ce point de vue, la commission des affaires sociales s'avoue très satisfaite de l'écho trouvé par la réflexion qu'elle avait engagée, la première, dès l'année dernière, en faveur de la taxation des « niches sociales », et singulièrement des stock-options, avant que la Cour des comptes ne donne, à son tour, la place qu'il mérite à ce sujet.

En ce qui concerne l'éventualité d'une fusion des lois de finances et des lois de financement au sein du budget de l'Etat, ou d'une budgétisation partielle de la sécurité sociale , la Mecss ne considère pas qu'elles puissent constituer une réponse satisfaisante, en dépit de leur apparente simplicité et de l'évidence qu'elles semblent présenter. Une décision de ce type ferait perdre, en effet, les principaux acquis de la loi organique de 2005 (Lolfss), et notamment les règles de pilotage propres de la dépense sociale (pilotage par les soldes en particulier), qui ne sont pas réductibles à celles du budget de l'Etat. Si des progrès peuvent et doivent être réalisés dans le sens d'une conduite cohérente des finances publiques, ils sont à rechercher, d'abord, dans une meilleure coordination des lois de finances et des lois de financement, ensuite dans un approfondissement des instruments de gestion qu'elles offrent l'une et l'autre.

On doit se réjouir, là aussi, du fait que le Gouvernement ait accompli un pas important dans le sens de la reconnaissance de la spécificité des deux lois financières en faisant un effort significatif pour rembourser la dette de l'Etat à l'égard de la sécurité sociale et mettre ainsi un terme à un débat stérile qui n'a que trop duré.

Soucieuse de se présenter une fois encore comme une force de propositions, la Mecss a souhaité, par ce rapport, explorer les autres pistes, nombreuses, d'améliorations possibles pour atteindre l'objectif commun d'assainissement de l'ensemble de nos finances publiques.

I. POUR UN FINANCEMENT DURABLE DE LA PROTECTION SOCIALE : À LA RECHERCHE DE LA RESSOURCE JUSTE

A. LE PROBLÈME RÉCURRENT DU FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Depuis sa création en 1945, la sécurité sociale a connu trois grandes évolutions :

- une nette augmentation des dépenses sociales , augmentation qui s'élève même à plus de six points de Pib depuis 1978 et qui s'accroîtra encore avec le vieillissement de la population ;

- la fiscalisation de ses ressources avec, notamment, la création de la CSG au début des années quatre-vingt-dix ;

- la mise en place d' une politique d'allégement des charges sociales sur les bas salaires , qui a conduit à substituer un financement progressif à un financement de nature proportionnelle.

Aujourd'hui, le défi consiste à faire face à des dépenses extrêmement dynamiques dans un contexte financier de plus en plus contraint : le niveau des prélèvements obligatoires a atteint un niveau très élevé dans notre pays et les marges de manoeuvre permises à une économie partie prenante à la mondialisation restent très limitées.

1. Des dépenses extrêmement dynamiques

L'ensemble des dépenses sociales progresse de façon systématique plus vite que la richesse nationale.

a) La forte croissance des dépenses de santé

Une récente étude de la direction de la recherche, de l'évaluation, des études et des statistiques (Drees) a fait un bilan chiffré et précis de la progression des dépenses de santé en France depuis 1950. Il en résulte que notre pays est confronté, depuis plus de cinquante ans, au problème d'un taux annuel moyen de progression des dépenses de santé supérieur d'environ 2,5 points à celui de l'évolution de la richesse nationale.

Par rapport au Pib, les données examinées montrent que nous avons connu une progression des dépenses de maladie au rythme d' 1,2 point supplémentaire de richesse nationale par décennie.


Cinquante-cinq années de dépenses de santé

Une rétropolation de 1950 à 2005

(Etudes et résultats n° 572 mai 2007 - Drees)

En cinquante-cinq ans, la part de la consommation de soins et de biens médicaux dans le Pib a crû très fortement, passant de 2,5 % en 1950 à 8,8 % en 2005 . Elle a donc été multipliée par 3,5.

Cette croissance des dépenses est liée à plusieurs facteurs :

- l'augmentation de l'offre de soins qui induit une progression des dépenses tant que la demande n'est pas saturée ;

- le progrès technique qui permet une prise en charge plus large et plus performante des pathologies mais qui peut aussi en accroître les coûts ;

- la solvabilisation de la demande qui, par une meilleure prise en charge par la collectivité, permet un accès plus large de la population au système de soins ;

- les facteurs démographiques (effectif et âge) qui accroissent la demande de soins.

La plupart des pays de l'OCDE ont connu une croissance analogue de leur dépense nationale de santé ; la France se place, en 2004, au quatrième rang pour la part de cette dépense au sein du Pib, après les Etats-Unis, la Suisse et l'Allemagne.

En volume, l'écart de croissance annuelle moyen entre la consommation de soins et biens médicaux et le Pib s'établit à 2,6 points sur l'ensemble de la période 1950-2005 (+ 6,2 % en moyenne par an pour la consommation de soins et biens médicaux, + 3,6 % pour le Pib).

La structure des dépenses de soins et de biens médicaux a connu peu de modifications : la part des dépenses de soins hospitaliers est passée de 43,1 % en 1950 à 44,5 % en 2005 ; la part des soins ambulatoires est restée stable à environ 27-28 % ; seules les dépenses de médicaments ont connu une évolution plus heurtée, passant de 25,1 % en 1950 à 17,5 % en 1983, avant de remonter à 20,8 % en 2005.

La part du financement de ces dépenses par la sécurité sociale, qui s'élevait à 51 % en 1950, a nettement progressé pour se stabiliser à 77 % entre 1990 et 2005 . La part assumée par l'Etat, de 12 % en 1950, a fortement diminué pour tomber finalement autour de 1 % entre 1990 et 2005. Symétriquement, la part supportée par les mutuelles, de 5,8 % en 1950, a atteint 7,3 % en 2005 et celle laissée à la charge des ménages et des assurances complémentaires hors mutuelles est passée de 31 % en 1950 à 14 % en 2005.

Aujourd'hui les trois quarts environ de la dépense consacrée à la santé sont socialisés. Si cette proportion est maintenue à l'avenir, cela signifie que sur les quatre points de Pib supplémentaires qui seront consacrés au secteur de la santé au cours des quarante prochaines années, trois seront pris en charge par la collectivité . Il serait théoriquement possible d'envisager une stabilisation de la prise en charge socialisée, ce qui aboutirait à un report intégral de la charge nouvelle sur le patient. On reviendrait cependant alors à un taux de prise en charge par la collectivité de l'ordre de 50 %, soit le taux qui était en vigueur dans les années cinquante, au début de la sécurité sociale.

b) La montée en charge des dépenses de retraite

En matière de vieillesse, à l'horizon d'une trentaine d'années et selon plusieurs projections, les dépenses, qui atteignent déjà 11 % à 12 % de la richesse nationale, devraient augmenter de trois ou quatre points de Pib .

De son côté, le conseil d'orientation des retraites, qui vient de rendre publiques ses dernières « projections actualisées », lesquelles ont toujours paru optimistes à la commission des affaires sociales, estime à 25 milliards d'euros, soit 1 % du Pib, le besoin de financement du système de retraites en 2020. Il insiste particulièrement sur la forte progression du nombre des retraités qui passerait de 13,8 millions en 2006 à 22,3 millions en 2050. En conséquence, le rapport entre le nombre de cotisants et le nombre de retraités diminuerait très sensiblement, passant de 182 à 121 cotisants pour cent retraités entre 2006 et 2050.

Aussi, pour faire face aux dépenses d'assurance vieillesse et d'assurance maladie au cours des trente prochaines années, compte tenu de la situation et des perspectives actuelles, ce seront cinq ou six points supplémentaires de Pib qui seront probablement nécessaires .

c) Un besoin nouveau : la dépendance

Le vieillissement de la population, les progrès médicaux, l'accroissement du niveau de vie ont fait apparaître dans les pays développés un nouveau phénomène, aujourd'hui en forte expansion : la dépendance .

Pour faire face à ce besoin émergent, des financements sont nécessaires. Il apparaît en effet de façon évidente que l'assurance personnelle ne suffira pas : tout n'est pas assurable par des opérateurs privés, une partie des dépenses devra continuer à relever de la solidarité nationale . Mais, en même temps, il paraît difficile de prévoir la généralisation de la prise en charge de la dépendance par des fonds publics. Il conviendra donc d'affecter un financement propre et particulier à ce nouveau risque, en laissant sa place à un développement complémentaire par des assurances privées.

Ce sera l'objet du débat qui s'engage sur la création d'un cinquième risque, auquel la commission des affaires sociales a bien l'intention de participer, notamment au travers de la mission commune d'information qu'elle entend mener avec la commission des finances sur le problème du financement de la dépendance.

Au total, selon les estimations du rapport de Gilles Carrez présenté devant le conseil d'orientation des finances publiques au début de 2007 1 ( * ) , les perspectives liées au seul vieillissement démographique (s'ajoutant au tendanciel des dépenses de retraite et de santé) pourraient avoir un impact de plus de trois points de Pib à l'horizon 2050 , soit 60 milliards d'euros ou encore l'équivalent d'une deuxième CSG.

d) Une progression des dépenses illimitée ?

Spontanément, aujourd'hui, les dépenses d'assurance maladie et d'assurance vieillesse augmentent plus vite que les recettes qui leur sont dédiées, d'où le caractère déficitaire de ces branches . Aussi apparaît-il essentiel qu'avant même le financement de mesures nouvelles, on prenne en compte la nécessité de faire face aux évolutions spontanées.

A cet égard, la branche Maladie présente la spécificité de permettre des gains d'efficience réels , en particulier en matière de maîtrise médicalisée des dépenses (consommation de médicaments, indemnités journalières...) et dans le domaine hospitalier (réorganisations, écarts de coûts). La Mecss estime indispensable que toutes ces marges de manoeuvre soient exploitées : la priorité est en effet de mieux maîtriser le contenu et l'évolution de ces dépenses .

Pour la branche vieillesse, les paramètres ne peuvent être modifiés avec la même facilité, mais des ressources supplémentaires sont d'ores et déjà nécessaires. Le « rendez-vous de 2008 » devra impérativement régler la question du financement des retraites à horizon 2020-2030.

Dans les deux cas, une vision pluriannuelle , à moyen-long terme, des dépenses est obligatoire.

In fine , la question que l'on doit se poser est jusqu'où, jusqu'à quel pourcentage de Pib la société est-elle prête à porter le niveau des dépenses sociales ? On imagine mal que le poids des retraites n'augmente pas au cours des prochaines années. En matière de santé, en l'absence de toute mesure, le poids des dépenses va également croître, le problème posé étant, dès lors, celui de la place du curseur sur l'échelle de la prise en charge collective de ces dépenses.

On pourrait certes concevoir de ne pas augmenter la dépense publique sociale. On a vu cependant que la contrepartie de cette stabilisation serait une diminution drastique du taux de prise en charge qui pourrait retomber à 50 %, au niveau qui était le sien, au début de la sécurité sociale.

Comme l'a fait remarquer l'un des interlocuteurs de la Mecss 2 ( * ) , si l'on souhaite que les Français continuent d'adhérer aussi massivement qu'ils le font aujourd'hui à leur système de soins, il faudra maintenir un taux de prise en charge de la dépense de santé proche du niveau actuel, c'est-à-dire de l'ordre de 75 %.

e) L'élément aggravant : une politique de l'emploi à la charge de la sécurité sociale

La politique de réduction du coût du travail, essentiellement sur les bas salaires, est une priorité des politiques en faveur de l'emploi, menées par les différents gouvernements qui se sont succédé depuis une quinzaine d'années.

A cet effet, outre des exonérations de charges ciblées en faveur de certains publics ou zones géographiques, des allégements généraux de charges sociales interviennent sur les bas salaires, jusqu'à 1,6 Smic.

La plupart des économistes conviennent en effet de l'efficacité de la diminution du coût du travail pour améliorer l'emploi. C'était déjà l'une des conclusions du rapport Malinvaud de 1998 3 ( * ) , selon lequel les allégements ciblés de charges sociales sur les bas salaires sont les plus efficaces en termes d'emploi. Les conclusions des divers travaux menés en 2006 (groupe de travail interadministratif, conseil d'orientation pour l'emploi, conseil d'analyse économique) vont d'ailleurs dans le même sens.

Mais, pour la sécurité sociale, le développement de ces allégements de charges représente un manque à gagner important , dont le taux de croissance est en outre très élevé - de plus de 10 % entre 2005 et 2006 - essentiellement du fait de l'augmentation du Smic. Or, aucune recette ne peut être assez dynamique pour faire face à de telles augmentations et donc compenser parfaitement à la sécurité sociale ces allégements de charges. Les mécanismes de détaxation des heures supplémentaires mis en place avec la loi Tepa 4 ( * ) ont encore accru les montants en jeu, qui s'élèvent au total désormais à près de 30 milliards d'euros.

Afin que la compensation de ce manque de ressources soit effectuée, comme il se doit, à l'euro près, la Mecss estime que seule la loi de financement devrait pouvoir autoriser des exonérations de charges sociales . Le Gouvernement, comme le Parlement, peuvent de fait créer tout au long de l'année des exonérations de cotisations sociales pour des montants parfois substantiels et de façon totalement indolore, la compensation de ces exonérations n'étant envisagée qu'au moment de la discussion du projet de loi de financement. Ce décalage dans le temps entre la décision d'exonération et sa compensation entraîne en pratique un contrôle très faible sur la dépense publique, comme l'a souligné la présidente de la section sociale du Conseil d'Etat 5 ( * ) au cours de son audition.

Il est donc impératif de donner à la loi de financement un rôle essentiel pour l'adoption des exonérations de cotisations prévues par d'autres textes, par exemple, en décidant que les exonérations votées tout au long de l'année par le législateur ne deviendront effectives qu'après avoir été récapitulées et adoptées définitivement en loi de financement. Ce regroupement permettrait de vérifier la compatibilité des exonérations entre elles et avec l'équilibre d'ensemble des finances sociales et d'arbitrer entre l'adoption de ces exonérations ou de privilégier d'autres formes de dépenses. Entériner cette procédure reviendrait d'ailleurs simplement à transposer celle applicable aux transferts de compétences nouvelles aux collectivités territoriales et des financements correspondants qui ne rentrent définitivement en vigueur qu'après le vote des dépenses correspondantes au sein de la plus prochaine loi de finances. 6 ( * )

2. Un mode de financement en évolution rapide

Afin de faire face à la dynamique des dépenses et aux évolutions ainsi décrites, il a été nécessaire de rechercher de nouvelles recettes. Comme dans la plupart des autres pays, c'est en recourant à la fiscalité qu'on a choisi de faire face à cet accroissement des dépenses de protection sociale.

a) Les données de base

Trois grandes catégories de recettes contribuent au financement de la sécurité sociale :

- les cotisations, c'est-à-dire la ressource historique ;

- les impôts et taxes, qui se sont beaucoup accrus au cours des quinze dernières années ;

- les transferts de l'Etat.

Depuis l'origine de la sécurité sociale où les cotisations constituaient l'unique ressource, toutes les pistes ont été explorées : taxe affectée, quote-part d'un impôt d'Etat, dotation budgétaire, transfert, etc.

Actuellement, les ordres de grandeur sont les suivants : en 2006, les régimes de base de la sécurité sociale ont été financés par 200 milliards de cotisations, 100 milliards d'impôts et taxes et 16 milliards de transferts de l'Etat.

b) L'appel grandissant à la fiscalité

La fiscalisation du financement de la protection sociale résulte de la nécessité de trouver d'autres recettes que les cotisations pour financer les dépenses sociales. Le mouvement a été lancé dans les années quatre-vingt avec l'idée de substituer aux cotisations salariales une contribution à assiette très large assise sur l'ensemble de la richesse nationale. Pour certains interlocuteurs de la Mecss, ce mouvement devrait aujourd'hui s'étendre, selon la même logique, aux cotisations patronales.

Ainsi, la part des impôts et taxes qui était de 5 % il y a seulement quinze ans est aujourd'hui d'environ 30 %. Cette évolution résulte essentiellement de la CSG qui rapporte 60 milliards d'euros de recettes sur un produit total d'impôts et taxes de près de 90 milliards d'euros pour le régime général 7 ( * ) . La protection sociale française demeure donc encore alimentée à 60 % par des cotisations.

On notera, au passage, le caractère particulier de la CSG qui, remplaçant des cotisations, est recouvrée par le réseau des Urssaf et de l'Acoss et n'a jamais été affectée à l'Etat.


La situation européenne en matière de fiscalisation de la protection sociale

En Europe, les niveaux de fiscalisation du financement de la protection sociale sont très différents d'un pays à l'autre : la part fiscale du financement de la protection sociale va de 19,2 % aux Pays-Bas à 63,5 % au Danemark.

La France fait partie des pays qui ont le moins fiscalisé le financement de leur protection sociale : la part fiscale des recettes y est ainsi seulement de 30,4 % en 2004 (données Eurostat). Seuls six pays de l'Union européenne ont un taux de fiscalisation moindre : Espagne, Slovaquie, Belgique, Estonie, République tchèque et Pays-Bas. Dans la zone euro, ce taux est de 33,7 % ; dans l'Union européenne à quinze il est de 37,5 % et dans l'Union européenne à vingt-cinq de 37,3 %.

Les trois pays qui, avec la France, ont les niveaux de protection sociale les plus élevés en Europe, c'est-à-dire la Suède, la Norvège (membre de l'espace économique européen) et le Danemark, sont ceux qui ont aussi le plus recours à l'impôt pour financer la protection sociale, entre 48,7 % et 63,5 % des recettes.

La part des cotisations salariales dans le financement de la protection sociale en France est très proche des moyennes européennes, soit 20,6 % contre 20,8 % pour l'Union européenne à quinze ou pour l'Espace économique européen.

En revanche, la part patronale des cotisations sociales est nettement plus élevée en France que dans la moyenne des autres pays européens : elle atteint 45,5 % du financement de la protection sociale, contre 40,6 % pour la zone euro et même 38,6 % pour l'Union européenne à quinze.

Les comparaisons européennes montrent que la fiscalisation du financement de la protection sociale est un mouvement inéluctable . Il n'est en effet plus possible d'asseoir le financement de cette protection sur le seul coût direct du travail. Aucun pays voisin n'accroît d'ailleurs les prélèvements directs sur la masse salariale, en raison des effets que cela produirait sur la compétitivité des économies.

Dans le cas français, la fiscalisation accrue du financement de la protection sociale a aussi été la conséquence de la nécessité d'élargir les assiettes des prélèvements conformément au caractère devenu universel des branches Famille et Maladie 8 ( * ) .

Une nouvelle accélération de la fiscalisation a eu lieu en 2006 avec l'attribution d'un panier de neuf taxes à la sécurité sociale (principalement la taxe sur les salaires) en compensation des exonérations générales de charges sociales sur les bas salaires, jusqu'à 1,6 Smic.

3. Quel type de prélèvement pour quel type de dépense ?

a) Les termes du débat

Une assiette essentiellement fondée sur les revenus du travail demeure justifiée pour le financement de l'assurance chômage et celui des prestations contributives. En revanche, la question est posée pour les dépenses de solidarité. En particulier, compte tenu du caractère universel des prestations familiales et de l'assurance maladie et de leur caractère totalement déconnecté du travail, la justification du financement par les employeurs des cotisations famille et maladie paraît nettement moins évidente.

Le vrai sujet porte en fait sur la résolution de deux questions :

- quel est le degré d 'acceptabilité du prélèvement ?

L'acceptabilité ou le consentement à l'impôt nécessite une bonne perception des contreparties offertes, ce qui implique d'accroître la transparence du prélèvement fiscal aux yeux de nos concitoyens, ainsi que de développer l'efficience de la dépense publique.

Face à cette exigence, la multiplication des contrôles, par exemple dans le cadre de l'assurance maladie, est une réponse.

Mais il est clair que la budgétisation de tout ou partie des finances sociales ne pourra contribuer à renforcer cette nécessaire transparence des dépenses sociales pour les citoyens ni offrir la possibilité d'en mieux saisir les enjeux, comme le souligne la seconde partie du présent rapport ;

- quelle est l' efficacité du prélèvement en termes économiques ?

Le débat impôt ou cotisation a peu d'intérêt par lui-même car de toute façon, quelle que soit l'option retenue, il s'agit de prélèvements obligatoires opérés sur nos concitoyens. Le seul paramètre à prendre en compte est l'efficacité économique du prélèvement.

Or, il est aujourd'hui difficile d'envisager une augmentation des prélèvements obligatoires , notamment pour des raisons de compétitivité internationale - le seuil actuel de quarante-quatre points de Pib est déjà très élevé - mais aussi pour des raisons d'acceptabilité par le corps social et d'équité intergénérationnelle.

Parmi les pays membres de l'OCDE, la France se situe au quatrième rang pour le niveau des prélèvements obligatoires, derrière la Suède, le Danemark et la Belgique mais loin devant ses principaux partenaires, notamment l'Allemagne.


Les prélèvements obligatoires augmentent dans les pays de l'OCDE

Selon un récent rapport, le taux de prélèvements obligatoires a augmenté dans les pays de l'OCDE pour se situer, en moyenne, à 36,2 % du Pib en 2005, au lieu de 35,5 % un an plus tôt.

Entre 2005 et 2006, ce taux s'est accru dans quatorze des vingt-six pays de la zone, le plus faible taux étant celui du Mexique à 20,6 % et le plus fort celui de la Suède à 50,1 %. Pour l'Union européenne à quinze, le taux moyen de prélèvements obligatoires atteint 39,8 % et 44,2 % pour la France.

Les termes du débat étant ainsi posés, une dernière question s'impose : qui doit financer la dépense sociale ? La réponse nécessite un examen par nature des dépenses et donc par branche. Mais, en définitive, quelle que soit la solution retenue, ce sont toujours les ménages qui apparaissent comme les payeurs.

b) Le meilleur prélèvement pour les retraites

Les dépenses de vieillesse restent actuellement essentiellement financées par le travail, conformément aux principes de la sécurité sociale mis en place en 1945 : 80 % des ressources de la Cnav (hors fonds de solidarité vieillesse) sont constitués de cotisations.

En réponse à la question de savoir comment trouver aujourd'hui des financements additionnels, il paraît difficile d'envisager d'autres ressources que les cotisations.

Les choix de principe ont d'ailleurs déjà été effectués dans le cadre de la réforme de 2003 : l'équilibre financier doit se faire par l'effet combiné des trois leviers que sont l'âge de la retraite, en jouant sur la durée nécessaire pour avoir une retraite à temps complet, le taux de cotisation et le taux de remplacement.

Les travaux récents du conseil d'orientation des retraites (Cor) montrent que pour faire face aux dépenses de retraite à l'horizon 2020, une politique qui se bornerait à agir sur l'âge de départ à la retraite obligerait à reporter celui-ci de trois ans ; agir uniquement sur le taux de cotisation imposerait sa majoration de quatre points ; enfin, l'utilisation du seul levier du taux de remplacement contraindrait à réduire celui-ci de vingt points. Dans ces conditions, il paraît raisonnable de se préparer à agir sur les trois leviers à la fois, pour répartir l'effort et le rendre plus supportable. En outre, toute modification des règles devra comprendre un objectif d'égalité de traitement entre cotisants, c'est-à-dire en particulier régler la réforme des régimes spéciaux et traiter la question de la pénibilité.

c) Le meilleur prélèvement pour les dépenses liées à la famille

Actuellement, les recettes de la branche Famille progressent de façon plus dynamique que les courbes démographiques. En conséquence, prochainement, des excédents devraient réapparaître dans les comptes de la branche famille et le problème de son financement en sera moins aigu. Les projections pluriannuelles de l'annexe B du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 évaluent d'ailleurs à 5 milliards au minimum cet excédent à l'horizon 2012.

Avec de telles perspectives, il devrait être possible d'envisager une baisse des cotisations « famille » et, singulièrement, des cotisations patronales. Votre commission appelle de ses voeux une décision « vertueuse » de ce type car il ne serait pas sain de vouloir à tout prix dépenser l'excédent, par exemple en créant une nouvelle prestation ou en ouvrant de nouveaux droits, comme cela a été fait dans le passé.

Il convient toutefois d'observer l'aspect mixte du financement actuel de la branche Famille, constitué de cotisations patronales et d'une petite fraction de CSG.

Soulignant le caractère universel des prestations fournies par cette branche, de nombreux interlocuteurs de la Mecss se prononcent en faveur d'un financement de la branche Famille par l'impôt . C'est la conclusion à laquelle aboutit la mission Igf-Igas qui propose même une augmentation de la TVA d'un ou deux points à cet effet. Pour d'autres interlocuteurs de la Mecss 9 ( * ) , l'idéal serait de recourir à la CSG. Ils estiment que tant sur le plan économique que sur le plan de la logique des risques, puisqu'il s'agit d'une branche à vocation universelle, ou dans le but d'une meilleure transparence, il faudrait remplacer les cotisations employeurs par de la CSG, ce qui exigerait d'augmenter les salaires.

Mais, pour d'autres interlocuteurs 10 ( * ) , le financement de la branche Famille par des cotisations patronales est justifié car ces dépenses ont le caractère d'investissement dans le capital humain pour les entreprises. Elles constituent des dépenses report sur le futur.

Le débat reste donc assez ouvert pour cette branche.

d) Le meilleur prélèvement pour la branche Maladie

Pour la branche Maladie, les recettes de nature fiscale paraissent s'imposer en particulier pour les besoins futurs : CSG ou TVA.

En ce qui concerne l'assurance maladie, l'avenir de son financement passe avant tout, comme le souligne la Cour des comptes dans son dernier rapport, par un accroissement de la productivité du système de distribution des soins, qu'il s'agisse de la répartition géographique des équipements hospitaliers, de la réorganisation interne de l'hôpital, de la mise en place d'une médecine de ville mieux organisée, de la redistribution des compétences entre les médecins et les professionnels paramédicaux ou de la consommation de médicaments.

Du côté des assurés, la Cour estime qu'il faudra se préoccuper de la répartition du reste à charge : 60 % des dépenses d'assurance maladie sont en particulier aujourd'hui causées par les patients en affections de longue durée (ALD), proportion qui ne cesse d'augmenter.

Le récent rapport de Raoul Briet et Bertrand Fragonard sur la mise en place d'un bouclier sanitaire participe à cette réflexion 11 ( * ) .

Toutefois, au-delà de ces nécessaires actions prioritaires de maîtrise des dépenses et de réflexion sur les restes à charge des patients, l'appel à de nouvelles ressources paraît inévitable pour permettre un retour durable à l'équilibre de l'assurance maladie, tout en autorisant le financement de nouveaux besoins. En effet, il n'est plus acceptable de reporter sur les générations futures les dépenses de maladie d'aujourd'hui.

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Le débat ainsi présenté montre que si l'on retient une solution spécifique, le maintien prioritaire du recours aux cotisations, pour le financement des retraites, de nouvelles recettes doivent être envisagées pour les branches Maladie et, dans une moindre mesure, Famille, en raison à la fois du caractère universel des prestations qu'elles distribuent, du montant élevé des cotisations patronales qui les financent déjà mais aussi surtout, pour la santé, de la progression inéluctable des dépenses.

4. L'absence de recette miracle

a) Une assiette idéale ?

Toutes les personnes auditionnées par la Mecss sont convenues qu'il n'existe pas d'assiette « miracle » c'est-à-dire une assiette large et dynamique croissant à un rythme supérieur à celui de la richesse nationale ou même de la masse salariale.

Depuis la fin des années quatre-vingt, le partage de la valeur ajoutée entre le taux de marge des entreprises et les rémunérations reste extrêmement stable , deux tiers allant au travail et un tiers au capital. Cette tendance, que l'on retrouve dans la plupart des autres pays européens, signifie qu'il n'existe pas de recette miracle qui pourrait fournir à long terme une évolution plus dynamique que la masse salariale. Aussi la taxation de la valeur ajoutée et celle de la masse salariale ne peuvent évoluer que de la même façon, c'est-à-dire comme le Pib.

La réflexion menée sur la taxation de la valeur ajoutée est née du fait que, pendant cinq ans, au début des années quatre-vingt, la masse salariale a progressé moins vite que le Pib, ce qui a pesé sur les recettes de la sécurité sociale et a notamment conduit à la création de la CSG. Cette situation historiquement datée ne peut être envisagée aujourd'hui car aucun élément économique n'autorise à penser qu'elle se reproduira.

Aussi, si la part des dépenses sociales dans le Pib doit s'accroître au cours des prochaines années, cela impliquera d'augmenter les cotisations sociales ou les impôts car aucune recette ne verra son produit augmenter dans les mêmes proportions que l'ensemble des dépenses sociales.

b) Une recherche qui doit s'insérer dans le cadre d'une démarche globale

La recherche de la meilleure recette à affecter au financement de la sécurité sociale se heurtant rapidement à l'absence de ressource miracle, certains préconisent une solution différente, à partir d'une démarche plus globale, consistant à :

- d'abord, fixer le champ de la protection sociale obligatoire : c'est d'ailleurs précisément l'objet du chantier présidentiel sur le financement de la santé lancé au mois de septembre dernier pour le premier semestre 2008 ; cette réflexion devra notamment inclure le partage entre dépenses obligatoires à la charge des régimes de base, parfois dénommées « panier de soins », et dépenses à la charge des assurances complémentaires. Ce que la sécurité sociale prend en charge devra être régulièrement actualisé, le plus important étant que la prise en charge se fasse dans des conditions efficaces en termes de santé publique et efficientes tant sur le plan de la santé que d'un point de vue économique ;

- puis déterminer un mode de financement de la protection sociale soutenable à long terme . Sur ce point, plusieurs interlocuteurs de la Mecss ont souligné l'insuffisance du débat - et singulièrement du débat parlementaire ;

- enfin s'assurer que le principe d'équilibre est acquis, y compris l'équilibre intergénérationnel, ce qui suppose en particulier de provisionner les retraites en s'assurant, par exemple, de l'alimentation du fonds de réserve des retraites (FRR) et d'équilibrer la branche Maladie.

* 1 Premier rapport du conseil d'orientation des finances publiques - février 2007.

* 2 Lire le comte rendu de l'audition de Didier Tabuteau, directeur général de la fondation des caisses d'épargne pour la solidarité, en annexe au présent rapport.

* 3 « Les cotisations sociales à la charge des employeurs : analyse économique » par Edouard Malinvaud - Rapport au Premier ministre - La Documentation française - 1998.

* 4 Loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat.

* 5 Lire le compte rendu de l'audition de Yannick Moreau en annexe au présent rapport.

* 6 Sur cette proposition, lire la seconde partie du présent rapport - pp. 82-83.

* 7 Cf. tableau récapitulatif - p. 56.

* 8 Cf. seconde partie du présent rapport, p. 56.

* 9 Lire, notamment, le compte rendu de l'audition de François Monier, secrétaire général de la commission des comptes de la sécurité sociale, en annexe au présent rapport.

* 10 Lire le compte rendu de l'audition de Jacques Bichot, professeur à l'université Jean Moulin Lyon III, en annexe au présent rapport. Les réflexions du professeur Bichot avaient été prises en compte, en leur temps, par le rapport Foucauld, lui-même analysé dans la seconde partie du présent rapport - pp. 65-66.

* 11 « Mission bouclier sanitaire » - 28 septembre 2007.

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