II. UN ENGAGEMENT QUI SUPPOSE UNE REPRISE ÉCONOMIQUE SOUTENUE ALIMENTÉE PAR UN CHANGEMENT DES COMPORTEMENTS ÉCONOMIQUES DES AGENTS PRIVÉS

Toute stratégie concernant les finances publiques peut être appréciée au regard de sa cohérence avec des objectifs économiques, qui en constituent le substrat et sur lesquels elle exerce une influence en retour.

Sous cet angle, la programmation décrite plus haut se révèle « volontariste ».

A. VERS UNE CROISSANCE POTENTIELLE PLUS FORTE ?

En premier lieu, les deux scénarios macroéconomiques associés à la stratégie des finances publiques s'inscrivent dans un contexte d'élévation du rythme de la croissance potentielle de l'économie française telle qu'elle est le plus souvent estimée .

Dans le « scénario bas », la croissance atteint un rythme annuel de 2,5 %. Elle est supérieure de 0,2 point par an à la croissance potentielle, telle qu'elle est estimée dans le rapport associé au projet de loi de finances pour 2008 (2,3 %). Par ailleurs, cette dernière estimation, qui table sur une élévation régulière du potentiel de croissance économique jusqu'à 2,5 % en 2012, excède celle produite par l'OFCE, d'environ 0,4 point à la fin de la projection, et, plus généralement, l'ensemble des estimations de croissance potentielle fournies par les organismes d'études économiques.

La rupture est encore plus nette dans le « scénario haut » puisque le rythme de croissance de 3 % qu'il décrit est assis sur une élévation de la croissance économique potentielle vers un rythme annuel de 2,7 %. L'écart avec la tendance évaluée généralement atteint alors 0,8 point, ce qui est considérable.

L'accélération de la croissance économique potentielle , qui appelle des transformations qui sont discutées dans le présent rapport, est elle-même une condition forte de plausibilité des scénarios économiques ici évalués .

B. VERS UNE NETTE ACCÉLÉRATION DE LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE SPONTANÉE ?

De plus , la croissance économique effective décrite dépasserait le rythme de la croissance potentielle, et ce en dépit d'une politique budgétaire qui exercerait des effets restrictifs sur l'activité économique .

L'impulsion économique donnée par la politique budgétaire , orientée vers un effort de réépargne des administrations publiques , freinerait la croissance, de 0,5 point de PIB, par an, dans le scénario dit « bas » et de l'ordre de 0,8 point de PIB par an dans le scénario qualifié de « haut » .

Autrement dit, compte tenu de la politique budgétaire programmée, il faudrait pour suivre les rythmes de croissance annoncés que la croissance économique spontanée se redresse par rapport à l'existant et tende, dans le premier scénario, vers une croissance en volume de 3 % et dans le second scénario vers une croissance en volume de 3,8 %.

Il faudrait donc que les comportements spontanés des agents privés soient particulièrement dynamiques pour compenser l'impulsion budgétaire qui serait, quant à elle, défavorable à la croissance 80 ( * ) .

La probabilité statistique que de tels scénarios se produisent peut sembler assez faible. Depuis 1979, soit sur 27 ans, le taux de croissance effectif n'a excédé 3 % que six années, et 4 % que deux années. Encore s'agissait-il d'épisodes où la politique budgétaire avait été plutôt neutre.

D'un point de vue plus économique , u ne telle perspective n'est envisageable que si la réépargne publique devait être compensée par un processus de désépargne privée.

Le déficit des administrations publiques peut être analysé comme un mécanisme par lequel l'Etat s'endette au profit des agents privés. Une réduction structurelle du déficit public suppose que ce mécanisme d'intermédiation financière joue moins, et que ses bénéfices pour les agents privés soient réduits .

Face à ce qui constitue une raréfaction de leurs moyens, les agents privés pour maintenir leur demande (consommation et investissement) doivent s'endetter davantage ou épargner moins, c'est-à-dire modifier leurs comportements.

D'une manière ou d'une autre, la réépargne publique doit être compensée par moins d'épargne privée pour que la croissance reste inchangée.

L'augmentation de la demande des agents privés, nécessaire pour respecter le sentier de croissance décrit par la programmation, s'élève à 0,5 point de PIB dans le premier scénario et à 0,8 point de PIB dans le second.


• Le tableau ci-dessous illustre les conditions économiques associées à trois scénarios de politique budgétaire réalisés l'an dernier par l'OFCE à la demande de votre Délégation, pour quantifier les critères de cohérence entre une croissance économique donnée et les politiques budgétaires variant dans leur objectif « d'assainissement » 81 ( * ) .

PRINCIPALES VARIABLES MACROÉCONOMIQUES ASSOCIÉES AUX TROIS PROJECTIONS

SCÉNARIO
CENTRAL

SCÉNARIO TENDANCIEL
À IMPULSION NULLE

SCÉNARIO ALTERNATIF

Croissance du PIB
(en %, en volume, en moyenne annuelle)

2,2

2,4

2,2

Taux d'épargne des ménages
en moyenne annuelle
(en % du revenu disponible brut)

13,6

14,3

14,4

Taux d'investissement des entreprises
en moyenne annuelle

19,5

19,2

18,9

Taux de chômage

7,9

7,2

8

C'est dans le scénario tendanciel que la croissance économique était la plus soutenue. Dans les deux autres scénarios, l'activité progressait de façon équivalente. La croissance dans ces deux scénarios n'apparaît pas nettement décalée avec celle du scénario où l'impulsion économique de la politique budgétaire était nulle.

On ne peut toutefois pas en conclure que les choix de politique budgétaire sont indifférents. En effet, dans ces deux scénarios, si la croissance résistait, c'était que les choix budgétaires qu'ils retraçaient étaient compensés par une modification du comportement des agents privés. Le taux d'épargne des ménages devait baisser sensiblement (principalement dans le scénario central où cette baisse doit être durablement accusée) et le taux d'investissement des entreprises devait augmenter .

*

Les résultats des simulations réalisées l'an dernier illustrent le « pari » sur lequel repose toute politique budgétaire restrictive : dans un tel contexte, l e besoin de financement des agents privés doit se creuser pour que le besoin de financement public soit réduit sans impact négatif sur la croissance .

Dans l'hypothèse où une telle flexion des comportements n'interviendrait pas, à supposer que la croissance économique spontanée suive juste le rythme de la croissance potentielle, l'effort d'ajustement structurel 82 ( * ) conduirait à une croissance moyenne de l'ordre de 1,8 % par an dans le scénario bas 83 ( * ) .

Les enchaînements stabilisants que suppose une politique de réduction radicale du déficit public ne sont évidemment pas hors de portée mais ils supposent plusieurs conditions plus ou moins maîtrisables exposées tout au long du présent rapport.

En toute hypothèse , dans une stratégie budgétaire comme celle décrite par le programme du Gouvernement , un accompagnement par la politique monétaire semble non seulement justifié (compte tenu des effets de l'ajustement budgétaire sur le rythme de croissance) mais aussi nécessaire à la cohérence de la politique budgétaire .

En effet, la condition d'endettement supplémentaire net des agents privés les place dans la situation de devoir compenser des ressources gratuites 84 ( * ) , celles perçues auprès des administrations publiques, par des ressources coûteuses car affectées d'un taux d'intérêt (soit que les agents s'endettent, soit qu'ils renoncent à une épargne productrice d'intérêts ce qui revient au même).

Dans ces conditions, plus le contexte financier que connaissent les agents privés est détendu, plus il est facile pour eux de prendre le relais des administrations publiques.

Or, alors que les politiques budgétaires annoncées comportent une réduction des déficits publics, on doit observer que la BCE manifeste régulièrement, et la concrétise généralement 85 ( * ) , son intention de durcir la politique monétaire.

Cette orientation, qui semble injustifiée au regard des perspectives d'inflation dans la zone euro (cf. chapitre IX) est de nature à freiner la croissance mais aussi à faire obstacle à la réduction des déficits publics programmée en Europe.

Cette conclusion souligne l'importance d'une meilleure coordination des politiques économiques en Europe, notamment des politiques budgétaires et monétaires .

* 80 Il y a là, à la fois, une condition de compatibilité entre la politique budgétaire décrite et le scénario économique qui l'accompagne et une justification implicite d'une politique budgétaire, qui sans ce ressaut de croissance, apparaîtrait excessivement restrictive.

* 81 Dans le « scénario central », on s'était « calé » sur la programmation des finances publiques associée au projet de loi de finances pour 2007 qui était construite sur des hypothèses analogues à celles posées cette année (l'impulsion budgétaire y était toutefois légèrement plus négative, de 0,2 point dans chacun des deux scénarios alors présentés) ; dans le « scénario tendanciel », les dépenses publiques augmentaient comme la croissance potentielle ; dans le « scénario alternatif », la dette publique était stabilisée à 60 points de PIB (alors qu'elle se réduisait continûment dans le scénario central au-dessous de cette valeur).

* 82 Décrit dans le scénario dit « bas ».

* 83 Et même de 1,4 % si la croissance potentielle ne se redressait pas par rapport à ses tendances actuelles.

* 84 Du point de vue macroéconomique, ces ressources ne sont évidement pas gratuites puisque la dette publique est contractée moyennant le paiement d'intérêts. Ainsi, la baisse de la dette publique qui accompagne la réduction du déficit public procure une économie d'intérêts. Mais, pour que celle-ci bénéficie aux agents privés, il faut qu'elle leur soit restituée, ce que ne prévoit pas la programmation des finances publiques.

* 85 Face à la récente crise des « subprime », la BCE a maintenu inchangé son taux d'intervention, contrairement à ce qui semblaient être ses intentions initiales.

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