C. LA RÉDUCTION DE LA DETTE PUBLIQUE, UNE PRIORITÉ JUSTIFIÉE DE POLITIQUE ÉCONOMIQUE ?

On a indiqué plus haut, ce que le seuil de 60 points du PIB devait à des circonstances historiques .

Il est beaucoup plus difficile de le justifier par des données économiques ou financières .

Au demeurant, ce que l'Union européenne défend à ses Etats, elle l'autorise à tous les autres agents et l'endettement des ménages dans de nombreux pays européens excède ce plafond.

En outre, il importe d'écarter deux sources de confusion sur l'appréciation de la dette publique :


la dette publique dont il est question dans les débats de politique économique ne donne pas une image fidèle de la situation patrimoniale de l'Etat. Il s'agit d'une dette brute et non d'une dette nette des actifs des administrations publiques. Or, pour apprécier la soutenabilité d'une dette quelle qu'elle soit, il faut à tous le moins déduire de cette dette les actifs disponibles qu'elle peut avoir financé. Au demeurant, pour l'Etat, le diagnostic est plus complexe. Il lui appartient, et c'est l'essence même de la justification de son intervention, de financer des transferts et des biens et services qui ne lui bénéficient pas. Ce faisant, une partie majoritaire de ses emplois de fonds profite aux agents privés. La comptabilité publique et la Comptabilité nationale ne retracent pas correctement ces opérations qui n'ont pas de contrepartie au bilan de l'Etat. Il serait pourtant judicieux de valoriser les actifs incorporels créés par les dépenses publiques afin de mieux appréhender la situation d'endettement des administrations publiques.


la dette publique n'est pas la dette de la Nation . La dette de la Nation, à un instant donné, est le résultat d'un cumul des besoins de financement de l'ensemble des agents économiques qui détermine la capacité de financement de la Nation. Son niveau traduit la capacité de financer la demande domestique à partir des ressources nationales. Un besoin de financement de la Nation oblige à solliciter l'épargne du Reste du Monde.

Une capacité de financement signifie qu'une épargne nationale est disponible pour financer les besoins du Reste du Monde.

Il peut exister un lien entre le besoin de financement public et le besoin de financement de la Nation - et donc entre dette publique et dette de la Nation - mais ce lien n'est en rien automatique. Une augmentation de la dette publique peut entraîner une hausse de la dette de la Nation, ou, au contraire, s'accompagner d'une réduction de cette dette.

En Europe, les situations en matière de dette publique et de besoin de financement de la Nation sont marquées par une grande diversité.

DETTE PUBLIQUE BRUTE (en % du PIB)

Pays

1980

1985

1990

2001

2002

2003

2004

2005

Belgique

74,1

115,2

125,7

106,3

103,2

98,5

94,3

93,2

Allemagne

31,2

40,7

42,3

58,8

60,3

63,8

65,5

67,9

Espagne

16,4

41,4

42,6

55,6

52,5

48,9

46,2

43,1

France

20,8

30,3

35,3

56,2

58,2

62,4

64,4

66,6

Irlande

69,0

100,5

93,1

35,3

32,1

31,1

29,7

27,4

Italie

56,9

80,5

94,7

108,7

105,5

104,2

103,9

106,6

Pays-Bas

44,0

67,5

73,7

50,7

50,5

51,9

52,6

52,7

Zone euro

33,7

50,6

57,0

68,3

68,1

69,3

69,7

70,6

Danemark

39,1

75,0

62,0

47,4

46,8

44,4

42,6

35,9

Royaume-Uni

53,2

52,7

34,0

38,1

37,6

39,0

40,4

42,4

Source : Commission européenne

CAPACITÉ DE FINANCEMENT DE LA NATION 1961-2004 (en points de PIB)

Pays

Moyenne 1961-1990

Moyenne

1991-95

Moyenne

1996-2000

2001

2002

2003

2004

2005

Belgique

0,3

3,8

5,0

4,0

4,8

4,4

3,6

2,5

Allemagne

1,2

-1,3

-0,9

0,0

2,2

2,1

3,9

4,2

Espagne

-1,4

-0,3

-3,4

-2,6

-3,0

-4,8

-6,5

France

-0,2

2,0

1,1

0,8

-0,3

-0,6

-2,1

Irlande

3,1

2,4

0,0

-0,6

0,1

-0,8

-3,0

Italie

0,1

2,0

0,4

-0,3

-0,7

-0,4

-0,9

Pays-Bas

4,0

4,2

5,0

5,9

5,6

8,4

6,8

Zone euro

-0,2

0,9

0,2

0,9

0,5

0,9

0,2

Danemark

1,7

1,1

3,1

2,6

3,2

2,3

3,0

Royaume-Uni

1,6

-1,3

-2,1

-1,5

-1,3

-1,5

-2,0

Europe 15

-0,4

0,7

0,0

0,7

0,5

0,6

ND

Etats-Unis

-0,3

-0,9

-2,4

-3,7

-4,4

-4,7

-5,6

-6,3

Source : Commission européenne

Au total, la zone euro dispose d'une capacité de financement qui témoigne d'une capacité d'épargne. A l'inverse, le Royaume-Uni et, surtout, les Etats-Unis connaissent des besoins de financement qui persistent depuis de nombreuses années.

Ces constats conduisent à tirer des conclusions entièrement contraires à celles qui fondent les recommandations de réduire la dette publique :


• la croissance dans l'Union européenne n'est pas freinée par un déficit d'épargne mais par un déficit de « projets » ;


• la valeur de l'euro - qui d'ailleurs s'est appréciée depuis plusieurs années - n'est pas sous la menace d'une dépréciation résultant de l'accumulation de dettes ;


• la compétitivité de la zone euro ne semble nullement en danger du fait d'un risque d'écarts d'inflation avec le Reste du Monde.

Dans ces conditions, la normativité du plafond de la dette publique pose un dernier problème, de fond . Une dette publique supérieure à 60 points de PIB est-elle intolérable ; faut-il se tenir à ce plafond coûte que coûte ?

L'augmentation de la croissance potentielle, telle qu'elle est posée en objectif par les gouvernements européens (dans le cadre de la « Stratégie de Lisbonne »), et telle que son éventualité est posée dans la programmation financière à l'horizon 2012, appelle des « investissements » matériels (en infrastructures notamment) et immatériels (en formation, en recherche...). Par ailleurs, le souci de protection de l'environnement, le développement durable, réclame aussi des investissements. Ces projets nécessitent des financements et, compte tenu de leur nature et de leurs effets sur le rythme structurel de la croissance économique, il est cohérent qu'une partie de ce financement provienne d'emprunts.

Dans ces conditions, une politique de renoncement à l'emprunt public, qu'implique un objectif de réduction de l'endettement public au moyen d'une élimination des besoins de financement des administrations publiques, suppose que le secteur privé prenne le relais dans des domaines où l'intervention publique est souvent la règle, pour des raisons, que la théorie économique explique de façon souvent satisfaisante, tenant à l'improbabilité d'une intervention des agents privés .

*

* *

Au total, accorder une priorité à la diminution de la dette publique témoigne, aux yeux de votre rapporteur, d'une inversion des valeurs.

Sans doute, ne doit-on pas s'en désintéresser. Mais, l'objectif prioritaire de toute politique économique est de rechercher les moyens d'élever la croissance, durablement.

Dans cette optique, la question principale qui est posée pour les finances publiques est que l'intervention de l'Etat contribue à cet objectif. A fortiori, il faut tout faire pour qu'elle ne soit pas un obstacle sur ce chemin.

La soutenabilité du désendettement public mérite en ce sens plus d'attention.

De même, il faut pleinement s'associer aux propos récents de M. le Président de la République, à l'occasion du bicentenaire de la Cour des Comptes : « A ceux qui réclament des politiques comptables, je dis que la France a besoin de politiques économiques, non de politiques comptables. Je leur dis que le rationnement comptable de la dépense met du désordre dans l'Etat, accroît les gaspillages et alourdit les déficits au lieu de les réduire. Je leur dis que le rationnement est une mauvaise politique et que la bonne politique c'est de chercher à accroître l'efficacité de la dépense » .

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page