5. MESURE ET CARACTÉRISATION DES POLITIQUES BUDGÉTAIRES

On cherche ici à aller plus loin dans la caractérisation des politiques budgétaires face aux évolutions de la dette et du cycle économique en France, en Allemagne et au Royaume-Uni. Il s'agit de déterminer ce qui, dans les politiques budgétaires suivies, provient (1) de réactions différentes à une même évolution de l'activité ou de la dette publique et (2) de chocs budgétaires non systématiques liés, par exemple, à des revirements politiques.

Le choix de ces trois pays se justifie à deux niveaux :

1. Leur poids économique (au sens de la part dans le PIB européen) est important : le couple franco-allemand représente 50% de la zone euro, et le Royaume-Uni est le grand pays européen non membre de l'UEM ;

2. les évolutions conjoncturelles et budgétaires récentes sont proches même si, contrairement à l'Allemagne et à la France, le Royaume-Uni a réussi à éviter un alourdissement tendanciel de sa dette, notamment grâce à une croissance plus vive ( graphiques 15a,b,c ).

Graphique 15c

Sources : Perspectives Economiques de l'OCDE, n°78 (Décembre 2005)

5.1. SOLDE BUDGÉTAIRE, CYCLE ÉCONOMIQUE ET DETTE PUBLIQUE

L'étude part du constat simple selon lequel les déficits budgétaires sont le résultat à la fois d'une volonté politique et de la situation économique. Les liens qui unissent les soldes budgétaires et l'activité économique peuvent être synthétisés par deux soldes : le solde structurel et le solde conjoncturel, qui reflètent respectivement les composantes discrétionnaire et automatique du solde budgétaire.

Le solde conjoncturel traduit la flexibilité interne du budget, suite à l'évolution spontanée des recettes et des dépenses en fonction de la conjoncture économique. Par exemple, dans les périodes de récession ou de ralentissement, les recettes diminuent en raison du rétrécissement des assiettes d'imposition (revenus, profits, ventes), alors que certaines dépenses publiques auraient plutôt tendance à augmenter notamment en raison de la hausse du chômage et des prestations sociales. L'évolution différenciée des composantes du budget le conduit donc à jouer un rôle de stabilisateur automatique : une conjoncture dynamique conduit à une réduction automatique du déficit budgétaire qui ralentit la demande agrégée, alors qu'un ralentissement creuse ce déficit et soutient ainsi la demande. Le solde conjoncturel se définit comme la part du solde budgétaire résultant d'un écart de production (écart du PIB par rapport à son niveau potentiel) à la hausse ou à la baisse. Il se calcule à l'aide d'élasticités des différentes composantes du budget à la conjoncture. Par construction, le solde conjoncturel est équilibré en moyenne sur le cycle d'activité.

A l'inverse, le solde structurel est la part du solde budgétaire non imputable à la conjoncture. Il traduit l'action volontariste de la puissance publique. Il se définit comme le solde budgétaire correspondant à un écart de production nul (production égale à son niveau potentiel) et se calcule par différence entre le solde budgétaire total et le solde conjoncturel. On raisonne en général sur le solde budgétaire primaire, c'est-à-dire hors intérêts de la dette ( encadré 3 ).

Encadré 3 : la décomposition du solde budgétaire

Le solde budgétaire à la date t ( solde t ) se compose du solde structurel primaire ( s t ), du solde conjoncturel primaire ( sc t ) et des charges d'intérêt ( i t ) :

solde t = s t + sc t - i t (A1)

Le solde conjoncturel représente la réaction automatique selon une élasticité à l'écart de production y, et les charges d'intérêt représentent le paiement des intérêts de la dette publique ( d ) héritée de la période précédente à un taux r . Le solde budgétaire peut ainsi s'écrire de la manière suivante :

solde t = s t +y t - rd t-1 (A2)

Cette relation permet de calculer le solde primaire structurel : s t = solde t -y t + rd t-1 (A3)

Les graphiques 16a,b illustrent les deux concepts de solde budgétaire dans le cas de la zone euro et des Etats-Unis. Le graphique 16a représente la variation du solde conjoncturel primaire en fonction de la position de l'économie dans le cycle d'activité. Un écart de production positif signifie que la demande agrégée est au-dessus de la production potentielle. Les rentrées fiscales sont alors supérieures à la normale et le solde conjoncturel en principe s'améliore. A l'inverse, un écart de production négatif entraîne une dégradation du solde conjoncturel. Le graphique montre que c'est bien ce qui s'est produit depuis 1999 en zone euro et aux Etats-Unis. Parce que la part du secteur public dans l'économie est plus importante en zone euro, cet effet stabilisateur automatique y a été plus important, ce qui est reflété dans le graphique par une courbe verte plus pentue que la courbe noire.

Le graphique 16b représente la variation du solde primaire structurel en fonction de la position de l'économie dans le cycle. Le solde structurel évolue bien de manière contra-cyclique aux Etats-Unis (il augmente en période de bonne conjoncture et diminue en période de ralentissement). Par contre, la politique discrétionnaire de la zone euro apparaît pro-cyclique : l'évolution du solde contribue à accentuer les fluctuations de l'activité au lieu de les atténuer. Toutefois, il se peut que les autorités budgétaires réalisent en permanence un arbitrage entre leur volonté de stabiliser l'activité et le besoin de stabiliser la dette publique. L'évolution apparemment pro-cyclique des politiques budgétaires européennes serait alors due à ce second objectif de la politique budgétaire. Seule une analyse économétrique permet alors de confirmer ou non cette interprétation.

C'est pourquoi la littérature économique s'est attachée à estimer des règles budgétaires, c'est-à-dire, des régularités dans l'évolution du solde budgétaire en réaction au cycle d'activité et à la dette publique. Ces règles ont été initialement estimées pour expliquer le solde primaire. Au niveau européen, le solde primaire s'avère contra-cyclique et sensible aux variations de la dette (Debrun et Wyplosz, 1999 ; Creel et al., 2002 ; Pommier, 2004) : une baisse de l'activité (mesurée par le PIB ou par l'écart de production) ou une réduction du ratio d'endettement entraînent en moyenne une hausse du déficit primaire. Pommier (2004) souligne que ce comportement du solde primaire envers la dette s'est accentué depuis 1992. Au niveau d'une comparaison France-Allemagne, les résultats sont plus constrastés. Alors que Pommier (2004) estime que ces pays ont des comportements similaires au panel européen, d'autres études montrent que le solde primaire est acyclique (Ballabriga et Martinez-Mongay, 2002 ; Creel et al., 2002 ; Wyplosz, 2002). Wyplosz (2002) souligne l'existence d'une asymétrie conjoncturelle dans le comportement des soldes primaires, notamment dans le cas de l'Allemagne où le solde est pro-cyclique dans les phases de récession ou de ralentissement. Toutefois, ces différentes études portent sur le solde primaire non corrigé du cycle. Elles mélangent donc les réactions automatiques et les actions discrétionnaires à l'écart de production. Pour remédier à ce défaut, un nouveau champ de recherche s'est concentré sur les déterminants du solde primaire structurel (politiques discrétionnaires).

Les résultats des études indiquent que le solde primaire structurel est sensible aux variations de la dette, ce qui montre que les efforts entrepris pour la maîtrise des finances publiques proviennent de choix discrétionnaires des autorités (Galí et Perotti, 2003 ; Pommier, 2004 ; Cimadomo, 2005). Par contre, les résultats divergent pour ce qui concerne la réaction du solde structurel primaire au cycle d'activité. Ainsi, Ballabriga et Martinez-Mongay (2002) et Pommier (2004) estiment que la politique discrétionnaire européenne est pro-cyclique notamment à cause des efforts pour corriger les évolutions de la dette publique. Ce résultat n'est pas validé par Cimadomo (2005) pour qui le caractère pro-cyclique n'apparaît que pour un écart de production supérieur à 3 points de pourcentage du PIB, ni par Gali et Perotti (2003) pour qui la politique discrétionnaire est passée d'une politique pro-cyclique avant le Traité de Maastricht à une politique a-cyclique. Les différences de résultats entre ces études peuvent s'expliquer par des différences d'échantillons. Depuis le début des années 1980 , la doctrine budgétaire a sensiblement évolué en Europe : le bien-fondé des politiques keynésiennes contra-cycliques s'est trouvé contesté ; le régime monétaire a évolué, modifiant les effets attendus des politiques budgétaires ; enfin, les gouvernements ont progressivement pris conscience de la nécessité de ralentir la hausse de la dette. Ainsi, les comportements budgétaires ont probablement peu à voir aujourd'hui avec les pratiques des années 1980. C'est pourquoi nous estimons ici des règles budgétaires avec coefficients dynamiques, susceptibles de nous renseigner sur l'évolution des comportements.

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