N° 168

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2007-2008

Annexe au procès-verbal de la séance du 16 janvier 2008

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires économiques (1) sur l' avenir de la filière ovine ,

Par MM. Gérard BAILLY et François FORTASSIN,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Paul Emorine, président ; MM. Jean-Marc Pastor, Gérard César, Bernard Piras, Gérard Cornu, Marcel Deneux, Pierre Herisson, vice-présidents ; MM. Gérard Le Cam, François Fortassin, Dominique Braye, Bernard Dussaut, Jean Pépin, Bruno Sido, Daniel Soulage, secrétaires ; MM. Jean-Paul Alduy, Pierre André, Gérard Bailly, René Beaumont, Michel Bécot, Jean-Pierre Bel, Joël Billard, Michel Billout, Claude Biwer, Jean Bizet, Jean Boyer, Mme Yolande Boyer, MM. Jean-Pierre Caffet, Raymond Couderc, Roland Courteau, Jean-Claude Danglot, Philippe Darniche, Gérard Delfau, Jean Desessard, Mme Evelyne Didier, MM. Philippe Dominati, Michel Doublet, Daniel Dubois, Alain Fouché, Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Adrien Giraud, Francis Grignon, Louis Grillot, Georges Gruillot, Mme Odette Herviaux, MM. Michel Houel, Benoît Huré, Charles Josselin, Mme Bariza Khiari, M. Yves Krattinger, Mme Elisabeth Lamure, MM. Gérard Larcher, Jean-François Le Grand, André Lejeune, Philippe Leroy, Claude Lise, Daniel Marsin, Jean-Claude Merceron, Dominique Mortemousque, Jacques Muller, Mme Jacqueline Panis, MM. Jackie Pierre, Rémy Pointereau, Ladislas Poniatowski, Daniel Raoul, Paul Raoult, Daniel Reiner, Thierry Repentin, Bruno Retailleau, Charles Revet, Henri Revol, Roland Ries, Claude Saunier, Mme Odette Terrade, MM. Michel Teston, Yannick Texier.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

L'élevage de viande ovine, qui possède d'indéniables atouts en termes économiques, sociaux et environnementaux, permet depuis des temps immémoriaux l'entretien d'espaces souvent fragiles qui, à défaut, tomberaient rapidement en friche.

Il s'inscrit aujourd'hui dans une filière marquée par des paradoxes.

Tout d'abord, la production nationale est en recul, et ne permet pas, loin de là, de faire face à nos besoins, nous obligeant à importer 54 % de notre consommation, alors que notre pays dispose des territoires et des compétences qui lui permettraient de très largement pourvoir à sa demande intérieure, et même d'exporter un surplus significatif.

En outre, les aides à la filière au titre du premier pilier sont bien inférieures à celles d'autres secteurs, alors que ses résultats sont parmi les moins favorables de l'ensemble des secteurs primaires.

Enfin, les revenus des éleveurs sont aujourd'hui, et depuis très longtemps, parmi les plus bas du secteur agricole, alors que les prix de vente de la viande ovine sont parmi les plus élevés.

Il est aujourd'hui urgent d'agir si notre pays souhaite conserver sa filière ovine et préserver les territoires qu'elle valorise. Selon une projection de l'Institut de l'élevage, la France pourrait en effet perdre la moitié de ses détenteurs d'ovins viande d'ici 2012, soit une perte de 800.000 brebis.

Fort heureusement, le pire n'est jamais sûr, surtout si l'on se donne la volonté et les moyens de l'éviter. A cet égard, la prise de conscience politique est aujourd'hui acquise, plusieurs travaux convergents en témoignant.

Le rapport sénatorial sur l'avenir de l'élevage, que l'un de vos deux rapporteurs avait alors instruit il y a cinq ans 1 ( * ) , consacrait un chapitre entier à la filière ovine. Il y constatait déjà « un développement insuffisant » de cette dernière, « malgré l'importance de la demande », mais faisait état de « perspectives néanmoins favorables ».

Cinq années plus tard, le constat pourrait être repris, et l'a d'ailleurs été. Au début de l'année était ainsi remis par le député Yves Simon un rapport sur la production d'ovins allaitants en France 2 ( * ) , qui insistait notamment sur la transmission et la modernisation des exploitations, la promotion des produits et la structuration de l'interprofession.

Le Parlement européen s'est également saisi de la question, puisqu'il va réaliser un rapport sur l'avenir de la filière ovine en Europe, qui sera remis le 15 mars 2008.

S'inscrivant dans la continuité ou la perspective de ces différents travaux, le présent rapport entend tout d'abord poser un constat objectif de la situation économique actuelle de la filière et de son évolution ces dernières années.

Puis il procède à une sorte de « bilan de compétences » de la filière, mettant en balance ses faiblesses, indéniables, mais également ses nombreux points positifs, porteurs d'espoir.

Enfin, il fait état d'une quinzaine de grandes propositions pour accompagner la filière dans son redressement et son développement.

Vos rapporteurs, qui ont procédé, pour l'instruction du présent rapport, à une dizaine d'auditions au Sénat, et se sont rendus dans les principales zones d'élevage français au cours de quatre déplacements, restent optimistes pour l'avenir de la filière, dès lors que les décisions urgentes et importantes qui s'imposent seront prises.

S'ils ne mésestiment pas les obstacles qui affectent son développement, en faisant une place substantielle aux problèmes posés par les prédateurs, ils insistent sur ses nombreux atouts, notamment en matière territoriale et environnementale, qu'un nécessaire volontarisme politique allié à une démarche collective de l'ensemble des acteurs de la filière devrait permettre de valoriser au niveau d'excellence qui est naturellement le sien.

I. UN SECTEUR ÉCONOMIQUEMENT FRAGILISÉ

1. Un cheptel en repli

a) A l'échelle européenne

Après une progression de 20 % du cheptel de brebis et agnelles saillies dans l'Union européennes à 10 dans les années 80, suite à l'instauration du régime ovin communautaire, le développement du troupeau a été stoppé dans les années 90, sous l'effet notamment de la mise en place des quotas individuels de prime compensatrice ovine.

Puis les cheptels ont connu une décennie relativement stable, avant que l'épizootie de fièvre aphteuse, ayant touché surtout le Royaume-Uni en 2001, soit venue y mettre un terme. La secousse de cette crise sanitaire s'est fait ressentir dans l'ensemble des pays de l'Union européenne, même si les trois-quarts de la baisse de cheptel de l'Union à 15 entre 2000 et 2001 sont imputables au seul Royaume-Uni.

Depuis 2000, les principaux cheptels européens ont connu des évolutions contrastées. D'un côté, certains Etats membres de l'Union à 25 ont connu un recul de leur cheptel à un chiffre (Grèce, Portugal, Allemagne, Bulgarie, Autriche, Danemark), voire à deux chiffres (Espagne, Royaume-Uni, Pologne, Belgique). A l'opposé, d'autres pays producteurs ont enregistré une croissance de leur cheptel à un chiffre (Slovaquie, Chypre), et même à deux chiffres (Italie, Roumanie, Pays-Bas, Hongrie, Suède, Slovénie).

CHEPTEL, PRODUCTION ET CONSOMMATION DE VIANDE OVINE DANS L'UNION EUROPÉENNE EN 2006

Pays

Cheptel reproduc-teur (en milliers de têtes)

Evolution 2006/96 ( en  %)

Production (en milliers de tonnes)

Poids carcasses moyen (agneaux)

Consommation. (en milliers de tonnes)

Auto suffisance (en  %)

Consommation (en kg/habitant)

France

6 463

-16

121

18

254

48

4,3

Royaume-Uni

14 964

-23

330

19

370

89

6,1

Espagne

16 462

-9

227

11

226

100

5,3

Italie

7 305

-16

63

9

91

69

1,5

Grèce

6 589

+8

75

10

134

55

12,3

Irlande

2 932

-32

70

19

21

333

5,1

Portugal

2 253

-5

12

10

20

60

1,9

Allemagne

1 466

-13

43

21

89

48

1,1

Pays-Bas

1 320

+26

13

20

21

62

1,3

Suède

231

+14

4

19

10

40

1,0

Autriche

204

+9

6

21

10

60

1,2

Belgique/
Luxembourg

97

-

3

21

21

14

2,0

Finlande

55

-28

1

18

3

33

0,6

Danemark

76

-1

2

20

7

29

1,3

Total UE à 15

60 416

-14

970

15

1 277

76

3 ,3

Total UE à 25

663 000

-

990

15

1 310

76

2,9

Bulgarie

1 387

-38

10

10

-

-

1

Roumanie

6 526

-9

50

10

-

-

3

Source : Commission européenne et estimations GEB

On notera que le cheptel mondial est marqué, depuis une dizaine d'années, par de mêmes mouvements contrastés. Parmi les plus gros pays producteurs, la Chine et l'Inde ont vu leur nombre de têtes d'ovins augmenter de respectivement 70 et 7 %, tandis que la Nouvelle-Zélande et l'Australie voyaient les leurs diminuer de respectivement 16 et 15 %.

b) A l'échelle nationale

Le cheptel français d'ovins suit une pente descendante depuis le début des années 80, au moment de la mise en place de l'organisation commune de marché (OCM) sur les viandes ovines. Il est ainsi passé de près de 13 millions de têtes en 1980, à 8,5 millions en 2006, soit une baisse de 23 %.

Les cinq dernières années ont été particulièrement éprouvantes pour le cheptel national. La canicule de 2003, les fortes chaleurs de 2005, l'entrée en vigueur au 1 er janvier 2006 du découplage à 50 % de la prime à la brebis et l'amélioration comparative de la filière bovine ces dernières années ont contribué à la poursuite du mouvement de décapitalisation, qui a été de l'ordre de 2 % par an au cours des cinq dernières années.

Cette évolution recouvre toutefois des tendances contrastées selon les types d'ovins. Le cheptel de brebis reproductrices est affecté sur cette période d'une très forte baisse, de l'ordre du tiers de ses effectifs : après avoir culminé à 9,7 millions de têtes en 1981, il a été ramené à 6,5 millions en 2006.

Mais cette baisse de cheptel n'a porté que sur les brebis allaitantes. La situation plus favorable du marché du fromage a en effet permis une bonne valorisation du lait de brebis. Les effectifs de brebis laitières ont à l'inverse progressé, de 18 % précisément entre 1990 et 2006.

EVOLUTION DU CHEPTEL EN FRANCE

Au 1 er janvier

1980

1990

2006

2007/1990
(en %)

Total ovins

12 846 000

11 071 000

8 494 180

-23

Brebis :

9 185 000

8 476 000

6 462 650

-24

- brebis allaitantes

-

7 120 000

4 857 180

-32

- brebis laitières

-

1 356 000

1 605 470

+18

Source : service central des enquêtes et études statistiques (SCEES)

c) A l'avenir

L'Institut de l'élevage fait état de prévisions assez alarmantes pour l'Union européenne à l'horizon 2015, et notamment pour la France.

A l'échelle communautaire, le cheptel devrait ainsi baisser de 6,4 % d'ici 8 ans dans l'Union à 27, et même de 10,1 % dans celle à 15. Et ce tant en raison de l'ouverture de l'espace communautaire sur le marché mondial que du découplage des aides, qui ont fortement dissuadé la production quand des alternatives étaient possibles, et devraient continuer de peser en ce sens.

A l'échelle nationale, l'Institut de l'élevage s'attend à ce que le cheptel continue globalement de se tasser, diminuant de 11 % d'ici 2015 pour atteindre 5,7 millions de têtes. Toutefois, le rythme de la baisse devrait se ralentir durant cette période (1,3 % par an) par rapport à la période 2000-2006 (2 % par an). En outre, les cours devraient demeurer à un niveau satisfaisant et le cheptel laitier connaître quant à lui un maintien, voire une légère progression.

* 1 « L'avenir de l'élevage : enjeu territorial, enjeu économique », rapport d'information fait par M. Gérard Bailly, dans le cadre d'une mission d'information présidée par M. Jean-Paul Emorine, au nom de la commission des affaires économiques, n° 57 (2002-2003).

* 2 « La production d'ovins allaitants en France, une vraie chance pour les territoires », rapport établi par M. Yves Simon à la demande du Premier ministre, janvier 2007.

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