II. EXERCICE DE LA CHIRURGIE : ASSURER LA SÉCURITÉ, VALORISER LE MÉTIER, DÉVELOPPER LES TERRITOIRES

A. UNE RÉMUNÉRATION PLUS ATTRACTIVE

1. Un débat récurrent chez les chirurgiens libéraux

En 2003, Jacques Domergue et Henri Guidicelli constataient une diminution de 0,2 % des revenus des chirurgiens libéraux entre 1993 et 2000 6 ( * ) , alors qu'ils étaient en constante augmentation sur cette période pour la plupart des spécialités médicales. Parallèlement, l'activité chirurgicale avait pourtant enregistré sur la même période une croissance de 2 %. De fait, la diminution de la rémunération des chirurgiens trouvait alors son explication dans une très faible revalorisation de la tarification des actes, conjuguée à une croissance dynamique des charges (+ 3,6 % par an entre 1993 et 2000).

Pour éviter que l'écart entre leurs revenus et leur volume d'activité ne se creuse, de nombreux chirurgiens ont alors utilisé, comme variable d'ajustement, les dépassements d'honoraires . Ils représentaient ainsi près de 30 % des revenus des chirurgiens en secteur II en 2000 contre 16 % en 1993.

Toutefois, chez les chirurgiens en secteur I, ce recours a été moins fréquent, l'augmentation des revenus résultant plutôt du développement de l'activité.

Les revenus des chirurgiens libéraux

Bénéfices non commerciaux 2006 en euros

Secteur I

Secteur II

Chirurgie générale

77 681

146 948

Chirurgie infantile

-

47 103

Chirurgie maxillo-faciale

-

95 529

Chirurgie maxillo-faciale et stomatologie

109 260

130 077

Chirurgie orthopédique traumatologie

89 033

151 957

Chirurgie plastique reconstructrice et esthétique

106 282

147 606

Chirurgie thoracique et cardiovasculaire

102 798

116 450

Chirurgie urologique

105 428

143 798

Chirurgie vasculaire

82 745

118 477

Chirurgie viscérale et digestive

76 586

122 758

Neurochirurgie

85 961

136 211

Moyenne ensemble des chirurgiens

85 028

144 053

Source : Dhos

Pour mettre un terme à la diminution des revenus des chirurgiens, notamment au regard des autres spécialités, le protocole d'accord du 24 août 2004 a prévu neuf engagements, dont sept relatifs à la rémunération et aux charges.

Les engagements du protocole d'accord du 24 août 2004

- Amélioration de la formation des internes en chirurgie et augmentation du nombre de postes ;

- recomposition du paysage des plateaux techniques et modernisation des technologies des blocs opératoires ;

- réduction de la différence de rémunération entre les secteurs I et II et la revalorisation tarifaire de 25 % au 1 er avril 2005, compte tenu de la mise en place de la classification commune des actes médicaux et des forfaits modulables ;

- rémunération forfaitaire des astreintes au 1 er octobre 2004 ;

- limitation des charges financières d'assurance ;

- mise en place de la nouvelle classification des actes médicaux (CCAM) et de la procédure d'accréditation au 31 décembre 2004 ;

- mise en place de forfaits modulables en complément de la CCAM, avec l'objectif de garantir une revalorisation effective des actes chirurgicaux de 12,5 % dès le 1 er octobre 2004 ;

- rétablissement d'un choix de secteur d'exercice pour les anciens chefs de clinique et assistants des hôpitaux au 30 juin 2005 ;

- enfin, possibilité de créer un secteur optionnel de liberté tarifaire encadrée, au sein duquel les dépassements d'honoraires ne pourraient excéder un plafond négocié avec l'Uncam, l'Unocam et les organisations syndicales.

Jugeant que les engagements pris concernant le niveau des primes d'assurance, les revalorisations tarifaires et le choix du secteur d'exercice pour les anciens chefs de clinique n'avaient pas été respectés, les chirurgiens se sont massivement mis en grève à l'été 2006 à l'appel de leurs instances représentatives.

A l'issue de cette confrontation, une mission a été confiée à l'inspection générale des affaires sociales (Igas) pour évaluer l'application du protocole d'accord du 24 août 2004.

Il ressort des travaux de l'Igas que la hausse des tarifs des actes chirurgicaux s'est élevée, au minimum, à 18 % en secteur I et à 6,5 % en secteur II , à la suite de la mise en place de la classification commune des actes médicaux (CCAM).

La nouvelle classification vise à promouvoir une hiérarchisation tarifaire plus rationnelle et plus équitable des actes techniques médicaux , fondée sur des critères objectifs (pénibilité, technicité, temps de réalisation, etc.). Elle est entrée en vigueur en trois étapes. Ainsi :

- le 1 er octobre 2004, une majoration transitoire de 12,5 % est appliquée aux tarifs strictement chirurgicaux (KCC) des spécialités chirurgicales visées par l'accord (toutes sauf l'oto-rhino-laryngologie, l'ophtalmologie et la chirurgie plastique) ;

- le 1 er mars 2005, la première version de la classification commune des actes médicaux (CCAM V1) est mise en place, assortie d'une majoration additionnelle des tarifs de 6,5 % et d'une majoration supplémentaire de 11,5 % pour les chirurgiens du secteur I et ceux du secteur II ayant choisi l'option de coordination ;

- le 1 er septembre 2005 est appliquée la deuxième version de la nouvelle classification (CCAM V2) : une seconde majoration de 11,5 % est appliquée aux actes pratiqués sur des bénéficiaires de la couverture maladie universelle (CMU) et aux actes pratiqués en urgences, c'est-à-dire aux actes ne pouvant donner lieu à un dépassement d'honoraires.

Ce constat ne signifie toutefois nullement que la rémunération des chirurgiens ait augmenté dans les proportions indiquées. En effet, la rémunération des actes chirurgicaux ne représente qu'une partie des honoraires des chirurgiens, au côté des actes techniques et cliniques et des forfaits de garde et d'astreinte. En outre, la proportion des actes strictement chirurgicaux au sein de l'activité des praticiens a quelque peu diminué.

Par ailleurs, l'Igas a reconnu qu'aucun progrès n'avait été fait s'agissant de la formation, du coût des assurances et de la possibilité, pour les chirurgiens anciens chefs de clinique, de passer du secteur I au secteur II.

Ce dernier engagement pose en effet le risque de la disparition du secteur I en chirurgie libérale - il ne réunit déjà plus que 20 % des praticiens - et donc des soins chirurgicaux intégralement remboursables aux assurés sociaux dans le privé. Or, le secteur public hospitalier n'est aujourd'hui pas en mesure de prendre, sans délai, le relais pour les patients qui n'ont pas les moyens de s'acquitter des dépassements d'honoraires. L'accessibilité des soins chirurgicaux pour tous serait alors remise en cause.

Une des solutions envisageables pour éviter une telle issue consisterait à augmenter massivement la tarification des actes médicaux, afin que le secteur I soit rémunérateur en tant que tel. C'est le cas, par exemple, de spécialités comme la radiologie, l'anapathologie ou encore la biologie médicale, dans lesquelles seulement 5 % des praticiens sont installés en secteur II. La chirurgie en est loin : en moyenne, un chirurgien de secteur I gagne aujourd'hui moins bien sa vie qu'un médecin généraliste.

2. Les contraintes du métier mal prises en compte à l'hôpital

Si la rémunération des praticiens hospitaliers a été fortement revalorisée en 2000 avec la création de la prime de renoncement au secteur privé, force est de constater que l'existence d'un statut unique pour l'ensemble du corps médical ne permet pas de prendre en compte les contraintes et la pénibilité propres à la chirurgie.

De fait, en chirurgie, les gardes, dont le tarif a été récemment revalorisé, sont moins fréquentes que les astreintes. La rémunération de l'astreinte de sécurité, que le chirurgien peut effectuer à son domicile, s'élève ainsi à 29,91 euros seulement ; elle atteint 41,25 euros pour l'astreinte opérationnelle.

Si la revalorisation partielle des astreintes - le montant des déplacements est passé de 50,16 euros à 61 euros en 2002 et s'établit, depuis 2005, à 72,20 euros à partir du deuxième déplacement effectué au cours d'une même astreinte - constitue un progrès appréciable, elle ne permet pas de porter le revenu des chirurgiens hospitaliers à un niveau correspondant à leurs compétences, à leur volume d'activité et à la pénibilité de leur profession.

Ce n'est pas le cas des disciplines dans lesquelles les gardes sont plus nombreuses. Le paiement élevé des gardes représente d'ailleurs souvent un argument de recrutement des établissements hospitaliers, qui le présentent comme un véritable complément de rémunération pour attirer les praticiens.

Concernant les astreintes en chirurgie, il conviendrait, à tout le moins, d'appliquer l'accord du 31 mars 2005, qui prévoyait, à échéance 2007, la convergence des tarifs de l'astreinte opérationnelle et de l'astreinte de sécurité.

En outre, l'assujettissement des indemnités d'astreinte au régime de retraite de l'institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'Etat et des collectivités publiques (Ircantec), que prévoit également l'accord du 31 mars 2005, est, à ce jour, resté lettre morte. Il serait souhaitable qu'il soit réalisé à l'occasion de la prochaine réforme des régimes de retraite.

De la même manière, votre rapporteur est favorable à une prise en compte, dans le calcul de la retraite des PU-PH, qui ne cotisent actuellement qu'au titre de leur activité d'enseignement, de la part de leur revenu liée à leur activité médicale. En effet, une meilleure retraite constituerait, à n'en pas douter, une contrepartie appréciable au constat sans appel dressé par notre collègue Francis Giraud : « pour une majorité de PU-PH, les rémunérations offertes par le secteur public ne sont plus jugées attractives par rapport à celles auxquelles ils pourraient prétendre dans le privé. Cette perte n'est plus compensée par la satisfaction et la renommée qui était jusqu'alors attachée à la fonction universitaire. (...) La majorité des PU-PH vit mal l'absence de retraite hospitalière alors qu'ils consacrent à l'hôpital une grande partie de leur temps d'activité et le meilleur d'eux-mêmes.» 7 ( * )

Plus largement, il convient de réfléchir à la juste rémunération du métier de chirurgien dans le secteur public , afin de ne pas priver l'hôpital des meilleurs éléments. Les chirurgiens, mais aussi les radiologues et les anesthésistes sont, en effet, de plus en plus nombreux à céder aux sirènes du privé, où leur rémunération peut être jusqu'à huit fois plus élevée. Ils développent également de plus en plus une activité privée, plus rémunératrice, au côté de l'exercice de leur métier à l'hôpital.

Les revenus annuels 2007 des chirurgiens hospitaliers

1 er échelon

45 677,79 euros

7 e échelon

58 392,93 euros

13 e échelon

82 945,38 euros

Selon les auteurs, avec une activité en secteur privé, le praticien hospitalier augmente en moyenne ses revenus de 25 %

Source : Dhos

3. Un rapprochement souhaitable entre le public et le privé

Compte tenu du déséquilibre croissant entre les rémunérations proposées dans le privé et le revenu des chirurgiens hospitaliers, il est nécessaire d'envisager de nouvelles modalités de rémunération communes, qui prendraient mieux en compte la pénibilité, la qualité et le volume d'activité.

Une première tentative pour trouver un équilibre entre le salaire et le paiement à l'acte pour les chirurgiens hospitaliers a vu le jour dans le cadre de l'accord du 31 mars 2005. Il y était prévu d'instaurer, pour les chirurgiens volontaires, une part de rémunération complémentaire variable en fonction du volume d'activité . Cette indemnité pouvait, en principe, représenter jusqu'à 15 % de la rémunération. Les praticiens concernés s'engageaient contractuellement sur des objectifs d'activité et de qualité définis pour un certains nombre d'actes par spécialité.

Votre rapporteur salue cette démarche d'optimisation de l'activité chirurgicale dans le secteur public mais regrette qu'à ce jour un seul établissement s'y soit engagé. Pour espérer développer ce dispositif, il faudrait vraisemblablement l'étendre aux PU-PH, avec le risque que les autres spécialistes demandent à en bénéficier, ce qui le rendrait évidemment très coûteux. La probabilité est donc grande que ce dispositif finisse par être supprimé. Si tel était le cas, votre rapporteur regretterait qu'il n'ait pas été plus largement expérimenté.

En tout état de cause, il soutiendra toute initiative visant à une convergence des modalités de rémunération mais aussi des contraintes de permanence des soins entre le public et le privé .

A cet égard, il salue la proposition du professeur Guy Vallancien, dont le rapport sur la rémunération des chirurgiens, commandé par Xavier Bertrand en janvier 2007, vient d'être remis à Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports.

Tout en conservant les secteurs I et II, un troisième système de rémunération plus attractif serait créé sur la base d'un « contrat d'exercice global » à adhésion volontaire, signé entre les chirurgiens quel que soit leur statut, les futures agences régionales de la santé (ARS) et les établissements de santé publics et privés.

Ce contrat, renouvelable tous les trois ans, fixerait les engagements des praticiens en matière d'installation, de permanence des soins, de tarifs opposables pour les urgences et les bénéficiaires de la CMU, d'évaluation des pratiques professionnelles, de formation des internes et de formation médicale continue. En contrepartie, le tarif des actes chirurgicaux serait revalorisé et les chirurgiens rémunérés selon une part majoritaire en fonction de leur activité (trois cents actes par an a minima ), complétée par un forfait finançant la permanence des soins dans un territoire défini et les tâches sans lien direct avec l'activité chirurgicale.

Par ailleurs, dans le cadre du contrat global, l'assurance en responsabilité civile serait prise en charge par les ARS. De même, les coûts de personnel, de matériel et de locaux seraient transférés aux établissements de santé.

* 6 Rapport précité.

* 7 Francis Giraud. Les centres hospitaliers et universitaires. Réflexion sur l'évolution de leurs missions. Rapport au Premier ministre. 2006.

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