B. L'HÔPITAL PUBLIC : UNE NÉCESSAIRE RECONVERSION

1. Une offre de soins trop dispersée

La France est le pays au monde où le nombre d'établissements de santé publics et privés rapporté à la population est le plus élevé, soit un établissement pour 20 000 habitants, contre une moyenne d'un pour 40 000 habitants en Europe.

Ainsi, la distance moyenne pour rallier un plateau technique est de trente-cinq kilomètres, soit un temps de transport de trente minutes environ ; elle est d'une centaine de kilomètres en Suède, y compris pour les maternités.

Le dispositif est coûteux pour une qualité des soins identique. La chirurgie, notamment publique, est donc confrontée au défi de la restructuration de l'offre de soins, dans le but de conjuguer, dans un contexte de contrôle des coûts, les exigences de proximité et de sécurité . L'objectif est d'optimiser l'offre de soins chirurgicaux et les contraintes de l'aménagement du territoire.

Ainsi, sur la zone d'influence de certains hôpitaux périphériques, dans lesquels le nombre d'interventions est faible et où le chirurgien exerce souvent isolément, on observe un taux de fuite de la population vers des établissements plus importants pouvant aller jusqu'à 90 %.

De fait, un Français subit en moyenne, compte tenu de l'allongement de son espérance de vie, deux ou trois interventions chirurgicales au cours de son existence. Elles sont, dans la très grande majorité des cas, programmées. On comprend donc que la qualité du plateau technique et les capacités du chirurgien constituent, bien avant la distance et le temps de transport, les critères fondamentaux du choix du lieu d'une opération.

Lorsque le taux de fuite est moins élevé, on constate cependant que les personnes les mieux informées choisissent d'être opérées ailleurs que dans l'hôpital le plus proche de leur domicile, quand celui-ci est un établissement de petite taille. Au total, les hôpitaux de proximité n'attirent souvent plus que des personnes âgées isolées et la frange la plus défavorisée de la population du territoire concerné.

Par ailleurs, les chirurgiens refusent souvent d'y exercer, obligeant les directeurs de ces établissements à recruter, pour maintenir l'activité, des praticiens étrangers faisant fonction d'interne, assistant chirurgien ou attaché, dont la qualité de la formation peut être d'un niveau moindre.

Le maintien de ces structures, au prix de l'émergence d'une chirurgie à deux vitesses, n'est plus acceptable.

La majorité des acteurs du secteur - administration, médecins et, avec souvent plus d'hésitation, élus locaux - sont aujourd'hui convaincus de la nécessité de réduire le nombre de plateaux techniques en chirurgie.

Un premier mouvement de fermeture, concernant cent trente établissements, a été réalisé dans le cadre des schémas régionaux d'organisation des soins (Sros) de première et deuxième génération.

Les Sros III, mis en place le 31 mars 2006 en application de la circulaire du 5 mars 2004, sont plus ambitieux. Ils fixent ainsi un seuil d'activité recommandé, qui sert de base à la restructuration prévue de l'offre de soins en chirurgie. Ce seuil d'établit à 1 500 séjours chirurgicaux ou 2 000 actes en bloc opératoire nécessitant une anesthésie par an.

Il convient de rappeler, à cet égard, que les hôpitaux qui réalisent moins de 2 000 actes classant par an effectuent en moyenne 1 115 opérations par an, dont 50 actes dits fréquents (appendicectomies, chlolécystectomies), soit un par semaine et 1,5 opération par chirurgien titulaire par jour ouvrable.

Or, les études successives ont toutes montré que les résultats opératoires s'améliorent avec l'expérience du chirurgien . Ainsi, dans le cas d'une ablation de la prostate pour un cancer, le risque de décès péri-opératoire est multiplié par 3,5 lorsque le chirurgien réalise moins de cinquante ablations par an, par rapport au chirurgien qui en effectue plus de cent.

Dix-neuf des vingt-six Sros III ont fait du seuil de 2 000 actes par an et de la présence d'une équipe opératoire minimale la condition du maintien des structures de chirurgie de proximité.

Au total, les Sros de troisième génération ont engagé la fermeture d'environ mille services de chirurgie pour la période 2006-2011 , soit une diminution du nombre de plateaux techniques comprise, selon les estimations, entre 5,4 % et 12,4 % du total national.

Les schémas régionaux d'organisation des soins de troisième génération

Aux termes de l'article L. 6121-2 du code de la santé publique, le schéma d'organisation sanitaire a pour objet de prévoir et susciter les évolutions nécessaires de l'offre de soins préventifs, curatifs et palliatifs afin de répondre aux besoins de santé physique et mentale. Il inclut également l'offre de soins pour la prise en charge des femmes enceintes et des nouveau-nés. Il vise à susciter les adaptations et les complémentarités de l'offre de soins, ainsi que les coopérations, notamment entre les établissements de santé. Il fixe des objectifs en vue d'améliorer la qualité, l'accessibilité et l'efficience de l'organisation sanitaire.

Les schémas régionaux d'organisation sanitaire de troisième génération (Sros III) couvrent la période avril 2006-avril 2011. Ils sont fondés sur une régulation de l'activité et non plus sur une programmation des lits : ils déterminent, en s'appuyant sur l'évaluation des besoins de santé de la population, la répartition territoriale des activités et des équipements lourds soumis à autorisation.

Alors que dans les Sros de première et deuxième génération, la carte sanitaire et les indices étaient définis au niveau national, dans le Sros III, ce sont les agences régionales de l'hospitalisation (ARH) qui définissent les territoires de santé et qui fixent des objectifs quantifiés pour l'offre de soins.

Les schémas régionaux doivent obligatoirement contenir certains thèmes, activités de soins et équipements lourds. Cette liste comprend seize volets inscrits dans l'arrêté du 27 avril 2004 : médecine ; chirurgie ; périnatalité ; soins de suite, rééducation et réadaptation fonctionnelle ; hospitalisation à domicile ; prise en charge des urgences et articulation avec la permanence des soins ; réanimation, soins intensifs, soins continus ; imagerie médicale ; techniques interventionnelles utilisant l'imagerie médicale ; prise en charge de l'insuffisance rénale chronique ; psychiatrie et santé mentale ; prise en charge des personnes âgées ; prise en charge des enfants et des adolescents ; prise en charge des personnes atteintes de cancer ; soins palliatifs ; prise en charge des patients cérébro-lésés et traumatisés médullaires.

Le Sros de troisième génération veut permettre une organisation sanitaire qui tienne compte des spécificités locales, notamment par le maintien et le développement d'activités de proximité, coordonnée avec les objectifs de la loi de santé publique du 9 août 2004. Cet outil permet donc de poursuivre la réorganisation sanitaire (plateaux techniques : maternité, chirurgie, imagerie médicale) afin de concilier les objectifs de sécurité et de proximité.

Votre rapporteur approuve largement la politique de restructuration en cours et souhaite qu'elle soit effectivement menée à bien. La France disposera ainsi de plateaux techniques et d'équipes médicales de grande qualité dans les établissements de santé de taille critique, complétés par des structures chirurgicales de recours à une distance d'environ cinquante kilomètres pour la très grande majorité de la population.

2. Quelle reconversion pour les petits hôpitaux ?

Cette évolution, bien qu'indispensable, pose la question de la reconversion des établissements dont le service de chirurgie aura fait l'objet d'une décision de fermeture.

Les possibilités sont à cet égard multiples et de nombreux hôpitaux les ont déjà expérimentées avec succès, notamment :

- le développement d'activités qui répondent à des besoins de proximité , tels que les soins de suite ou de réadaptation et la médecine, notamment en gériatrie et pour les pathologies chroniques ;

- la création d'un centre de diagnostic (scanner, échographie, biologie) relié par télétransmission d'images à un hôpital de référence ;

- la mise en place d'un service d'accueil et d'urgence comprenant des médecins généralistes et urgentistes ;

- la transformation d'une partie des locaux en maison de santé - solution préconisée par notre collègue Gérard Larcher dans le cadre de sa mission 8 ( * ) -, en un centre d'addictologie ou en un service de rééducation fonctionnelle ;

- l'organisation de consultations avancées de spécialistes et de consultations pré et post opératoires.

Quelle que soit l'option choisie, la très grande majorité des petites structures qui ont su se reconvertir après la fermeture de leur service de chirurgie ont développé leur volume d'activité et ont créé des emplois . Ainsi, la création d'un centre de référence sur l'obésité à l'hôpital, en perte de vitesse, de Saint-Amand-les-Eaux a permis à cet établissement de passer de trois cents à six cents postes.

La réforme de l'organisation des soins n'entraîne toutefois pas systématiquement la fermeture des services de chirurgie. Au contraire, dans les centres de taille moyenne, il s'agit de soutenir la chirurgie publique grâce à la constitution d' équipes médicales communes à plusieurs établissements publics de santé et au développement de la chirurgie ambulatoire. L'exemple de l'hôpital d'Avranches-Granville mérite, sur ce point, d'être étudié.

C'est également le cas lorsque le maintien d'un service de chirurgie à faible rendement est rendu obligatoire par des contraintes géographiques. Il convient alors de prévoir une coopération avec un plateau technique plus actif , afin de mutualiser les ressources humaines et d'assurer le transfert rapide des pathologies les plus lourdes vers un service adapté.

Quelle que soit la solution choisie, la contrepartie indispensable à la concentration de l'offre de soins chirurgicaux sur les plateaux techniques les plus importants réside dans le développement des transports , éventuellement héliportés lorsque la distance entre les habitations et l'hôpital excède cinquante kilomètres (c'est le cas de 6 % des communes, qui regroupent 0,3 % de la population française).

Il est également indispensable, dans ce cadre, de réduire le coût global des transports de patients pour la sécurité sociale . Nombreux sont en effet ceux qui pourraient se déplacer par leurs propres moyens ou, à tout le moins, utiliser un mode de transport commun à plusieurs patients de l'établissement. De fait, dans un département comme la Corrèze, le transport des patients est plus coûteux pour l'assurance maladie que la prise en charge des honoraires des chirurgiens.

La réussite de la reconversion des établissements de santé nécessite enfin de donner à ces structures l'assurance qu'elles n'auront plus à leur charge la rémunération d'un chirurgien qui n'exercerait plus en raison de la fermeture de son service. C'est notamment le cas du centre hospitalier de Trouville-sur-mer, dans lequel votre rapporteur s'est rendu : le chirurgien n'est plus en activité, vit à Paris, mais perçoit un traitement de l'hôpital.

Le CNG devrait toutefois remédier à ce type de situations puisqu'il est prévu qu' un chirurgien qui refuserait trois offres successives de reclassement dans un autre établissement pourrait alors être licencié.

3. L'avenir de la chirurgie en CHU

La restructuration de l'offre de soins chirurgicaux aura également des conséquences certaines sur l'activité des CHU dans ce domaine.

Traditionnellement, les CHU sont chargés d'une triple mission en chirurgie : assurer les soins de proximité, dispenser des thérapeutiques complexes et innovantes de recours, réaliser des interventions de référence.

Toutefois, la première de ces missions a tendance à se développer au préjudice des deux autres, en raison de la fréquentation croissante des urgences hospitalières , qui représente souvent l'unique recours des usagers compte tenu du désengagement de la médecine de ville de la permanence des soins.

Désormais, les urgences accueillent la quasi-totalité des personnes âgées et en situation précaire, ainsi que les urgences psychiatriques, autant de cas lourds qui nécessitent une prise en charge des services hospitaliers, au détriment, concernant la chirurgie, de l'activité programmée.

Conjuguée aux contraintes liées au respect pointilleux des règles applicables au temps de travail dans le public (semaine de trente-cinq heures et repos compensateur notamment), cette situation conduit à ce que les salles d'opérations des CHU réalisent une production moitié moindre que dans le secteur privé.

Il est donc urgent, dans un souci d'efficacité et de rentabilité de l'activité chirurgicale publique, de favoriser les interventions programmées .

A cet effet, il est indispensable de dégager du temps médical pour les médecins hospitaliers, selon l'expression utilisée par le professeur François Rousselot lors de son audition par votre rapporteur. Dans les CHU, le poids des contraintes administratives est devenu excessif et conduit les praticiens à multiplier les réunions au détriment de l'activité de soins. C'est au même constat qu'est parvenu notre collègue Francis Giraud dans son rapport précité sur les CHU.

Enfin, votre rapporteur est favorable à ce que les CHU, qui ont la capacité de réaliser des interventions innovantes, renforcent leur activité de recherche clinique en chirurgie . Pour cela, une plus grande ouverture, y compris financière, au monde industriel, scientifique et universitaire doit être rapidement envisagée. De la même manière, la place de la recherche doit être revalorisée dans le cadre de la tarification à l'activité (T2A).

* 8 Rapport de la mission de concertation sur les missions de l'hôpital présidée par Gérard Larcher. Avril 2008.

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