III. L'EXEMPLE DE « TECHNOLOGIES CLÉS 2010 » : UN EXERCICE MÉRITOIRE SOULIGNANT CERTAINES DÉFICIENCES DU SYSTÈME FRANÇAIS DE RECHERCHE

A. UN EXERCICE A PRIORI INTÉRESSANT...

1. Un contexte justifiant l'exercice

A partir de 1992, en raison de la diminution des crédits affectés à la Défense -en particulier des crédits soutenant les « études amont » et d'une façon générale la recherche et le développement-, le poids relatif de l'industrie militaire a progressivement diminué dans l'effort de R&D industriel global du pays.

Simultanément, du fait de certaines évolutions technologiques, l'effet d'entraînement de la défense sur l'industrie civile en matière d'innovation s'est également réduit. Nombre de technologies à usage de défense ou de sécurité seraient désormais développées initialement en tant que technologies civiles -bénéficiant de marchés plus vastes-, certaines de leurs composantes étant « durcies » pour des usages de défense.

Cette évolution a incité , en contrepartie , à renforcer les moyens et surtout à éclairer les enjeux de la recherche et développement pour les technologies civiles.

Le besoin s'est donc rapidement manifesté de hiérarchiser les nombreuses demandes de soutien émanant des différents secteurs industriels. Ce faisant, un double écueil devait être évité :

- un « saupoudrage » des crédits dévolus au ministère de l'industrie, leur volume ne permettant pas de favoriser une politique de « niches » dans tous les domaines ;

- ou, au contraire, un ciblage réduit à un ou deux grands programmes dont la pertinence ne serait pas garantie, avec par ailleurs des risques d'effets d'aubaine ou d'abonnement.

En outre, les pourvoyeurs de capitaux manifestent spontanément une certaine forme de conformisme, qui n'est pas favorable aux investissements les moins conventionnels, même lorsqu'ils seraient les plus porteurs. On sait (cf. l'approche économique supra ) que cet état de fait légitime l'intervention publique en R&D dans des domaines à fort potentiel mais aussi à fort risque, en présence d'externalités positives (technologies diffusantes, comme les TIC, par exemple).

Enfin, nombre de PME innovantes disposaient d'une information insuffisante sur leur environnement technologique. En effet, l'innovation survient fréquemment aux interfaces de métiers très différents, et il est généralement hors de portée d'une PME de mener une tâche prospective élargie à l'ensemble des sujets qui sont susceptibles de l'intéresser, aussi bien pour des raisons de coûts que de capacité à mobiliser des réseaux de compétences très divers.

Il y a donc un intérêt à mener des opérations collectives de prospective technologique. Sous cet angle, « Technologies clés » « s'apparente dans le domaine de la connaissance à ce qui, dans le domaine de l'urbanisme, relève de l'éclairage public, globalement moins coûteux dans les zones denses que dans la situation où chacun ne peut se fier qu'à sa seule propre lanterne ... » 219 ( * ) . D'après M. Grégoire Postel-Vinay, chargé de la prospective à la direction générale des entreprises (DGE) du ministère de l'Economie, de l'industrie et de l'emploi, « il s'agit d'un exercice « pacifiant et utile », diffusé à 5.000 exemplaires papier et ayant donné lieu à environ un million de pages lues sur Internet ».

2. Une mise en oeuvre déjà éprouvée

C'est au carrefour de ces préoccupations qu'est née la stratégie « Technologies clés ». Il s'agissait de produire un document permettant aux entreprises, particulièrement les PME :

- d'identifier les technologies porteuses à court et moyen terme ; l'examen du caractère « porteur » s'effectue normalement à un horizon de cinq ans, sans que ce délai s'impose de façon trop rigide à une réflexion qui voudrait se projeter un peu plus avant ;

- de répertorier les moyens de développement (laboratoires, organismes de recherche) sur lesquelles ces technologies peuvent s'appuyer.

Réciproquement, l'identification de ces « technologies clés » était susceptible d'être mobilisée pour aider à hiérarchiser les moyens alloués à la recherche appliquée , publique et privée 220 ( * ) .

Le premier recensement des « technologies clés » a été publié en 1995 et l'exercice a été réitéré en 2000 puis en 2005, avec le document « Technologies clés 2010 », sur lequel s'est basé le travail d'évaluation de l'adéquation des objectifs et des moyens des organismes de recherche publics vis-à-vis des technologies utiles pour la compétitivité de l'économie française . L'exercice « Technologies clés » a requis, durant chaque phase préparatoire à l'étude (environ 2 ans), 3 ETPT 221 ( * ) au ministère de l'industrie ; environ 350 experts, y compris internationaux, ont participé à chacun des exercices.

Les ambitions sont à la mesure des besoins identifiés et des moyens mis en oeuvre . Dans la préface de l'édition 2010 de « Technologies clés », François Loos, alors ministre délégué à l'Industrie, annonçait ainsi : « En proposant un panorama de l'évolution des différents secteurs économiques et une liste de technologies clés pour la France, ces études ont l'ambition d'être une aide à la réflexion pour les acteurs de l'innovation et un catalyseur pour l'action, en leur permettant de définir des stratégies gagnantes et de collaborer plus efficacement autour de thématiques technologiques porteuses d'avenir ».

N.B. : La dimension européenne a été présente dès le premier exercice « Technologies clés », aboutissant à l'étude parue en 1995 concernant l'horizon de 2000. Cette dimension a été approfondie dans le deuxième exercice, intitulé « Technologies clés 2005 », en renforçant l'analyse concurrentielle.

Enfin, la délégation générale pour l'armement (DGA), consultée en 1995 et 2000, a été incluse dans le comité de pilotage créé pour l'exercice « Technologies clés 2010 », de façon à assurer une meilleure cohérence, sans risque de redondance, avec sa propre prospective technologique.

L'étude de l'organisation de la politique de R&D ou d'innovation à l'étranger a servi pour les travaux menés en France concernant la démarche « Technologies clés » (et naturellement, d'une façon générale, la gouvernance du système français de recherche). Ainsi, les « technology foresights » conduits au Royaume-Uni, les travaux des réseaux scientifiques et technologiques en Allemagne, les travaux menés, par exemple, par la Rand Corporation aux États-Unis, la planification faite par le MITI puis le METI au Japon, enfin, les travaux de prospective de la Commission européenne, ont tous donné lieu à une analyse des technologies clés.

* 219 M. Grégoire Postel-Vinay, chargé de la prospective à la direction générale des entreprises (DGE).

* 220 Le document se propose de « donner des repères et des clés d'arbitrage permettant, notamment, une optimisation des investissements publics ». Il s'agit d'une « aide à la réflexion pour les autorités publiques », qui cible « principalement les acteurs territoriaux du développement économique et les relais d'accompagnement ».

* 221 Équivalent temps plein travaillé.

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