II. DES DÉPENSES DE RETRAITE FAIBLEMENT REDISTRIBUTIVES

En 2004 , les dépenses de retraite représentaient en France 12,8 % du PIB , soit près de deux tiers des dépenses (en espèces et en nature) de protection sociale hors santé et un quart environ du total des dépenses publiques .

Dans le débat sur le caractère redistributif des dépenses publiques, la question de la dimension redistributive du système de retraite est donc importante . Les dépenses publiques de retraite représentent, du moins en France, à peu près le même montant que les dépenses correspondant aux transferts sociaux en espèces examinées dans la précédente partie du présent chapitre.

Mais, c'est une question particulièrement complexe. Elle peut être abordée sous plusieurs angles différents, dont les deux principaux sont :

- la redistribution intragénérationnelle , qui conduit à se demander si les droits à retraite, que crée tout régime de retraite, s'accompagnent de transferts de revenu entre les titulaires appartenant à une même génération ;

- la redistribution inter-générationnelle qui amène à se demander si les générations différentes voient leur revenu modifié, en plus ou en moins, du fait de leur affiliation à un même régime de retraite.

L'appréciation de la redistributivité des systèmes de retraite est ici envisagée de façon extensive. Plutôt que de se borner à envisager les effets des seules dépenses publiques de retraite (qui ne sont qu'un des éléments de ces systèmes), on traite ici la question sous l'angle plus global des effets des différents systèmes mis en place (qu'ils impliquent des systèmes publics ou davantage l'initiative privée) pour assurer des revenus aux personnes en âge d'être retraitées sur la distribution des revenus de ces personnes.

Cette approche est justifiée par la diversité des systèmes permettant de couvrir le « risque viager », diversité grandissante à mesure que les différents « piliers de la retraite » (régimes obligatoires, régimes facultatifs collectifs ou individuels, épargne de précaution collective ou non...) s'empilent.

Au terme de cette exploration, plusieurs conclusions s'imposent :

- les « régimes universels » de retraite n'apparaissent redistributifs que pour quelques catégories seulement (les très pauvres, les femmes...) ;

- les « régimes à étages » semblent plus redistributifs , mais ce constat est largement apparent : si leur rendement est plus élevé pour les plus pauvres, les ressources qu'ils procurent sont souvent très faibles si bien que les inégalités entre retraités sont fortes avec des taux de pauvreté élevés ;

- en effet, quand les régimes publics ne sont pas universels, les ménages recourent à des garanties individuelles , dont le bénéfice est très inégalement réparti ;

- la redistributivité intergénérationnelle des systèmes de retraite est un sujet très complexe, qui disqualifie toutes les approches trop simplistes : fondamentalement, elle doit être appréciée comme un élément parmi d'autres, d'un bilan des relations entre générations prenant en compte l'ensemble du legs d'une génération à sa suivante.

A. AU SEIN D'UNE GÉNÉRATION DONNÉE, UNE LÉGÈRE REDISTRIBUTIVITÉ AU PROFIT DES MÉNAGES LES MOINS RICHES ET DES FEMMES

1. Méthodes

En ce qui concerne la redistribution intragénérationnelle , les travaux disponibles pour la France sont peu nombreux 100 ( * ) .

- La question de la redistributivité d'un système de retraite quand elle est abordée au sein d'une même génération ne peut pas être traitée exactement comme d'autres. On ne peut pas se contenter de définir la redistributivité de manière classique comme un mécanisme qui modifie la répartition primaire des revenus pour la simple raison qu'il n'y a pas synchronisation entre les impacts redistributifs du système et la perception des revenus primaires.

Pour un système de retraite, la redistribution intragénérationnelle se juge sur ses effets sur la répartition des revenus d'une même génération, appréciés sur l'ensemble du cycle de vie en se posant la question de savoir si l'affiliation à un système de retraite modifie ou non la répartition des revenus en question .

Dans ces conditions, on peut considérer comme redistributif un système de retraite qui comporte un rendement des cotisations décroissant avec le revenu .

Si le rapport entre cotisations et prestations est monotone quelque soit le niveau de revenu, ce qui se produit dans les systèmes exclusivement contributifs, et à la condition d'une uniformité des espérances de vie, alors le système de retraite ne comporte aucun effet redistributif.

A l'inverse, si les droits engendrés par l'affiliation au système de retraite sont déliés des cotisations et supérieurs pour les revenus relativement plus faibles, il y a redistributivité (sous la condition d'espérance de vie déjà mentionnée).

MÉTHODE
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L'analyse de la redistributivité du système de retraite est conduite à partir de la comparaison des taux de rendement interne des cotisations de différentes catégories de population définies en fonction de leur niveau de salaire ou d'autres éléments caractéristiques de leur situation (sexe, situation conjugale,...).

Le taux de rendement interne correspond au taux d'intérêt qui aurait rapporté les mêmes prestations à l'individu s'il avait placé ses cotisations sur un compte d'épargne . Il s'agit de la rémunération implicite des cotisations versées par les retraités à partir des prestations qu'ils reçoivent.

Plus ce taux est élevé, plus la participation au système de retraite « rapporte ». S'il existe des différences de niveaux de taux de rendement interne pour les différents participants, cela signifie que le régime de retraite produit des avantages plus importants pour ceux qui ont un taux relativement élevé que pour ceux qui bénéficient d'un taux relativement faible.

Par ailleurs, dans ce cadre, il y deux formes de redistributivité.

Il y a redistributivé verticale si cette asymétrie profite aux personnes ayant eu des revenus relativement plus faibles , horizontale si cette situation discrimine des individus de même revenu mais différents sous d'autres angles .

Enfin, il faut relever que l'ampleur de la redistributivité est suspendue à l'importance des prestations distribuées : un système fortement redistributif vu sous l'angle des taux de rendement interne (c'est-à-dire un système où les rendements des cotisations sont d'autant plus élevés que le niveau du revenu est faible) peut l'être plus faiblement qu'un autre, moins redistributif sous cet angle, si les prestations qu'il distribue sont dérisoires.

- Encore faut-il déterminer quel est le champ pertinent pour apprécier la redistributivité du système de retraite.

Une approche par régime est excessivement réductrice . La diversité grandissante des régimes de retraite dans chaque pays, avec de plus en plus à côté des régimes de base d'autres régimes reposant davantage sur l'épargne des ménages, implique une diversification concomitante des systèmes nationaux.

Le niveau adéquat d'appréciation de la redistributivité est celui de la totalité des revenus des retraités et non celui du seul bilan des cotisations et des prestations correspondant à un régime de retraite donné .

- Cette approche de la redistributivité est purement intra-générationnelle. Elle ne résout pas la question de savoir si une génération voit ses revenus améliorés (ou détériorés) par rapport à une autre, du fait de l'existence d'un système de retraite. En outre, la redistributivité est appréciée au regard de la seule cohorte des retraités : les aspects redistributifs du système de financement des régimes de répartition qui sont à la charge d'autres générations, celles composées des actifs, ne sont pas abordés à l'encontre de ce qui se produit lorsqu'on se penche sur la redistributivité intergénérationnelle.

* 100 Les éléments présentés ici reprennent, pour l'essentiel, les résultats d'une étude portant sur l'impact redistributif du système de retraite des salariés du secteur privé avant sa réforme par la loi de 2003 : « La redistribution intragénérationnelle dans le système de retraite des salariés du privé : une approche par microsimulation », Emmanuelle Walraet et Alexandre Vincent. Économie et statistique, n° 366 (2003).

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