CHAPITRE II - METTRE LES DÉPENSES PUBLIQUES AU SERVICE DE LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE STRUCTURELLE

Les liens entre les dépenses publiques et la croissance économique ne s'arrêtent pas à la question de la capacité des dépenses publiques à servir de variable d'ajustement à des déséquilibres affectant conjoncturellement le rythme de l'activité.

La place, plus ou moins importante, des dépenses publiques est porteuse d'enjeux plus structurels en ce sens qu'elle pourrait exercer une influence sur le régime de croissance. La question est de savoir si les dépenses publiques peuvent hausser le rythme de la croissance potentielle ou, au contraire, si elles l'infléchissent nécessairement, comme le prétendent certains au nom de deux arguments principaux :

- l'impact défavorable des dépenses publiques sur l'épargne ;

- l'effet de distorsion exercé par les dépenses publiques, résultant notamment des incidences désincitatives de la redistribution à laquelle elles concourent.

Sur le premier point , il n'existe pas de vérification empirique d'une relation constante entre le niveau de l'épargne et celui des dépenses publiques. Il faut ajouter que la contribution des dépenses publiques à l'investissement, très mal appréhendée du fait des conventions de la Comptabilité nationale, apparaît comme une variable décisive pour la croissance dans plusieurs approches.

Sur le second point , les arguments théoriques ne sont pas corroborés par les données agrégées, mais des doutes plus sérieux peuvent être formulés quand on s'intéresse à des données plus microéconomiques.

En amont, il est indispensable de présenter les controverses dans le cadre desquelles doit être aujourd'hui abordée la question de la relation entre les dépenses publiques et la croissance économique.

On peut s'étonner, compte tenu de l'acuité des discussions que suscite cette relation dans le monde, et au regard de l'importance pratique prise par l'intervention publique que le débat sur les dépenses publiques se réduise le plus souvent à la seule question du niveau relatif des dépenses publiques dans le PIB.

Il faut diversifier les indicateurs et revenir aux vraies questions pour vérifier si, dans les faits, les dépenses publiques, par leurs effets, permettent de vérifier les justifications qui sont au fondement de l'intervention publique :

- leur contribution à la stabilisation de court terme de l'activité économique, envisagée dans la première partie du présent chapitre ;

- leur portée redistributive qui sera examinée dans la deuxième partie du présent rapport ;

- leur apport en termes d'allocation du revenu au service de la maximisation des performances économiques, question qui est ici envisagée.

Il paraît nécessaire d'insister d'emblée sur un point. La stabilisation de la conjoncture par des politiques budgétaires contra-cycliques, à supposer qu'on leur prête toute leur efficacité, n'est pas sans conséquence sur les performances de croissance plus structurelles .

En effet, des performances économiques inférieures à la croissance potentielle ont un coût qui peut être durable .

Par exemple, le passage au chômage occasionne des coûts économiques structurels qui peuvent affecter le potentiel de croissance s'il se traduit par une déqualification des personnes privées d'emplois. De même, l'atrophie des recettes fiscales qui accompagne tout décrochage de la croissance par rapport au potentiel renforce la contrainte budgétaire et peut peser sur les dépenses publiques de « préparation de l'avenir ». Il en va évidemment de même pour les entreprises dont les investissements sont sensibles aux évolutions conjoncturelles.

Autrement dit, la question de la stabilisation conjoncturelle par la politique budgétaire n'est pas seulement une question d'efficacité économique à court terme. Elle engage les capacités structurelles de croissance économique.

Une conclusion s'impose donc. Si on croit que les politiques budgétaires sont efficaces et que les dépenses publiques peuvent contribuer à cette efficacité, le choix de normes des dépenses publiques, sans considération du contexte économique, n'est pas opportun.

I. LA CONTRIBUTION DES DÉPENSES PUBLIQUES À LA CROISSANCE : POUR UN VRAI DÉBAT

La pensée économique classique, depuis ses origines philosophiques à aujourd'hui, est traversée par l'idée que l'intervention publique exerce généralement des effets défavorables en réduisant le rythme de croissance.

Mais, cette tradition n'a jamais porté de condamnation absolue de l'intervention publique, sauf en certaines de ses composantes radicales, plutôt récentes. Au contraire, elle a jeté les bases théoriques de sa justification sans, il est vrai, en explorer totalement l'ampleur 62 ( * ) .

Longtemps, cette sorte « d'abstention intellectuelle » a prévalu, fondant des principes selon lesquels l'intervention publique devait être rare. Plus récemment, après la révolution keynésienne axée sur l'action conjoncturelle stabilisatrice de l'État, celui-ci s'est vu reconnaître un rôle déterminant plus structurel, sur le rythme de la croissance économique. En bref, l'exception est devenue la règle.

A. UNE INTERVENTION PUBLIQUE QUI N'EST JUSTIFIÉE QU'EXCEPTIONNELLEMENT DANS LA PENSÉE CLASSIQUE

1. Les deux piliers de la pensée classique jouent contre l'intervention publique

Dans les approches classiques, le rythme de croissance est le résultat du produit de l'augmentation de la population et de l'investissement compte tenu de leurs efficacités propres (leur productivité). Ces variations sont elles-mêmes tributaires des préférences des agents économiques (de leurs « utilités »).

C'est l' individu rationnel qui, in fine , est le dépositaire de la prospérité économique.

Dans un tel contexte, les dépenses publiques, réalisées par l'État, ne peuvent que troubler le jeu privé des agents économiques en dégradant leur productivité ou/et en réduisant les incitations qui les environnent à participer à la production. En bref, à supposer que les dépenses publiques puissent avoir quelques effets favorables ceux-ci doivent, au total, être appréhendés en fonction des distorsions qu'elles impliquent, qui ont toutes chances de l'emporter.

Ici, doit être ajoutée au modèle classique, qui souligne l'efficacité économique des choix des individus rationnels, un deuxième de ses piliers : la méfiance envers l'État , qui provient d'une analyse de l'État comme agent prédateur, qui, du fait de sa puissance peut accomplir ses desseins sans se plier aux saines règles de la concurrence qui transforment la confrontation des intérêts privés en source de progrès économiques.

Cette critique de l'État est au fondement de deux courants de pensée que tout oppose a priori , mais qui portent toutes deux une condamnation systématique de l'intervention publique : le marxisme radical et « l'Ecole du Public Choice », d'inspiration ultra-libérale et anti-étatique .

S'agissant du marxisme radical , la critique de la dépense publique prolonge l'analyse de l'État comme « comité exécutif de la bourgeoisie » . Les dépenses publiques, qui contribuent à entretenir l'appareil répressif de l'État (police, justice...), ont par ailleurs un rôle économique majeur dans la viabilisation du système capitaliste. Elles ont pour objet de relever le taux de profit des capitaux privés qui, sans elles, serait voué à une décroissance fatale au capitalisme.

Mais en exerçant ce rôle, l'État profite à une frange des classes sociales mais nullement à l'ensemble de la société.

S'agissant de « l' Ecole du Public Choice », (« l'Ecole de la décision publique »), la critique de la dépense publique qu'elle porte pousse à son summum l'inspiration anti-étatique des théories classiques libérales. L'État n'intervient que pour servir les intérêts propres à son être - la bureaucratie entendue au sens le plus large - et ses interventions créent plus de problèmes qu'elles n'en résolvent.

A côté de la branche anti-étatiste absolue, le tronc du libéralisme classique a toujours comporté des rameaux portant des justifications à l'intervention publique.

* 62 C'est d'ailleurs le débat sur celle-ci qui distingue souvent les forces politiques qui se placent dans le cadre du paradigme individualiste.

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