3. Retraites et taux d'activité

En théorie, les systèmes de retraites publiques par répartition devraient ne pas avoir, par eux-mêmes, d'incidence sur le taux d'activité si les prestations étaient égales au montant des cotisations versées (en valeur actualisée) et si le taux d'intérêt était égal au taux de croissance de la masse salariale . Alors, en effet, les systèmes de pension ne devraient avoir aucun effet sur l'offre de main-d'oeuvre et sur la consommation sur toute la durée de la vie. Dans un tel régime, l'épargne individuelle serait réduite pendant la vie active d'un montant équivalent aux cotisations versées. Le taux d'épargne serait d'autant plus faible que les cotisations et les taux de remplacement seraient élevés, et inversement. Mais, globalement, les systèmes de pension ne représenteraient qu'une des modalités du lissage dans le temps des revenus et, à ce titre, ils n'exerceraient pas sur la décision de rester en activité une influence plus grande que celle attribuable à la constitution d'un patrimoine.

Dans la réalité, les régimes de retraite influent sur la distribution du revenu et de la richesse aussi bien entre les générations qu'au sein de celles-ci, engendrant ainsi des « effets de patrimoine » agissant sur la décision de départ à la retraite . Par exemple, l'introduction d'un régime de retraite par répartition, ou une augmentation inattendue du niveau des pensions, incomplètement compensée par un relèvement des cotisations, accroissent le patrimoine « retraite » net des travailleurs âgés. Cela stimule leur demande à la fois de consommation et de temps libre, les incitant à prendre leur retraite plus tôt.

Dans un sens inverse, dans le cas où le taux d'intérêt réel est supérieur au taux de croissance des salaires réels, le patrimoine retraite est plus faible dans un régime par répartition que dans un régime capitalisé. Par conséquent, l'existence d'un régime par répartition réduit la consommation et incite les travailleurs à prolonger leur vie active ou à un effort d'épargne particulier .

En bref, tout système de retraite est susceptible d'exercer des incitations à la cessation d'activité qui dépendent :

- du montant des pensions servies ;

- de l'imposition marginale implicite que comporte la poursuite d'une activité professionnelle ;

- de l'âge d'ouverture des droits.

Le premier détermine le niveau du revenu de remplacement disponible ; le second conduit à des arbitrages portant sur le rendement des droits à la retraite ; le troisième devrait, en tant que tel, être neutre pour les individus mais dans les faits, il ne l'est pas pour des raisons diverses (dont l'interdiction de poursuivre une activité après l'âge légal).

On peut imaginer a priori que plus le montant net des taux de remplacement (le rapport entre les pensions nettes de prélèvements et les revenus d'activité nets aussi) est élevé et plus l'âge d'ouverture des droits est précoce, plus le système de pensions invite à se retirer de l'activité. Or, sous ces divers angles, la France se situe plutôt dans les pays où les incitations au retrait de l'activité sont fortes même si les comparaisons internationales disponibles négligent certaines données essentielles qui conduisent à nuancer ce constat.

Sous l'angle de l'âge d'ouverture des droits à pension , les pays de l'OCDE sont dans une situation assez homogène.

ÂGE NORMAL D'OUVERTURE DES DROITS À PENSION DE RETRAITE

Hommes

Femmes

1969

1979

1989

2003

1969

1979

1989

2003

Australie

65

65

65

65

60

60

60

62,5

Autriche

65

65

65

65

60

60

60

60

Belgique

65

65

65

65

60

60

60

63

Canada

66

65

65

65

66

65

65

65

Danemark

67

67

67

65

67

67

67

65

Finlande

65

65

65

65

65

65

65

65

France

65

65

60

60

65

65

60

60

Allemagne

65

65

65

65

65

65

65

65

Grèce

60

60

65

65

55

55

60

65

Islande

67

67

67

67

--

--

--

67

Irlande

70

66

66

66

70

66

66

66

Italie

60

60

60

65

55

55

55

65

Japon

65

65

65

65

65

65

65

65

Corée

--

--

60

60

--

--

60

60

Luxembourg

65

65

65

65

62

60

65

65

Pays-Bas

65

65

65

65

65

65

65

65

Norvège

70

67

67

67

70

67

67

67

Nouvelle-Zélande

65

60

60

65

65

60

60

65

Portugal

65

65

65

65

65

62

62

65

Espagne

65

65

65

65

55

65

65

65

Suède

67

65

65

65

67

65

65

65

Royaume-Uni

65

65

65

65

60

60

60

60

États-Unis

65

65

65

65

65

65

65

65

Source : OCDE

L'âge d'ouverture est majoritairement fixé à 65 ans. Mais, la France se singularise, avec la Corée notamment, par un âge plus précoce.

Dans la majorité des pays de l'OCDE, l'âge normal de départ à la retraite est resté constant depuis la fin des années 60. Dans les pays où des changements sont intervenus, il a généralement baissé dans les années 70 et 80 avant d'augmenter dans quelques cas depuis le début des années 90.

S'agissant du montant des pensions , l'indicateur le plus fréquent est le taux de remplacement, qui est le rapport entre les prestations annuelles et la rémunération perçue juste avant le départ à la retraite.

Sur la base d'hypothèses simplificatrices, qu'il est nécessaire de poser compte tenu de la très grande complexité et hétérogénéité des systèmes, on peut faire le constat que les taux de remplacement anticipés ont augmenté dans une vaste majorité des pays de l'OCDE entre la fin des années 60 et la fin des années 80 .

TAUX DE REMPLACEMENT MOYENS ANTICIPÉS AU COURS DES CINQ PROCHAINES ANNÉES DANS LES RÉGIMES DE RETRAITE - MOYENNE DE SIX SITUATIONS
(TROIS NIVEAUX DE RÉMUNÉRATION ET DEUX SITUATIONS DE FAMILLE)

Note de lecture : en moyenne, dans l'OCDE, le taux de remplacement du salaire par la pension est de 38 % à 60 ans et de 62 % à 65 ans.

Source : OCDE

L'augmentation des taux de remplacement à 60 ans a été due essentiellement à une baisse de l'âge des préretraites, alors qu'à 65 ans, elle s'explique essentiellement par un relèvement des niveaux de pensions. En revanche, depuis le début des années 90, les taux de remplacement se sont stabilisés (à 65 ans) ou ont baissé (à 60 ans) .

Cependant, ces tendances générales masquent des différences marquées entre pays . Si les taux de remplacement anticipés sont restés assez stables dans certains pays ces trois dernières décennies, ils ont augmenté très sensiblement dans d'autres (Espagne, Finlande, Pays-Bas, Suède à 60 ans ; Espagne, Finlande, Suède et, dans une moindre mesure, Irlande et Norvège à 65 ans).

On relève ainsi que les taux de remplacement bruts moyens à 60 et 65 ans diffèrent sensiblement suivant les pays de l'OCDE. A 60 ans, ils s'échelonnent de zéro dans les pays où l'âge d'ouverture des droits est au moins de 65 ans (Autriche, Irlande, Islande, Norvège, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni) à plus de 70 % dans plusieurs pays (Corée, Espagne, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal). A 65 ans, ils s'échelonnent de moins de 40 % en Irlande et en Norvège à 100 % en Hongrie et au Luxembourg.

La France se caractérise par une situation plus favorable que la moyenne à 60 ans (taux de remplacement de 50 % contre 35 %) mais cet avantage relatif est nettement moindre dès 65 ans (taux de remplacement de 70 % contre 62 %) . Les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Irlande présentent des taux de remplacement beaucoup plus faibles, de l'ordre de 20 points de moins que la moyenne.

En bref, comme pour la condition d'âge d'ouverture des droits à prestations, la France occupe une position plutôt moins incitative à la poursuite de l'activité que la moyenne au regard du niveau du taux de remplacement.

Mais, cette situation ne doit pas nécessairement être interprétée comme le signe que le système de retraite français comporterait des avantages si élevés qu'ils décourageraient de ce fait la poursuite de l'activité.

En premier lieu, la cessation d'activité se traduit par une baisse du revenu courant qui n'est jamais négligeable. En eux-mêmes, les systèmes de retraite ne peuvent être considérés comme comportant des incitations financières à la cessation d'activité. Ce n'est qu'à raison de l'arbitrage entre « pénibilité » du travail et réduction du revenu, que les systèmes de retraite peuvent contenir une incitation à l'inactivité. Mais d'autres mécanismes patrimoniaux ont aussi cet effet.

Il en va ainsi des revenus du patrimoine individuel qui ne sont pas pris en compte dans les comparaisons de taux de remplacement précitées, ce qui, compte tenu des arrangements institutionnels aux termes desquels certains pays favorisent l'épargne retraite plus que d'autres, tend sans doute à exagérer les différences internationales de taux de remplacement.

Mais, une autre variable très importante doit encore être prise en compte. La diversité des taux de remplacement pourrait être assez largement le résultat de performances très inégales d'inclusion des personnes dites « seniors » dans l'emploi . On doit remarquer que plus la situation de ces personnes est dégradée, plus les taux de remplacement sont facialement élevés. Ainsi, la désincitation au travail des « personnes d'un certain âge » pourrait être attribuée davantage à des conditions de salaire et d'emploi désincitatives qu'à une situation favorable des revenus de remplacement servis à eux.

Outre les taux de remplacement qu'offrent les régimes de retraite, il faut considérer leur neutralité actuarielle . Si elle n'est pas acquise, elle peut influencer le choix de rester en activité ou, au contraire, de se retirer du marché du travail.

Rester sur le marché de l'emploi une année de plus se traduit par la perte d'une année de prestations . Si le coût en termes de prestations perdues et de cotisations versées est exactement compensé par une hausse des pensions futures, on dit que le régime de retraite est « neutre » du point de vue actuariel, mais si ce coût n'est pas compensé, il y a alors un impôt implicite sur la poursuite de l'activité professionnelle .

Dans le premier cas, le régime de retraite ne comporte en lui-même aucune incitation particulière et l'arbitrage entre l'activité et la retraite dépend d'autres variables. Dans le second cas, la poursuite de l'activité réduit le rendement des droits à la retraite.

Il serait par conséquent souhaitable d'identifier l'existence d'éventuelles distorsions de cette nature afin de les éliminer pour réduire les incitations au retrait de l'emploi.

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