B. LA PERSISTANCE DE LA COMPLEXITÉ DU SECTEUR DE L'INSERTION

Grâce à leurs nouvelles compétences et sous l'effet de l'incitation forte qu'a constituée jusqu'en 2006 la hausse continue du nombre d'allocataires, les conseils généraux ont ainsi organisé au niveau départemental un dispositif d'insertion tourné vers l'emploi et faisant appel à l'ensemble de leurs partenaires.

Cette nouvelle organisation est loin cependant d'avoir radicalement simplifié la gouvernance territoriale de l'insertion. M. Julien Damon, rapporteur du Grenelle de l'environnement, a ainsi évoqué devant la mission un « système baroque et éclaté » .

De nombreux autres intervenants auditionnés par la mission ont souligné la complexité extrême des dispositifs mis en place par les nombreux acteurs de la lutte contre la pauvreté, ainsi que leur grande instabilité. Cette complexité et cette instabilité ont pour premier effet de décourager les acteurs de terrain qui doivent consacrer une grande partie de leur énergie à comprendre les règles qu'ils doivent appliquer et à chercher, parmi tous les dispositifs et les acteurs existants, celui qui pourrait leur venir en aide dans le cas particulier qu'ils ont à traiter. L'instabilité décourage également l'innovation puisque les acteurs et organismes qui en font preuve craignent toujours qu'un changement des règles ne remettent en cause ce qu'ils ont entrepris.

Par ailleurs, la complexité est finalement subie par les personnes en difficulté, qui subissent des ruptures dans leur parcours d'insertion lorsqu'elles doivent passer d'une institution à une autre qui n'a pas les mêmes pratiques, n'exige pas les mêmes documents ou n'applique pas les mêmes critères pour attribuer une prestation.

1. La multiplicité des acteurs

a) Les multiples acteurs de l'insertion professionnelle
(1) Une utilité certaine

Parallèlement aux grands acteurs, couvrant l'ensemble du territoire (Etat, service public de l'emploi, régions et départements), qui tentent de mettre en place une gouvernance territoriale tournée vers l'insertion professionnelle, une multitude d'acteurs plus modestes forme le tissu local du secteur de l'insertion . Il s'agit notamment des missions locales et PAIO, des PLIE, du secteur de l'IAE, des bureaux d'information jeunesse, des maisons d'information sur la formation et l'emploi (MIFE), des associations, et, de manière plus récente, des maisons de l'emploi (MDE).

Les plans locaux pour l'insertion et l'emploi (PLIE)

Créés à l'initiative des collectivités locales, les plans locaux pour l'insertion et l'emploi (PLIE) constituent la traduction stratégique et opérationnelle des politiques d'insertion et d'emploi sur un territoire.

A ce titre, ils ont pour fonction d'être des « plates-formes partenariales » au sein desquelles se coordonnent les programmes et les actions de ces politiques soit en direct, soit par délégation de la collectivité territoriale les ayant créés à une structure support.

La mise en oeuvre des PLIE peut en effet être confiée à un ensemble d'opérateurs très divers : ANPE, missions locales pour l'emploi, centres communaux d'action sociale, structures d'insertion par l'activité économique, associations d'utilité sociale, ateliers et chantiers d'insertion, organismes de formation ...

Ainsi, les PLIE ont principalement pour mission :

- de réunir les acteurs et opérateurs locaux concernés autour d'objectifs qualitatifs et quantitatifs d'accès de personnes en difficulté à un emploi durable, en organisant pour ces personnes des parcours d'insertion professionnelle individualisés avec un accompagnement renforcé assuré par des référents spécialisés ;

- d'assurer l'ingénierie technique et financière des actions et des dispositifs locaux contribuant soit au retour à l'emploi de leurs bénéficiaires puis à leur maintien pendant au moins six mois, soit à l'accès à une formation qualifiante.

On comptait, en 2006, 209 PLIE en France métropolitaine et dans les départements d'outre-mer. Au total, environ 5.500 communes adhèrent à ces dispositifs. Les PLIE couvrent environ 25,5 millions d'habitants et accueillent en moyenne dans l'année près de 150.000 personnes ayant en commun de connaître d'importantes difficultés pour accéder à un emploi. Selon l'association ville emploi (AVE), ils ont permis, de 2000 à 2006, le retour à l'emploi durable de 46 % des publics accueillis.

L'utilité de ces acteurs de l'insertion résulte d'abord de l'incapacité des grandes politiques portées par l'Etat et les collectivités territoriales à atteindre et à aider une partie des publics en grande difficulté. Selon Mme Marie-Laure Meyer, de l'ARF, « le début des parcours d'insertion doit s'effectuer dans des structures de proximité. Tout ce qui peut permettre de tisser des liens à des niveaux locaux est le bienvenu ».

Les missions locales tentent également de prendre contact avec les jeunes qui ne se rendent pas spontanément à l'ANPE ou dans les services sociaux. Elles collaborent ainsi avec les centres d'information et d'insertion (CIO) de l'éducation nationale et avec la mission générale d'insertion (MGI), afin de ne pas perdre la trace des jeunes en difficulté scolaire au moment où ils quittent l'enseignement.

Par ailleurs, les petites structures sont à même de mobiliser de manière dynamique tous les instruments disponibles autour des personnes en difficulté, en surmontant les limites administratives. Elles introduisent ainsi une certaine souplesse dans le secteur très cloisonné de l'insertion. Mme Pascale Schmit, chef par intérim de la mission Insertion des jeunes à la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle, a présenté à la mission l'ensemble des outils de politique publique que peuvent mobiliser une mission locale ou une PAIO : actions de formation financées par les collectivités territoriales, actions de formation de l'AFPA ou actions financées par l'Unedic, actions d'accompagnement, mobilisation de prestations de placement dans l'emploi.

Les missions locales disposent également du système d'information « Parcours 3 » qui permet l'échange d'information entre tous les acteurs du réseau, et sur lequel s'appuie la DREES pour la réalisation de certaines de ses études.

(2) Un manque d'articulation et de gouvernance

En dépit de ces points positifs, le manque d'articulation de ces acteurs entre eux et avec les politiques nationales de l'insertion sociale et professionnelle alimente encore la complexité du secteur de l'insertion et enferme les publics en difficulté dans des dispositifs trop restreints.

Ainsi les PLIE, dont l'efficacité est par ailleurs reconnue, souffrent-ils d'un manque de coordination avec les autres acteurs du service public de l'emploi . De même, les relations entre les PLIE et le secteur de l'IAE sont insuffisantes. Les PLIE peuvent en effet contribuer au financement des parcours et aÌ la fonction d'accompagnement des SIAE. Ils peuvent ainsi, grâce aÌ une aide d'ingénierie, faciliter le suivi des parcours d'insertion ou la découverte de nouveaux secteurs d'activité et de nouveaux marchés pour cet accompagnement. Cependant, les PLIE ne sont pas présents partout et cette fonction d'ingénierie leur est parfois contestée .

De même, malgré leur ancienneté, les missions locales sont parfois critiquées et n'ont été que récemment reconnues comme acteurs du service public de l'emploi. La loi de cohésion sociale de 2005 les qualifie de membres concourant au service public de l'emploi et, à ce titre, garantes de l'accompagnement des jeunes jusqu'à ce qu'ils obtiennent un emploi durable.

Les missions locales souffrent également de leur diversité et de leur manque de coordination. M. Jean-Marc Lenzi, chargé de mission auprès du délégué interministériel à l'orientation, souligne: « il apparaît aujourd'hui que, même si les missions locales sont bien réparties sur le territoire, l'institution ne se révèle pas suffisamment cohérente ».

Le manque de cohérence et d'articulation des structures se traduit également par l'éclatement de la prise en charge de certains publics spécifiques. Ainsi les jeunes, en fonction du territoire où ils se trouvent et des hasards de leur parcours, peuvent-ils être pris en charge notamment par les missions locales et les PAIO, les bureaux d'information jeunesse, les points d'accueil et d'écoute des jeunes (PAEJ), les maisons de l'emploi, etc. M. Jean-Marc Lenzi a déclaré à la mission, à propos de cet accueil des jeunes à la sortie du système scolaire : « nous nous intéressons aux réseaux d'accueil et d'information. Il en existe environ 18 sur l'ensemble du territoire et leur présence, disséminée, soulève le problème du manque d'optimisation de l'organisation des guichets ».

Ce manque de gouvernance risque également d'enfermer les bénéficiaires dans des territoires trop restreints, au lieu de leur permettre de bénéficier des dynamiques économiques des territoires voisins. Comme le souligne Mme Marie-Laure Meyer (ARF), il s'agit « de ne pas enfermer les personnes en difficulté sur un territoire large de 20 kilomètres. L'action locale dans le domaine de l'insertion n'a de sens que si elle est bien reliée à d'autres actions stratégiques prises à différents échelons. Tout le monde n'est pas destiné à travailler à côté de chez soi ».

b) L'insuffisante intégration de l'IAE aux dispositifs départementaux d'insertion

Le secteur de l'insertion par l'activité économique dépend à la fois de l'Etat, qui en a formellement la compétence, de la région, compétente en matière de formation professionnelle et de coordination du développement économique, du conseil général compétent en matière d'insertion sociale, de l'intercommunalité et des élus des communes qui participent à la lutte contre le chômage et l'exclusion.

Or, ce partage des compétences entre les diverses catégories de collectivités territoriales complique l'exercice de la double vocation de l'IAE, économique et sociale . Pour construire le parcours des personnes accueillies tout en assurant la viabilité économique de leurs activités, les SIAE doivent s'adresser aÌ plusieurs financeurs, dont les stratégies ne sont pas coordonnées. Selon un rapport du CNIAE 221 ( * ) « le dirigeant d'une SIAE doit s'improviser diplomate spécialisé dans l'ingénierie de l'action publique tout en restant chef d'entreprise et en garantissant l'exécution du projet social de sa SIAE ».

En outre, il existe un cloisonnement entre la coordination de l'IAE et la stratégie d'insertion du conseil général. En effet, le conventionnement actuel entre l'Etat et la structure a lieu au niveau départemental, sous l'égide du conseil départemental de l'insertion par l'activité économique (CDIAE) 222 ( * ) , présidé par le préfet. Le CDIAE a pour mission d'émettre les avis relatifs aux demandes de conventionnement des employeurs de l'IAE et aux demandes de concours du fonds départemental pour l'insertion, et de déterminer la nature des actions à mener en vue de promouvoir les actions d'IAE.

Or, s'il est prévu que « le CDIAE élabore un plan d'action pour l'insertion par l'activité économique et veille à sa cohérence avec les autres dispositifs concourant à l'insertion, notamment le programme départemental d'insertion (élaboré par le conseil général) », cette coordination n'est pas effective. L'un des instruments les plus efficaces des politiques d'insertion échappe ainsi à la stratégie d'insertion du conseil général , alors même que celui-ci est censé en être le chef de file depuis 2004.

En outre, les régions, en tant que territoire pertinent de la politique économique, revendiquent elles aussi la coordination de l'IAE. Ainsi, selon Mme Marie-Laure Meyer (ARF) : « La coordination de l'insertion par l'activité économique est effectuée au niveau départemental, une compétence que ne possède pas le comité de coordination régional de l'emploi et de la formation professionnelle. Il s'agit d'une carence majeure ».

Le secteur de l'IAE est enfin insuffisamment articulé avec le service public de l'emploi . Le rôle de l'ANPE dans l'accompagnement des trajectoires professionnelles des salariés en parcours d'insertion, redéfini en 2003, demeure en effet très variable selon les territoires. En outre les comités techniques d'animation (CTA), qui ont la responsabilité du diagnostic local pour définir le profil des personnes pouvant accéder aÌ une SIAE en tenant compte des caractéristiques du bassin d'emploi et en fonction des orientations du service public de l'emploi, ne se sont pas constitués dans tous les départements. Pourtant, ils devraient jouer un rôle essentiel dans la mobilisation des moyens des agences locales de l'emploi au profit des salariés en parcours d'insertion.

c) L'association des partenaires privés à la politique de l'emploi

On a vu que les départements faisaient appel à des concurrents de l'ANPE pour la prospection des offres ou le suivi des demandeurs d'emploi : organismes de formation et de reclassement et opérateurs privés de placement (OPP).

L'ANPE fait aussi appel à ces organismes privés afin d'assurer certaines missions correspondant à des besoins particuliers, qu'elle assure également pour partie elle-même : ateliers thématiques, modules d'accompagnements courts. En outre l'Unedic a passé contrat avec des OPP chargés de prendre en charge l'accompagnement de certains demandeurs d'emploi.

Selon le rapport Boulanger 223 ( * ) , « le recours à des OPP est profitable au service public. Il permet en effet de répondre quantitativement à certains besoins que l'opérateur ne peut prendre en charge lui-même, il apporte aussi une capacité d'innovation stimulante dans la prise en charge dont les autres opérateurs pourront profiter, il peut enfin répondre à des problématiques spécifiques ».

Cependant, certaines personnalités entendues par la mission soulignent le risque que les acteurs privés, se substituant aux acteurs associatifs, mettent en péril la pérennité et l'expérience acquise par ceux-ci dans le domaine de l'insertion.

Ainsi, selon Mme Marie-Pierre Establie, déléguée générale de L'Alliance ville emploi : « deux logiques s'affrontent, comme peuvent en témoigner les acteurs avec la mise en oeuvre d'un autre marché public portant sur les prestations publiques de l'Agence nationale de l'emploi. Ce recours à des prestataires par le biais de marchés publics aboutit à détruire le travail effectué par les nombreuses petites associations dans l'ensemble de la France avec des moyens relativement faibles. Il aboutira à casser le savoir-faire des associations, un savoir-faire fragile, souvent pointu, ne leur permettant pas de répondre à des appels d'offres d'importance, lesquels provoquent une grande émotion dans les missions locales ».

Par ailleurs, une inquiétude se fait jour dans les régions qui souhaitent pouvoir continuer à ne pas avoir recours à des organismes privés de formation si elles le souhaitent, alors que les formations jusqu'alors organisées par l'AFPA feront prochainement systématiquement l'objet d'appels d'offre. Ainsi, selon Mme Marie-Laure Meyer (ARF) : « nous considérons que, si les formations en bureautique peuvent être traitées par le marché, celles relatives à l'apprentissage des gestes de base doivent relever des services publics au travers d'un certain nombre d'outils (ateliers pédagogiques personnalisés, AFPA, GRETA, CNAM, Universités pour la validation des acquis de l'expérience ou les diplômés d'accès aux études universitaires). Nous nous bagarrons pour imposer ce point de vue ».

d) Le rôle essentiel des associations dans le dispositif

Souvent en charge de véritables missions de service public, les associations et réseaux d'associations (la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS), l'Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (UNIOPPS), la fédération des associations pour la promotion et l'insertion par le logement (FAPIL)...) participent à l'accompagnement social des populations en difficulté et relaient au niveau local les politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion.

Elles interviennent notamment dans les domaines de l'accompagnement social des bénéficiaires du RMI, de l'insertion des jeunes, du logement, de l'amélioration de l'accès à la santé, de la lutte contre les addictions, de la gestion des établissements ou services sociaux ou médico-sociaux, de l'insertion par l'activité économique, du soutien à la création d'entreprises et de l'accès à la culture. Elles sont consultées par les Conseils généraux pour l'élaboration des plans départementaux d'insertion (PDI).

Les associations travaillent en étroite collaboration avec les autres acteurs de l'insertion . M. André Gachet, président de la FAPIL, a souligné que « ces associations possèdent la caractéristique commune de s'engager auprès des personnes, mais aussi auprès des collectivités. Ainsi, dans la charte de la FAPIL, il est stipulé que chacune des associations pratique son activité en prenant place dans les dispositifs locaux ».

Pourtant, les associations souffrent de l'évolution aléatoire des crédits des politiques du secteur. Les représentants des associations rencontrés par la mission ont ainsi fréquemment regretté le manque de sécurité des crédits qui leur sont octroyés . Ainsi, l'Etat finance des contrats aidés, notamment dans le secteur non marchand (contrats d'avenir et contrats d'accompagnement dans l'emploi). Ces contrats sont très utilisés par les associations, en particulier dans le secteur de l'IAE, car ils sont adaptés aux publics éloignés de l'emploi. Or, l'Etat continue à prendre des décisions unilatérales de réduction du volume de ces contrats.

Deux circulaires du 24 décembre 2002 et du 16 janvier 2007 224 ( * ) définissent pourtant le cadre du subventionnement des associations par l'Etat, en encourageant les financement pluriannuels , en permettant aux associations d'obtenir une avance sur la subvention de 50 % de son montant et en encourageant les services de l'Etat à établir un plan de financement des associations permettant une rationalité et une stabilité de ces financements. Un dossier unique de demande de subvention, avec une liste close de documents à fournir, a également été créé pour faciliter les démarches des associations. Les circulaires citées encouragent les collectivités à adopter ce dossier unique à leur tour.

Concernant les conseils généraux, certains PDI prévoient également un conventionnement pluriannuel, ou des chartes d'engagement réciproques entre le département et les associations. Des communes mettent également en place des chartes du financement des associations.

Ces instruments restent cependant trop peu utilisés. Or, s'il est parfaitement légitime que les crédits dont dispose une association ne lui soient pas définitivement acquis , les décisions de reconduction ou de non reconduction devraient reposer sur des éléments objectifs tels que des évaluations de leurs résultats, prenant en compte la spécificité de leurs missions (par exemple l'accompagnement de longue durée des personnes en difficulté) et la nature des publics qu'elles prennent en charge (personnes souvent très éloignées de l'emploi pour lesquelles une réinsertion ne peut être que très progressive).

e) Une participation croissante des partenaires sociaux

La mission considère que les partenaires sociaux ont un rôle important à jouer dans l'aspect préventif de la lutte contre l'exclusion. Ils peuvent en effet faire de ce thème l'un des sujets des négociations de branche ou d'entreprise.

Les partenaires sociaux semblent désormais manifester un certain intérêt pour la question de l'exclusion. Un accord a été signé à cet effet en décembre 2007 par le collectif d'associations ALERTE et les grandes organisations syndicales (le MEDEF, la CGPME, la FNSEA, l'UPA, la CGT, la CFDT, la CFTC, l'UNSA). Cet accord marque la reconnaissance d'une « responsabilité sociétale » des entreprises . Les discussions entre les partenaires sociaux et les associations de lutte contre l'exclusion se poursuivent par ailleurs dans ce cadre autour de deux thèmes : les différentes manières de lutter contre la pauvreté et la participation des personnes défavorisées aux décisions qui les concernent.

Selon Bruno Grouès, conseiller technique de l' Union interfédérale des oeuvres et organismes sanitaires et sociaux (UNIOPSS) : « Cet engagement commun montre combien la société est enfin devenue mûre pour réfléchir aux conditions à mettre en oeuvre pour améliorer l'accès à l'emploi, indépendamment des considérations politiques et des intérêts particuliers des uns et des autres ».

En outre, le MEDEF a récemment diffusé un guide pour conseiller les entreprises souhaitant travailler avec le secteur de l'IAE, tandis que la CFDT va également publier prochainement quatre guides similaires. Enfin, la CGT propose de soumettre à la négociation des partenaires sociaux la création d'un « contrat personnalisé de parcours d'insertion sociale et professionnelle sécurisée » destiné à garantir un parcours d'insertion sécurisé pour les personnes en difficulté, après un diagnostic de chaque cas par le nouvel opérateur du service public de l'emploi.

Par ailleurs, certains syndicats développent des actions concrètes, d'une part pour rapprocher les publics en difficulté des entreprises, d'autre part pour les accompagner au sein même de celles-ci :

- concernant le premier point, les syndicats s'appuient sur les entreprises de l'IAE ou sur les missions locales, dont l'expertise est reconnue en la matière, pour prendre contact avec des personnes en difficulté et les rapprocher des entreprises, notamment dans les secteurs en tension, de sorte que ce rapprochement répond aussi à une demande des employeurs ;

- concernant l'accompagnement au sein des entreprises, les syndicats s'efforcent de convaincre les employeurs d'embaucher des personnes ayant eu un parcours difficile puis de mettre en place des tutorats pour les suivre et les intégrer progressivement à la vie de l'entreprise.

Malgré cette prise de conscience et ces innovations, la mission a constaté que la prise en compte des problématiques de lutte contre la pauvreté et d'insertion par les partenaires sociaux n'en était qu'à ces débuts et devrait s'affirmer contre une longue tradition de non prise en compte des chômeurs et des exclus par le monde de l'entreprise.

f) Une tentative de guichet unique : les maisons de l'emploi

Le dispositif des maisons de l'emploi

Les maisons de l'emploi (MDE), créées par la loi de cohésion sociale de 2005, s'inspirent d'expériences menées depuis 1993 par plusieurs structures locales, soutenues par l'association Alliance Villes Emploi, notamment à Epinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), Cherbourg (Manche), Mulhouse (Alsace), Dunkerque (Nord), et qui regroupaient notamment une mission locale, un PLIE et une maison de l'information sur la formation et l'emploi (MIFE).

La plupart sont présidées par des élus ; cependant, certaines ont à leur tête des personnalités indépendantes ou des chefs d'entreprises. Les membres constitutifs obligatoires sont les collectivités territoriales ou leurs groupements porteurs de projet, l'Etat, l'ANPE, et l'ASSEDIC. Par ailleurs, le conseil régional, le conseil général, les intercommunalités et les communes (en l'absence d'intercommunalités compétentes) peuvent, aÌ leur demande, être membres constitutifs.

Les autres acteurs locaux de la politique de l'emploi et de la formation professionnelle (regroupés par collèges) peuvent être associés : AFPA, PLIE, missions locales, MIFE, structures d'IAE, associations d'insertion, organismes consulaires, partenaires sociaux, entreprises, organismes d'observation du marcheì de l'emploi local et des besoins en formation, conseil de développement, etc. Dans un souci supplémentaire de simplification, la loi a aussi prévu que certains partenaires (missions locales, plans locaux pour l'insertion et l'emploi...) pouvaient faire évoluer leurs statuts afin de créer une maison de l'emploi ou pour fusionner avec elle.

L'ensemble des partenaires apportent avec eux les moyens financiers et humains constitutifs de la MDE, l'Etat apportant une contribution financière en fonction de l'apport des membres.

Les projets de MDE portés par les partenaires sont instruits par le préfet, en vue de l'obtention du label accordé par le ministre. Les MDE font en principe l'objet d'une évaluation qui peut conduire à la perte du label.

Leur mission est triple : établir un diagnostic du territoire sur lequel elles sont implantées en analysant de manière prospective le marché du travail local ; assurer un rôle de « guichet unique » pour recevoir et accompagner les personnes, en leur offrant en un même lieu les services de tous les partenaires ; favoriser le développement ou la restructuration du tissu économique local en menant une gestion prévisionnelle des compétences et en contribuant au maintien et à la création d'activités.

Les MDE constituent à la fois une tentative de territorialisation et de simplification de la politique de l'emploi et de l'insertion . Or, après 227 créations de MDE, l'Etat a mis un coup d'arrêt au déploiement du dispositif en septembre 2007, dans l'attente de la fusion annoncée ANPE-UNEDIC.

La loi du 13 février 2008 225 ( * ) déterminant les modalités d'organisation du nouvel organisme issu de la fusion de l'ANPE et de l'UNEDIC a maintenu l'existence des maisons de l'emploi , tout en prévoyant leur collaboration avec le nouvel organisme. Ainsi, le nouveau conseil national de l'emploi comprend-il des représentants des maisons de l'emploi. Par ailleurs, la convention annuelle signée entre l'Etat et le nouvel opérateur au niveau de chaque Région doit prévoir les modalités de coopération de celui-ci avec les maisons de l'emploi.

La loi du 13 février 2008 a également créé un organe de gouvernance territoriale du service public de l'emploi, le conseil régional de l'emploi, présidé par le préfet de Région et dont peuvent notamment être membres les maisons de l'emploi .

Le rapport d'étape 226 ( * ) d'évaluation des MDE souligne d'abord leur hétérogénéité . Une maison peut exister sur un territoire correspondant à une seule comme à 498 communes, avec une moyenne de 89 communes par MDE. Plus de 50 % des MDE prennent la forme d'un site central d'accueil avec mise en réseau d'antennes, mais dans un quart des cas, elles exercent une coordination sans accueil. La moitié des maisons de l'emploi ont un budget inférieur à 6,7 millions d'euros sur quatre ans. Le budget moyen s'établit à 8,2 millions d'euros, dont 2,2 millions d'euros pour 2008.

Le rapport souligne également les synergies effectivement créées grâce à la mise en place des maisons de l'emploi : partage d'informations entre les différents partenaires, création de nouveaux services (mise en réseau de chefs d'entreprise, création de « cyberbases » d'emplois), actions en direction de publics-cibles, notamment les bénéficiaires des minima sociaux et les jeunes. Plusieurs intervenants ont confirmé devant la mission ces aspects positifs des MDE.

Cependant, les MDE présentent certains défauts. D'abord, elles ne sont pas allées au bout de la logique du guichet unique de l'emploi et de l'insertion . Les personnes qui se rendent dans les MDE savent bien qu'elles trouveront aussi des offres d'emploi à l'ANPE. En outre, les représentants des organismes présents dans la MDE ne disposent pas toujours dans celles-ci de l'ensemble des outils nécessaires et proposent donc parfois aux personnes des rendez-vous au sein de leur institution d'origine.

Ensuite, certains acteurs importants de l'insertion professionnelle ne sont pas systématiquement présents dans la MDE, qui est aussi parfois mal reliée aux dynamiques économiques . Selon Mme Marie-Laure Meyer (ARF) : « Des acteurs sont incontournables. Or ils me semblent avoir été oubliés un peu par la loi. Il s'agit des partenaires sociaux, de l'éducation nationale, des conseils généraux, des conseils régionaux et des chambres consulaires. Si nous ne voulons pas construire une maison du chômage, nous sommes obligés de mettre à disposition, non seulement un service public pour les demandeurs d'emplois, mais aussi un service public du recrutement dans lequel les employeurs doivent tenir une place à part entière ».

En outre, la création de MDE de simple coordination, sans accueil du public (comme par exemple à Paris), ajoute un niveau de gouvernance sans apporter de service supplémentaire aux publics de l'insertion professionnelle.

Enfin, l'intérêt des MDE résidait en grande partie dans le fait qu'elles associaient l'ANPE et l'ASSEDIC, désormais en voie de fusion dans le nouvel opérateur. La réforme récente de l'organisation du service public de l'emploi risque ainsi d'aboutir à la création de deux réseaux parallèles concurrents , celui des MDE et celui du nouvel opérateur du service public de l'emploi.

Ainsi, l'Alliance ville-emploi évoque-t-elle la nécessité d'une nouvelle instance de coordination entre le nouvel opérateur et les maisons de l'emploi en raison de leur mode de fonctionnement différent, le premier obéissant à une logique « territorialisée » (c'est-à-dire centralisée et descendante) et les secondes à une logique « territoriale » (partant du terrain).

Au total, il apparaît que les MDE n'ont pas permis de limiter radicalement la complexité de l'animation et de la gouvernance des politiques d'emploi au niveau territorial . En outre, se pose à présent avec acuité la question de la coordination et de la répartition des missions entre les MDE et le nouvel opérateur.

Une autre source de complexité : les multiples périmètres des politiques d'insertion

- le département pour les conseils généraux et les DDAS ;

- les circonscriptions d'action sociale départementale du conseil général;

- le ressort des CLI, déterminé depuis la loi de 2004 sur les libertés et responsabilités locales par le président du conseil général. Ce ressort épouse fréquemment mais pas toujours les circonscriptions d'action sociale départementale ;

- le périmètre des PLIE, qui coïncide en principe avec l'agglomération ou le bassin d'emploi ;

- les quartiers relevant des Contrats urbains de cohésion sociale (CUCS) ;

- les communes ou les EPCI pour les CCAS et CIAS ;

- l'arrondissement, le pays, la communauté d'agglomération, ou encore le bassin d'emploi pour les missions locales/ PAIO ;

- les zones d'éducation prioritaires;

- le ressort des CAF (qui ne coïncide pas toujours avec celui du département, pour qui elles assurent le versement du RMI) ;

- les bassins d'emploi des ANPE.

* 221 « Lever les obstacles à l'IAE », rapport du CNIAE, la documentation française, 2007.

* 222 Le CDIAE est une formation spécialisée de la CDEI, commission départementale de l'emploi et de l'insertion, créée à compter du 1 er juillet 2006 par l'Ordonnance n° 2004-637 du 1er juillet 2004 modifiée par l'ordonnance n°2005-727 du 30 juin 2005 et placée sous l'autorité du Préfet.

* 223 « Contribution à la préparation de la convention tripartite entre l'Etat, l'Unedic et la nouvelle institution créée par la loi du 13 février 2008 », Jean-Marc Boulanger, IGAS, avril 2008

* 224 Circulaire du 24 décembre 2002 relative aux subventions de l`Etat aux associations et Circulaire du 16 janvier 2007 relative aux subventions de l'Etat aux associations et aux conventions pluriannuelles d'objectifs.

* 225 Loi n°2008-126 du 13 février 2008 relative à la réforme de l'organisation du service public de l'emploi

* 226 « Les maisons de l'emploi. Mission d'évaluation du dispositif. Rapport intermédiaire de la mission, Jean-Paul Anciaux.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page