Audition de MM. Xavier EMMANUELLI, ancien Ministre, Président du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées et de Bernard LACHARME, secrétaire général du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées - (1er avril 2008)

M. Christian DEMUYNCK, Président - Monsieur le Ministre, je vous remercie d'avoir accepté d'être auditionné par cette Mission commune d'information sur les politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion. Je vous invite à présenter l'organisme que vous présidez, les difficultés que vous rencontrez dans vos fonctions et les propositions que vous pouvez nous soumettre pour réduire la pauvreté et l'exclusion. M. Bernard Seillier, rapporteur de notre commission, et nos collègues présents dans cette salle vous poseront ensuite quelques questions.

M. Xavier EMMANUELLI - Merci Monsieur le Président. Je suis Président du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées. Cette institution, créée par l'Abbé Pierre en 1992, fonctionne avec des moyens limités. Elle est composée de quatorze membres, dont plusieurs parlementaires, et d'un secrétaire général permanent. Elle émet à la fois des propositions et des alertes.

Je préside également le Comité de suivi du droit au logement opposable dans le cadre de la loi DALO. Cette structure joue un rôle en matière de suivi, comme son nom l'indique, mais aussi d'expertises et facile la concertation entre les acteurs. Il remet un rapport annuel au premier ministre.

Le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées siège à la Maison de la cohésion sociale où toutes nos équipes sont regroupées et où se trouve également le Conseil national de l'insertion.

Notre objectif est de mettre en cohérence les travaux de ces trois institutions, afin de permettre à la volonté politique de réduire l'exclusion, la pauvreté et le chômage de devenir réalité. Tous les acteurs doivent participer à l'unisson à cette ambition portée par l'État mais dépendant de niveaux décisionnels multiples.

Nous proposons des mesures audacieuses, comme par exemple la création d'un syndicat du logement en Île-de-France, et pouvons alerter les pouvoirs publics sur les conséquences négatives de certaines politiques. Des mesures apparemment bénéfiques peuvent parfois être contre-productives. Ainsi, l'abaissement du plafond de ressources pour bénéficier d'un logement social semble constituer a priori une bonne idée. Pourtant, ses effets pervers l'emportent, selon toute vraisemblance, sur ses effets positifs.

Sur le terrain, nos interlocuteurs sont confrontés à des situations totalement nouvelles et des difficultés énormes demandant, pour être résolues, l'harmonisation de l'ensemble des politiques de lutte contre l'exclusion et la pauvreté. Notre tâche est particulièrement complexe. Mais elle est passionnante.

M. Bernard LACHARME - Le premier rapport du Comité de suivi du droit au logement opposable a été remis par nos services au mois d'octobre dernier. Il nous a servi à préciser les enjeux de la loi DALO et à présenter trente-sept propositions, toutes consensuelles et soutenues aussi bien par des associations d'élus, des propriétaires immobiliers et des associations spécialisées dans l'insertion des personnes en difficulté. Certaines d'entre elles ont commencé à être prises en compte. Toutefois, il reste un travail important à réaliser.

En termes d'organisation, le Haut Comité préside les deux autres instances. Nous continuons néanmoins à avoir une activité propre. Nous avons ainsi rédigé notre rapport annuel qui n'a pas été rendu public encore. Nous attendons en effet qu'il soit officiellement remis au président de la République et au premier ministre avant d'en faire part autour de nous.

Nous bénéficions peut-être de davantage de liberté lorsque nous siégions au Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, car nous n'y engagions que les personnes physiques et pas les organismes.

Notre rapport porte en particulier sur ce qui a trait au logement locatif social (ses conditions d'attribution et d'accès, sa gestion, etc.) et à la difficulté de se loger dans le contexte actuel, en raison du montant élevé des loyers. De ce point de vue, le développement du logement social ne pourra jamais compenser les déséquilibres existants.

Nous nous sommes penchés également sur la situation des grands exclus, qui ne sont pas suffisamment pris en compte dans les dispositifs de prise en charge.

M. Xavier EMMANUELLI - Si vous le souhaitez, nous pouvons vous communiquer ce rapport. Nous nous sommes beaucoup intéressés à tout ce qui touche à l'hébergement et à son articulation avec le logement. Nous proposons dans notre rapport des idées nouvelles pour lutter contre l'exclusion.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Nous pouvons profiter de votre présence devant cette mission pour effectuer un tour d'horizon des grands problèmes techniques et sociétaux que rencontrent les acteurs de la lutte contre l'exclusion. Nous n'oublions pas que vous avez porté la loi de 1996 sur la cohésion sociale. Quels sont selon vous les leviers sur lesquels nous pourrions agir pour améliorer l'action publique dans le domaine de la lutte contre l'exclusion au cours des prochaines années ?

M. Xavier EMMANUELLI - Je souhaite m'attarder sur la très grande exclusion. Il faut bien comprendre que cette forme d'exclusion ne renvoie pas seulement à un problème social, économique et sanitaire. En effet, plus les personnes souffrent de l'exclusion depuis longtemps, plus elles connaissent des troubles somatiques et psychiques qu'il convient alors de prendre en compte dans les politiques d'hébergement. Il est évident que tous les exclus ne peuvent pas accéder au logement social. C'est pourquoi des solutions alternatives doivent être trouvées pour ceux qu'il n'est pas possible de laisser seuls sous un toit. Elles pourraient se traduire par la mise en place de pensions de famille orientées vers la prise en charge et le traitement de la souffrance psychique ou des maladies psychiatriques. S'occuper de la très grande exclusion n'est pas simple et nécessite que des domaines spécialisés (travailleurs sociaux, acteurs de la santé, de la psychiatrie et du logement...), n'ayant pas l'habitude de collaborer ensemble, acceptent d'associer leurs moyens et de coordonner leurs actions.

J'ai proposé également que le centre d'hébergement d'urgence constitue une sorte de sas assurant plusieurs prestations et tout d'abord la mise à l'abri des exclus, de manière à procéder à une évaluation psychique, somatique et économique de leur situation et, si besoin, à leur apporter des soins.

La seconde prestation que pourrait dispenser le centre d'hébergement d'urgence serait en termes de formation. Selon les résultats des diagnostics, les personnes les moins en difficulté pourraient être dirigées vers le logement social, les autres vers les CHRS. Je souhaite insister sur le fait que la fonction d'un centre d'hébergement d'urgence ne saurait se résumer à fournir un logement, les personnes exclues ayant besoin, au moins dans un premier temps, d'être accompagnées dans la gestion de leur logement et de leurs relations avec leurs voisins. Sans cet accompagnement, il leur sera difficile de se projeter dans l'avenir.

J'ai préconisé l'instauration de ce sas où les professionnels les plus expérimentés seraient au contact des personnes en difficulté et donc en mesure d'établir des diagnostics précis de leur situation et de leur proposer la solution la plus adéquate à leurs profils.

50% des grands exclus souffrent de problèmes psychiques. Leur traitement oblige à sortir des démarches traditionnelles.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - J'ai participé récemment à une réunion avec des responsables de grandes chaînes immobilières, des notaires et l'ensemble des professionnels du logement. J'ai tenté de les convaincre que la lutte contre l'exclusion n'emprunte pas seulement des mécanismes financiers, mais nécessite d'avoir une approche globale de la personne et de s'interroger sur la manière dont fonctionne la société.

M. Xavier EMMANUELLI - Le problème serait relativement simple s'il n'était que d'ordre financier.

M Bernard LACHARME - Une grande partie de la population, y compris des personnes non exclues socialement, est confrontée à un problème de logement. Celui-ci concerne des familles qui ne connaissent pas de difficultés sociales particulières et qui seraient en mesure de louer un logement dans le parc privé si les loyers n'étaient pas aussi élevés. Il comporte plusieurs dimensions, dont une dimension économique. Le nombre de logements construits n'a pas été suffisant et ceux qui ont été réalisés ne sont pas abordables pour la majorité des familles. Ainsi, il n'est pas toujours nécessaire d'accompagner, d'un point de vue social, tous les demandeurs de logements sociaux.

Ce problème du logement concerne de multiples acteurs : l'Etat qui doit prendre ses responsabilités en finançant le logement social, les Conseils généraux et les communes. Il leur appartient, pour être efficaces, d'harmoniser leurs politiques pour les rendre plus cohérentes.

En outre, nous avons eu trop tendance, au cours des dernières années, à vouloir nous intéresser au logement par le seul biais de la loi. Les textes législatifs peuvent être utiles. Il en est ainsi de la loi DALO. Toutefois, ils s'accompagnent parfois de dispositifs uniformes alors que les territoires sont très hétérogènes. La boîte à outils de la politique du logement doit être déclinée territoire par territoire, en fonction des besoins spécifiques de chacun. De ce point de vue, la loi DALO représente peut-être l'occasion d'engager une opération de clarification, avec une mise en avant des situations considérées comme étant les plus critiques par les commissions d'attribution de logements.

Les différents acteurs doivent être capables de s'organiser pour mettre en oeuvre une politique commune et cohérente en matière de logement. Pour ce faire, la concertation entre eux est indispensable au sein d'instances nationales mais aussi locales.

M. Xavier EMMANUELLI - La loi DALO représente l'opportunité de montrer combien il est difficile de résoudre les problèmes de logement et un moyen de rebattre les cartes, de prendre conscience que l'accès au logement ne s'effectue pas de manière linéaire et que la sociologie des grandes villes a complètement changé au cours des dernières années. Elle peut aussi servir à attirer l'attention des psychiatres sur l'état des exclus et les convaincre de s'impliquer davantage.

Nous restons prisonniers de schémas périmés, datant de l'après guerre et des années 70. De profondes transformations ont eu lieu au sein de la société durant les dernières décennies, engendrant des situations nouvelles et particulièrement complexes à gérer. Aujourd'hui, de nombreuses personnes n'ont pas de famille, souffrent de troubles psychiques et finissent par devoir vivre dans la rue ou par sombrer dans la délinquance.

La loi DALO doit nous conduire à remettre en question les certitudes que nous avons sur le logement. Des zones d'opportunités existaient autrefois. En effet, les personnes ne demeuraient pas dans la précarité toute leur vie. Leur situation financière s'améliorait avec le temps et elles réussissaient à sortir de situations difficiles. Ces zones d'opportunité sont beaucoup plus rares désormais.

De nouveaux dispositifs doivent donc être mis en place pour tenir compte des transformations de la société. De ce point de vue, les pensions de famille et les habitats collectifs correspondent à des dispositifs particulièrement intéressants. Ils permettent en effet d'être à la fois chez soi et avec les autres, et de pouvoir tisser les liens sociaux indispensables à l'apprentissage de la vie en communauté. C'est ce genre de systèmes que la loi DALO doit nous permettre de développer si nous prenons conscience de la complexité et de la diversité du problème du logement.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Avez-vous eu connaissance du contenu de la loi sur le logement ?

M. Bernard LACHARME - Nous ne disposons pas d'informations sur le sujet. Mais lors du vote de la loi DALO, le Haut Comité avait souhaité qu'une seconde loi soit adoptée rapidement, la loi DALO n'étant pas en mesure de résoudre tous les problèmes. Nous estimons que trois conditions sont nécessaires pour que le droit au logement opposable fonctionne de manière efficace :

- Désignation d'une autorité politique responsable, chargée d'assurer le respect de la loi.

- Mise en place de dispositifs plus précis.

- Donner à l'autorité responsable les moyens nécessaires à son action.

La répartition des rôles entre les différents échelons n'a pas encore été précisée. Des réponses doivent être apportées également concernant les moyens budgétaires que l'Etat accordera au sujet. En effet, le droit au logement opposable ne peut pas être mis en oeuvre à budget constant. Un effort financier de l'Etat est donc indispensable.

Enfin, les participants aux débats qui ont eu lieu au sein du comité DALO estiment nécessaire la recherche du consensus entre les différents acteurs concernés. Ce consensus suppose l'existence d'un diagnostic partagé sur les besoins et une harmonisation des actions. Toutefois, le législateur doit prévoir le cas d'une absence de coopération entre les acteurs et donc la possibilité d'aboutir à un arbitrage. Ainsi, dans certaines situations, l'Etat doit être en mesure de disposer d'un pouvoir renforcé pour honorer ses engagements. Il sera en effet responsable si la loi n'est pas appliquée. Ces différents éléments nous amènent à considérer qu'un second texte législatif doit être voté.

M. Guy FISCHER - M. Emmanuelli, nous suivons depuis très longtemps vos travaux et vos réflexions. Dans le cadre du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, vous avez mis l'accent sur la très grande exclusion, expression que vous avez utilisée à plusieurs reprises pendant votre intervention. Les formes d'exclusion sont différentes de celles que nous avons pu connaître par le passé. Elles se manifestent notamment à une plus grande échelle. Par exemple, dans le département du Rhône, 60 000 demandes de logement attendent d'être traitées. De plus, seulement 8% des logements construits sont accessibles aux personnes les plus défavorisées. Quant aux plans départementaux en faveur du logement de ces individus, ils ne sont pas très efficaces.

Le nombre des grands exclus est donc en hausse. Nous avons le devoir de leur apporter une aide. L'état actuel de notre société provoque, en effet, des souffrances à une échelle que les précédentes générations n'ont pas connue. Comme l'a souligné justement M. Bernard Lacharme, l'abaissement de 40% du plafond des ressources pour l'accès au logement social ne suffira pas à résoudre les problèmes de logement. Les projets de Mme Christine Boutin nous inquiètent d'ailleurs beaucoup. Ils pourraient conduire à chasser des personnes de logements sociaux, qu'elles occupent actuellement, pour les attribuer aux plus défavorisés. Ce type de mesures n'est pas acceptable.

J'ai été conseiller général des Minguettes pendant des décennies et je connais bien le Foyer Notre-Dame ainsi que le problème, très difficile à traiter, du logement. Pour l'heure, les réponses apportées ne sont pas à la hauteur de l'immensité des besoins. Le nombre de psychiatres s'occupant des plus pauvres est, par exemple, beaucoup trop faible. Pourtant, il est indispensable de traiter ceux qui souffrent de problèmes somatiques et psychiques.

M. Xavier EMMANUELLI - Il s'agit d'une question de civilisation. Nous rentrons dans une nouvelle époque où nous sommes condamnés à vivre de plus en plus nombreux dans les villes, lieux dans lesquels nous aurons de plus en plus de mal à nous mouvoir et serons confrontés à ces drames de santé publique, de pauvreté, etc. En réalité, l'exclusion est liée à notre développement. Les personnes les plus fragiles, en manque de liens sociaux, connaîtront de plus en plus de difficultés, en particulier les jeunes qui ont perdu tout repère, les individus internés en hôpital psychiatrique et les personnes âgées. Chaque nuit, le SAMU social de Paris loge 6 000 hommes, femmes et enfants dans des hôtels.

Des mouvements de population importants ont eu lieu au cours des trente dernières années. Les problèmes doivent donc être posés de manière différente. En particulier, nous devons avoir conscience que l'exclusion s'avère structurelle et non conjoncturelle. Elle est en effet inhérente à notre développement, une donnée que la politique du logement et du traitement des exclus a à prendre en compte. Les très grands exclus doivent être considérés comme des citoyens à part entière.

Bien entendu, cette situation n'est pas spécifique à la France. Dans les villes, nous sommes toujours des étrangers les uns par rapport aux autres.

Si la loi DALO est difficile à mettre en oeuvre en raison des nombreux acteurs qu'elle implique, elle nous permettra de sortir des schémas datés, dans lesquels nous sommes enfermés depuis la fin de la seconde guerre mondiale, et de réfléchir à la promotion d'un type de société différent.

M. Guy FISCHER - La loi DALO est-elle applicable selon vous ?

M. Xavier EMMANUELLI - Elle sera applicable à terme.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Les auteurs de la loi DALO avaient pour objectif de renverser les problématiques. La sphère politique devait en effet retrouver sa primauté par rapport aux lois du marché. Ainsi, le déterminisme économique et financier ne devait plus être considéré comme supérieur à l'intérêt général et le primat de l'être humain et de la société devait être affirmé. Mais ce renversement de principe ne peut pas intervenir du jour au lendemain. Les promoteurs du droit au logement opposable se heurtent donc à des obstacles importants.

M. Christian DEMUYNCK, Président - M. le Ministre, M. le secrétaire général, je vous remercie pour toutes ces informations.

M. Xavier EMMANUELLI - M. le Président, nous sommes très honorés d'être intervenus devant cette Mission commune d'information sur la lutte contre la pauvreté et l'exclusion.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page