Audition de Mme Françoise BERNON, responsable du développement de l'activité de placement en France de Manpower Egalité des chances - (13 mai 2008)

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Mes chers collègues, nous accueillons Mme Françoise Bernon, responsable en France du développement de l'activité de placement de Manpower Egalité des Chances. Je la remercie d'avoir bien voulu participer à cette audition qui se tient dans le cadre de notre mission d'information pour les politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion.

Avant de donner la parole à mes collègues, je propose que vous nous présentiez brièvement les activités de Manpower et, plus précisément, celles de Manpower Egalité des Chances.

Mme Françoise BERNON - Je vous remercie de m'avoir invitée à cette mission sur la lutte contre la pauvreté et l'exclusion. Je suis Mme Françoise Bernon, responsable de l'activité de placement à Manpower depuis trois ans, société aujourd'hui impliquée dans la filiale Egalité des Chances. Avant de travailler dans cette entreprise, j'ai dirigé à Paris, durant treize ans, une entreprise d'insertion. J'ai rencontré M. Bernard Seillier à cette occasion. J'ai, par ailleurs, une double formation : une formation en ressources humaines et une formation sociale. J'ajoute enfin que je dirige l'activité « Placement » de Manpower depuis trois ans.

Depuis la loi de cohésion sociale, dite loi Borloo, cette entreprise s'ouvre à de nouveaux secteurs. Elle n'est plus seulement une entreprise de travail temporaire. C'est ainsi qu'elle développe, depuis quatre ans, deux activités : le recrutement en CDI et CDD et le placement de personnes, métier dont je m'occupe et consistant, de fait, en l'accompagnement d'individus peinant à trouver un emploi.

Mme Françoise Gri, présidente de Manpower France depuis plus d'un an, appelle de ses voeux la refondation de Manpower. Nous menons désormais, en effet, une réflexion globale autour de l'emploi. Nous souhaitons répondre à la difficulté de mettre en relation des entreprises qui peinent à recruter et des personnes qui ne réussissent pas à trouver un emploi. Pour ce faire, nous nous interrogeons sur la manière dont cette connexion peut être établie et, plus largement, sur la façon de répondre aux questions que se posent les entreprises dans leur processus de recrutement. Nous intervenons aussi bien au niveau des grosses entreprises que des PME. Ces dernières sont-elles aussi confrontées à des problématiques concernant le recrutement et la formation des salariés.

Dans le cadre de cette refondation, il nous a paru important que l'activité de placement de personnes ne sorte pas du cadre de Manpower France, d'un point de vue juridique et en termes de communication. Une filiale a donc été créée pour développer ce métier. Cette nouvelle structure témoigne de notre volonté de mettre en lumière cette activité et de nous y investir pleinement.

La filiale, dont je suis la directrice, est présidée par M. Robert Gellal. Elle prend en charge l'ensemble de l'activité de placement de Manpower en assurant un accompagnement particulier et individuel des personnes ayant des difficultés à trouver un emploi.

Nous sommes présents dans vingt départements. Nous collaborons beaucoup avec les conseils généraux pour aider les allocataires du RMI à se remettre au travail. De plus, nous préparons, avec le ministère de l'emploi, un programme concernant les jeunes diplômés. Nous sommes amenés à réaliser des expériences inédites. Je pense, par exemple, à celle que nous avons conduite pour redonner du travail à des pompiers volontaires et au projet mené en lien avec un IUT et ayant pour objet de permettre à des étudiants de décrocher rapidement un travail après l'obtention de leur diplôme. Nous sommes impliqués également dans des initiatives s'adressant à des personnes sortant de prison après avoir été condamnées à de courtes peines. 80 % de ce public récidive rapidement, faute de trouver un travail.

Nous avons répondu, par ailleurs, à l'appel d'offres relatif au contrat d'autonomie, lequel a été lancé dans le cadre du Plan banlieues et vise à accompagner les jeunes des quartiers qualifiés de ZUS vers un emploi et une formation qualifiante susceptible notamment de les encourager à créer une entreprise.

Cette petite introduction a pour but de vous présenter les sujets sur lesquels nous travaillons. L'idée forte de notre refondation ne s'inscrit pas uniquement dans une démarche de communication de notre part. Vous pourriez supposer qu'une grosse entreprise comme Manpower s'est lancée dans l'activité de placement de personnes uniquement à des fins de marketing. Mais il n'en est rien. Nous nous investissons réellement dans ce domaine. Nous y réalisons des choses concrètes. Je pourrais ainsi vous présenter de manière détaillée l'activité qui est la nôtre auprès des conseils généraux. Nous travaillons énormément avec eux.

L'engagement de Manpower est concret. Cette entreprise a créé une filiale et a investi les moyens nécessaires afin de permettre à des publics en insertion d'obtenir un emploi. Nous ne participons pas à une démarche de communication.

Les entreprises de travail temporaire conduisent beaucoup d'analyses pour savoir comment évoluera l'emploi en France. Nous savons qu'à l'avenir, il sera nécessaire d'améliorer cette fameuse connexion entre les personnes éloignées du travail et les besoins des entreprises en matière de recrutement.

Nous nous consacrons à ce sujet depuis plus de trois ans. Nous savons, par expérience, que beaucoup de personnes sans emploi se trouvent en capacité de travailler, mais souffrent d'un manque d'accompagnement, de réseau et de ressources, d'isolement et d'une méconnaissance du monde de l'entreprise ; leurs difficultés persistantes à décrocher un emploi ayant tendance à les enfermer dans une spirale négative et à les pousser à devenir de moins en moins dynamiques dans leur recherche de travail.

Je n'en ai pas parlé pour l'instant. Mais les personnes que nous accompagnons, notamment les jeunes de banlieue, peuvent être victimes en plus de discrimination, correspondant à une forme d'exclusion.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Merci, Madame, pour cette présentation. Je passe maintenant la parole à M. Bernard Seillier, rapporteur. Il a sans doute quelques questions à vous soumettre.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Certains d'entre vous connaissent peut-être Mme Françoise Bernon. Elle a été notre invitée dans cette même salle à l'occasion de la sortie d'un film, Bénéfice humain , ayant pour sujet une imprimerie d'insertion dans laquelle elle travaillait. Elle jouit donc d'une double expérience. Elle connaît en effet à la fois le monde de l'insertion et celui de l'entreprise privée représentée par Manpower. Un tel parcours lui permet de bien appréhender le sujet dont il est question ici.

Madame, quelles méthodes et moyens employez-vous dans vos fonctions actuelles pour lutter contre l'exclusion et la pauvreté ? Quelles observations avez-vous été amenées à faire dans le cadre de vos responsabilités ? Quelles leçons tirez-vous de votre expérience chez Manpower ? Convient-il de recentrer les actions menées aujourd'hui ? Quelles sont-elles ? Quels sont les instruments que vous employez ? Sur quelle philosophie générale votre action repose-t-elle ? Existe-t-il des procédés obsolètes et des outils inefficaces ? Nous sommes en quête de réflexions susceptibles de nous aider à formuler des propositions utiles.

Votre propos nous intéresse du fait de vos anciennes responsabilités à la tête d'une entreprise d'insertion et des fonctions que vous occupez actuellement au sein de Manpower, entreprise dont l'évolution attire notre attention. Quelle est votre analyse de la situation sociale en France et quels en sont les déterminants structurels et conjoncturels ? Nous cherchons à savoir jusqu'où nous devons aller dans la remise en cause de certaines méthodes et instruments d'analyse. Merci.

Mme Françoise BERNON - Ce qui m'a intéressée dans la direction d'une entreprise d'insertion est d'avoir procédé, à petite échelle, au rapprochement de l'économie et du social. Je parle de petite échelle car il s'agissait d'une PME de vingt-trois personnes dont la finalité n'était pas d'assister les personnes en difficulté, mais de les accompagner dans leur recherche d'emploi en leur faisant signer des contrats de travail. Les individus qu'elle soutenait devaient ainsi s'investir pour obtenir un salaire à la fin du mois.

Manpower, dans son activité de placement, se rapproche des publics avec lesquels j'ai travaillé par le passé. En effet, les analyses menées par ses spécialistes montrent que le marché du travail aura besoin de ces salariés potentiels que représentent les personnes en situation d'exclusion. Pour permettre à ces dernières de trouver du travail, nous proposons des solutions originales qui divergent de celles traditionnellement mises en oeuvre par les acteurs publics. Par exemple, il est généralement attendu des services sociaux qu'ils prennent en charge tout ce qui relève de l'insertion. Il leur a ainsi été demandé d'aider les personnes dont ils s'occupent à trouver un emploi. Or il se trouve que la plupart des travailleurs sociaux ne connaissent pas le monde de l'entreprise. Ils ne savent pas en parler, et ils en ont parfois peur. Je donnerai quelques anecdotes très intéressantes à ce sujet dans quelques instants.

L'approche de Manpower est industrialisée. Il ne s'agit pas d'une PME. Cette société repose sur une organisation pertinente et performante et est rémunérée en fonction de ses résultats. Par conséquent, elle est tenue de rechercher une certaine efficacité. Le mode de fonctionnement de l'entreprise lui-même l'y incite. Pour atteindre ses objectifs, elle a développé une méthode spécifique, l'empêchant d'accompagner tous les publics en recherche d'emploi. En effet, un certain nombre d'individus sont confrontés à des problématiques sociales telles que nous ne saurions leur venir en aide. Nos actions ne conviennent pas à un certain nombre de personnes. Il n'en reste pas moins qu'une proportion significative de personnes ayant du mal à décrocher un travail sont souvent à même d'exercer une activité salariée. Il faut que l'occasion leur en soit donnée.

Ces candidats au recrutement ont besoin d'accompagnement. Nous pensons, au sein de Manpower Egalité des Chances, qu'il faut leur mettre le pied à l'étrier et éviter de leur dispenser, à répétition, des cours de technique de recherche d'emploi, consistant notamment à leur apprendre à bien présenter un curriculum vitæ . Ces gens demandent à travailler. Nous devons répondre à cette requête.

Notre manière de procéder repose sur le modèle de la pyramide de Maslow, selon lequel nous aidons le chercheur d'emploi à se construire un parcours qui lui permettra de valoriser son expérience et son profil et d'accéder, à terme, à un CDI. Par conséquent, nous n'entamons pas notre collaboration avec lui en lui offrant pareil contrat. Nous commençons par lui proposer des missions de travail temporaire. Manpower est bien placée pour agir dans ce domaine.

Certaines des personnes que nous suivons seront directement engagées sur la base d'un CDD ou d'un CDI. Mais la grande majorité d'entre elles a besoin d'une préparation préalable à une embauche dans la durée, leur discours et leurs motivations étant souvent en décalage par rapport à la réalité de leur parcours. Les chercheurs d'emplois qui manifestent la volonté de trouver un travail savent généralement qu'ils ont, en face d'eux, des acteurs incapables de les aider à s'insérer professionnellement. Or Manpower Egalité des chances ne fait pas partie de ceux-là. Nous proposons très vite aux candidats que nous recevons une activité salariée. Cette manière de procéder nous permet très vite de voir si leur volonté de travailler est manifeste et quelles sont leurs compétences.

La deuxième étape de notre accompagnement intervient lorsque nos interlocuteurs ont retrouvé un travail. Elle vise alors à surmonter de nouveaux obstacles qui apparaissent sur le chemin de leur insertion, les personnes ayant retrouvé un emploi s'apercevant parfois qu'il n'est pas facile de faire preuve de mobilité, de respecter des horaires, d'accepter l'autorité d'un patron, de se soumettre à des ordres et de poser les bonnes questions. Pour surmonter ces blocages, nous analysons avec elles les missions qu'elles effectuent, notre objectif étant de conforter leur projet professionnel en l'amendant au besoin. Nous voulons préserver et renforcer leur envie de travailler. Ainsi, nous cherchons la manière de tirer profit des périodes d'emploi dont elles bénéficient. Par ailleurs, nous mesurons quels sont les écarts entre leur projet, tel qu'elles le formulent, et ce qu'elles font sur le terrain. Il s'agit pour nous de prendre en compte la manière dont elles se comportent dans le cadre des missions que nous leur proposons. Nous aurions pu procéder à une évaluation de leur expérience professionnelle en amont. En effet, nous disposons des outils nécessaires pour identifier très rapidement les qualités et les compétences de nos interlocuteurs. Mais il nous semble plus fructueux de les juger au travers des missions que nous leur confions.

Par conséquent, nous accédons très rapidement à la demande des chercheurs d'emploi de travailler aussi vite que possible. Dans le cadre de nos démarches d'accompagnement, nous pouvons être amenés à revoir avec eux leur curriculum vitæ ou à recourir à d'autres méthodes. Toutefois, ces mesures n'interviennent que dans un second temps. En effet, l'urgence, pour nous, est de leur trouver une mission rémunérée. C'est en cela que nous nous distinguons principalement des services sociaux pour lesquels, bien souvent, nous proposons des missions temporaires aux personnes que nous accompagnons trop rapidement. Un de leurs représentants m'a déclaré un jour que demander aux personnes que nous suivons de se lever à sept heures du matin relève de l'esclavage.

Concernant le RMI, nous travaillons beaucoup avec les bénéficiaires de cette prestation sociale. Or il apparaît que l'organisation du système, en imposant à tout allocataire du RMI de passer par un travailleur social pour élaborer son projet professionnel ou son contrat d'insertion, fait de lui une personne confrontée à des problèmes sociaux l'empêchant d'entamer toute recherche d'emploi. Or cette vision n'est pas toujours vraie. Ainsi, un jeune diplômé ou un ancien gérant d'entreprise titulaire du RMI ne souffre pas nécessairement de handicaps sociaux. Les profils des bénéficiaires de cette prestation sociale sont très différents. Les catégories de personnes dont je viens de vous parler ne rencontrent pas de problèmes sociaux disqualifiants. Nous ne devrions pas les traiter comme s'il en était autrement.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur- Vous permettez à vos interlocuteurs de bénéficier très rapidement d'une activité salariée. Mais comment les suivez-vous lorsqu'ils ont intégré leur lieu de travail ? Comment l'accompagnement que vous dispensez s'organise-t-il?

Mme Françoise BERNON - Lorsque nous accompagnons une personne dans ses démarches de recherche d'emploi, nous signons un contrat avec elle sur la base d'un engagement réciproque. Nous nous engageons à lui offrir un certain nombre de moyens et de garanties. De son côté, le demandeur d'emploi accepte de répondre aux attentes qui sont les nôtres. Le contrat est signé avec un unique conseiller emploi. Les personnes prises en charge sont toujours en lien avec la même personne. Cette dernière suit individuellement chacun de ses interlocuteurs.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - De combien de référents disposez-vous par personne suivie ?

Mme Françoise BERNON - Chaque référent peut s'occuper de 30 à 50 personnes. Ce dernier chiffre est atteint quand les individus pris en charge sont en mission ou sous contrat. En début d'action, un conseiller peut travailler avec 30 demandeurs d'emplois différents. Comme référent, il suivra de plus en plus de personnes au fil du développement de l'activité de la cellule locale de Manpower Egalité des chances. Par ailleurs, lorsque les personnes effectuent un travail temporaire, leurs employeurs nous indiquent quelle a été la qualité de leur travail. Il est important de noter que le conseiller emploi est toujours en contact avec la personne avec laquelle il collabore. Il la voit au moment de la signature de son contrat d'embauche ainsi qu'en fin de mission. Il bénéficie ainsi du ressenti du chercheur d'emploi. La relation est constante entre les référents et les individus pris en charge.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Vous êtes donc des tuteurs en entreprises ?

Mme Françoise BERNON - Non. Le suivi dont je vous parle est systématiquement opéré par une entreprise comme la nôtre, qu'il concerne un individu ayant du mal à trouver un emploi ou pas. Ainsi, quand une personne avec laquelle nous collaborons part en mission, un suivi qualité de son parcours est effectué.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Je suis complètement ignorant des méthodes que vous nous présentez.

Mme Françoise BERNON - Nous demandons à la fin de toute mission que l'entreprise note la personne qui l'a effectuée. Cette évaluation porte sur les performances professionnelles et comportementales de l'individu.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Cette notation est-elle effectuée selon une grille propre à Manpower ?

Mme Françoise BERNON - En effet.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Pourriez-vous nous la présenter ?

Mme Françoise BERNON - Je vais demander s'il m'est possible de vous la communiquer.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - S'agit-il d'un secret d'Etat ?

Mme Françoise BERNON - Nullement. Simplement la réponse à votre question n'est pas de mon ressort.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Il serait intéressant pour nous d'avoir cette grille.

Mme Françoise BERNON - Je vais demander au service qualité de l'entreprise s'il nous est possible de vous la communiquer.

Le système que je viens de vous présenter nous permet de disposer d'une évaluation constante de la personne que nous accompagnons. Si un problème est relevé par l'employeur, il le fait savoir à notre agence. L'intérêt des missions que nous proposons réside donc dans le suivi du demandeur d'emploi qu'elles entraînent. Cependant, ce suivi ne peut avoir lieu que si celui sur lequel il s'exerce bénéficie de ce que nous appelons un « rebond régulier » ; c'est-à-dire la possibilité pour une personne d'enchaîner les contrats en alternance. Si tel est le cas, nous considérons qu'elle est engagée dans une dynamique en termes d'emploi, devant le conduire à signer un CDD ou un CDI. Par conséquent, en l'accompagnant, nous pouvons permettre à un individu d'améliorer ses démarches de recherche d'emploi, de ne plus être isolé et d'être constamment recadré dans ses initiatives grâce au conseiller emploi.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Un bilan de compétences est-il effectué dès le début de la prise en charge des personnes que vous acceptez de suivre. Opérez-vous une sélection des gens que vous souhaitez accompagner parmi ceux qui se présentent à vous ? Quels instruments utilisez-vous pour évaluer les personnes en demande d'emploi ? Eliminez-vous certaines candidatures ?

Mme Françoise BERNON - Un premier tri est effectué parmi les candidats par le conseil général ou donneur d'ordre. En effet, tous les départements prennent en charge les allocataires du RMI dans le cadre de leurs activités sociales. Certains conseils généraux sont confrontés essentiellement à des populations en proie à des handicaps sociaux. Ils ont alors besoin d'accompagnement dans ce domaine. D'autres ont opté pour une démarche proche de la nôtre et axée sur l'insertion professionnelle. Pour travailler avec nos services, ils doivent nécessairement accomplir une sélection préalable des chercheurs d'emploi, dont ils souhaitent nous confier le placement.

Nous attendons d'avoir les personnes désireuses de se faire embaucher en face de nous pour procéder à un premier diagnostic de leur situation. Ce travail a pour but de mettre en évidence quels sont les freins à leur embauche et les leviers disponibles sur lesquels il est possible d'agir pour leur permettre de s'insérer professionnellement, si elles sont mobiles, ont envie de travailler, souffrent d'handicaps, liés notamment à des problèmes familiaux lourds, si leurs projets coïncident avec leurs expériences professionnelles et enfin si elles sont titulaires de diplômes susceptibles d'être valorisés.

Cette première phase nous permet de voir s'il nous est possible de trouver un emploi à la personne située en face de nous. En cas de réponse positive, nous signons avec elle un contrat d'engagement. Dans le cas contraire, par exemple s'il apparaît que notre interlocuteur ne veut ou ne peut pas travailler ou a trois enfants et ne dispose d'aucun moyen de locomotion, nous refusons de l'aider. Cependant, ce refus n'a rien de définitif.

La deuxième étape de notre travail auprès du demandeur d'emploi nous conduit à utiliser des outils propres à Manpower. Il s'agit d'instruments professionnels, qui ont été préparés pendant des années grâce à nos relations avec les employeurs et les entreprises et nous permettent d'analyser la pertinence d'un projet individuel, en fonction des grandes lignes de métiers existants. L'enquête que nous menons porte sur la personnalité et les qualités de la personne suivie. Je ne peux pas entrer dans les détails du sujet car je n'en suis pas une spécialiste. Toutefois, notre méthode consiste à comparer, au travers de tests, le profil idéal défini par une entreprise pour une famille de métiers spécifiques à celui du candidat reçu. Bien entendu, l'objectif n'est pas de trouver une personne conforme en tout point à celle recherchée par nos clients, mais de leur en présenter une répondant en gros à leurs souhaits et d'aider celle-ci à combler ses éventuelles lacunes, par exemple son manque de concentration, de dextérité ou de compréhension. Nous basons notre approche sur des actions et des faits concrets.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Vous aidez donc vos interlocuteurs à résoudre un certain nombre de leurs difficultés.

Mme Françoise BERNON - En effet. Nous pouvons les inciter à revoir leur projet professionnel. Tout dépend des résultats de leurs tests et de l'analyse qui en découle.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Considérez-vous qu'il est de votre devoir d'aider une personne à trouver un emploi lorsqu'elle s'adresse à vous ? Visez-vous la satisfaction des entreprises ou celle des individus à la recherche d'un travail ?

Mme Françoise BERNON - Nous sommes le contraire d'une agence de travail temporaire, laquelle se contente de répondre aux besoins des entreprises et ne sait pas faire ce que nous faisons. C'est la raison pour laquelle nous avons créé un métier différent au sein de notre nouvelle filiale. Notre démarche consiste à obtenir un emploi aux personnes qui souhaitent travailler et s'adressent à nous dans ce but. Evidemment, nous nous appuyons pour agir sur la force de frappe de Manpower, présente sur tous les bassins d'emplois et en lien avec de très nombreuses entreprises. Nous nous reposons sur elle. Notre activité a pour but de remettre un individu au travail et, de fait, de l'accompagner dans la construction de son projet professionnel, même s'il a besoin de transiter par d'autres agences telles qu'Adecco et Vedior pour le réaliser. Imaginons qu'un concurrent de Manpower ait besoin d'une personne dans le domaine médical, je pourrais très bien lui présenter un candidat si je cherche à en faire recruter un correspondant au profil recherché. Je ne cherche pas obligatoirement à placer les gens dans le cadre de mon entreprise. Je ne fais qu'utiliser sa force de frappe pour répondre aux demandes qui me sont soumises.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Je voudrais vous poser deux questions. Tout d'abord, quelle est la différence entre votre structure et les ADAPEI ? Vous semblez poursuivre les mêmes objectifs, utiliser les mêmes outils, vous occuper des mêmes profils de candidats et signer les mêmes types de conventions avec les collectivités locales.

Par ailleurs, concernant votre filiale, quels sont ses différents atouts et aussi ses points faibles qu'elle doit corriger pour optimiser les conventions que vous avez passées avec l'ensemble de vos partenaires ?

Mme Françoise BERNON - Pardonnez-moi, Madame, je n'ai pas compris votre dernière question.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Je fais référence aux conventions que vous avez signées avec l'ensemble de vos partenaires : ANPE, conseils généraux et conseil régionaux. Quels sont leurs points faibles et ce qu'il faudrait entreprendre pour les optimiser, y compris par voie législative ?

M. Guy FISCHER - Il est étonnant de voir de grands groupes mondiaux prendre aujourd'hui en charge le traitement de l'exclusion. Il s'agit d'un phénomène nouveau. Ainsi, la plupart des conseils généraux lancent des appels d'offre pour accompagner ce qui constitue peut-être l'essentiel de votre clientèle, à savoir les RMistes et les allocataires des minima sociaux. Il en va de même pour l'Etat. Ma question est donc la suivante : savez-vous mieux faire ce travail que les personnels des départements qui ne disposent pas de formation particulière pour accompagner les chercheurs d'emploi ?

Une autre interrogation se présente à mon esprit. En effet, les conseils généraux et l'Etat visent à atteindre des objectifs précis. Il s'agit, par exemple, de faire baisser le nombre des bénéficiaires du RMI. Or cette volonté est à l'origine de la démarche ayant conduit à la création du RSA. Etes-vous impliqués dans sa mise en place ?

Par ailleurs, les contrats d'autonomie concernant les ZUS constituent l'un des autres outils dont l'Etat s'est doté pour agir. 45 000 de ces contrats seront signés dans une période de cinq ans. Ils représentent pour vous des parts de marché potentielles dans le domaine de l'aide à la personne. Il y a sans doute là un gisement que vous pourriez exploiter.

Vous êtes rémunérés en fonction des contrats que vous réussissez à obtenir aux personnes que vous placez. Je me demande donc si vous prenez en charge les individus qui vous sollicitent de leur propre chef ou, au contraire, uniquement les demandeurs d'emplois qui s'inscrivent dans le cadre des conventions que vous avez signées avec les collectivités territoriales, en particulier les départements, et l'Etat. En effet, comme je peux le constater au sein de ma propre collectivité, la rémunération de votre travail fait débat au sein des départements. Les conseils généraux sollicitent sans cesse davantage Manpower, Adecco, Vedior, et toutes les grandes entreprises du travail temporaire. Par conséquent, je me demande quelles sont les relations que vous entretenez avec votre donneur d'ordres, s'agissant notamment de vos obligations de résultat.

Aujourd'hui, l'attitude des départements a changé. Ceux-ci se tournent de plus en plus vers de grands groupes comme le vôtre. Ils attendent de votre action des résultats pour réduire les versements d'allocations. Toutes mes interrogations sont donc sous-tendues par une autre, ayant trait à la nature des publics auxquels vous vous adressez : n'êtes-vous pas conduits à ne prendre en charge que les candidats les plus facilement employables et à laisser les autres sur le bord du chemin ?

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Merci M. Fischer. Je donne la parole à M. Jean-François Humbert.

M. Jean-François HUMBERT - Merci Mme la Présidente. Je ne souhaite pas réellement poser une question. Mon intervention s'inscrit dans la continuité de ce qui a été dit par les uns et les autres. En effet, je voudrais vous décrire en quelques mots notre voyage en Côte-d'Or, qui a eu lieu la semaine dernière. Je souhaite rassurer Mme Bernon. Les conseils généraux sont en train d'évoluer. Ainsi, le département de Côte-d'Or auquel nous avons rendu visite cherche à donner très rapidement un emploi aux personnes souffrant d'exclusion et, en particulier, les individus ayant connu une longue période de chômage. Il s'agit d'un fait important. En effet, nous considérons trop souvent que les départements s'inscrivent dans une logique sociale. Ce que fait le conseil général de Côte d'Or apporte un démenti à ce préjugé. Certains départements ont commencé à évoluer en estimant qu'il est nécessaire de remettre les gens au travail.

Mme Françoise BERNON - J'en viens au sujet des ETTI. Manpower n'intervient pas dans le cadre de la politique de l'IAE. En effet, cette entreprise n'est ni une ETTI, ni une AI. Nous n'avons pas passé de convention avec la DTTE et ne sommes donc pas financés par cette institution. Vous pourriez supposer que les activités des ETTI sont proches de celles de la filiale Egalité des chances de Manpower. Or ces ETTI représentent des agences de travail temporaire. A ce titre, elles recrutent des personnes qui leur sont adressées par l'ANPE dans le cadre de conventions signées avec cette dernière. Ainsi, les candidats qu'elles accueillent sont considérés comme étant en difficulté. Elles leur proposent des missions de travail temporaire pour les aider dans leur vie personnelle.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Poursuivent-elles la même démarche que la vôtre ? Quelles différences y a-t-il dans vos manières de procéder et de concevoir vos actions ?

Mme Françoise BERNON - La première différence notable porte sur le financement. Nous n'avons pas passé de convention avec le secteur public. En conséquence, celui-ci ne nous finance pas.

La deuxième différence est que nous faisons appel au travail temporaire en fonction du projet de la personne que nous accompagnons. Notre objectif consiste à permettre aux individus de se remettre au travail, si possible, directement par le biais d'un CDI, autrement au travers d'un CDD. Nous analysons le projet du candidat et utilisons éventuellement des missions de travail temporaire pour l'aider à le réaliser.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Vos objectifs et moyens sont identiques à ceux des ETTI. En effet, le but de l'entreprise de travail temporaire et d'insertion est d'aider les chercheurs d'emplois à trouver un travail et non pas à les garder en interne pour leur faire accomplir des missions. Il est d'utiliser les contrats temporaires pour donner la possibilité aux candidats d'obtenir un CDD durable ou un CDI. Ces établissements travaillent en tenant compte du projet professionnel des personnes qu'ils prennent en charge. Le poste d'accompagnant financé par les collectivités au profit des ETTI est donc un poste d'accompagnant à l'emploi.

Mme Françoise BERNON - Je connais très bien les ETTI. Mais votre question portait sur les différences qui existent entre nos deux types d'entreprises. Or la première distinction à mentionner est que Manpower Egalité des chances n'est pas conventionné par la DTTE. La seconde est que notre métier ne revient pas à proposer à nos interlocuteurs uniquement des missions de travail temporaire. Une ETTI recrute les personnes qu'elle suit au travers de CDD. Elle n'a pas pour but de les faire accéder à des CDI.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Je ne suis pas d'accord avec vous. En effet, une ETTI a pour objet de faire sortir les chercheurs d'emplois de leur situation de précarité, de leur faire bénéficier de CDI ou de formations, en fonction des problèmes qu'ils rencontrent. Il se trouve que j'ai dirigé une de ces entreprises entre 1990 et 2005. Je suis donc certaine de ce que j'avance.

M. Jean-François HUMBERT - Etait-ce en France ou en Espagne ?

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - L'entreprise était basée au pays basque. Les ETTI datent de la loi de 1993.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Toutes les ETTI poursuivent-elles les mêmes missions que celles que vous dirigiez ?

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Leurs missions peuvent peut-être varier. Cependant, elles ont toutes pour objectif d'insérer les gens professionnellement. Telle est la raison pour laquelle elles sont financées par la délégation du travail. Elles ne constituent que des intermédiaires entre le chercheur d'emploi et les entreprises recruteuses.

Mme Françoise BERNON - Nous sommes d'accord. Mais, à ma connaissance, leur outil privilégié réside dans la mission de travail temporaire.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Il ne s'agit pour elles que d'un instrument d'évaluation.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Que se passe-t-il si un CDI est proposé à l'un des demandeurs d'emploi que l'ETTI accompagne ?

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Dans cet heureux cas de figure, la personne est recrutée et quitte le dispositif d'accompagnement de l'ETTI qui a alors atteint ses objectifs. En effet, ce type d'établissement est évalué en fonction du nombre de personnes qu'il parvient à faire recruter. Notons que l'ANPE signe avec lui des conventions de deux ans pour les candidats qu'il prend en charge et dans lesquelles figurent un certain nombre d'exigences. Ces requêtes doivent permettre une évaluation du travail mené par l'ETTI, le chercheur d'emploi pouvant sortir du dispositif d'accompagnement un mois comme deux ans après y avoir accédé. Dans tous les cas, un rapport d'évaluation concernant le travail accompli par l'agence est remis à l'ANPE. L'objectif est que la personne quitte le système d'accompagnement à l'emploi le plus rapidement possible.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Que se passe-t-il si elle ne le quitte pas ?

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Une personne peut bénéficier du dispositif d'accompagnement de l'ETTI pendant une durée de deux ans maximum.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - La personne est-elle condamnée à se débrouiller par elle-même par la suite ?

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Oui.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Si j'ai bien compris, l'ETTI n'a pas démérité si elle a accompagné un chercheur d'emploi pendant deux ans en lui proposant des missions de travail temporaire.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - En effet. L'objectif de l'ETTI consiste à réinsérer les personnes dans le milieu du travail. Madame, je vous prie de bien vouloir m'excuser pour cette parenthèse.

Mme Françoise BERNON - Je vous en prie. Les financements des ETT leur sont directement versés pour procéder à l'accompagnement des personnes en difficulté. Manpower ne se trouve nullement dans ce cas de figure. Notre entreprise répond à des appels d'offres et n'est pas positionnée sur le marché du travail temporaire. Notre métier se situe en amont de cette activité. Nous recherchons des emplois adaptés aux candidats qui nous sont adressés et qui peuvent s'apparenter à des missions de travail temporaire ou s'inscrivant dans la durée. En effet, nous ne recourrons pas systématiquement à des contrats de court terme. En tout état de cause, notre rémunération correspond au fruit des résultats que nous obtenons. Nous ne sommes pas rétribués pour l'accompagnement que nous menons au profit des personnes en mal d'insertion. Les sommes que nous percevons à ce titre sont très faibles. Contrairement à une ETT ou une ETTI, notre agence est payée en fonction de son rendement.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Madame, quelles sont les contraintes que vous rencontrez dans votre activité, sachant que vous êtes financés sur la base de vos performances ? Comment vos résultats sont-ils évalués ? Le sont-ils lors du recrutement de la personne que vous accompagnez ou quelques années plus tard ? En effet, le type de public auquel vous vous adressez se distingue par son instabilité. Il est difficile de l'inscrire dans un emploi à long terme.

Mme Françoise BERNON - Dans le cadre des marchés publics auxquels nous répondons, il nous est généralement demandé de suivre les personnes que nous accompagnons jusqu'au terme des six premiers mois suivant leur embauche. Les ETT ne sont pas soumises à cette obligation. Contrairement à elles, nous continuons d'accompagner les individus après leur recrutement, quel que soit le type de contrat dont ils bénéficient (mission de plus de six mois ou CDI). Nous devons attester du fait que les personnes dont nous nous occupons sont encore au travail au bout de six mois.

L'analyse selon laquelle les vingt-quatre premières semaines suivant l'embauche représentent une période critique est juste. Si, pendant ce délai, le bénéficiaire du dispositif respecte son contrat de travail, alors tout devrait bien se passer pour lui par la suite.

La deuxième raison pour laquelle ce laps de temps a été retenu pour juger de notre action est que l'allocation du RMI n'est plus versée après six mois d'activité dûment rémunérée.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Travaillez-vous avec ces organismes ?

Mme Françoise BERNON - Nous travaillons avec eux. Je viens du secteur de l'IAE. J'appartenais au Comité national des entreprises d'insertion.

M. Bernard SEILLIER, Rapporteur - Mme Françoise Baron était la trésorière du Comité national des entreprises d'insertion.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - J'en prends note.

Mme Françoise BERNON - Les ETT constituent des partenaires avec lesquels je travaille énormément.

J'en viens maintenant aux points faibles des conventions. La grande difficulté que nous rencontrons aujourd'hui consiste à accomplir le suivi que nous devons à nos clients. En effet, chaque département a des exigences en la matière. Nous tentons d'informatiser les procédures pour le recueil et l'analyse des données, les consultants et les conseillers emploi qui accompagnent les personnes en recherche de travail devant pouvoir se reposer sur un système automatisé, prompt à fournir des informations statistiques pertinentes. Or ce qu'on nous demande d'évaluer varie fortement d'un conseil général à l'autre. Nous sommes donc sans cesse obligés de réinventer nos outils de collecte d'informations.

Les conseils généraux nous soumettent souvent des demandes cohérentes entre elles. Je songe notamment à leur souhait d'avoir un suivi des personnes en recherche d'emploi pendant les six mois suivant leur entrée dans un emploi stable. Par contre, il n'y a aucune uniformité dans leurs attentes en matière de reporting. Chacun d'eux souhaite bénéficier de son propre tableau. L'un le veut construit par ITS, un autre par bassin d'emploi. Cette situation nous oblige à effectuer un travail de suivi extrêmement conséquent. Quand nous accompagnons cinquante personnes, nous pouvons répondre à de telles demandes hétérogènes. Mais il n'en est plus forcément de même lorsque nous avons à prendre en charge 500 ou 1 000 individus.

Il est naturel que des statistiques nous soient réclamées sur le nombre de personnes que nous avons reçues, leur profil, leur niveau de qualification, etc. Cependant, les conseils généraux, en matière de suivi, ont des exigences et des outils de reporting très variés. Nous sommes donc obligés d'utiliser des tableaux Excel, parallèlement à notre outil informatique spécifique.

Les marchés publics nous posent une deuxième difficulté. Elle concerne leur durée d'attribution. Nous pouvons en effet remporter un marché pour une durée d'un an, puis, les procédures d'appel d'offres étant compliquée, attendre longtemps avant qu'il ne donne lieu à un nouvel avis de passation, en particulier si le conseil général avec lequel nous travaillions a vu ses responsables administratifs changer. Du coup, nous pouvons être amenés à dissoudre des équipes très rapidement. Cette situation ne favorise pas un travail dans la durée.

Dans les départements où nous intervenons depuis trois ans, nous réussissons à obtenir des résultats très satisfaisants, dont nous ne pouvons pas nous enorgueillir dans ceux où notre action est limitée dans le temps. A Manpower, nous ne pratiquons pas le bénévolat. S'il n'y a plus de marché, nous ne travaillons plus.

M. Guy FISCHER - Ce que vous dites est vrai pour tout le marché de la formation professionnelle. Aujourd'hui, les petites structures qui y avaient pied volent en éclats. Nous sommes témoins d'une restructuration totale du secteur, dans lequel des entreprises de très grande taille comme la vôtre prennent place.

Mme Françoise BERNON - Nous sommes plus solides que les petites entreprises. Par conséquent, lorsque nous y sommes contraints, nous réussissons à nous maintenir, pendant quelques temps, sur un territoire en attendant que les activités reprennent. Notre implantation locale peut avoir de nombreux avantages. Ainsi, dans les départements où nous sommes installés depuis trois ans, les personnes que nous recevons et accompagnons dans leurs démarches d'insertion professionnelle sont celles qui sont le plus proche de l'emploi.

M. Guy FISCHER - Vous bénéficiez donc du haut du panier.

Mme Françoise BERNON - Je l'espère. Je suis là pour permettre aux personnes les plus aptes à avoir une activité salariée d'obtenir un travail.

M. Guy FISCHER - Vous nous avez indiqué qu'un tri préalable, parmi les personnes qui souhaitent s'adresser à vous, est effectué par les services départementaux.

Mme Françoise BERNON - En effet. Nous nous apercevons cependant que ce tri n'est pas toujours pertinent. Notre but est d'insérer professionnellement, et le plus rapidement possible, ceux qui peuvent l'être. Nous savons que le nombre d'allocataires du RMI diminue actuellement partout en France. Or les marchés dans lesquels nous sommes positionnés augmentent en même temps. Ainsi, dans un département, nous avons été amenés à suivre 110 personnes, puis 350 personnes et aujourd'hui 650. En fait, plus le temps passe et plus nous avons à nous occuper de gens difficilement employables. Le nombre d'allocataires du RMI diminue et il nous est demandé d'en accompagner de plus en plus.

M. Guy FISCHER - Est-ce M. Martin Hirsch qui vous demande d'intervenir dans le placement de ces personnes ?

Mme Françoise BERNON - Pas du tout. Nous nous contentons de répondre aux demandes des conseils généraux, tous satisfaits de nos prestations. A titre illustratif, je peux vous présenter la manière dont nous abordons notre mission dans les départements où nous agissons. A force de cultiver le dialogue avec eux, les problèmes que nous rencontrons auprès des services sociaux s'effacent petit à petit au travers de la mise en place d'une organisation efficace et coopérative. Nous faisons preuve de beaucoup de pédagogie au début de nos actions. Nous souhaitons expliquer ce que nous allons faire. En effet, notre entreprise suscite parfois la crainte des acteurs locaux. Nous nous devons de lever cette appréhension. C'est pourquoi nous construisons des relations de travail et de coopération dans la durée.

Chacun a dressé le constat suivant : les problématiques sociales ne peuvent être résolues en l'absence de travail et les difficultés que rencontrent certains à trouver un emploi ne peuvent être solutionnées tant qu'ils sont confrontés à des problèmes sociaux. Nous travaillons à la résolution de cette équation et ce, de manière de plus en plus efficace au fur et à mesure que le temps passe et que nous nous installons sur un territoire. Grâce à notre connaissance du terrain et des services sociaux, nous parvenons à aborder et à traiter de front les problématiques d'ordres professionnel et social. Il nous faut continuer à agir de la sorte, en demandant aux travailleurs sociaux de s'investir sur les enjeux sociaux, de manière à ce que nous puissions traiter ce qui relève de l'emploi. Nous organiser ainsi nous permettra de nous occuper des personnes les plus loin de l'emploi. Mais je ne vous cache pas que nous posons des pré-requis avant de mener toute action d'accompagnement. Si une personne est confrontée à trop de problèmes sociaux et si nous ne connaissons pas encore bien le territoire où nous sommes implantés, nous refuserons de la prendre en charge tout de suite.

Enfin, le tri des candidats effectué par les conseils généraux n'est pas toujours de bonne qualité. Il est même souvent mauvais. La raison en est que nos interlocuteurs, bien souvent, choisissent de nous confier des cas extrêmement difficiles à traiter.

Nous souhaitons être efficaces dans notre domaine d'intervention. L'erreur à ne pas commettre consisterait à demander à tout le monde de tout faire. L'insertion sociale et la recherche d'emploi représentent deux activités distinctes et il est nécessaire que chacun se concentre sur son domaine d'action spécialisé. Nous devons agir en fonction des limites et des points forts qui sont les nôtres. Par la suite, si nous procédons à de nécessaires rapprochements entre acteurs complémentaires, nous parviendrons à progresser. Les résultats du travail que nous menons dans tous les départements où nous sommes présents démontrent le bien-fondé de cette analyse.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Votre entreprise participe aujourd'hui de la lutte contre l'exclusion et la pauvreté. Compte tenu des évolutions de la société contemporaine, vos concurrents contribueront-ils à en faire de même ou Manpower sera-t-elle la seule entreprise de son secteur à agir dans le domaine de l'insertion ? A l'heure actuelle, il est courant de demander aux entreprises d'avoir une responsabilité sociale. Il me semble que cette responsabilité existe à Manpower. Est-elle présente dans d'autres groupes ?

M. Guy FISCHER - Je me permets de compléter les propos de notre rapporteur, M. Bernard Seillier. J'en reviens aux personnes que nous cherchons à insérer professionnellement. Nous avons observé qu'après les six premiers mois suivant leur embauche, les personnes ayant du mal à trouver un emploi sombrent de plus en plus dans la précarité. Or Manpower Egalité des chances ne s'occupe plus d'elles au-delà de ce délai. Ma crainte est donc qu'elles disparaissent des statistiques du RMI. Ma question est donc la suivante : dans les personnes que vous accompagnez, quelles sont celles, en pourcentages, à bénéficier d'un CDI et d'un contrat précaire ? Disposez-vous, après- à vos trois ans d'expérience, d'éléments d'appréciation sur ces pourcentages ?

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Quelle appréciation portez-vous sur l'évolution du droit du travail pour votre activité ?

Mme Françoise BERNON - Il ne faut pas se faire d'illusion concernant l'intérêt que les entreprises portent à leurs responsabilités sociales. Manpower est un prestataire de services et comme toute société de droit privé, elle doit trouver un avantage à travailler sur un sujet donné, même s'il peut exister des exceptions concernant des projets très spécifiques.

Les besoins en recrutement s'accroissent. Nous savons que les professions qui peinent à embaucher, auparavant cantonnées aux secteurs de la restauration et du bâtiment, augmentent. Pratiquement toutes les familles de métiers ont du mal à recruter. Par conséquent, les entreprises sont amenées à réfléchir sur leur processus d'embauche très rapidement. Sans salarié, elles ne peuvent pas progresser. Comme acteurs économiques, elles sont obligées de trouver des partenaires avec qui elles peuvent monter des projets. Les établissements avec lesquels elles souhaitent collaborer sont ceux qui connaissent le mieux leur secteur d'activité. Manpower Egalité des chances constitue le genre de structure avec lequel elles peuvent travailler. Ce n'est pas le cas des associations et des partenaires sociaux. Ceux-ci ne partagent pas la même culture que nous.

J'ai parlé tout à l'heure de la refondation et de l'action menée par Mme Françoise Gri au sein de notre entreprise. La Présidente de Manpower n'est pas issue du secteur du travail temporaire. Elle était auparavant à la tête d'IBM. Elle ne connaissait donc pas du tout l'ancien métier, très spécialisé, de la société qu'elle a reprise en main. Elle considère Manpower comme une entreprise à laquelle il faut donner des perspectives et une stratégie. Comme vous l'avez indiqué, nous initions en ce moment un mouvement précurseur. Très bientôt, les acteurs économiques seront conduits à s'ouvrir à une culture particulière impliquant l'organisation de l'accueil du salarié et à la faire perdurer. Nos analyses montrent qu'il est nécessaire de travailler sérieusement à insérer professionnellement des publics laissés sur le bord du chemin. Cette activité représente un métier à part entière pour Manpower. Il s'agit pour l'entreprise d'un nouveau marché.

Concernant le suivi que nous assurons auprès des personnes récemment embauchées, vous avez raison de dire que ce n'est qu'au bout de deux ans d'activité salariée que nous savons si un individu est bien inséré dans le monde du travail. C'est la raison pour laquelle les contrats de RMI peuvent durer jusqu'à vingt-quatre mois. Malheureusement, nos financements sont tels que nous ne pouvons pas accompagner nos clients pendant ces deux années.

Je ne sais pas si vous connaissez la méthode d'insertion par l'offre et la demande, à laquelle il est souvent fait recours. Les membres de l'équipe d'IOD, qui l'ont promue, constituent des partenaires avec lesquels nous collaborons régulièrement. Contrairement à nous, ils préconisent de recourir au CDI dès la première embauche du chercheur d'emploi. Il s'agit ici d'une différence significative entre nos deux manières de fonctionner, même si nous travaillons ensemble au niveau de certains territoires. Nous nous intéressons à certains profils de candidats, eux à d'autres. Ils savent qu'un premier recrutement en CDI conduit à de nombreux échecs. Passer directement par des contrats à durée indéterminée ne représente pas toujours la solution adéquate pour aider les personnes en mal d'insertion professionnelle.

En tout état de cause, nous nous devons de pouvoir confirmer que l'action menée avec les personnes que nous avons suivies continue de faire son effet au bout de six mois de travail salarié. Si nous ne pouvons pas nous prévaloir d'un taux de réussite de 100 % dans les démarches que nous entreprenons, il est possible de vérifier sans crainte que les personnes ayant bénéficié de notre accompagnement en ont tiré un profit durable. Le fait que nous ne procédions pas à une évaluation de notre action au bout d'une période de deux ans, suite à une embauche, ne signifie pas que nous ayons mal effectué notre mission, ni que les individus auprès de qui nous sommes intervenus sont retournés dans la précarité. Je serais intéressée d'avoir accès à une telle évaluation. Elle permettrait de démontrer la pertinence de notre méthode de travail.

Le droit du travail, lui, concerne un autre sujet. Nous savons que ce droit est appelé à évoluer, y compris pour le travail temporaire, et que nous nous acheminons vers un assouplissement des textes juridiques. Toutefois, je ne saurais pas répondre à votre question. Vous pourriez peut-être vous adresser au MEDEF pour obtenir un avis argumenté sur le sujet. Je crois que Mme Françoise Gri intervient demain. Je ne sais pas s'il s'agit d'une audition.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Il s'agit d'un petit-déjeuner de travail.

Mme Françoise BERNON - Vous lui direz, si vous le voulez bien, que je vous ai invités à lui retourner la question. Elle saura y répondre. En guise de conclusion, les besoins des entreprises sont très larges. Ils portent, non seulement sur l'emploi, mais aussi sur la formation des personnes. En effet, il est essentiel pour elles d'avoir des travailleurs susceptibles de s'adapter et des contrats répondant à leurs besoins. Nous avons parlé des six mois de veille que nous devons assurer auprès d'une personne que nous avons accompagnée suite à une embauche. Or, à ce propos, nous devons nous interroger sur la manière dont les salariés peuvent passer d'un contrat à un autre. En effet, ce qui est important pour eux n'est pas tant de garder leur emploi, mais ce à quoi ils seront confrontés quand ils l'auront perdu. Par conséquent, la question qui se pose est la suivante : pendant combien de temps un individu restera-t-il sans emploi et les outils dont il peut bénéficier, telle que la formation, vont-ils lui permettre de retrouver un travail rapidement ?

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Je vous remercie.

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