Audition de M. René BAGORSKI, conseiller confédéral de la Confédération générale du travail (CGT) - (27 mai 2008)

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Nous vous accueillons le cadre de notre mission qui traite de la politique de lutte contre la pauvreté et l'exclusion.

Nous vous interrogerons après votre exposé.

M. René BAGORSKI - Je vous remercie de m'avoir invité. Mme Agnès Naton, secrétaire confédérale de la CGT, vous prie, par mon intermédiaire, d'excuser son absence, de même que Mme Jacqueline Donnedu qui se consacre actuellement à la gestion du conflit des sans papier à Paris.

A l'appui de mon intervention, je mobiliserai deux documents : une proposition de la CGT intitulée « Faut-il un contrat ou une convention pour les personnes en insertion ? » et la déclaration de la CGT au sujet de l'avis du COE sur le RSA.

En introduction, je voudrais citer les propos tenus par M. Alain Supiot lors du colloque « Les sans emploi et la loi » qui s'est déroulé à Nantes en 1987.

« Dans le train d'enfer des sociétés industrielles, il y a ceux qui voyagent en première classe, ceux qui voyagent en deuxième classe et ceux qui, n'ayant pas de place assise, voyagent debout. Il y a aussi ceux qui, n'ayant pas de place du tout, sont jetés sur le ballast. De ceux-là, on ne dit pas seulement qu'ils n'ont pas d'emploi, mais qu'ils sont sans emploi, signifiant ainsi que c'est d'une part de leur identité qu'ils sont privés ; identité au sens psychologique et social, mais aussi juridique du mot. Ils conservent certes un nom et un sexe, une date de naissance, souvent et pas toujours un domicile, mais n'ont rien à écrire dans la rubrique profession. D'une certaine manière, les sans emploi se trouvent ainsi hors la loi, en tout cas hors de cette loi commune qui assigne à chacun une fonction dans la vie de la cité. Cela ne veut pas dire qu'ils sont ignorés du législateur. L'absence d'emploi étant un écart à la norme, ne peut au contraire que préoccuper ceux qui font les lois, qu'il s'agisse pour eux de prévenir les dangers que les sans emploi font courir à l'ordre, ou d'apaiser les maux dont ils souffrent. »

En relisant ce texte, j'ai considéré qu'il faisait parfaitement écho à notre thème de travail.

La production de règles de droit spécialement conçues pour endiguer l'exclusion professionnelle et sociale n'a jamais été aussi intense en France, avec par exemple le RMI en 1988 et la loi contre l'exclusion en 1998. Je note que l'évolution du vocabulaire dans ce domaine n'est pas neutre. L'insertion a été remplacée par l'exclusion et on parle désormais de l'inclusion active à l'échelle européenne.

Ces lois nous semblent proliférer proportionnellement à l'ampleur du phénomène d'exclusion, mais avec une efficacité limitée. Les diagnostics sont en effet très proches de ceux qui ont déjà état dressés il y a 20 ans, mais le nombre d'exclus a, en revanche, sensiblement augmenté. Les règles de droit ont ainsi été produites suivant des principes de droit généraux, qui découlent du droit au travail, à l'emploi et à la qualification, affirmés par le préambule de la Constitution. Mais ces règles de droit semblent finalement remplir une fonction exclusivement instrumentale, dans la mesure où elles servent à classer les publics en différentes catégories et fournissent des cadres de références pour les allocations, les ressources financières et l'exercice du contrôle administratif et financier. Les sans emploi sont ainsi juridiquement encadrés. Il est dès lors possible de les compter, et de suivre l'évolution de leurs flux et de leurs stocks. En ce sens, on peut dire que le phénomène qu'ils représentent est administré. Cette fonction de gestionnaire est cependant très éloignée de la conception du droit que se font ceux qui sont frappés par l'exclusion, la misère, ou la grande pauvreté, et qui luttent pour s'en affranchir. Elle est également très éloignée de l'idée que s'en fait la CGT.

La CGT s'est engagée dans le Grenelle de l'insertion pour plusieurs raisons. Nous pensons ainsi que nous devons aujourd'hui faire face à des choix politiques majeurs. Nous devons choisir en effet entre une vision qui tente d'inscrire l'humain au coeur d'un développement qui soit durable, ou au contraire un modèle dans lequel le « tout financier » devrait s'imposer à l'éthique humaine et au développement durable. Pour notre part, nous pensons que le droit au travail constitue la réponse aux problèmes des personnes en difficulté.

Selon nous, la politique gouvernementale et patronale qui a été mise en place au nom de l'équité renforce en fait les inégalités, aggrave les situations de précarité, de pauvreté et d'exclusion, en favorisant prioritairement les intérêts des plus riches. Au nom de la valeur travail, le Président de la République remet en cause le contrat social et les valeurs de solidarité qui ont prévalu dans la mise en place des acquis et des droits des salariés, issus notamment du Conseil national de la résistance. C'est pourquoi la CGT réaffirme l'urgence de repenser le sens, la finalité et le contenu du travail qui est essentiel à la structuration de la personne, à la construction du lien social, à la socialisation et à la cohésion sociale, ainsi qu'au développement économique et culturel. Promouvoir les liens étroits entre le travail et les cultures doit ainsi permettre de répondre aux besoins fondamentaux des femmes et des hommes, de faire société, d'exercer leur citoyenneté, leur liberté, et de faire vivre la démocratie. La CGT a ainsi toujours affirmé la nécessité de former le travailleur en même temps que le citoyen.

Le travail constitue ainsi un enjeu d'émancipation, de construction de soi et de son rapport à l'autre, de l'articulation du « je » et du « nous ». Notre détermination à redonner une place centrale et prédominante au travail est ainsi indissociable de notre volonté de transformer des situations de travail, de non-travail, ou de mal-travail, pour transformer la société. La CGT considère que chaque citoyen, chaque salarié, chaque résident du pays doit pouvoir exercer le droit de travailler, avoir le droit à un emploi stable, qualifié et bien rémunéré qui lui autorise une vie digne et descente. En l'absence de travail, l'Etat a le devoir de subvenir aux droits et besoins fondamentaux de chacun et de chacune. L'ensemble des acteurs de l'insertion, partenaires sociaux, pouvoirs publics, professionnels de l'insertion ont pour devoir de veiller à la réalisation d'un parcours d'insertion sociale et professionnelle à partir du projet de vie de la personne. Dans cette perspective, afin d'éviter les écueils et de favoriser les chances de réussite, la CGT propose que ces parcours d'insertion soient mis en place dans le cadre d'un contrat personnalisé d'insertion sociale et professionnelle sécurisé. Un tel contrat intégrerait les objectifs à atteindre ainsi que les moyens pour y parvenir, avec un accompagnement social et professionnel personnalisé. Il s'agirait ainsi de construire un droit de l'insertion au coeur du droit du travail, et donc d'élargir le périmètre de négociation des partenaires sociaux au champ de l'insertion.

Par ailleurs, la CGT propose la mise en « sécurité sociale » des parcours professionnels de tous et de toutes, en s'appuyant sur le projet de vie de chaque personne, et en rendant effectifs les droits fondamentaux (dont le droit au travail) ainsi que de nouveaux droits attachés à la personne qui seraient les éléments constitutifs d'un nouveau statut du travail salarié.

Nous avons ressenti une crainte au début du Grenelle de l'insertion. Nous redoutons en effet que le devoir d'insertion ne soit désormais invoqué afin de faire pression sur les exclus, alors que dans le même temps la société n'aménagerait pas les espaces d'insertion dont ils ont besoin pour s'arracher à leur condition.

J'ai conscience du fait qu'une telle introduction ouvre des perspectives très larges, mais elle vise en premier lieu à replacer la valeur travail au coeur des réflexions que nous devons mener.

Par la suite, nous nous sommes efforcés de réfléchir aux solutions que nous pourrions apporter aux 5 millions de personnes exclues du monde du travail, en les accompagnant dans un parcours sécurisé. Le terme « sécurisé » est aujourd'hui très fréquemment utilisé. Je considère personnellement qu'il peut être très utile d'étudier la fréquence d'utilisation de certains éléments de vocabulaire à des moments déterminés. Le terme d'employabilité, par exemple, fut très utilisé à l'occasion de la réforme de la formation professionnelle en 2003. C'est aujourd'hui le cas du mot parcours. Il existe ainsi des logiques de vocabulaire qui ne tiennent pas nécessairement compte de l'intérêt des personnes, des territoires ou des entreprises, mais plus de l'intérêt de certains spécialistes à populariser ces mots.

Je voudrais rappeler ici les trois besoins que j'avais identifiés à l'occasion du rapport sur la formation professionnelle dont M. Bernard Seillier était le rapporteur.

Les premiers besoins sont ceux des territoires, qu'il s'agisse de la Nation, des régions ou des bassins d'emploi. Viennent ensuite les besoins des personnes morales (les entreprises), et enfin les besoins des personnes. La question majeure consiste à déterminer qui doit définir ces besoins, et de quelle manière. Cette question, de même que celle consistant à savoir quelle est la place des différents acteurs dans le combat à mener, se pose de manière immuable, quel que soit le contexte.

Chaque salarié, ou plutôt chaque actif potentiel (toute personne sortie du système scolaire jusqu'à sa retraite) est-il en mesure de déterminer ses propres besoins ? Quels éléments doit-il prendre en compte pour y parvenir ? Qui devra ensuite assurer la responsabilité de l'accompagner dans la réalisation de son objectif ?

Je voudrais rappeler ici qu'un parcours n'a de sens que dans la mesure où il dispose d'un objectif e que nous ne saurions considérer qu'il est réalisé que dans la mesure où cet objectif est atteint.

Le besoin d'une personne s'inscrit nécessairement dans un contexte territorial et économique qui ne lui offre pas automatiquement la possibilité de réaliser ses objectifs. C'est pourquoi nous considérons que le service public de l'emploi doit lui offrir un accompagnement personnalisé, dans la mesure où il constitue le lieu d'accueil, de formation et d'orientation le plus pertinent pour garantir un parcours qui conduise à une qualification reconnue sur un marché du travail donné et aboutisse ainsi à un emploi de qualité, et durable.

La personne devra, dès son accueil, pouvoir s'interroger sur son identité personnelle et les moyens dont elle peut avoir besoin pour réaliser son objectif. Cette identité est composée de besoins professionnels, de besoins de qualification et de formation, mais aussi de besoins sociaux. Les problèmes de logement ou de santé, par exemple, constituent ainsi la préoccupation première de ceux qui en souffrent.

Dans ce contexte, il s'avère indispensable de déterminer les conditions qui permettront de réaliser un diagnostic pertinent, permettant de construire un parcours dont chacune des étapes sera valorisée et validée afin d'éviter le risque d'un retour à la situation initiale.

Un tel parcours devra s'inscrire dans un système de droits et de devoirs, sans que ces devoirs ne se réduisent à ceux des personnes en difficulté vis-à-vis de la collectivité. Le service public de l'emploi aura lui aussi des devoirs vis-à-vis d'elles. Nous sommes ainsi favorables à ce que chaque personne éloignée de l'emploi soit inscrite auprès de l'opérateur de service public qui devra lui fournir un panier de prestations, consistant en une offre de services adaptée à ses besoins.

Le constat qu'une personne sans contrat de travail n'a pas d'identité sociale est aujourd'hui, je crois, partagé. Nous devons donc déterminer les modalités qui permettront de sécuriser les parcours des personnes en difficulté et de construire une offre de droits dont elles pourraient bénéficier. Comme nous l'avons affirmé à l'occasion du Grenelle de l'insertion, dans la déclaration commune des partenaires sociaux, nous demandons la simplification des contraintes en matière d'insertion et l'application du droit commun.

Le contrat nous a semblé être la forme la plus pertinente à employer, en ce sens qu'il est conclu entre deux parties, dans le cadre d'un système de droits et devoirs réciproques.

La première tâche d'un tel contrat d'insertion sera donc d'identifier ces droits et devoirs, avant de déterminer le parcours professionnel sécurisé le plus adapté aux besoins et au projet de vie de la personne.

En outre, un droit à l'échec devra être accordé à chacun pour ne pas risquer les retours au point de départ.

Enfin, des solutions de remplacement devront être prévues en cas de difficultés, en fonction du parcours déjà réalisé.

Le service public de l'emploi devra, selon nous, s'adresser à tous, salariés et personnes aspirant à trouver un emploi. Ses missions seront l'accueil, l'orientation et la formation. Il devra également assurer la responsabilité de l'insertion en gérant le placement et le versement d'un revenu de remplacement à toutes les personnes privées d'emploi. Il permettra ainsi de sécuriser le parcours professionnel des salariés et de toutes les personnes en situation de précarité.

Dans le prolongement de ces réflexions, nous considérons que le contrat d'insertion devra être conclu avec ce service public de l'emploi, qui sera représenté par un organisme support garantissant des droits, un parcours, et un objectif à atteindre. Il pourra ainsi reprendre la logique du CTP qui permet de garantir à des personnes licenciées, mais qui peuvent être reconverties, un parcours, un objectif et une rémunération dans le cadre d'une filiale de l'AFPA. Les personnes pourraient ainsi bénéficier d'un statut proche de celui des stagiaires de la formation professionnelle, avec donc des droits liés.

Nous sommes, par ailleurs, favorables à la mise en place d'un référent unique qui serait entouré d'une équipe pluridisciplinaire. Les agents en charge de l'accueil devront bénéficier d'une formation suffisante leur permettant de disposer d'une vision d'ensemble pour orienter les usagers vers les interlocuteurs les plus adaptés à leur cas particulier. Ils devront leur offrir une réelle écoute, qui ne se réduise pas à une relation administrative, mais permette au contraire de mieux identifier des difficultés comme l'illettrisme ou l'addiction qui ne sont parfois pas repérées. Chacun pourra ainsi exprimer ses attentes personnelles, avant qu'un premier diagnostic ne soit émis.

Le contrat d'insertion constituera ainsi, selon nous, le socle sur lequel pourra se construire le parcours qui permettra à une personne licenciée, après avoir retrouvé un emploi, d'être toujours accompagnée socialement et professionnellement par son référent.

Le contrat de professionnalisation, pour sa part, se consacrera au projet professionnel et donnera l'opportunité de suivre une formation en alternance. Les financements qui lui seraient affectés ne devraient pas se réduire aux fonds collectés par les entreprises, mais au contraire associer les Conseils régionaux dans le cadre d'un fonds complémentaire qui ne serait mobilisé qu'à l'initiative du référent. Nous devons, dans ce domaine, développer une synergie de moyens, sans que la personne en difficulté ait à connaître la configuration des dispositifs dans lesquels elle s'inscrit.

Je résumerais mon propos en disant qu'il faut d'abord définir un parcours (en décidant qui doit le déterminer) dont toutes les étapes doivent pouvoir être validées et valorisables, et qui accorde un droit à l'erreur incluant une solution de remplacement éventuelle. Un contrat doit ensuite être signé avec le service public de l'emploi qui garantira le parcours grâce à accompagnement social et professionnel personnalisé qui place la personne en son centre et mette en place, à son profit, les synergies financières nécessaires.

Nous considérons que les moyens financiers actuels doivent être réaffectés, comme par exemple les fonds de la formation professionnelle, vers des périodes de pré-professionnalisation pour les personnes les plus en difficulté, ou en reconfigurant les minima sociaux pour permettre à leur bénéficiaires de vivre dignement.

Nous espérons, par ailleurs, que le RSA constituera un moyen pour inciter les personnes à travailler plutôt qu'un moyen de subventionner certains types de salaires dans une logique de temps partiel imposé. Dans le même esprit, nous nous inquiétons du risque que le RSA, dans la mesure où il sera une prestation versée en fonction d'une situation familiale et non pas personnelle, peut faire peser sur l'indépendance des femmes en leur accordant une rémunération minimale.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Merci beaucoup pour cet exposé très complet.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Les présentations de M. Bagorski sont toujours très intéressantes et fort bien structurées.

J'ai le sentiment que le rôle que jouent les syndicats sur des sujets comme l'exclusion et l'emploi prend de l'ampleur dans la période récente. Pensez-vous que cette responsabilité nouvelle s'explique par le fait que certains abandonnent la leur ?

Comme le démontre votre exposé qui a traité de la problématique de l'insertion dans sa globalité, vous dépassez le rôle étroit, d'ordinaire réservé aux syndicats, de défense des salariés.

M. René BAGORSKI - J'ai affirmé à dessein que toute personne représente un actif potentiel et, par extension, un salarié potentiel. Il est nécessaire de rompre avec une conception réductrice qui classe les individus dans quatre groupes : ceux qui bénéficient de droits communs car ils disposent d'un contrat de travail, ceux qui ont disposé d'un contrat de travail et bénéficient donc d'une assurance, puis ceux qui recherchent un premier emploi, et enfin tous les autres qui relèveraient de la solidarité.

Or aujourd'hui, seules les deux premières catégories de personnes et, à la marge, les demandeurs d'emploi, relèvent de la négociation entre les partenaires sociaux.

Le champ relevant de la solidarité ne viserait dès lors qu'à regrouper des personnes dans des cases administratives, en leur offrant pour seule perspective d'émancipation d'être justement les sujets de la solidarité nationale, régionale, ou départementale

Le thème de l'insertion, comme l'affirme la déclaration des 5 confédérations syndicales que j'ai évoqué précédemment, doit devenir un thème essentiel de la négociation collective dans la mesure où nous considérons que toute personne est un salarié potentiel et que, dès lors, l'ensemble des moyens disponibles, qu'ils proviennent du contrat de travail, de l'assurance ou de la solidarité, doivent être mis en synergie pour lui permettre de construire un parcours sécurisé et lui accorder des droits individuels garantis collectivement.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Il est indispensable de considérer que toute personne peut être en mesure de trouver un travail.

M. René BAGORSKI - Comme nous l'avons affirmé à l'occasion du Grenelle de l'insertion, il n'existe pas de personnes inemployables. Or durant les 20 dernières années, des catégories de personnes potentiellement inemployables ont pourtant été créées, comme celles de plus de 57 ans et demi, ou celles de plus de 50 ans. Nous devons éviter que, comme aux Pays-Bas, ne se mette en place un groupe très vaste de personnes handicapées qui regrouperait des personnes avec un handicap réel ne leur permettant pas d'intégrer une entreprise, mais aussi des personnes avec de simples problèmes conjoncturels (à l'image des personnes souffrant d'addiction).

L'accompagnement social et professionnel que nous prônons doit ainsi permettre aux personnes en difficulté de ne pas devenir des citoyens handicapés bénéficiant de la solidarité, mais au contraire des personnes à part entière, à la fois salariés et citoyens.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE - Nous avez-vous exposé le projet de la CGT ou un projet commun élaboré dans le cadre du Grenelle de l'insertion ?

Je retrouve, par ailleurs, une grande similitude entre vos propositions et le programme Parcours d'accès à la qualification et à l'emploi sur lequel j'ai travaillé et qui employait les notions de contractualisation d' essai-erreur, de référent unique et de parcours personnalisé. Ce programme concernait des populations très éloignées de l'emploi (avec par exemple des problèmes cognitifs), et s'adressait aux jeunes. Il a ainsi permis à certains de s'insérer grâce à une qualification ou un emploi. Il a cependant dû s'interrompre, du fait se son coût trop élevé.

Le coût financier de votre projet a-t-il ainsi été estimé ? L'avez-vous présenté dans le cadre du Grenelle de l'insertion ? A-t-il reçu un avis favorable?

M. René BAGORSKI - Je voudrais préciser certains points au sujet du projet de la CGT.

Premièrement, nous souhaitons que chaque personne puisse disposer d'une qualification reconnue sur le marché du travail à la sortie du système scolaire.

Par ailleurs, nous souhaitons que chaque personne puisse bénéficier d'un niveau de certification supplémentaire à sa sortie du monde du travail par rapport à son entrée sur celui-ci, et que son niveau de rémunération soit doublé à l'échelle d'une carrière professionnelle.

Notre approche s'inscrit ainsi dans une logique d'évolution professionnelle plutôt que de stagnation, qui permettant de donner les moyens à une personne tout au long de son parcours de rester opérationnelle sur le marché du travail.

Il ne faut en aucun cas chercher à exclure progressivement des personnes du monde du travail, sans leur avoir donné les moyens de s'y intégrer.

La négociation sur la formation professionnelle évoque un plan en trois étapes qui oblige les entreprises à une adaptation au poste des salariés, leur demande de veiller à leur maintien dans l'emploi, et leur donne la possibilité de contribuer au développement de leurs compétences.

Or il est, selon nous, nécessaire de mettre en place une obligation aux emplois, afin de mieux responsabiliser les employeurs et d'éviter le licenciement de personnes sous prétexte de leur inadaptation aux besoins de l'entreprise. Nous devons nous inscrire dans une logique de maintien dans l'emploi.

Consciente du fait que les personnes en insertion relèvent du champ de responsabilité des organisations syndicales, la CGT s'est fortement investie dans le Grenelle de l'insertion. C'est dans ce cadre que nous avons proposé notre projet de contrat sécurisé adapté au parcours de chaque personne.

L''analyse des différents crédits consacrés aux politiques d'insertion, et notamment les exonérations de charge, laisse apparaître des ressources très importantes. Nous proposons, à titre d'exemple, que les exonérations actuelles de cotisations soient remplacées par une prise en compte de l'effort en matière d'insertion de l'entreprise dans le calcul de sa contribution sociale. Des usagers nous ont récemment affirmé qu'ils considéraient que les contrats aidés avaient été imaginés au profit des employeurs plutôt que pour eux.

Pour traiter efficacement la question des moyens de financements et identifier les synergies que nous pouvons dégager dans ce domaine, nous devons d'abord nous demander quels sont les périmètres d'intervention. En effet, le contrat de travail et l'assurance-chômage sont pris en charge par les partenaires sociaux, tandis que les demandeurs d'emploi et les jeunes le sont par les conseils régionaux, la politique sociale et les minima sociaux par les conseils généraux, et d'autres dispositifs encore par les communes.

Il existe ainsi une forme de maillage qui laisse cependant apparaître des zones négligées (certaines personnes ne dépendent d'aucun de ces périmètres d'intervention) tandis que d'autres bénéficient d'une superposition des périmètres d'intervention (et donc d'une couverture financière parfois redondante).

Au regard de ce constat, nous avons demandé aux partenaires sociaux, dans le cadre de l'accord sur la formation professionnelle, une évaluation des politiques publiques dans ce domaine, d'autant que nous observons que certains moyens financiers dédiés à la formation professionnelle ne sont pas utilisés et que dans le même temps certaines économies budgétaires interviennent au détriment des personnes et de la cohésion sociale.

Nous devons cesser d'entretenir financièrement certains organismes de formation qui constituent de véritables marchands de soupe pour reprendre les termes employés par M. Martin Hirsch, et, au contraire, mettre en place un système de droits et devoirs pour gérer ces fonds. Nous préconisons, dans ce domaine, je le rappelle, la création d'un fonds abondé par l'Etat, les collectivités territoriales (notamment par la réaffectation de certains crédits de la formation professionnelle) ainsi que les entreprises.

Nous ne demandons pas de crédits supplémentaires, mais simplement la mise en place d'une gestion saine pour mettre fin à certains abus. La définition des objectifs et des critères d'évaluation et de suivi sera ainsi décisive pour permettre une utilisation juste et efficace des fonds et procéder aux corrections éventuellement nécessaires.

M. Guy FISCHER - Je suis d'accord avec vous sur les principes.

Cependant je constate que l'objectif principal du gouvernement semble aujourd'hui de mettre en avant la baisse du taux de chômage. J'ai moi-même réussi, dans le département de l'Ain, à porter ce taux à seulement 4 %, synonyme de plein emploi.

Or notre souci principal devrait être de savoir ce que deviennent les titulaires des minima sociaux 5 ans après en avoir bénéficié. Nous partageons tous le principe selon lequel tout travail mérite salaire, mais il ne devrait pas masquer les enjeux relatifs au montant de la rémunération, ou au temps de travail, notamment dans le cadre du RSA.

La question de la nature de l'investissement de l'entreprise dans les parcours sécurisés reste également posée.

En ce sens, ne considérez-vous pas que notre société connaît aujourd'hui une phase d'adaptation à des réalités économiques et financières qui tendrait, en France comme en Europe et dans les autres pays industrialisés, à institutionnaliser la précarité et même à la généraliser ?

M. René BAGORSKI - La question de la précarité nous amène nécessairement à poser celle de la nature du contrat de travail.

Le nombre aujourd'hui très élevé des CDD a des répercussions très fortes sur la capacité des personnes à s'insérer dans la société dans la mesure où, dans un tel cadre contractuel, la visibilité de la personne ne peut dépasser 6 à 18 mois. Il existe en effet un risque qu'avec le RSA, la priorité absolue donnée à l'emploi n'amène à négliger la nature et la durée de cet emploi. Certes, durant sa période d'emploi, la personne n'apparaîtra plus dans les statistiques du chômage.

L'insertion est aujourd'hui considérée comme un secteur alors qu'elle devrait faire l'objet d'une politique à part entière permettant à chaque personne de bénéficier, pour un temps, de ses dispositifs de soutien, mais avec pour vocation de lui permettre d'en sortir.

A l'inverse de notre principe selon lequel toute personne est employable, nous avons pu constater que, dans la période récente, de nombreuses politiques ont été menées en Europe, reposant sur l'idée qu'il existe des personnes inemployables, pour lesquelles il faut déterminer des critères d'inemployabilité, pour les condamner à être traitées par la solidarité.

J'ai récemment eu l'occasion d'entendre la présidente du MEDEF affirmer que les entreprises ont besoin que les parcours d'insertion leur fournissent des personnes opérationnelles. Cette exigence peut paraître tout à fait justifiée. Cependant, lorsque des personnes qui ont pu traverser des difficultés sont salariées dans une entreprise, dans le cadre du plan de formation, il peut être tout aussi légitime de leur donner les moyens de rester opérationnelles dans le cadre de leur poste de travail. De même, il me paraît légitime de demander à l'entreprise qu'elle assure une promotion régulière à ses salariés, tout au long de leur vie. L'entreprise se doit désormais d'appréhender de manière différente la gestion de ses ressources humaines.

Nous faisons face aujourd'hui à une alternative. Nous devons en effet choisir entre une société qui crée un secteur de l'insertion cloisonnant, ou la mise en place d'une politique de l'insertion qui donne les moyens à chaque individu de construire un parcours répondant à ses besoins personnels, à ceux des territoires, ainsi qu'à ceux des entreprises.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - La relation humaine s'avère en ce domaine déterminante. La personne en difficulté devra ainsi être suivie par un référent avec lequel elle devra entretenir un rapport de confiance.

M. René BAGORSKI - Nous devrons leur donner la possibilité de changer de référent si la première rencontre n'est pas satisfaisante. La notion de confiance est effectivement cruciale.

Par ailleurs, alors que nous considérons, pour notre part, que chaque personne doit être inscrite auprès du nouvel opérateur du service public de l'emploi, nous constatons que les pouvoirs publics mettent aujourd'hui l'accent sur le débat concernant l'offre valable d'emploi et la menace d'une réduction des allocations en cas de refus. Ne peut-on pas discerner une part d'absurdité dans une telle démarche? J'espère que vous serez vigilants dans ce domaine.

M. Guy FISCHER - Aujourd'hui, on stigmatise les titulaires de minima sociaux.

M. René BAGORSKI - Il est impossible de déterminer, dès le début, la durée du parcours d'insertion d'une personne.

Il serait, dès lors, tout à fait injuste de retirer les minima sociaux à une personne au bout de 6 mois parce qu'elle ne correspond pas à une offre d'emploi donnée, si elle n'a pas droit, par ailleurs, à des allocations chômage.

Je reconnais que notre ambition est généreuse et les moyens que nous souhaitons mobiliser significatifs (avec la sécurisation des parcours par un service public de l'emploi, et le système d'un référent unique entouré par une équipe pluridisciplinaire compétente). Mais nous adoptons ici une logique basée sur l'investissement qui doit donc permettre à terme une réduction importante de certains coûts.

Mme Anne JARRAUD-VERGNOLLE - Comment votre projet est-il perçu au sein du Grenelle de l'insertion ?

M. René BAGORSKI - Je crois que les usagers eux-mêmes ont compris qu'ils ne représentaient pas un coût pour la société mais pouvaient, au contraire, constituer, pour elle, une richesse comme le terme de capital humain le sous-entend. Le manque de formation ne doit pas être utilisé pour dévaloriser une personne, de même que la formation ne doit pas constituer, comme c'est le cas aujourd'hui, une punition, mais au contraire une solution, une forme d'investissement.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Il est tout à fait juste de considérer que, si une solution est trouvée pour une personne en difficulté, celle-ci peut devenir un capital pour la société.

M. René BAGORSKI - Dans le même temps, la personne redevient un acteur et acquiert une reconnaissance. J'ai ainsi assisté le 16 avril dernier, dans le cadre du collège des usagers, au témoignage de personnes qui avaient pour la première fois l'impression d'être écoutées et décrivaient le véritable parcours du combattant auquel elles devaient faire face, notamment en milieu rural, avec parfois pour seul résultat d'avoir à remplir une énième fois la même fiche administrative.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Je vous remercie pour l'ensemble de vos réflexions et la part d'espoir qu'elles ont pu nous redonner.

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