Audition de M. Franck RIBOUD, Président-Directeur général du groupe Danone - (28 mai 2008)

M. Christian DEMUYNCK, Président - Messieurs, nous vous remercions de votre présence ici pour cette audition organisée par notre mission d'information sur les politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion, sujets que vous connaissez très bien, votre entreprise étant largement impliquée dans des programmes de développement par l'insertion économique et de microcrédit.

Nous sommes à la recherche d'idées susceptibles de déboucher sur des actions positives. Voici la raison de votre présence aujourd'hui.

Nous vous invitons à faire un exposé de dix à quinze minutes. Ensuite, M. Bernard Seillier, rapporteur, vous posera quelques questions. Mes collègues pourront également vous demander quelques éclaircissements sur des thèmes que vous aurez abordés.

M. Franck RIBOUD - Je suis, avant toute chose, très flatté de participer à vos travaux. La pauvreté est-elle prise en compte chez Danone ? Pour répondre à cette question, je rappellerai que l'ancien président de cette entreprise, c'est-à-dire mon père, y a mis en place, dans les années soixante-dix, un système d'intéressement fort, à la suite d'un discours qu'il a prononcé à Marseille devant le CNPF, l'ancêtre du MEDEF. La teneur de son propos a été simple : une entreprise ne peut obtenir de bons résultats économiques si elle ne bénéficie pas de solides résultats sociaux, et vice-versa. Danone a traduit cette idée par la mise en place d'un double programme social et économique. Je ne fais pas référence ici, toutefois, à un programme social et humain et à un programme économique et financier. Concrètement, si demain j'y suis obligé, je fermerai une usine, même si cette décision risque d'entraîner des gens dans la pauvreté.

Au cours de ces années 70, nous étions des adeptes de la planification économique, mais pas de la planification sociale dont personne ne parlait. Pourtant, ces deux démarches vont de pair. Toute l'origine de la culture du groupe Danone réside dans ce double projet social et économique lancé dans les années 70 et faisant partie de l'ADN de notre entreprise. Tous mes propos porteront sur l'activité de notre groupe en France, même si celui-ci s'est beaucoup internationalisé depuis une dizaine d'années. Cette mondialisation l'a exposé, par frottements, à de nombreux pays émergents, qui, pour la plupart d'entre eux, progressent sur le plan économique et voient le pouvoir d'achat de leurs populations augmenter. C'est l'une des raisons pour laquelle Danone s'intéresse à ces Etats qui, malgré leur enrichissement, n'en connaissent pas moins de pauvreté. L'écart de revenus entre leurs populations riches et pauvres se creuse. Toutefois, globalement, le pouvoir d'achat des deux cents millions d'Indonésiens, par exemple, croît.

A chaque visite que j'effectue dans ces pays en développement, des acteurs locaux me présentent systématiquement la même pyramide du pouvoir d'achat, comprenant des populations A, B, C et D classées en fonction de leurs revenus. Pour reprendre l'exemple indonésien, Danone commercialise dans ce pays de l'eau en bouteille, laquelle apporte une réelle sécurité sanitaire aux habitants condamnés à attendre plusieurs dizaines d'années avant d'avoir accès à une eau du robinet potable. Or, discussions montrent que, pour l'heure, la vente d'eau en bouteille concerne uniquement des populations riches. Un acteur local m'a expliqué que mes produits pourront être lancés dans l'agglomération de Djakarta, soit dans un bassin de vingt millions d'habitants dont la moitié, située au sommet de la pyramide des revenus, possède le pouvoir d'achat des Belges et est concentrée dans un rayon de cent kilomètres. Aussi une telle opération de lancement, d'un point de vue logistique, ne coûtera pas très cher.

En même temps, en bas de la pyramide des revenus, aux échelons D et E, il se trouve cent millions d'individus dont 80% vivent avec deux dollars par jour.

Comment est-il possible de pallier ces déficiences ? Il y a quelques années, Danone a mis en place une stratégie business, intitulée Afford Ability, dont le but est de rendre ses produits accessibles au plus grand nombre de personnes, de manière à leur apporter la santé par l'alimentation, une des missions de l'entreprise. Ce projet, toutefois, est d'essence économique et n'implique pas de dimension caritative, même si je n'exprime aucun rejet de la charité. En la matière, Danone mène des initiatives très décentralisées. Des programmes de profit sharing, c'est-à-dire de partage de profits pour le compte d'associations, sont gérés dans différents pays par les filiales du groupe. Seulement, notre modèle économique vise à atteindre, dans l'idéal, un maximum de consommateurs, y compris ceux vivant avec deux euros par jour.

Pourquoi souhaitons-nous mettre en place un tel système ? Nous entendons tous parler de développement durable. Nous cherchons le développement. Mais rendre celui-ci durable ne passe pas par la charité qui repose sur la volonté d'un homme ou d'une femme, qu'il nous faudra remplacer le jour de son départ. Par ailleurs, nous observons une réelle compétition entre les programmes caritatifs dans leur recherche de financements. Ainsi le modèle caritatif n'échappe pas au modèle des affaires. Un modèle économique, gagnant de l'argent, est, lui, pérenne et viable durablement. Ma rencontre avec M. Muhammad Yunus, alors qu'il n'était pas encore prix Nobel de la paix, m'a permis de lui exposer ma conviction que la bonne nutrition peut faire reculer la pauvreté. Réduire cette dernière implique d'améliorer les conditions sanitaires des populations, tout simplement. Une diarrhée, en France, se soigne et s'oublie. En revanche, elle affaiblit un Indonésien et pèse sur son immunité naturelle pour le restant de ses jours.

Au Bangladesh, nous avons créé Grameen Danone pour vendre des yaourts à cinq centimes d'euros. Avec la hausse du prix des matières premières, mon groupe ne gagne pas d'argent avec ce produit, mais montre que le recul de la pauvreté dans ce pays consiste à trouver des solutions pour réduire le prix du lait et non à organiser une kermesse pour récolter de l'argent pour les plus pauvres. A l'heure actuelle, notre souci majeur réside dans l'augmentation du coût des matières premières. La climatologie est responsable en partie de ce renchérissement, en limitant la production de lait en Nouvelle-Zélande par exemple. La demande en forte croissance en produits alimentaires des pays asiatiques, qui consomment moins de végétaux et plus de viandes, en est une autre cause ; la montée des carburants verts une troisième.

Au-delà de ce projet Grameen Danone, notre désir d'aller plus avant demeure. Nous considérons cette initiative comme un véritable outil de management dans le groupe, un code génétique même. Danone possède la volonté d'impliquer l'ensemble de ses salariés dans ses programmes. La raison en est que les leaders d'opinion clefs du groupe constituent ses salariés et ses managers, mais aussi et surtout ses fournisseurs et ses actionnaires. Une entreprise a pour ambition de gagner de l'argent et de réaliser des profits. Si elle n'en fait pas, plus aucun investissement, y compris dans un programme comme celui mis en place au Bangladesh, n'est possible.

Si Grameen Danone se révèle payant, nous dupliquerons ce genre de modèle hybride, reposant sur un pan de charité et un pan économico-sociétal, dans d'autres pays. C'est ainsi qu'en lien avec une association dénommée Mille et une fontaines, nous avons créé une entreprise pour mettre en oeuvre un réseau de distribution d'eau saine au Cambodge. Toutefois, le bilan du compte d'exploitation de la société mise en place laisse apparaître un modèle économique pas viable. Dès l'origine, l'acquisition de l'appareil permettant de filtrer l'eau a obéré ses finances. Nous avons compensé ce déficit en montant des opérations autour de nos eaux dans le monde et pouvant prendre la forme suivante : à chaque achat de bouteille, une part du profit sur les ventes est réinvestie dans l'achat de machines de filtrage qui seront données aux opérateurs. Ainsi, nous mélangeons des activités de charité et de développement sociétal.

Cette politique est prise en charge par Danone Communities, un véhicule de fonds d'investissement, une SICAV en somme, dont le fonctionnement nous impose de limiter, à 10% des encours, l'investissement dans ce type de projet à risque. Nous assurons aux investisseurs un taux de rendement pour ce genre de placement 3% à 3,5% Ce pourcentage, même s'il n'est pas le plus élevé du marché, sécurise les personnes qui investissent dans le fonds. Danone Communities repose sur la participation des individus. Il fait référence autant aux communautés visées par le programme qu'aux communautés en place dans l'entreprise. Ce dernier a été soumis au vote des actionnaires. Il a obtenu 99,8% de réponses favorables, sachant que les actionnaires de Danone représentent de grands fonds américains, des Hedge funds.

Un comité de responsabilité sociale, présidé par M. Jean Laurent, a été instauré. Il est chargé de suivre les projets éthiques et sociétaux. Les conseils d'administration d'entreprises fonctionnent avec des comités d'éthique, des comités stratégiques, des comités d'audit et de nomination. Toutes ces instances s'intéressent à la partie économique et financière des sociétés. Le comité de responsabilité sociale, lui, fait attention aux projets d'affaires que Danone vise à développer. Un point d'achoppement existe cependant. Certaines personnes me demandent quelles sont les actions menées par le groupe en France, en comparaison de celles qu'il met en oeuvre dans les pays en développement. Je ne découvre ni la pauvreté, ni l'exclusion dans l'hexagone.

Avec la baisse du pouvoir d'achat, les inquiétudes ne manquent pas et je suis inquiet d'entendre dire qu'il suffirait de baisser le prix du paquet de quatre yaourts nature pour y remédier. La solution au problème pourrait consister à offrir des produits avec des grammages plus faibles et donc moins chers, comme cela se pratique en Afrique du Sud et au Bangladesh. Mon souci est de faire en sorte que notre groupe conserve ses marges. S'il ne réalise plus de profit, je serais licencié. Mon activité implique d'être libre, de ne subir la contrainte de personne susceptible de m'amener à prendre une mauvaise décision.

En France, l'exclusion et la pauvreté frappent surtout des endroits dits de diversité. A HEC où je suis administrateur, certains nous demandent de créer une cellule diversité pour favoriser l'entrée dans cette école d'étudiants issus des quartiers. Pour l'heure, le profil des étudiants de HEC est symptomatique de la situation française. Tant que le contrôle continu n'existera pas et qu'il n'y aura aucun effort pour obtenir une palette d'étudiants plus large, la diversité n'existera pas. Tant que des activités comme le football, la musique et le théâtre ne seront pas reconnues comme aux Etats-Unis, celle-ci ne progressera pas. Outre-Atlantique, les enfants, en pratiquant un sport, peuvent, grâce au premier point acquis dans une discipline athlétique, bénéficier de bourses et de financements leur permettant d'intégrer des universités. Sans ces aides, ils n'auraient pas la possibilité de poursuivre leurs études. En France, un enfant originaire de banlieue ne peut être admis à HEC. La sélection à l'école démarre dès la maternelle. Elle représente une catastrophe. Favoriser la diversité oblige à augmenter la largeur de l'échantillon des individus auquel vous donnez une chance de réussir. Si la sélection s'effectue sur la base d'un Bac avec une mention bien, d'emblée le socle est biaisé.

C'est pourquoi notamment l'apprentissage doit être revalorisé. Certains parents vivent comme un drame que leurs enfants soient orientés en BTS ou en IUT. Pourtant, ces formations sont à remettre à l'honneur et l'entreprise peut agir dans ce domaine. Les individus ayant un Bac + 2 n'ont pas des têtes mal faites. Leur parcours indique juste qu'à un moment, les connexions dont ils auraient pu profiter ne se sont pas réalisées comme il aurait fallu. Danone compte, dans ses forces de vente, des jeunes issus d'IUT et de BTS.

Concernant la formation en entreprise, il me semble qu'il serait beaucoup utile de la rendre obligatoire par la loi plutôt que de multiplier des taxes en tous genres. Un directeur d'usine licencié et diplômé de HEC n'a pas lieu d'être inquiet pour son avenir. Au contraire, un ouvrier peut vivre la fermeture de son usine comme une catastrophe s'il n'a pas reçu de formation lui permettant de trouver un autre travail. Faire reculer la pauvreté et l'exclusion ne relève pas d'une seule recette miracle, mais d'une multitude d'initiatives qui impactent la vie des personnes. Lorsque Danone ferme une usine, elle crée de la pauvreté et de l'exclusion. Nos plans sociaux sont décriés dans un premier temps, moins par la suite lorsque leurs bénéficiaires en découvrent les conditions avantageuses. Un plan social, pour réussir, oblige à faire du traitement au cas par cas. Nous accomplissons un travail de fourmi colossal en nous intéressant à chacun, en demandant à chaque personne dont l'usine est condamnée si elle veut déménager pour travailler et, si non, pourquoi.

Les grandes messes et les assises portant sur la pauvreté ne résolvent en rien l'exclusion. Il me paraît plus efficace de mener une multitude d'actions dans les zones les plus nécessiteuses en nous servant d'un endroit, identifié comme victime de pauvreté, comme de laboratoire propice au développement de bonnes pratiques. Les grandes messes ayant pour but de communiquer sont inopérantes. Je me répète. Mais le sport, par exemple, peut constituer une clef d'entrée dans nos sociétés.

A Danone, le programme de formation interne mis en place, nommé Evoluance, ne s'adresse pas à des salariés exclus, mais à des collaborateurs ayant suivi peu d'études, entrés en usines à dix-neuf ans, ne possédant pas a priori un horizon de carrière très large et une grande motivation pour changer de statut social. Pourtant, un étudiant issu d'une petite école de commerce et engagé dans une équipe de force de vente peut très bien devenir président de Danone. Notre politique consiste à inciter les individus à explorer d'autres voies, susceptibles de leur donner plus de responsabilités professionnelles. N'étant pas formés, certains collaborateurs expriment des peurs, notamment face aux missions qui peuvent leur être proposées.

Vaincre ces craintes nécessite d'instaurer des programmes internes de formation, sanctionnés par des examens. Nos salariés ont la possibilité d'obtenir des diplômes grâce à un travail personnel et des équivalences, résultant des responsabilités assumées au sein de notre organisation. Ce programme Evoluance a permis de faire reculer la pauvreté, notamment pour les enfants du personnel. Pour un enfant, voir sa mère de cinquante ans obtenir un diplôme et des responsabilités accrues a un fort impact chez lui et peut l'inciter à suivre de longues études. En bref, pour résumer ma pensée, il est nécessaire de casser ce système scolaire élitiste français. Personnellement, je n'y parviens pas.

J'ai demandé à ce que le nom des écoles dont sont issus les chefs de produits recrutés dans les unités d'affaires du groupe n'apparaisse plus, de façon à éviter les phénomènes de cooptation. Mais là aussi, je n'arrive à mes fins. Les réseaux continuent à prévaloir malgré mon désir de les briser.

L'entreprise doit bénéficier d'un contexte idoine pour résoudre l'ensemble des problèmes dont je viens de faire mention. L'instauration d'une taxe sur l'exclusion et la pauvreté ne serait pas adéquate. Au Bangladesh, je suis devenu administrateur d'une ONG, Gain, travaillant sur la malnutrition dans le monde. Cet organisme a joué un double rôle : une fonction marketing en expliquant en quoi la nutrition se révèle importante et une autre consistant dans la mise en place de systèmes keeping eyes. Ces outils mesurent combien un enfant recevant les bons nutriments, les apports nécessaires en zinc, en fer et en vitamines ne tombe pas malade. Ils contribuent au recul de la pauvreté. Un enfant souffrant ne se rend pas à l'école. Il doit être soigné et souvent, dans les pays en développement, sa maladie représente pour sa famille un salaire en moins.

Pour en revenir à la situation française, la hausse du pouvoir d'achat passera par une augmentation des salaires. J'ai entendu M. Michel Edouard Leclerc nous expliquer comment l'inflation des produits alimentaires serait divisée par deux, grâce à lui. Or, un foyer français dépense, en moyenne, 5 000 à 6 000 euros par an pour l'achat de produits alimentaires. Si l'inflation est effectivement de 4%, son projet la ramènera à 2%. Le gain obtenu, sur un total de 6 000 euros, sera donc mince. Comptons-nous sauver le pays de la sorte ?

La fameuse loi LME que vous comptez voter bientôt entraînera l'asphyxie de 80 000 PME. Si j'étais cynique, je pourrais me réjouir d'une telle perspective. Notre produit Activia détient 11% de parts de marché, tout comme Yoplait. Notre entreprise se trouve donc en position de force. Le discours consistant à dénoncer le rôle dominant des multinationales n'est plus tenable. Les ventes de Nestlé, la plus grosse multinationale planétaire, dans un supermarché, représentent 1,5% du chiffre d'affaires de ce dernier. Si les produits sont moins chers en Allemagne par rapport à la France, la raison en est avant tout structurelle. Les systèmes de distribution sont différents dans ces deux pays. Les hard discounteurs possèdent la moitié du marché des grandes surfaces en Allemagne. Pour les produits alimentaires, la France reste le deuxième pays le moins cher d'Europe, avec les Pays-Bas. Nous ne vivons pas dans un pays où la vie est chère. Les dépenses en produits agroalimentaires, pour un foyer, représentent en moyenne 14% de son budget. L'augmentation du pouvoir d'achat passera par une baisse du prix des logements et des transports.

Il serait bien, à l'avenir, que les entreprises parrainent des universités par exemple et leur offrant des financements pour repeindre leurs locaux, acquérir du matériel, etc. Je préfère sponsoriser une université plutôt que l'Olympique Lyonnais, même si je suis originaire de Lyon. Nous avons eu la volonté de réaliser des projets en lien avec le monde universitaire, mais ils ont tous échoué. L'évolution semble toutefois aller dans ce sens.

J'ai prévu de me rendre à Villetaneuse, Université située au Nord de Paris. Je souhaite redonner aux jeunes étudiants l'envie de travailler dans de grandes entreprises. Je ne dénigre pas les PME, mais des dangers existent à faire croire que tout le monde est capable de devenir entrepreneur.

Lorsque Danone ferme une usine, nous recevons des demandes pour ouvrir un salon de coiffure par exemple. J'encourage ce genre d'initiatives, mais à certaines conditions, car nombre d'individus manquent de formation et d'éducation à l'économie. Aussi, faire miroiter à de nombreuses personnes qu'ils peuvent lancer leur propre entreprise risque de se traduire par des réveils douloureux. Tout le monde n'a pas les capacités intellectuelles et techniques, ainsi que la volonté, pour créer une société. Il s'avère utile, pour certaines personnes, de collaborer avec des comptables, d'être épaulées et de bénéficier d'un accompagnement, gratuit si nécessaire. Au travers des contacts qu'il entretient avec ses salariés, un entrepreneur aspirant tirera les enseignements dont il a besoin. Les banques, par ailleurs, ont un devoir de s'impliquer dans les projets d'entreprises. Or, même pour Danone, il est difficile d'obtenir des crédits. Des programmes tels que « créer votre entreprise pour réduire la pauvreté et l'exclusion » ne seront pas durables sans accompagnement. Une entreprise commence à rencontrer des soucis lorsqu'elle atteint un chiffre d'affaires de 5 millions d'euros, un taux de croissance de 20% et est obligée de recruter. C'est à ce moment charnière qu'il lui faut recevoir un accompagnement. Les salariés des grandes entreprises ont besoin de cette aide, pas nécessairement d'exonération d'impôts sur leurs activités.

A Danone, nous avons changé notre de système de bonus, du bas en haut de l'échelle. Par principe, je m'oppose à l'instauration d'un bonus individuel pour le salarié et l'ouvrier. Il est scandaleux de mettre en place un système dans lequel une personne est rémunérée au SMIC et bénéficie de bonus en fonction du résultat. Souvent, un salarié achète une maison sur la base d'un crédit indexé sur son salaire et son bonus. Si le bonus ne lui est pas accordé, faute de bons résultats, il ne comprendra pas pourquoi.

Quant à l'intéressement, il s'agit de la mesure la plus antisociale qui existe. Ce concept ne représente pas un partage, mais une formule mathématique fondée sur le résultat de votre entreprise et consistant à diviser le résultat financier acquis par le nombre de personnes présentes dans la société. Si le résultat obtenu est satisfaisant, le partage a lieu. Lorsqu'il est mauvais, les salariés connaissent une forte réduction de leur intéressement, sans recevoir aucune compensation parfois. Par ailleurs, si l'entreprise ferme une usine et engage une restructuration, un effet d'aubaine se crée pour les salariés restants qui bénéficient d'une martingale extraordinaire. En effet, après tout plan social, les salaires pèsent moins sur les coûts et le nombre de collaborateurs diminue, entraînant du même coup une hausse de l'intéressement unitaire.

Le principe de ce mécanisme n'est pas mauvais en soi, car il motive l'individu. Mais le gain obtenu au travers de l'intéressement a besoin d'être plafonné. Son déplafonnement a été décidé par M. Alain Juppé alors que je me trouvais à la tête d'Evian. Il m'avait conduit à prendre l'initiative de proposer un certain plafond pour l'intéressement alloué aux salariés et d'investir la part supérieur à ce plafond dans un fonds à la réinsertion. Cette suggestion avait été rejetée. Aujourd'hui, une loi destinée à mettre en oeuvre ce projet serait la bienvenue.

A Evian, l'intéressement et la participation représentent entre quatre et cinq points de salaire. Un banquier considère cette part variable du revenu comme un salaire. Or demain, si la qualité de nos produits baisse, mes collaborateurs ne toucheront plus d'intéressement. Les individus doivent comprendre que ces instruments ne constituent pas du salaire ou du pouvoir d'achat. Malheureusement, ils ne semblent pas s'orienter dans cette voie.

Nous avons, pour cette année, augmenté les salaires à un taux situé entre 3% et 4%. Néanmoins, étant donné la nature de notre activité, ceux-ci ne représentent pas la plus grande part de nos coûts d'exploitation (seulement 8%). Aucun smicard ne travaille à Danone. Toutefois, notre entreprise est loin d'être parfaite. Elle emploie des personnes comme intérimaires depuis 10 ou 15 ans. C'est pourquoi elle doit continuer à améliorer sa politique sociale.

Les entreprises ont un rôle à jouer pour permettre à des personnes de s'insérer, à condition qu'elles possèdent l'état d'esprit qu'il faut et évoluent dans un contexte adéquat.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Parvenez-vous à convaincre vos collègues chefs d'entreprise à agir comme vous le faites ? Comment serait-il possible de dupliquer les bonnes pratiques implantées à Danone ailleurs et par quelle méthode pouvons-nous aider les entreprises à les mettre en place ?

M. Franck RIBOUD - Je ne fais jamais de politique. Toutefois, je souligne que des idées sociales peuvent émerger chez un individu sans qu'il soit de gauche. Ma famille a été classée sur le champ politique. Mon père m'a, toutefois, fait comprendre qu'il fallait choisir entre diriger Danone et faire de la politique. Il est impossible de mener de front ces deux pratiques en même temps. Je me sens juste responsable et né au bon endroit, ce qui me permet de bénéficier d'une grande liberté. Je n'ai pas besoin de convaincre les autres chefs d'entreprises à suivre l'exemple de Danone. Le patronat actuel ne se ressemble plus au CNPF d'autrefois et des entreprises mènent des expériences très intéressantes pour résoudre l'exclusion. Une personnalité comme M. Carlos Ghosn, dépeint comme une véritable force de travail, n'est pas du tout insensible. Il présente un profil multiculturel également et constitue une personne sur laquelle il est possible de s'appuyer.

Par nature, l'activité d'un chef d'entreprise conduit ce dernier à prendre des décisions parfois différentes que celles souhaitées. En tant que manager, je reste convaincu qu'utiliser l'argent comme seul moteur de motivation de mes hauts dirigeants se retournera tôt ou tard contre mon entreprise. Les hommes politiques peuvent-ils m'aider dans mon action ? Je dois les voir en premier lieu. J'organise des dîners et déjeuners avec tous les maires où Danone possède des implantations industrielles. C'est notamment de la sorte que je parviens à travailler avec eux. Certains carcans restent à débloquer cependant. Il est réclamé en ce moment une augmentation des quotas laitiers. Or, en France, ces quotas ne sont pas atteints. Dans ce domaine, il est nécessaire de réguler le prix du lait au niveau européen. Celui-ci est beaucoup plus cher en Espagne qu'en France. Du coup, le fermier français installé au Pays basque vend son lait en Espagne, condamnant les distributeurs français à la faillite.

J'ai dû fermer une usine non rentable en Normandie. Pour éviter la mobilisation des syndicats et de faire la une des journaux, j'ai préféré négocier avec les représentants des salariés, en leur posant les questions suivantes : comment est-il possible de protéger l'emploi ? Vaut-il mieux avoir 200 personnes dans deux usines distantes de trente kilomètres l'une de l'autre ou fermer l'une d'entre elles pour regrouper dans l'autre les salariés ? Bien entendu, la deuxième solution est apparue comme la plus satisfaisante pour tous les salariés, mais pas pour tous les élus locaux. En effet, le système de taxe mis en place imposait de créer une communauté de communes, ce envers quoi les hommes politiques ont exprimé des réticences. Le temps de l'entreprise n'est pas celui des élus. En ce sens, les lois sociales ne sont pas négatives. Elles offrent du temps pour négocier et mieux comprendre les attentes de chacun.

Pour l'heure, la priorité va plutôt à la simplification des procédures. Je ne souhaite pas la suppression des contraintes et l'avènement d'un libéralisme total, mais des procédures plus cohérentes entre elles.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - J'ai entendu M. Bill Gates, à Paris, dire que le capitalisme doit devenir créatif. Six milliards d'individus peuplent la planète, dont un tiers vit très bien, un autre tiers essaie de s'en sortir et un dernier tiers est complètement exclu du développement. Selon lui, ce modèle n'est pas viable. Comment les chefs d'entreprise peuvent-ils promouvoir la responsabilité sociétale ? La création d'un club d'entrepreneurs à Davos pourraient-ils les y aider ?

M. Franck RIBOUD - Depuis dix ans, je refuse de me rendre à Davos. L'association Gain, dont je suis l'administrateur, m'a permis de croiser M. Bill Gates. Mme Melinda Gates, sa femme, soutient notre action en effet. Etant donné sa fortune colossale, M. Bill Gates, au travers de sa fondation, a la possibilité d'agir à sa guise, tout comme M. Warren Buffet. Leur cas sont très particuliers et ne sont pas représentatifs de ce qui se faire par ailleurs. Le fondateur de Microsoft possède une liberté totale d'action et peut investir 90 % de sa fortune dans sa fondation. Les 10% qui lui restent représentent des sommes colossales.

Mon ami Zinedine Zidane est riche et humaniste, deux qualités qui ne sont pas incompatibles. Lui, moi et M. François-Henri Pinault, nous nous occupons d'une association visant à la lutte contre la leucodystrophie, un combat capable de fédérer les individus. La création d'un club de patrons pour résoudre l'exclusion ne me semble pas utile. Le progrès implique de rentrer dans le factuel, de s'impliquer. De plus, les clubs de patrons existent déjà.

Si quelqu'un m'invite à m'engager dans une cause et un projet concret, lié à l'activité de Danone, alors je serais ouvert à sa proposition. Par exemple, nous avons lancé une activité mêlant baby-foot et nutrition clinique et sa traduisant par la mise en place de maisons pour enfants malades et leurs parents. En Afrique du Sud, des maisons pour les enfants cancéreux ont vu le jour.

A propos de la France, le fait de réunir des commissions pour résoudre des problèmes me semble inadapté et me laisse parfois pantois.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Concernant votre volonté de briser le système élitiste scolaire, vous devriez aller au bout de votre raisonnement. La véritable élite doit être celle qui a obtenu son statut social par son mérite personnel.

M. Franck RIBOUD - Je souhaite que HEC redevienne un ascenseur social comme peut l'être le club de football du Paris-Saint-Germain aujourd'hui. J'appartiens, par naissance, à cette élite. Mes enfants en sont parties prenantes également. Mais le système a besoin d'évolution à sa base. Les clefs d'entrée pour s'insérer socialement doivent être repensées. Le sport ou l'art peut-il en être une ? Une expérience ayant conduit à passer cinq années de sa vie dans une ONG peut-elle être valorisée ?

Pour résoudre les problèmes de la banlieue, il y a besoin de moyens financiers, et non pas d'occuper les jeunes des quartiers à faire autre chose que des délits ; des financements devant s'inscrire dans un projet et permettre à des jeunes, par exemple, qu'on aide à jouer au football et qui brille dans ce sport, de rejoindre ensuite une université à la recherche de leurs talents. Le sport doit constituer une clé d'entrée dans la société. Le but n'est pas de permettre à chacun de devenir Zidane, mais de valoriser son excellence. L'Espagne, la Suisse, l'Allemagne et les Pays-bas tendent vers ce modèle.

Tout devrait avoir valeur d'exemple et servir d'émulation. Nous devons mettre un terme à ce système scolaire français dans lequel certains lycées connaissent 100% de réussite au bac. Mathématiquement, cette statistique est impossible à obtenir sur la base d'un échantillon de population normal. Elle nécessite forcément d'exclure certaines personnes et d'en sélectionner d'autres, les meilleures, à l'entrée des lycées ? La fonction d'une école n'est pas d'augmenter son taux de réussite au baccalauréat. Cet examen demeure un jalon, commun à tous, une expérience de vie dont l'importance tient, non pas à son taux de réussite, mais au travail et à l'apprentissage qu'il aura permis de dispenser. Aujourd'hui, le seul critère médiatique pertinent représente le classement des lycées en fonction de leur taux de réussite au bac. Il s'agit d'un drame.

De la même façon, l'un des critères les plus suivis pour le classement des MBA consiste à savoir ce que gagne un individu avant qu'il n'entre en MBA et ce qu'il touche à sa sortie. Pour quelle raison dois-je payer plus cher un salarié ayant suivi deux ou trois ans de cours ? Ce genre de démarche est contre-productive.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE - Beaucoup d'entreprises possèdent leur fondation. Comment avez-vous pu organiser un business social ?

M. Franck RIBOUD - Danone préfère lancer des projets, puis réfléchir par la suite à leur mise en oeuvre. Nous avons, spontanément, décidé de soutenir un club de football à Evian pour créer du lien social, sans tenir compte de l'avis des hommes politiques locaux. Mais pourquoi n'avons-nous pas mis sur pied de fondation ?

Une fondation repose sur les quelques personnes chargées de la gérer. Or, avec Danone Communities, nous impliquons l'ensemble de l'entreprise. 35% des salariés du siège social de l'entreprise ont investi tout ou partie de leur intéressement participatif dans ce projet. Les actionnaires ont voté en sa faveur à 99% et certains ont réinvesti dedans une partie de leurs dividendes. C'est ainsi que se forme un cercle vertueux. Je crée de la valeur, je vous en donne un part, puis vous me redonnez un peu de cette part pour l'investir ailleurs, dans Danone Communities en l'occurrence.

Ce projet demeure une entreprise à part entière, fondée sur le modèle d'une SICAV. Nous possédons par ailleurs une fondation, liée au sport, pour mettre en place des évènements. En bref, la notion de réinvestissement prime dans ce genre d'initiatives.

La mise en place d'une fiscalité avantageuse aiderait la création de fondations ou de projets comme Danone Communities et inciterait nos grandes fortunes à ne plus s'expatrier. L'une des raisons pour lesquelles M. Bill Gates et M. Warren Buffett investissent dans des fondations tient aux bénéfices qu'ils en retirent.

Les personnes très riches se connaissent aujourd'hui. Elles voyagent et se côtoient à Davos. Zinedine Zidane ne vivrait pas à Madrid mais en France et y fonderait sa fondation s'il pouvait jouir de conditions fiscales avantageuses dans notre pays. Des outils propices à la création de fondations doivent voir le jour en France. Elles offrent l'opportunité de créer un véhicule de redistribution de richesses. Si les choses restent en l'état, les dispositions prises par M. Bill Gates ne pourront se réaliser dans notre pays au travers de M. François-Henri Pinault ou de Mme Betancourt.

M. Guy FISCHER - Vous avez affirmé qu'il n'existe pas de recettes miracles pour résoudre la pauvreté et l'exclusion. De multiples lois ont été votées en la matière, mais ne risquent-elles pas de rester sans effet ?

J'ai été, pendant très longtemps, le conseiller général des Minguettes, sous l'étiquette du Parti communiste. Je suis en faveur de la réduction des inégalités, car celles-ci sont trop grandes. Mais la précarité s'institutionnalise dans tous les pays européens. En France, une part de plus en plus importante de la population vivre avec huit cents ou mille euros. Qu'en pensez-vous ?

M. Franck RIBOUD - Je ne suis pas communiste. J'ai vu ce que le communisme a pu faire comme ravages à travers mes voyages. Effectivement, il n'est pas possible de vivre avec huit cent euros par mois. Je lis souvent que les grandes entreprises réalisent d'énormes profits. Mais, concernant Danone, ses profits ont baissé de 30% et ses dépenses publicitaires ont chuté de 40%. Le cercle vertueux dont j'ai fait mention à cette occasion n'existe pas dans ce contexte.

Nos profits augmentent pour une raison, notre implantation dans les pays émergents qui commence à porter ses fruits, avec des entités qui atteignent des tailles critiques et deviennent efficaces. Avec la hausse du pouvoir d'achat des populations de ces Etats, les marges que nous y obtenons en viennent à peser de manière significative sur les marges globales du groupe. Nous n'améliorons pas notre résultat par nos activités en France où j'essaie néanmoins de solutionner, avec ma puissance économique, les problèmes qui peuvent exister. Mais je ne peux guère, par mon activité, améliorer le pouvoir d'achat des Français.

Nous avions décidé de donner deux actions gratuites aux 75 000 salariés de Danone. Ces actions valaient environ 55 euros à l'époque où nous les avons distribuées. Les sommes qu'il aurait fallu engager dans le cadre de ce projet représentaient un investissement conséquent pour l'entreprise. De fait, nous y avons renoncé. Par ailleurs, une telle initiative aurait été dénoncée. On nous aurait taxé de vendeurs de misère en France. En Indonésie, ces deux actions auraient constitué, en revanche, une somme importante. Je ne souhaitais pas à enrichir les salariés à travers cette action, mais plutôt à m'assurer de relais de communication. En effet, le dialogue social repose avant tout sur un dialogue économique. Avoir un comité central d'entreprise vous force à expliquer l'économie. Si vous n'êtes pas capables d'enseigner l'économie à un ouvrier de vingt-cinq ans au travers de ses représentants syndicaux, il ne sera pas possible de lui faire comprendre la nécessité de fermer une en raison d'une marge insuffisante.

Une personne, en Indonésie, qui aura reçu une action, se demandera ce qu'elle peut en faire, ce qui la conduira à amorcer un dialogue avec sa hiérarchie.

Réduire les inégalités demande de l'espoir et de mettre en place de réels projets de développement, en tirant les individus du bas vers le haut. Cependant, des années de discours économique sont à reprendre pour expliquer aux gens comment fonctionne le monde des entreprises, l'économie. Ceci ne nous empêche pas, toutefois, de prendre des mesures rapides et, en particulier, l'une d'entre elles, nécessaire, consistant à réduire les dépenses publiques, beaucoup trop élevées dans notre pays. Les caisses de l'Etat sont vides. Le gouvernement ne peut pas baisser les impôts, même s'il a réduit ceux des plus riches, une mesure pas nécessaire.

La loi Châtel a été votée au début du mois de janvier. Elle sera suivie d'une nouvelle loi annoncée pour le mois de juin. Cette juxtaposition de textes législatifs est gênante, y compris pour Danone. La priorité, selon moi, consiste à ouvrir de nouvelles perspectives en fluidifiant l'économie. Je ne connais pas un patron de PME qui ne souhaite pas augmenter ses salariés. Aujourd'hui, les conditions ne sont pas réunies pour cela. Des réformes sont à mener dans le domaine de la formation, car toute personne a besoin d'être formée pour avoir un avenir professionnel.

Seules des réactions en chaîne peuvent créer les conditions propices au développement. Augmenter le SMIC de 20% ne constitue pas une solution en soi. Les entreprises ne peuvent assumer ce genre de mesure. Elles seraient faillite. Une société se comporte comme une lionne. Rassasiée, elle n'est pas dangereuse. Si elle se porte mal, elle devient d'une agressivité inimaginable. Moulinex a fait faillite parce qu'elle ne s'est pas restructurée lorsqu'elle réalisait des profits. C'est par le biais des restructurations que le rôle social, sociétal des sociétés peut être valorisé. Le contexte actuel ne s'y prête guère. Les dirigeants d'entreprises doivent pouvoir restructurer leurs entreprises sur la base de négociations sans aboutir à une guerre des tranchées avec les syndicats et sans que ne s'éternisent les procédures. Le combat syndical doit s'effectuer ailleurs.

Les questions à se poser sont les suivantes : Que voulons-nous construire ? Qui reclassons-nous ? Comment ré-industrialiser une région ? Dans son usine de Calais qu'elle a dû fermer, Danone a opté pour une ré-industrialisation. Elle n'a pas créé d'emplois pour les salariés de l'usine de cette ville, mais étudié un par un leur dossier. A partir de cette méthode, 90% des individus ont pu être reclassés. En outre, nous avons mis en place un centre d'appel téléphonique employant 400 jeunes de la région. Cette initiative a suscité des critiques. Il nous a été reproché de mal payer ces emplois, de plus non durables. Mais notre engagement d'utiliser ce centre pendant cinq ans me permet d'affirmer que nous avons créé du travail dans une zone où aucun nouvel emploi n'avait vu le jour depuis des années.

Comment faire en sorte alors que les mondes politique et économique ne diabolisent pas tout et puissent tirer des leçons positives d'évènements même dramatiques ? Je n'ai pas de réponse immédiate à cette question. Mais tant que les élus voudront des résultats immédiats, rien ne pourra déboucher. La solution est de construire des projets pas à pas. Sinon, l'action se résume à une sorte de plâtrage.

Mme Béatrice DESCAMPS - J'habite à deux kilomètres d'une usine Danone. Je suis maire et nombre de mes administrés travaillent dans votre groupe où ils sont heureux d'être. Appliquez-vous, dans vos méthodes de recrutement, le principe de la diversité ?

M. Franck RIBOUD - Oui, mais avec certaines difficultés parfois. Certains salariés encouragent leurs enfants à bien travailler à l'école pour intégrer Danone plus tard. Or, un jour, le maire d'une ville proche d'une usine du groupe et comportant un quartier m'a interpellé pour me reprocher de ne pas recruter certains de ses habitants malgré leurs diplômes. Depuis lors, j'ai imposé un changement de politique de recrutement pour permettre à ces personnes de rejoindre le groupe. Face à cette mesure, un syndicat m'a adressé des lettres d'insultes. Dans cette zone rurale, les salariés perçoivent Danone comme une véritable promotion sociale. Ils souhaitent préserver des places pour leurs enfants.

Mais comment, à mon niveau, savoir qu'une planification des postes est programmée ? Je suis favorable à la diversité, mais je ne peux pas tout voir n'y tout contrôler.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Comment recrutez-vous vos proches collaborateurs ? Passez-vous par des bureaux de chasseurs de têtes ?

M. Franck RIBOUD - Vous êtes obligés d'en passer par-là. Mais si vous utilisez ces intermédiaires comme des sous-traitants, votre entreprise n'est plus viable. Si le cabinet de conseil Mc Kinsey dicte sa stratégie, elle n'existe plus. Car il ne connaît pas sa culture, ni sa manière de travailler. Lorsque je souhaite recruter un candidat, j'identifie les potentiels qui se trouvent en face de moi. Je creuse pour en connaître un peu plus sur leur personnalité.

Chaque année, je parraine une école de commerce. Dans celle de Marseille que j'ai soutenue, j'ai rencontré une cinquantaine d'étudiants. Parmi eux, une vingtaine ne bénéficiait d'aucun contact pour trouver un travail. Ils ont passé des entretiens à Danone et environ dix d'entre eux ont été embauchés. Il est important de pouvoir donner une chance à beaucoup d'individus.

Concernant mes collaborateurs directs, je les vois uniquement en bout de course. Je leur dépeins alors Danone comme une entreprise horrible. Ainsi, ils ne pourront prétexter ne pas avoir choisi de nous rejoindre en connaissance de cause. Nous mettons la capacité d'adaptation des candidats à l'épreuve également, notre entreprise reposant sur une culture très forte. Lorsqu'un poste de la direction générale est ouvert, nous cherchons en priorité à la confier à un salarié de l'entreprise et non une personne venant de l'extérieur. Cette méthode implique de renforcer la formation et les méthodes d'accompagnement des salariés aussi. Sinon la greffe ne peut se faire. Nous avons dû nous séparer de notre directeur des ressources humaines et de notre directeur financier car ils n'ont pas su s'adapter à la culture de notre entreprise. J'ai appelé d'anciens salariés de Danone pour les remplacer.

Pour parfaire cette adéquation entre le profil de nos salariés et la culture de notre entreprise nous mettons l'accent sur la formation, réservée, non plus seulement aux managers et cadres, mais aussi aux ouvriers. Des exonérations de taxes pourraient nous aider à agir dans ce domaine. Mais elles ne sont pas indispensables.

Je tiens à souligner une dernière chose. Vous ne devez jamais opposer les multinationales aux PME. Derrière une grande entreprise se cache une multitude de PME. La France doit redevenir fière de son tissu industriel. 80% des entreprises du CAC 40 sont championnes du monde dans leur domaine. Il s'agit d'un élément éminemment positif, nécessaire à valoriser à l'avenir.

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