Audition de M. Arnaud VINSONNEAU, adjoint au directeur général, chargé des relations institutionnelles, de M. Bruno GROUÈS, conseiller technique, et de Mme Jeanne DIETRICH, chargée de mission au pôle « lutte contre les exclusions », de l'Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes sanitaires et sociaux (Uniopss) - (5 février 2008)

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Pour cette première audition de la mission commune d'information sur les politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion, nous accueillons M. Arnaud Vinsonneau, adjoint au directeur général et chargé des relations institutionnelles, M. Bruno Grouès, conseiller technique, et Mme Jeanne Dietrich, chargée de mission au pôle « lutte contre les exclusions » de l'Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes sanitaires et sociaux (Uniopss).

Pouvez-vous nous indiquer quelle est la vision de l'Uniopss sur la situation de la pauvreté et de l'exclusion en France ? Nous aimerions, par ailleurs, connaître les axes qui, selon vous, sont aujourd'hui déterminants et sur lesquels nous pourrions émettre des préconisations utiles à notre société. Pouvez-vous, à travers votre expérience, les diagnostics et les outils que vous avez réalisés nous guider dans notre réflexion ?

M. Arnaud VINSONNEAU - Je tiens tout d'abord à remercier la mission d'avoir bien voulu auditionner l'Uniopss. Etant donné l'ampleur des sujets à aborder, j'aimerais savoir quel temps de parole m'est imparti.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Nous garderons du temps pour vous poser des questions à la suite de votre intervention. Vous disposez d'un temps de trois quarts d'heure pour vous exprimer.

M. Arnaud VINSONNEAU - Je me propose, d'abord, de vous présenter l'Uniopss, de manière à vous situer notre organisation. Je me chargerai de cette introduction. Puis je passerai la parole à M. Bruno Grouès et à Mme Jeanne Dietrich, en charge du pôle « lutte contre les exclusions » au sein de notre structure.

L'Uniopss représente une union d'associations. Elle a été créée en 1947 et comprend 110 grands adhérents nationaux, dont des organismes de lutte contre les exclusions comme la Fnars, le Secours Catholique, le Secours Populaire et le Fonds Social Juif Unifié, mais aussi des organisations agissant dans le domaine de l'action sociale et de la santé. Nous avons la volonté d'avoir une vue transversale sur les politiques publiques. De fait, notre champ d'action dépasse largement celui de la lutte contre les exclusions.

A ces 110 adhérents nationaux s'ajoutent 22 unions régionales. Au total, nos associations gèrent, aux niveaux national et local, environ 20 000 établissements et services sanitaires, sociaux et médico-sociaux.

Notre mission consiste à favoriser la culture du débat au sein de ces unions nationales, grâce au partage de nos expériences et de nos diagnostics sur la situation des politiques publiques. Mais nous cherchons aussi à être une force de proposition pour faire évoluer les dispositifs. En d'autres termes, nous essayons de constituer un pont entre les pouvoirs publics et les associations.

A ma connaissance, nous sommes aujourd'hui le plus grand rassemblement d'oeuvres et organismes privés à but non lucratif en France. Bien sûr, nous avons à coeur, dans les positions que nous défendons, de prendre en compte les publics fragiles, et aussi d'être des représentants d'associations, gérant leurs structures de manière désintéressée et rassemblant à la fois des professionnels et des bénévoles.

Je donne la parole à M. Bruno Grouès afin qu'il nous présente le collectif « Alerte », très mobilisé dans la lutte contre la pauvreté.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Je me permets de préciser, pour ceux qui le connaîtraient dans le cadre d'autres fonctions, que le président de l'Uniopss est M. Dominique Balmary.

M. Arnaud VINSONNEAU - En effet. M. Balmary a succédé à M. Jean-Michel Bloch-Lainé à la tête de la présidence de l'Uniopss lors du Congrès de Nantes de novembre 2007.

M. Bruno GROUÈS - Comme l'a indiqué M. Arnaud Vinsonneau, l'Uniopss regroupe aujourd'hui presque toutes les associations et fédérations nationales de lutte contre l'exclusion. Les seules à ne pas en faire partie sont « ATD » et « Solidarités Nouvelles face au Chômage » qui, sans figurer parmi nos adhérents, travaillent néanmoins avec nous quotidiennement.

Parler de la création du collectif « Alerte » m'oblige à remonter un peu plus de vingt ans en arrière, aux années 1984 et 1985, pendant lesquelles a eu lieu l'émergence d'un nouveau public que nous avons nommé les « travailleurs pauvres ». Leur prise en compte a provoqué la création du premier programme de lutte contre la pauvreté : les « crédits pauvreté-précarité ».

Mais les associations de lutte contre l'exclusion se sont rendu compte très vite qu'il leur était possible de gagner en efficacité en coordonnant leurs actions. Elles ont alors demandé au président de l'Uniopss de l'époque, M. François Bloch-Lainé, de procéder à leur rassemblement pour leur permettre d'avoir une politique commune plus cohérente et de mieux dépenser les crédits qui leurs étaient alloués.

C'est ainsi qu'en 1985, l'Uniopss a décidé de créer la commission « lutte contre la pauvreté », réunissant une quarantaine d'associations nationales engagées dans le domaine de l'exclusion comme le Secours Catholique, le Secours Populaire, la Fnars, ATD Quart Monde, Médecins du Monde et l'Armée du Salut.

Depuis 20 ans, ces associations, extrêmement fidèles à l'Uniopss, se réunissent une fois par mois pour partager leurs réflexions dans le domaine de la lutte contre la pauvreté. Leurs rencontres régulières nous ont amenés à beaucoup réfléchir, mais aussi à intervenir dans le secteur législatif, notamment au moment de l'élaboration des grandes lois qui ont structuré notre champ d'action comme celles relatives à la CMU, au RMI et à la SRU.

C'est en 1994 que M. Edouard Balladur, Premier Ministre, a pris la décision de faire de la lutte contre la pauvreté une grande cause nationale. Cinq associations se sont alors vues décerner ce label « grande cause nationale » ; des structures qui travaillaient, depuis presque dix ans, au sein de la commission « lutte contre la pauvreté », raison pour laquelle elles ont demandé au Premier Ministre, et obtenu de sa part, que l'ensemble de la commission de l'Uniopss soit récompensé.

A l'époque, le label « grande cause nationale » permettait de recueillir du gouvernement d'énormes moyens financiers pour mener des opérations de communication en direction du grand public. Ainsi, d'un seul coup, l'Uniopss s'est retrouvé dotée de ressources importantes pour communiquer sur le sujet de la lutte contre la pauvreté. Pour ce faire, elle s'est adjoint les services d'une agence de communication dont l'une des premières priorités a été de rebaptiser la commission afin de lui octroyer un nom plus évocateur pour le grand public. C'est ainsi que la commission « lutte contre la pauvreté » est devenue le collectif « Alerte », un nom encore utilisé, en particulier lorsque nous nous adressons aux médias ou au grand public.

Parmi les principales et différentes actions qu'« Alerte » a pu réaliser, notons le travail accompli autour de la loi d'orientation de lutte contre l'exclusion, un texte ayant connu une première version épurée en 1979 puis une version définitive en 1998. Il s'agit d'un des exemples les plus significatifs des nombreuses interventions que nous avons effectuées dans le domaine législatif.

En 2005, après 10 ans de fonctionnement, le bilan d' « Alerte » a été établi : un bilan positif. Il nous a permis, notamment, de prendre conscience qu'avec notre travail, nous avions suffisamment pesé sur la création des lois pour obtenir de bons textes législatifs dans le domaine de la lutte contre la pauvreté. Malgré tout, nous avons dû nous rendre à l'évidence que la pauvreté n'avait pas reculé. Nous nous sommes alors demandé comment il était possible d'avoir de bonnes lois, mais pas de réduction de la misère. Il nous était difficile de répondre à cette question. Nous avions parié sur l'utilité de l'Etat et de la loi pendant presque 20 ans. Or, malgré tous nos efforts, nous n'avions pas réussi à faire éclater le noyau dur de la pauvreté.

Nous nous sommes alors, bien entendu, remis en question et avons essayé de repérer les dysfonctionnements éventuels. L'un d'entre eux était que les associations se focalisaient trop sur le travail de réparation, intervenaient en aval de la formation de la pauvreté et pas assez sur ses causes.

Aujourd'hui, nous amorçons une réflexion pour envisager un travail en amont et donc lutter contre les causes de la pauvreté. Nous sommes persuadés qu'il s'agit du bon niveau pour intervenir. Mais que se trouve-t-il en amont ? Les causes de la pauvreté sont multiples. Elles représentent, par exemple, toutes les formes de ruptures familiales. Toutefois, nous en avons cerné une, majeure, dans le système économique : le chômage.

C'est pourquoi nous nous sommes tournés vers les partenaires sociaux, aussi bien les représentants des employeurs (MEDEF, CGPME, UPA, etc.) que ceux des salariés. Voilà maintenant presque quatre ans que nous réfléchissons avec eux à la manière de lutter contre l'exclusion !

Aujourd'hui, nous ne vous présenterons pas, malheureusement, de solutions. Mon introduction a pour seul but de vous conduire à percevoir l'état d'esprit dans lequel nous travaillons.

Avec votre permission, j'aborderai les quatre domaines clés qui structurent nos réflexions et nos actions : le RSA, le logement, l'emploi et la santé.

Tout d'abord, je tiens à signaler que nous partageons l'objectif général du Revenu de Solidarité Active, consistant à favoriser le travail et à rémunérer davantage les personnes qui exercent une activité professionnelle par rapport à celles qui n'en ont pas. Nous sommes favorables à ce principe.

En revanche, nous sommes extrêmement préoccupés par le risque d'une « dualisation des pauvres ». Aujourd'hui, il n'existe qu'un seul revenu minimal : le RMI. Mais nous voulons mettre en garde contre le danger de voir progressivement s'instaurer des revenus minimaux différenciés en direction des personnes, selon qu'elles travaillent ou non. Nous contestons l'idée - très forte dans l'opinion publique - selon laquelle une personne exerçant une activité serait plus méritante qu'une autre qui ne serait pas en mesure de le faire. Nous craignons qu'à terme, le revenu de base des personnes sans emploi finisse par ne plus être revalorisé.

Nos associations ont identifié deux raisons principales pour lesquelles les personnes sans emploi se retrouvent dans cette situation. Le manque de qualification en est une. Tous les rapports montrent qu'en France, la formation est très difficilement accessible pour les personnes situées en bas de l'échelle sociale, leur rendant d'autant plus difficile l'accès à l'emploi.

La seconde raison est d'ordre psychologique. Pour certaines personnes, la vie a tout simplement été trop dure et leur état de santé psychique les rend inaptes à travailler.

J'insiste sur le fait qu'il serait très grave de voir s'instaurer deux revenus minimum d'existence en raison d'un soi-disant mérite qui, en réalité, n'en est pas un. Nous remarquons pourtant que les bénéficiaires du RMI ont beaucoup perdu en pouvoir d'achat au cours des dernières années par rapport à ceux qui touchent le SMIC, ce dernier ayant fait l'objet, lui, de fortes hausses. Nous n'insinuons nullement que le revenu minimum doive être égal au SMIC, juste qu'il faudrait l'indexer sur une valeur indiscutable. Mais maintenant que le RMI est à la charge des Départements, l'Etat, par crainte de déplaire aux Conseils Généraux, hésite sans doute beaucoup à l'augmenter.

Notre souhait principal concernant le RSA réside dans la mise en place de l'indexation du RMI, de manière à ce que ces bénéficiaires ne perdent plus de pouvoir d'achat.

M. Arnaud VINSONNEAU - Je souhaite confirmer notre attachement à voir le montant du RMI être toujours fixé au niveau de l'Etat et non pas à l'échelle des territoires. Nous sommes très inquiets de voir qu'un public s'est beaucoup précarisé au cours des dernières années, celui des jeunes de moins de 25 ans. Pendant longtemps, l'Uniopss a soutenu l'idée de ne pas accorder le RMI à cette catégorie de population, afin de ne pas la placer dans une logique d'assistance. Mais, aujourd'hui, la déstructuration des milieux familiaux laisse bien souvent ces personnes sans solution. Que des jeunes puissent, à notre époque, se retrouver sans rien dans la rue est indigne pour un pays aussi riche que le nôtre.

La décision de ne pas accorder le RMI aux jeunes de moins de 25 ans pouvait sans doute se comprendre en 1988. Mais aujourd'hui, l'augmentation du nombre de jeunes en rupture avec leur cercle familial et laissés sans solution nous laisse penser qu'il est nécessaire de reconsidérer le dispositif pour les aider.

M. Bruno GROUÈS - Je vais maintenant aborder la question du logement. Je tiens à préciser, en préambule, que nous sommes extrêmement attachés à la loi Dalo. Les associations l'ont demandé pendant longtemps et ont beaucoup travaillé à son élaboration. Nous savons que le manque d'habitations rendra difficile son application. Mais la loi aussi représente un moyen de contraindre les pouvoirs publics à construire des logements.

Je passe la parole à Mme Jeanne Dietrich afin qu'elle développe notre position sur les commissions de médiations.

Mme Jeanne DIETRICH - Notre premier souci est de mettre en place les commissions de médiation dans les départements, lesquelles n'existent pas sur certains territoires d'après les associations.

Notre deuxième préoccupation consiste à doter ces commissions de médiation des moyens humains nécessaires à leur bon fonctionnement. Il faut s'assurer que les fonctionnaires spécialistes du logement siègent bien parmi elles.

Nous nous interrogeons, par ailleurs, sur les critères qui seront appliqués dans ces commissions de médiation. Face à la pénurie de logement, nous craignons qu'ils soient modifiés en fonction de l'offre de logements. Nous souhaiterions que le dispositif réponde aux besoins des personnes. Nous voulons être sûrs que les personnes prioritaires sont bien considérées comme telles.

M. Bruno GROUÈS - Concernant ces problèmes de logements, je souhaite insister sur le fait que les associations supportent de plus en plus difficilement ce que vivent les sans-abri et qu'elles sont en train de fortement se mobiliser à ce sujet.

Le 15 décembre dernier, les Enfants de Don Quichotte ont tenté d'installer des tentes sur les berges de Notre-Dame, avant d'être délogés par la police. Immédiatement après, le 18 décembre, le Premier Ministre M. François Fillon a reçu les associations s'occupant du logement et de l'hébergement des sans-abris - dont l'Uniopss qui les regroupe - pour définir une nouvelle politique en la matière, afin que plus personne ne soit contraint de vivre dans la rue. Cette volonté, comme vous le savez, correspond à un engagement du Président de la République.

Le Premier Ministre a confié, au Député M. Etienne Pinte, la mission d'établir des propositions dans ce domaine. Nous avons beaucoup travaillé avec lui, y compris pendant la période des fêtes, pour préparer ce rapport.

Le Premier Ministre a réuni les associations le 29 janvier dernier pour annoncer ses décisions. Il nous a témoigné de sa volonté de faire de la politique du logement et de l'hébergement un chantier national prioritaire du gouvernement pour la période 2008-2012. Nous nous sommes évidemment réjouis de cette annonce. Mais la présentation des mesures budgétaires, s'élevant à hauteur de 250 millions d'euros pour 2008, a mis un terme à notre satisfaction.

Je ne vous cache pas que la somme de 1,7 milliard d'euros demandée par les associations pour lutter contre la pauvreté est élevée. Il existe des associations très compétentes et sérieuses quand il s'agit de procéder à des évaluations et, selon elles, un investissement de 1,7 milliard d'euros la première année, suivi d'un effort continu pendant cinq ans, permettrait d'éradiquer totalement le problème des sans-abri en France et d'avoir une politique digne, permettant l'accès à un toit pour tous.

Comme vous le savez, les associations ont été très déçues de la réunion qu'elles ont eue avec le Premier Ministre et elles sont en train de préparer une mobilisation nationale, prévue le 21 février 2008. Je travaille à l'Uniopss depuis vingt ans je n'avais encore jamais connu de mouvement de ce type. Je ne peux pas vous dire les formes qu'il prendra. Mais j'observe que les associations sont très déterminées à agir. Nous ne supportons plus que des personnes souffrent et meurent dans la rue alors que nous vivons dans un monde de surabondance. Cette situation est intolérable et il faut tout faire pour qu'elle n'existe plus.

S'agissant de l'habitat, nous sommes en faveur d'une répartition plus équitable des logements sociaux sur l'ensemble du territoire français. Il nous apparaît anormal que des communes concentrent le logement social alors que d'autres en abritent peu. C'est pourquoi nous sommes très attachés au quota fixé par la loi SRU, imposant aux communes d'avoir au moins 20 % de logements sociaux sur leur territoire, de manière à permettre la mixité sociale.

Toutefois, nous proposons également que chaque nouveau programme immobilier de plus de 10 logements intègre un quota de 20 % minimum de logements à loyers accessibles. Cette mesure serait obligatoire pour toutes les communes, à l'exception de celles ayant déjà plus de 40 % de logements sociaux sur leur territoire. Il n'y a que de cette façon que nous pourrons atteindre une mixité sociale dans l'ensemble du pays.

Pour conclure sur le sujet du logement, je souhaite rappeler les quatre principes fondamentaux qui structurent notre action :

- Personne ne doit subir la contrainte de vivre dans la rue.

- L'Etat doit être garant de l'accès et du maintien dans un logement décent.

- Le logement doit rester la finalité de tous les dispositifs d'hébergement.

- L'accompagnement social doit être systématiquement proposé aux personnes concernées.

Sur la base de ces principes, il nous apparaît que quatre conditions et treize engagements sont nécessaires pour résoudre le problème du logement en France. Nous demandons au Premier Ministre que chacun de ces engagements soit tenu.

Je souhaite développer maintenant le troisième point de mon intervention, touchant aux conséquences de l'absence d'emploi. Vous avez sans doute lu dans la presse qu'après 14 mois de collaboration, « Alerte » et les partenaires sociaux se sont mis d'accord sur l'adoption d'un texte commun, rendu public le 13 décembre dernier, sur l'accès des personnes en situation de précarité à un emploi permettant de vivre dignement. Nous avons effectué des travaux pour déterminer comment il est possible à des personnes défavorisées d'accéder à un poste qui ne soit pas un emploi de travailleur pauvre. Je tiens à souligner deux évidences : l'accès à un emploi est crucial, mais il est essentiel également que cet emploi soit de qualité.

Je ne vous résumerai pas le document de neuf pages sur lequel le Medef, la CGPME, la FNSEA, l'UPA, la CGT, la CFDT, la CFTC, l'UNSA et les 38 associations membres d'« Alerte » ont signé. Cet engagement commun montre combien la société est enfin devenue mûre pour réfléchir aux conditions à mettre en oeuvre pour améliorer l'accès à l'emploi, indépendamment des considérations politiques et des intérêts particuliers des uns et des autres. Il serait un peu long de vous lire l'ensemble de nos recommandations. Mais sachez que nous avons établi plusieurs constats communs.

Je me contenterai de mentionner néanmoins une de ces propositions : la reconnaissance par les entreprises de leur responsabilité sociétale. J'ai choisi de citer cette préconisation, car la question est d'actualité et fait débat. Malgré nos différences, nous sommes parvenus à échanger sur le sujet et, dans ce texte commun, les signataires témoignent de leur souhait d'augmenter la responsabilité sociétale des entreprises.

Dans ce document, nous mettons l'accent également sur l'importance de l'échec scolaire et donc la nécessité d'améliorer la formation et de lutter contre l'illettrisme. Les partenaires sociaux aimeraient sincèrement que ce combat devienne une priorité, l'illettrisme représentant un frein à l'insertion. Ce fléau touche plus de 10 % de la population française, un taux considérable. Il est d'autant plus difficile à repérer que les populations concernées le cache.

Vous serez en mesure de consulter ultérieurement les détails du texte élaboré en commun par « Alerte » et les partenaires sociaux. Toutefois, sachez que nous avons décidé de poursuivre nos travaux au cours de la prochaine année en les axant sur deux thèmes principaux :

- La manière de lutter contre la pauvreté. Ce sujet peut sembler très général. Mais il est nouveau que des patrons et des syndicats de salariés en discutent ensemble. Jusqu'à récemment, ce genre de débat était rare.

- L'identification des moyens à mettre en place pour permettre la participation des personnes défavorisées aux décisions qui les concernent. L'un des grands problèmes est que nous décidons pour les pauvres. Il suffit de nous observer aujourd'hui dans cette pièce pour le comprendre. Nous sommes réunis ici pour parler de la pauvreté, mais aucun d'entre nous n'est pauvre. Nous devons parvenir à modifier ce schéma. Ce défi s'impose aussi à l'Uniopss, aucun pauvre ne faisant partie des conseils d'administration d'associations. De la même façon, nous pouvons nous demander quelle place ils ont dans les syndicats.

Je laisse maintenant la parole à Mme Jeanne Dietrich qui va parler des contrats aidés et du contrat unique d'insertion.

Mme Jeanne DIETRICH - Merci. La plupart des associations avec qui nous travaillons nous ont fait part de leur très vive inquiétude concernant la réduction du volume des contrats aidés. L'argument principal pour justifier cette baisse tient à l'embellie économique. Or, les associations évoluant dans le domaine de la lutte contre l'exclusion savent pertinemment que les embellies économiques ne profitent pas au public cible des contrats aidés.

M. Arnaud VINSONNEAU - Je me permets d'ajouter que nous sommes confrontés à des politiques de l'emploi très instable, avec un développement du nombre de contrats aidés pendant une période, suivi d'une baisse dans une autre période. Or, pour les associations qui mettent en oeuvre des projets dans la durée, il est très difficile d'avoir à faire à une chute drastique du nombre de contrats aidés.

Avant les dernières élections présidentielles, il avait été question d'accroître le nombre de contrats aidés. Pourtant, quelques mois plus tard, nous avons constaté une baisse de ce nombre. Ce genre de scénario se produit quel que soit le gouvernement. Je ne tiens pas ici à lancer un débat politique sur le sujet. Par contre, je souhaite dénoncer ces mouvements alternatifs d'augmentation et de baisse du nombre de contrats aidés, lesquels pénalisent les associations qui s'engagent sur la durée aux côtés des publics en situation de précarité. Il est nécessaire de parvenir à mettre un terme à ce phénomène, très destructeur localement.

Mme Jeanne DIETRICH - Par ailleurs, il nous semble assez paradoxal d'afficher la volonté de mettre les personnes au travail tout en réduisant le nombre de contrats aidés, pourtant essentiels pour donner une activité aux gens.

Je citerai un autre exemple afin d'étayer mon propos. Il a été question de sanctuariser le volume des contrats aidés dans le secteur de l'Insertion par l'Activité Economique (IAE). Or, nous représentons des associations qui n'appartiennent pas toutes au secteur de l'IAE, mais n'en mènent pas moins des actions efficaces en matière d'insertion par le biais des contrats aidés ; ces derniers leur étant nécessaires pour poursuivre leur mission.

S'agissant du contrat unique, nous n'avons pas encore pris une position tranchée sur le sujet, même si certaines volontés se dégagent clairement de nos réflexions. Nous souhaitons notamment :

- un contrat de droit commun et incluant tous les droits connexes qui y sont liés ;

- un contrat le plus simple possible ;

- un contrat permettant de moduler les durées hebdomadaires de travail (avec des durées basses, de 2 à 10 heures, jusqu'à 35 heures) ;

- un contrat adaptable dans sa durée et non figé à 24 mois maximum comme aujourd'hui.

M. Bruno GROUÈS - Pour résumer, nous privilégions un contrat unique, simple mais suffisamment souple pour s'adapter aux besoins de chacun.

Je vais maintenant aborder notre dernier point, relatif à ce qui touche à la santé. La création de la Couverture Maladie Universelle a représenté une grande avancée, même si toutes les personnes qui bénéficient de l'Allocation Adultes Handicapés (AAH) et du minimum vieillesse ne peuvent pas en profiter. Or ce public n'est pas marginal. Il constitue plus d'un million de personnes.

De la même façon, il existe aujourd'hui des personnes en dessous du seuil de pauvreté mais qui ne bénéficient pas de la CMUC. C'est pourquoi nous demandons que le seuil de la CMUC soit porté au niveau du seuil de la pauvreté. Il nous paraît normal que toutes les personnes en situation de pauvreté puissent accéder à des soins gratuitement et donc être en mesure de se faire soigner.

Une grosse incompréhension entoure l'AME (Aide Médicale Etat). Son coût a été, en effet, dès le départ, sous-estimé en termes budgétaires. J'ignore si cette sous-évaluation a été volontaire ou non. Toujours est-il que, par la suite, les gouvernements se sont inquiétés de l'explosion de la dépense d'AME, laquelle n'est pas due à une augmentation importante des personnes en situation irrégulière, mais bien à une mauvaise estimation budgétaire des besoins.

Les associations, présentes sur le terrain, ont, par ailleurs, témoigné de la grande difficulté qui subsiste pour accéder à l'AME. Elles constatent que peu de personnes utilisent cette aide, en raison, en grande partie, de l'obligation d'avoir une domiciliation. Médecins du Monde, par exemple, connaît très bien ce sujet. Les associations souhaitent donc que l'AME soit fondue dans la CMU, de manière à ce qu'il n'y ait plus de distinction entre les catégories de populations et que la CMUC soit étendue à l'ensemble des personnes situées en dessous du seuil de pauvreté.

Je soulignerai enfin la grande utilité des Permanences d'Accès aux Soins de Santé (PASS) dans les hôpitaux, du moins quand elles fonctionnent. Car si certaines PASS correspondent bien aux instructions ministérielles et à la définition normalement prévue qui est la leur, d'autres existent davantage sur le papier que dans la réalité. Or nous avons besoin de développer ces PASS, très utiles pour les personnes en situation de pauvreté.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Merci beaucoup pour vos explications. J'avais des questions à vous poser. Mais vous y avez déjà répondu. Je passe la parole à M. Adrien Giraud.

M. Adrien GIRAUD - Merci Madame. Mes chers collègues, j'ai écouté avec beaucoup d'attention ce qui a été évoqué. Il subsiste néanmoins une grande interrogation : les médecins peuvent-ils soigner un malade sans connaître le diagnostic de sa maladie ? Il me semble que la réponse est négative. Vous avez parlé de pauvreté. Mais quelle est-elle réellement ? J'aimerais que vous m'expliquiez clairement ce que représente la pauvreté.

J'ai l'impression que nous créons nous-mêmes la pauvreté. J'entends que toutes ces aides distribuées ne suffisent plus, qu'il existe plusieurs centaines d'associations, pas assez de logements, etc. Or combien de logements ne sont pas occupés dans les parcs HLM en raison de non paiements de loyers ?

Les offices HLM ne veulent plus mettre de logements à disposition car les loyers ne sont pas payés. Ils préfèrent les fermer plutôt que de les donner aux pauvres. Nous pouvons construire davantage de logements sociaux, mais les nouvelles habitations seront retirées aux pauvres car ceux-ci ne seront pas en mesure de régler leurs loyers. N'est-il pas nécessaire, par conséquent, d'agir sur les véritables causes de la pauvreté ?

Ici, des gens touchent le minimum vieillesse, le RSA ou le RMI, et sont, malgré tout, perçus comme pauvres. Chez moi, à l'île de Mayotte, des personnes vivent avec deux euros par jour. Sont-elles considérées comme pauvres ? Elles sont, pourtant, autant françaises que les individus vivant dans l'hexagone.

Vous sollicitez des contrats de droit commun. Or les contrats qui s'appliquent aujourd'hui sont de droit français. Le droit commun correspond au droit en vigueur dans la rue.

Vous avez mentionné le fait que les riches décident pour les pauvres alors que ceux-ci aimeraient le faire pour eux-mêmes. Dans l'hexagone, et contrairement à ce qui se passe à Mayotte où les habitants déterminent leur avenir, ce sont les universitaires ou le corps administratif qui choisissent à la place des pauvres. J'insiste donc pour que les causes de la pauvreté soient recherchées.

Enfin, vous avez abordé les systèmes de soins réservés aux personnes pauvres, notamment l'aide médicale de l'Etat. Dans l'île de Mayotte, le mécanisme est le suivant : un malade doit se rendre à la pharmacie centrale de l'hôpital où lui est donné, non pas une boîte, mais le nombre exact de comprimés dont il a besoin. Voilà une aide médicale qui ne pèse pas sur les comptes de la Sécurité Sociale.

Pour conclure, malgré les vingt années d'existence de l'Uniopss, la pauvreté n'est toujours pas jugulée. Aussi que devons-nous en penser ?

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Je vous remercie pour votre intervention. J'invite chacun à poser ses questions. Je passe donc la parole à Mme Isabelle Debré.

Mme Isabelle DEBRÉ - J'aimerais vous poser beaucoup de questions. Mais puisque le temps nous manque, je me contenterai de vous en soumettre une seule, choisie au hasard. Votre souhait est d'imposer la présence de 20 % de logements sociaux dans tous les programmes de construction de plus de 10 logements. Or je ne vois pas comment un tel projet peut se mettre en oeuvre.

Par ailleurs, plutôt que de toujours parler de construction, il serait bien d'évoquer les logements déjà bâtis. Aujourd'hui, des centaines de logements privés sont dépourvues de locataires. Au regard de cette situation, il conviendrait peut-être de se demander si les locataires n'ont pas été trop protégés jusqu'à présent, au détriment des propriétaires, conduisant ces derniers à ne plus vouloir louer, par peur de ne pas être payés ou de voir leurs biens dégradés.

Une réflexion est menée en ce moment même par la Ministre du logement, Mme Christine Boutin, sur la garantie contre les impayés de loyer. Cette garantie existe déjà dans le cadre du FLS que je préside. J'en parle d'autant plus facilement que, dans ma commune, il y a bien plus de 20 % de logements sociaux.

Une autre réflexion traverse le gouvernement et certains parlementaires, concernant l'assurance obligatoire ou volontaire. C'est sur cette base qu'il faut réfléchir. J'en parle en connaissance de cause. Dans ma commune, il n'est, en effet, plus possible de construire en l'absence de réserves foncières.

Il faut arrêter de se focaliser sur le manque de constructions pour chercher à optimiser l'offre par rapport à la demande de logements, cet optimum étant loin d'être atteint dans la région parisienne. Mon collègue M. Alain Gournac partagera sans doute mon avis. Pour les Franciliens de petite couronne, il est de plus en plus difficile de construire.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Merci. Je passe la parole à M. Alain Gournac.

M. Alain GOURNAC - Je vous remercie. Je souhaiterais que nous puissions parler de la vraie pauvreté. Je suis d'accord pour que nous luttions contre elle. Mais il faut cesser de vouloir donner des ressources à ceux qui ne se trouvent pas dans une situation de vraie pauvreté.

Je suis maire du Pecq, une ville où je connais une famille qui reçoit des aides depuis toujours, notamment pour la halte garderie. Je me suis rendu à son domicile, riche de deux téléviseurs à écran plat, de trois téléphones portables et d'une voiture, non mentionnée dans son dossier au CCAS. Or il s'agit de personnes que la Ville fait vivre. C'est pourquoi je tiens tant à ce que nos aides soient réservées pour combattre la vraie pauvreté. Il faut absolument cesser de soutenir ceux qui tentent de nous mentir et de profiter du système. Sinon, nous ne parviendrons jamais à améliorer la situation.

S'agissant de l'illettrisme, celui-ci pose de réelles difficultés à ceux qui en souffrent dans les gestes de la vie quotidienne. Vous avez indiqué qu'il frappe 10 % des Français, un taux encore plus élevé si nous tenons compte de toutes les personnes qui savent mal lire et mal écrire. Il est impératif d'agir dans ce domaine.

Enfin je souhaite mettre en avant le cas d'une femme d'ambassadeur qui s'est rendu à la clinique Hartmann de Neuilly-sur Seine pour passer un scanner. Cette personne n'a pas eu à payer cet acte médical car son argent se trouve à l'étranger. Comment la France peut-elle accepter pareille situation ? J'en ai honte.

Je souhaite donc que nous battions pour vaincre la vraie pauvreté.

Loin de moi l'idée de vouloir nier la présence de personnes pauvres sur le territoire. Mais je ne supporte pas que des gens abusent du système en place sans produire le moindre effort.

Pour en revenir à la famille citée ci-avant, nous avons proposé à plusieurs reprises, au père et mari, d'effectuer des travaux de jardinage. Or il a toujours refusé tout emploi, prétextant des problèmes de santé. Je le clame de façon forte. II faut absolument que cette commission se mobilise pour lutter contre cette pauvreté voulue et scandaleuse.

M. Jean-François HUMBERT - Je vous ai écouté avec grande attention, comme à chaque fois que nous assistons aux travaux de ces missions d'information. Un point en particulier a retenu mon esprit. J'espère ne pas me tromper. Mais j'ai cru comprendre qu'après 20 ans de collaboration, vous et vos associations ont constaté que les résultats en matière de lutte contre la pauvreté ne sont pas très probants. Vous nous avez fait part de votre souhait de réorienter vos actions, de redéfinir les pistes et les méthodes pour permettre aux personnes dans le besoin, grâce à vos efforts communs, de sortir de la pauvreté. J'entends bien ce que vous dites. Mais encore faut-il que nous puissions, les hommes politiques et les associations, nous mettre d'accord sur un cadre rénové pour agir.

L'objet des missions d'information est de voir comment il est possible de faire évoluer la législation existante pour tenter d'apporter des solutions aux problèmes actuels et ne pas se retrouver encore, dans 20 ans, face à ce constat - pardonnez-moi l'expression - cruel. Il n'existe pas de formule miracle et il n'y a pas besoin de tout confier aux mêmes, au détriment des autres.

Nous savons que beaucoup de personnes travaillent, aussi bien du côté des hommes politiques que des associations. Mais il faut bien admettre que la pauvreté continue à augmenter. La question consistant à savoir comment il est possible de réduire la pauvreté. Or vos réponses, à travers ces auditions et ces rencontres, ne se sont pas accompagnées de solution pour remédier à ce problème. J'aimerais avoir votre sentiment sur le sujet.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Merci beaucoup. Je passe la parole à Mme Annie Jarraud-Vergnolle.

Annie Jarraud-VERGNOLLE - Je connais bien l'Uniopss. J'ai eu beaucoup de contacts avec votre organisation, ayant travaillé pendant longtemps dans le secteur médico-social. J'ai notamment dirigé des structures d'insertion par l'activité économique. Au regard de mon expérience, je me permets d'exprimer aujourd'hui toute l'admiration que je porte à votre travail.

Les thèmes que vous avez mis en avant soulèvent en moi plusieurs questions et j'aimerais les partager avec l'ensemble des collègues de cette commission.

J'aborderai tout d'abord ce qui relève de la prévention des jeunes en difficulté. Au fil des années, plusieurs mesures ont été mises en place : la circulaire 44 de 1979 qui a abouti à la création des CAVA, le programme PAC en 1992, le programme Trace en 1998, les stages de dynamisation pour les jeunes sans qualification, etc. Toutes ces mesures, même si elles se sont avérées ponctuelles, ont permis à des jeunes très éloignés de l'emploi ou en proie à de graves problèmes cognitifs de pouvoir être accompagnés dans le cadre d'une démarche d'insertion. Or, l'ensemble de ces dispositifs n'existe plus.

J'aimerais ensuite parler de la notion de temps. Dans l'ensemble de ces systèmes, notamment le dispositif de l'IAE (entreprises d'insertion, chantiers d'insertion), la notion de temps a une valeur importante. Or, celle-ci, très souvent, n'est pas respectée en raison de la durée du mandat politique. Les résultats se doivent d'être toujours plus concrets et rapides. Or les gens en difficulté ne sombrent pas dans les problèmes du jour au lendemain, mais tout au long de leur vie quotidienne. Permettre à ces gens de remonter la pente nécessite d'effectuer un travail en profondeur, dans une durée plus longue que celle d'un mandat politique.

Ma troisième remarque porte sur la notion de coût évité. En 1992, M. Claude Alphandéry avait remis au Premier Ministre un rapport sur le secteur de l'insertion par l'activité économique. Il avait mesuré, à travers ce document, le coût évité, par l'investissement gouvernemental, dans le cadre des politiques d'insertion pour les publics en difficulté. Il serait important d'établir des passerelles entre ce secteur et le secteur médico-social, notamment concernant les services de prévention spécialisée comme la FNORS ou le CHRS.

De la même façon, il serait sans doute nécessaire que le travail de lutte contre l'exclusion ne s'établisse plus par rapport à des politiques sectorielles et limitées dans le temps, de manière à ce que ce secteur créatif et inventif puisse trouver sa place, au même titre que le champ médico-social. Car aujourd'hui le secteur de la lutte contre l'exclusion est aussi précaire que les personnes dont il s'occupe.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Merci beaucoup pour toutes ces questions. M. Bruno Grouès, je vous remercier de prendre le temps nécessaire de répondre à chacune d'entre elles.

M. Bruno GROUÈS - Nous sommes conscients d'avoir à réfléchir sur les causes de la pauvreté, en lien avec tous les représentants de la société (associations, partenaires sociaux, hommes politiques). Il est invraisemblable que nous ne parvenions pas à provoquer une baisse du nombre de pauvres, la France étant un pays très riche.

Monsieur le Sénateur, je suis désolé de vous dire que nous ne savons pas encore comment il est possible d'éradiquer la pauvreté aujourd'hui en France. Voilà presque 20 ans que nous nous penchons sur le sujet, en collaboration avec 40 associations nationales spécialistes de la matière. Je ne peux que souligner le caractère multiforme de la pauvreté. Ses causes sont multiples, rendant notre travail d'autant plus difficile. Mais, comme je vous l'ai indiqué, nous avons à coeur de mener notre mission pour améliorer la situation.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Nous luttons tous, chacun dans notre secteur, contre cette pauvreté depuis 20 ans. Pour prolonger la question de M. Giraud qui a demandé si nous ne fabriquons pas les pauvres, j'aimerais savoir si la typologie des pauvres évolue ou si elle demeure constante.

M. Bruno GROUÈS - Vous soulevez là un des problèmes essentiels qui ralentit notre travail. La pauvreté, en effet, évolue et change de forme. Au cours des dernières années, il s'est produit, par exemple, une recrudescence de la pauvreté chez les personnes seules, les mères isolées suite à des ruptures conjugales, les jeunes de moins de 25 ans ou encore les travailleurs à temps très partiel. Il est important de savoir que le taux de rotation des érémistes est très élevé. Il y a donc des entrées et des sorties dans la pauvreté. Mais un noyau dur de pauvres subsiste.

Enfin, il faut bien reconnaître que le phénomène des banlieues constitue un drame national, une véritable catastrophe dont il est difficile de mesurer l'ampleur.

Concernant le logement, je partage le discours de Mme Isabelle Debré et souligne l'importance de bénéficier d'une garantie sur les risques locatifs. Nous soutenons cette mesure, très profitable, depuis longtemps et sommes, d'ailleurs, très vigilants pour que le système, conçu actuellement par la Ministre du logement, réponde à nos aspirations. A ce stade, il mérite encore des améliorations.

Nous considérons la garantie contre les risques locatifs comme une voie royale pour aller dans le bon sens. Vous avez eu raison de dire que de nombreux propriétaires ne veulent plus louer par peur de ne pas être payés ou de voir leurs logements dégradés. Ils accepteront beaucoup plus volontiers de mettre leurs logements à disposition si une garantie leur est apportée, laquelle permettra, par ailleurs, aux locataires de ne pas avoir à apporter plusieurs cautions pour accéder à un logement. Comme vous le savez, ce sujet revient souvent dans l'actualité. L'accès au logement en France est extrêmement difficile.

Malgré tout, la mise en place de cette formule n'empêchera pas la nécessité de devoir construire. Je suis conscient que nous construisons déjà beaucoup en France. 500 000 nouveaux logements y ont vu le jour en 2007. Mais un problème se pose : la part de logements sociaux accessibles aux personnes modestes est bien trop faible. C'est la raison pour laquelle autant de gens ne réussissent pas encore à se loger et que le nombre de sans-abri reste élevé.

Mme Isabelle DEBRÉ - Je me permets d'insister sur la première partie de ma question. Pourriez-vous m'expliquer comment vous comptez réussir à imposer 20 % de logements sociaux dans tout programme de construction de plus de 10 logements ?

M. Bruno GROUÈS - Je ne suis pas un spécialiste du logement. Mais les experts ayant travaillé sur le sujet vous diront qu'il est possible d'imposer ce quota dans les communes dont le nombre d'habitants dépasse un certain seuil. Cette solution est la seule qui permettra d'atteindre une mixité sociale sur l'ensemble du territoire. M. Etienne Pinte, un très bon connaisseur du logement, nous a confirmé cette hypothèse. Il a néanmoins précisé que, les programmes immobiliers comportant en moyenne 30 habitations, il lui paraît insuffisant d'appliquer la mesure aux constructions de plus de 10 logements.

Nous pouvons faire preuve de flexibilité et partir sur une base, non pas de 10, mais de 20 logements. Toutefois, si nous mettons la barre trop haut, il n'y aura pas de logements sociaux. Le principe qui nous tient à coeur est de faire en sorte que tout programme de construction contienne un pourcentage de logements sociaux.

Mme Isabelle DEBRÉ - Est-il nécessaire d'adopter une loi pour cela ?

M. Bruno GROUÈS - Absolument. Ce dispositif devrait passer par la loi.

M. Arnaud VINSONNEAU - Le Préfet aurait un pouvoir de substitution au cas où un Maire ne respecterait pas la loi.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Un débat a eu lieu sur le sujet dans le cadre de la loi Dalo. Un amendement proposé par M. Nicolas About ressemblait beaucoup à votre proposition. Mais il n'a pas été voté. Plusieurs grands débats ont tourné autour de cette disposition, notamment sur le caractère opératoire, juridique et technique d'un tel dispositif.

Pour être sûr que nous nous comprenions bien, j'aimerais que vous précisiez si cette obligation de construire s'appliquerait à toute les communes ou uniquement à celles qui n'ont pas déjà atteint le seuil des 20 % de logements sociaux.

M. Bruno GROUÈS - La proposition émise par les associations concerne l'ensemble du territoire, hormis les communes ayant au moins 40 % de logements sociaux sur leurs territoires. Nous savons très bien qu'il sera difficile de la faire adopter. Mais il s'agit du seul moyen de disséminer le logement social et d'éviter de reproduire les quartiers catastrophiques que nous connaissons tous.

Je préfère ne pas en dire plus, car je ne suis pas un spécialiste du logement et touche vite à mes limites en la matière.

Nous partageons, bien sûr, le refus de M. le Sénateur Paul Blanc de cautionner les fraudes et les abus. Ces situations sont inacceptables et nos associations ne les soutiendront jamais. Néanmoins, je tiens à préciser que de nombreuses études sur le sujet ont révélé que les fraudeurs ne constituent qu'un très faible pourcentage des personnes recevant des allocations. Nous ne nions pas leur existence. Nous notons juste que leur proportion est très faible.

A propos de la prévention des jeunes en difficultés, je me joins aux appréciations de Mme Annie Jarraud-Vergnolle au sujet des CAVA. Ceux-ci étaient très utiles et je ne comprends pas pourquoi ils ont été supprimés. Sans doute coûtaient-ils trop cher ? Leur disparition est très dommageable. Ils répondaient extrêmement bien aux problèmes rencontrés.

Le programme TRACE a très bien fonctionné également. Mais il a, malheureusement, été supprimé lors d'un changement de majorité politique. Ce dispositif permettait un travail d'accompagnement, l'une des clés de la réussite et de la prévention en direction des jeunes en difficulté. Cet exemple met d'ailleurs, de nouveau, en évidence, les soucis causés par les alternances politiques. Il arrive souvent que des mesures soient remplacées par d'autres, alors que les premières étaient parfaitement adaptées et efficaces. Ce problème renvoie à la notion de temps sur laquelle vous avez insisté tout à l'heure.

Je termine mon propos en répondant à M. Jean-François Humbert. Monsieur le Sénateur, vous avez parfaitement raison de dire que le constat est cruel. Les pauvres sont encore là. Nous avons échoué collectivement dans notre mission de réduire la pauvreté. Je me félicite de la tenue de cette commission. Mais je n'ai malheureusement pas de solution miracle à vous proposer. Je partage votre appel à établir un cadre rénové nous offrant la possibilité d'agir ensemble.

En conclusion, je vous invite à consulter les documents que nous avons réalisés.

M. Jean-François HUMBERT - Je me permets de réagir à cette dernière remarque puisqu'elle me concerne. Il existe la possibilité d'innover au niveau des collectivités territoriales. N'attendons pas toujours de l'Etat, de la haute Fonction Publique ou des associations les solutions aux problèmes posés !

J'ai, par exemple, à la tête d'une collectivité régionale, contribué à la création de 10 000 emplois marchands en six ans. Nous sommes parvenus à placer en entreprises des personnes jusqu'alors au RMI ou au chômage. Parmi ces 10 000 emplois créés, 8 500 sont toujours d'actualité.

Des solutions existent donc. Mais il faut cesser d'en chercher une uniforme et faire confiance à l'initiative locale ou territoriale dans un cadre général. Il ne s'agit évidemment pas d'opérer illégalement mais de considérer qu'il est plus simple, pour un demandeur d'emploi, de remplir un papier de 1 page plutôt qu'un dossier de 10 pages. Ces mesures très simples ont peut-être une dimension provinciale. Mais il y a encore un peu de bon sens en province.

M. Arnaud VINSONNEAU - Je suis provincial et me retrouve dans vos propos. Nous sommes tout à fait favorables à l'initiative locale, comme notre histoire le démontre amplement. Notre seul souci est d'avoir un minimum de droit garanti au niveau national, de manière à laisser des marges de manoeuvres aux acteurs locaux.

J'insiste sur le sujet car, concernant le RMI, la tendance est de confier à chaque collectivité le soin d'en déterminer le montant. Cette solution n'est pas acceptable. Nous ne sommes pas jacobins et pensons même qu'une collectivité locale peut décider de verser plus que le montant national. Mais il est nécessaire qu'un socle de droit soit garanti à l'échelon national. Laissons des marges de manoeuvres aux acteurs de terrain dans un cadre garantissant à l'ensemble des concitoyens de jouir d'un minimum de droits.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Je me permets de vous poser une dernière question. Les 250 millions d'euros annoncés par le Premier Ministre s'ajoutent-ils aux crédits prévus par la loi de finance de 2008 pour l'hébergement ?

M. Bruno GROUÈS - Oui. Cette somme s'ajoute à celle programmée par la loi.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Nous parvenons donc à un total de 1,25 milliard d'euros. Les 1,7 milliard d'euros que vous demandiez correspondent-ils aussi à une somme supplémentaire par rapport aux crédits prévus ?

M. Bruno GROUÈS - Oui, tout a fait.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Nous vous remercions de vos réponses et de cette analyse de la situation de la pauvreté en France. Vos propos ne sont malheureusement pas très optimistes. Mais nous allons essayer, tous ensemble, d'y voir plus clair. Merci beaucoup.

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