Audition de Mme Agnès de FLEURIEU, Présidente de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale - (29 janvier 2008)

M. Christian DEMUYNCK, Président - Madame la Présidente, je vous souhaite la bienvenue dans cette commission. Je vous suggère que vous nous présentiez dans un premier temps l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale, avant de nous proposer une synthèse de vos observations. J'attribuerai ensuite la parole au rapporteur puis à mes collègues.

Mme Agnès de FLEURIEU - Je suis présidente de l'Observatoire de la pauvreté et travaille, par ailleurs, depuis plusieurs années au Conseil général des Ponts et Chaussées sur la question du logement. J'ai été aussi secrétaire générale du Haut-comité pour le logement des personnes défavorisées et secrétaire générale du Conseil de l'intégration.

L'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale existait auparavant au sein de la DREES et a été confirmé dans son existence au moment de la loi de juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions, afin de promouvoir une connaissance objective et statistique de la pauvreté, permettant d'établir des constats partagés. Il ne dispose pas de moyens identifiés en tant que tels. La distinction entre les études demandées par la DREES et les études spécifiquement demandées par l'Observatoire est parfois difficile à effectuer. Ses principales forces et richesses sont ses membres, répartis au sein de trois collèges de sept membres. Le premier collège réunit l'ensemble des statisticiens publics, le second est composé de chercheurs et d'universitaires et le troisième de personnalités qualifiées, qui, pour la plupart, occupent des responsabilités associatives, mais ne représentent pas leur association au sein de l'Observatoire. Ce troisième collège nous permet d'effectuer des allers-retours entre la « vraie » vie  et la connaissance statistique ou macro-économique que nous essayons d'établir.

Une série de travaux et de rapports réalisés par l'Observatoire est disponible. Dans le prochain rapport, qui paraîtra dans quelques semaines, nous observons la nouvelle tendance en matière de pauvreté avec un certain décalage, du fait du temps nécessaire pour le recueil et le traitement des sources de données. Ainsi, bien que nos observations sur le long terme soient justes, nous ne bénéficions pas d'un dispositif nous permettant d'observer la situation en temps réel. Nous constatons que, globalement, le niveau de vie de notre société, comme celui de l'ensemble des sociétés européennes, s'élève, et que le nombre de personnes qui se trouvent au-dessous du niveau de pauvreté n'augmente pas. En revanche, l'intensité de la pauvreté s'accroît considérablement. Ainsi, nous ne comprenons pas comment les personnes situées dans les deux premiers ou peut-être les trois premiers déciles pourraient se loger, se nourrir ou se soigner dans des conditions normales. Cette tendance est observée dans toute l'Europe, notamment en raison des modifications du modèle salarial et de l'évolution du marché du travail. Une fraction de gens s'éloigne tout à fait de la société, dont le niveau de vie s'élève.

Nous considérons que 8 millions de personnes vivent avec moins de 815 euros par mois et que 3 millions de ces personnes sont en situation de grande pauvreté. Nos chiffres concernent les revenus individuels. Or de nombreuses personnes sont isolées, alors que nous savons que, dès lors que les personnes vivent à deux, elles peuvent mieux faire face à leur situation. Parmi les personnes isolées, nous trouvons des veufs ou des veuves, des jeunes, et bien sûr des femmes seules avec un enfant. Récemment, Mme Boutin m'a demandé de présider deux des sous-groupes logement des États généraux du logement en Île-de-France. Dans ce cadre, j'ai pu observer que, pour les deux premiers déciles, les ménages isolés vivent avec une somme comprise entre 550 et 600 euros par mois, tandis que les ménages comprenant quatre personnes vivent avec 1 000 ou 1 200 euros par mois.

Un certain nombre des mesures, qui sont envisagées ou ont été mises en oeuvre dans le passé, sont efficientes pour les personnes les plus proches du seuil de pauvreté. Nous estimons, par exemple, que le revenu de solidarité active (RSA) a des effets bénéfiques pour ces personnes. En revanche, l'accompagnement à l'accès au logement ou au droit est extrêmement important pour les personnes les plus éloignées du seuil de pauvreté. Or, il manque des dispositifs relatifs au volet accompagnement et des financements dans la durée pour ce même volet.

S'agissant du logement, l'augmentation constante de l'exigence en termes de normes entraîne un phénomène permanent de surenchérissement du coût de la construction. Le loyer devient donc de plus en plus élevé, alors que les aides personnelles au logement ne peuvent pas augmenter dans le même temps. Les forfaits de charges sont encore moins ajustés et de plus en plus de gens se trouvent confrontés à des difficultés liées à leurs ressources pour accéder au logement. Ainsi, même si le nombre de logements était suffisant, la construction neuve demeurerait un produit cher. Une partie des ménages n'aurait pas les ressources suffisantes pour s'y maintenir sans une aide financière complémentaire.

Dans le prochain rapport, nous essayons également de comprendre la trajectoire des personnes. Or, s'il existe beaucoup d'outils permettant d'obtenir des informations statiques, appréhender la trajectoire des personnes constitue, en revanche, un travail beaucoup plus complexe. Nous rédigerons aussi une partie sur la relation entre le droit et la pauvreté, en adoptant un point de vue historique, puis un point de vue plus classique sur l'accès au droit. Pour accéder à des dispositifs de droit les concernant, les personnes les plus en difficulté ont besoin de dispositifs d'accompagnement. Par ailleurs, je retiens de nos travaux en cours sur les États généraux du logement en Île-de-France que les bénéficiaires prioritaires de la loi DALO sont au nombre de 118 000, tandis que le contingent préfectoral est d'environ 10 000 personnes.

M. Christian DEMUYNCK, Président - Je vous remercie, Madame la Présidente. Pensez-vous que la diminution du chômage a une influence sur la diminution de la pauvreté ?

Mme Agnès de FLEURIEU - Nous constatons des relations extrêmement nettes entre la diminution du chômage et la diminution du nombre d'allocataires du RMI. Or, parallèlement, émerge le phénomène du temps partiel subi. Ainsi, nous observons un lien incontestable entre la durée du travail ou le type de contrat de travail et la pauvreté. J'ai mené une action de médiation auprès de l'association Médecins du Monde, lorsqu'elle a installé ses premières tentes. A cette occasion, j'ai vu que des wagons de la Gare de l'Est étaient loués pour trois euros la nuit à des travailleurs, comme par exemple à des employés de restaurant qui habitaient en grande couronne et dont les horaires atypiques ne leur permettait pas de rentrer chez eux. A cet égard, j'ai été informée du fait que les récentes réflexions de la Commission européenne intégraient clairement cette problématique des travailleurs pauvres.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Vous avez évoqué le statut peu commun de l'Observatoire, qui représente un acteur très important dans la mise en oeuvre de la loi d'orientation de la lutte contre l'exclusion de 1998. Il permet effectivement un pilotage de la recherche et de la collecte, et sert d'intermédiaire entre le statisticien professionnel et les gouvernements chargés de la définition de la politique. Une des missions de la commission consiste à soutenir cette référence actuelle, en insistant pour le renforcement de ses moyens. Son budget vient effectivement en émargement du budget de la DREES.

Ensuite, je souhaiterais connaître les indicateurs susceptibles de nous aider à mieux piloter nos politiques. Je sais que l'Observatoire a déjà défini onze indicateurs prioritaires dans le rapport 2005-2006. Néanmoins, pourriez-vous nous orienter dans la mise à jour d'indicateurs efficaces pour réorienter les politiques publiques ?

A cet égard, je me souviens que Dominique de Villepin avait demandé au Conseil national de lutte contre l'exclusion la définition d'indicateurs d'efficacité. Or, comme l'a rappelé l'association ATD Quart Monde, il convient d'éviter la tentation des gouvernements d'identifier des indicateurs de régression de la pauvreté. Cette démarche engendre l'effet pervers de sélectionner les personnes sur lesquelles il est possible d'agir le plus facilement, afin d'obtenir des résultats satisfaisants au niveau statistique. Autrement dit, il y a une corrélation entre les indicateurs, la recherche d'efficacité politique et le problème de fond d'une recherche de cohésion sociale. Mais existe-t-il des indicateurs qualitatifs de bien-être d'une société qu'il faudrait développer ?

Mme Agnès de FLEURIEU - Si vous me le permettez, je ne raisonnerai pas en termes d'indicateurs. Il existe dans l'appareil statistique national et au niveau des collectivités territoriales énormément de données pertinentes, mais qui ne sont jamais croisées. Par exemple, sur la question du logement, le Gouvernement mène, depuis des années, une politique d'offre, en se fondant uniquement sur une évaluation numérique des revenus des gens qu'il faut loger. L'Observatoire essaie de croiser certaines données mais doit effectuer encore de nombreux progrès sur ce point.

Ensuite, il existe une multitude d'observatoires et d'observations. Ainsi, l'observatoire national des ZUS a pour champ d'étude l'exclusion urbaine, tandis que nous nous intéressons à l'exclusion dans sa globalité. Nous devrions réfléchir à la mise en place de regroupements donnant plus de poids à notre mission dans ces domaines. En outre, depuis plusieurs années, nous a été demandé un indicateur synthétique nous permettant de rendre compte du phénomène de la pauvreté. Or, les membres de l'Observatoire étaient défavorables à cette demande, estimant que la pauvreté représente un phénomène multidimensionnel. Nous pensons qu'il faut observer une dizaine d'indicateurs simultanément pour obtenir un résultat le plus proche possible de la réalité.

S'agissant de l'objectif chiffré de réduction de la pauvreté, et au choix d'un indicateur ancré dans le temps, il apparaît comme positif que cette indicateur soit un indicateur de pauvreté absolu. Néanmoins, nous nous apercevons qu'il se réduit lui-même d'année en année. C'est pourquoi un certain nombre d'associations considère comme étant illégitime de se fixer un objectif de réduction de la pauvreté à partir de cet indicateur.

Il nous paraît essentiel de pouvoir établir un tableau nous permettant de repérer les situations en train de se dégrader et de les signaler au responsable des politiques publiques. Nous nous apercevons, par exemple, que le cumul des réformes de retraites a eu de mauvaises répercussions sur les personnes seules qui n'avaient pas travaillé durant l'ensemble de leurs anuités. Ces personnes se rendent, en effet, de plus en plus dans les accueils d'aide alimentaire et ne parviennent plus à payer leur loyer et leurs charges. Nous tentons d'établir notre tableau grâce au collège des personnalités issues du monde associatif, notre souhait étant d'améliorer nos observations pour qu'elles aient une utilité plus immédiate.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Je constate que l'Observatoire est le seul organisme à pouvoir travailler sur cet objectif.

Mme Agnès de FLEURIEU - Lorsque nous observons des phénomènes de pauvreté, nous nous demandons quelles sont les limites de notre jugement sur les inégalités. Une partie des associations et des membres du CNIS ayant travaillé sur le rapport sur les inégalités considèrent que les seuls indicateurs valables sont ceux qui rendent compte des inégalités. Néanmoins, l'Observatoire pense que, malgré son importance, il ne faut pas seulement travailler sur la question des inégalités.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Pourrions-nous imaginer que l'Observatoire devienne l'institution de référence sur la question de la pauvreté et l'exclusion ?

Mme Agnès de FLEURIEU - J'ai omis de dire que l'Observatoire n'est pas lui-même producteur de statistiques et doit donc s'appuyer sur des statistiques publiées par d'autres organismes. Ce système engendre un problème de coordination et de communication. Je pense que notre lien avec le CNLE est important, car du fait de sa composition, le CNLE peut effectuer une promotion de l'Observatoire de manière continue. En outre, le regroupement et la fusion de plusieurs instances d'observation est une piste envisageable et doit s'accompagner d'une réflexion à propos des outils à mettre en oeuvre.

Je suis convaincue que la richesse de l'Observatoire provient du mélange des cultures, ouvrant sur un débat et une connaissance partagée. Néanmoins, la communication autour de ses travaux reste difficile, bien qu'ils soient bien évidemment utilisés par des associations et des chercheurs. J'ajoute que nous avons créé une Lettre de l'Observatoire, disponible en version électronique, pour témoigner de nos travaux.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Pensez-vous que l'Observatoire puisse acquérir une légitimité en devenant une référence à un niveau européen ?

Mme Agnès de FLEURIEU - Il me semble que la France est le seul pays à bénéficier d'un observatoire aussi clairement identifié. Nous travaillons sur les indicateurs mis en place au sein de l'Union européenne et participons aux travaux de recherche européens. Je trouve que l'idée de créer un observatoire européen est une excellente idée, d'autant que l'Europe est de plus en plus confrontée à des phénomènes migratoires. Nous aurions intérêt à observer la situation de façon commune, pour enrichir notre réflexion sur le développement de l'emploi, la flex-sécurité et le niveau de vie. Ces préoccupations commencent d'ailleurs à être prises en compte au niveau de la commission de l'Union européenne.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Cette question de la pauvreté est en effet un problème politique majeur. En outre, paradoxalement et en comparaison aux organismes de statistiques officiels, la viabilité des publications de l'Observatoire est incontestable, du fait de la diversité de ses membres.

Mme Agnès de FLEURIEU - Nous travaillons effectivement dans le souci de rendre compte le mieux possible de la situation.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - C'est pourquoi il faudrait réellement travailler sur la valorisation de la qualité de votre travail.

M. Christian DEMUYNCK, Président - Mes chers collègues, souhaitez-vous poser des questions ?

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Aviez-vous tous connaissance de l'existence d'un observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale?

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE - J'en avais effectivement eu connaissance. Il serait intéressant de comprendre les critères de sélection de vos indicateurs, qui sont, comme vous l'avez indiqué précédemment, très difficilement évaluables, dans la mesure où la pauvreté constitue un phénomène multiforme.

Mme Agnès de FLEURIEU - Certains de nos indicateurs ont été établis en fonction de l'indicateur de pauvreté monétaire. L'indicateur européen tient compte de la part des ménages dont le revenu est inférieur de 60% au revenu médian. Pour leur part, les membres de l'Observatoire ont considéré pendant des années la part des individus vivant dans un ménage dont le revenu est inférieur à 50% du revenu médian. Nous pensons aujourd'hui qu'il est intéressant de continuer à comparer les deux indicateurs.

Ensuite, l'intensité de la pauvreté, que j'ai évoquée au début de mon intervention, tient compte de l'écart séparant les gens proches du seuil de pauvreté et ceux situés dans les premiers déciles.

Le taux de pauvreté de la population à l'emploi consiste à dénombrer les personnes qui se trouvent en dessous du seuil de pauvreté mais possèdent un emploi.

Le taux de difficulté des conditions de vie, plus difficile à estimer, est construit à partir d'une grille nous servant à recueillir des données qualitatives. Or nous nous sommes aperçus que ces rubriques étaient définies par des personnes ne vivant pas ces situations. Pa conséquent, nous estimons comme étant pertinente la demande portée par ATD Quart Monde de mieux associer les personnes vivant les situations de pauvreté à l'élaboration des instruments qui doivent en rendre compte.

D'autres indicateurs concernent les minimas sociaux, parmi lesquels un indicateur mesurant le phénomène de persistance dans le RMI. Ainsi, nous savons que le fait de rester plus de trois ans bénéficiaire du RMI possède une signification.

Enfin, nous nous appuyons sur des indicateurs de non-accès aux droits fondamentaux, estimant le taux de renoncement aux soins pour des raisons financières, le taux de sortants du système scolaire à faible niveau d'études ou le taux de demandeurs d'emploi non-indemnisés que nous voyons augmenter.

Nous tenons également compte du nombre de demandes de logement social non satisfaites après un an et des inégalités de revenus.

Parallèlement à nos indicateurs, les indicateurs de la LOLF ont pour objectif de mesurer l'efficacité des politiques de lutte contre l'exclusion. De plus, il existe plus de cent indicateurs européens offrant la possibilité de comparer les politiques européennes et de quantifier des objectifs pour obtenir des résultats. J'ajouterai que nos indicateurs sont davantage des indicateurs de constat ou d'état que des indicateurs d'objectifs ou d'évaluation.

M. Christian DEMUYNCK, Président - Si vous n'avez pas d'autre question à formuler, je vais clore la séance. Je vous remercie, Madame la Présidente, pour toutes ces informations.

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