2. Mais elle suscite des réactions de défiance chez la plupart des pays partenaires

On ne peut que constater le fort contraste qui existe entre l'enthousiasme de la Commission pour sa politique de voisinage, et le scepticisme, voire la défiance qu'elle suscite chez de nombreux pays partenaires. Quelles sont les raisons de cette désaffection ?

a) Une politique trop unilatérale et asymétrique

Tout d'abord, la majorité des pays désapprouvent le nom même de la politique de voisinage. En effet, ils estiment que le terme de « voisins » a des connotations négatives d'infériorité. Selon eux, la dénomination de cette politique traduit une relation déséquilibrée entre une Union qui décide, et des partenaires qui subissent et obéissent, sans concertation. La notion de voisin postule l'existence d'un centre et de périphéries. Or, les pays partenaires ne veulent pas être « les banlieues de l'Europe ». Certains pays ont même fait part de leur sentiment que la politique de voisinage pilotée par la Commission européenne ne respecte pas la dignité des pays partenaires.

Plus précisément, les partenaires de la politique de voisinage reprochent à celle-ci de mettre voisins de l'Est et voisins méditerranéens sur un pied d'égalité, alors que leurs relations avec l'Union européenne sont très différentes. Par exemple, le Maroc estime que les voisins dits de l'Est et du Caucase sont très éloignés du centre de gravité de l'Union européenne et qu'ils n'ont pas les mêmes relations historiques avec l'Union européenne que les pays méditerranéens. Ainsi, en 1957, le Maroc était plus proche de la Communauté économique européenne que ne l'étaient l'Espagne, la Grèce, et bien évidemment les pays à l'est du rideau de fer.

Au contraire, l'Ukraine affirme ses origines et son histoire européennes, justifiant selon elle sa perspective d'adhésion à l'Union européenne. Il ne lui paraît donc pas normal d'être englobée dans la politique de voisinage avec les pays méditerranéens qui n'ont pas vocation à adhérer à l'Union européenne. En somme, pour l'Ukraine, la politique de voisinage n'est qu'un « pis-aller » à l'adhésion.

De plus, les partenaires méditerranéens reprochent à la politique de voisinage son caractère par trop unilatéral et technocratique, et trop peu partenarial. Ce grief est repris par l'ensemble des partenaires. La Commission est en effet toute puissante dans ce processus, où ils n'ont pas leur mot à dire. Ainsi, les plans d'action sont plutôt imposés par la Commission que négociés et comportent tous la même structure, alors qu'ils sont censés s'adapter à la singularité de chaque partenaire.

b) Une politique trop complexe et inadaptée

Les pays partenaires reprochent également à la politique de voisinage sa complexité. A titre d'exemple, les financements de projets dans les pays méditerranéens s'avèrent tellement complexes qu'ils ne peuvent être réalisés tels qu'ils sont prévus initialement par la Commission. De ce fait, il n'y a pratiquement aucune trace directement visible de l'aide financière apportée par la Commission dans les pays méditerranéens. La politique de voisinage est d'ailleurs totalement méconnue, pour ne pas dire inconnue, par les populations locales.

Certains partenaires méditerranéens nous ont aussi fait part de leur perplexité quant au principe de conditionnalité. En effet, selon eux, ce principe n'est pas adapté mais contreproductif, car il conditionne l'aide financière apportée aux progrès réalisés dans les réformes. Or, pour être réalisées, les réformes nécessitent un financement adéquat. Dès lors, la Commission adopte la démarche inverse de ce qui leur semblerait juste et efficace. En revanche, le principe de différenciation est plutôt approuvé par les pays partenaires.

c) Une politique au financement insuffisant

De façon générale, les partenaires méditerranéens considèrent que les exigences de la Commission sont trop ambitieuses par rapport au financement qu'elle apporte, notamment en comparaison des financements octroyés aux pays anciennement candidats à l'adhésion et aujourd'hui membres de l'Union européenne. Le déséquilibre financier semble en effet excessif et disproportionné, car les objectifs de réforme sont à peu près identiques entre les pays candidats et les partenaires de la politique de voisinage. A titre d'exemple, le Maroc, premier bénéficiaire de la politique de voisinage, recevra environ 200 millions d'euros par an au maximum entre 2007 et 2013. Sur la même période, la Pologne recevra un total de 10 milliards d'euros, tandis que la Bulgarie et la Roumanie bénéficieront à elles deux de 33 milliards d'euros d'aide financière. Les pays méditerranéens souhaiteraient donc légitimement bénéficier d'une aide plus importante et réduire la portée de la conditionnalité dans le dispositif de la politique de voisinage.

d) L'échec de la coopération régionale

Enfin, l'échec de la politique de voisinage est patent en ce qui concerne son objectif de coopération régionale. La politique de voisinage ambitionne en effet de favoriser la coopération régionale entre pays méditerranéens d'une part, et entre pays de l'Est et du Caucase d'autre part, mais aussi entre les pays de ces deux zones géographiques. Or, d'après nos interlocuteurs, les relations entre ces deux groupes de pays sont aujourd'hui encore quasiment inexistantes. Lorsqu'elles existent, elles sont de nature commerciale seulement.

e) Une politique malgré tout indispensable

Malgré toutes les critiques recensées contre la politique de voisinage et les doutes qu'on peut avoir sur sa valeur ajoutée par rapport aux partenariats existants (processus de Barcelone pour les pays méditerranéens) ou à la perspective d'adhésion (Ukraine), il faut reconnaître néanmoins qu'elle revêt une certaine efficacité, que ses objectifs sont bons, et qu'elle apporte une aide non négligeable aux partenaires. Ceux-ci admettent d'ailleurs entretenir des relations régulières avec les services de la Commission. En effet, la plupart d'entre eux ont une ambassade à Bruxelles. Ils affirment clairement qu'ils ont accepté la politique de voisinage, en sachant qu'elle les rapprocherait de l'Europe, et qu'ils pouvaient de toute façon difficilement la refuser.

Au total, la politique de voisinage est encore trop « euro-centrée », créée par l'Union européenne et pour elle, au détriment de la concertation et de la prise en compte des préoccupations des pays voisins. Il est évident que la marge de manoeuvre des pays partenaires est d'autant plus réduite que la relation entre l'Union et ses voisins est asymétrique. L'Union représente en effet un pôle d'attraction et un partenaire commercial important pour les pays partenaires. Elle est donc en position de force dans les négociations.

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