II. UNE POLITIQUE DYNAMIQUE À LA CROISÉE DES CHEMINS, ENJEU DE POLITIQUE EXTÉRIEURE POUR L'UNION EUROPÉENNE

A. UNE POLITIQUE DYNAMIQUE EN PLEINE ÉVOLUTION, ENCORE TROP NOYAUTÉE PAR LA COMMISSION EUROPÉENNE

Bien que la politique de voisinage soit une politique récente de la Commission européenne, elle n'a cessé de monter en puissance depuis sa création, et de prendre de l'importance non seulement au sein de la Commission, mais également aux yeux des autres institutions de l'Union européenne. Signe révélateur de son importance croissante, la politique de voisinage fait partie des priorités de toutes les présidences depuis la présidence allemande du Conseil de l'Union au premier semestre 2007.

1. Le rôle prédominant de la Commission

L'implication de la Commission se mesure au nombre de communications et de rapports qu'elle a publiés sur le sujet depuis 2002. On constate d'ailleurs une accélération au cours des deux dernières années. Elle a ainsi publié une dizaine de documents sur le sujet depuis 2002, avec au moins une communication par an depuis 2003. C'est en effet la Commission qui élabore les plans d'action et qui évalue les progrès réalisés par les différents pays, à l'exclusion de toute autre institution. Cet état de fait est problématique, puisque la Commission est en quelque sorte juge et partie. Il faut donc faire attention à l'objectivité de ses communications sur les résultats de la politique de voisinage.

En outre, la Commission organise des conférences sur la politique de voisinage, en s'efforçant d'associer différents partenaires. Elle a par exemple réuni le 3 septembre 2007, pour la première fois, les ministres et autres représentants des pays participant à la politique de voisinage. Le but était de réfléchir à l'avenir de la politique de voisinage en consultant et en associant davantage les pays partenaires. On ne peut que regretter qu'une telle rencontre ne soit intervenue que plus de quatre ans après le lancement de la politique de voisinage, mais également que la Commission n'ait pas convié à cette manifestation les représentants des parlements nationaux. On peut également espérer que ce type de rencontre se renouvellera fréquemment à l'avenir.

2. Le rôle plus effacé des autres acteurs

a) L'intérêt du Comité des régions, du Conseil économique et social européen et du Parlement européen pour la politique de voisinage :

Bien que la politique de voisinage soit exclusivement gérée par la Commission, d'autres acteurs institutionnels s'efforcent d'apporter leur contribution à son développement et à son renforcement. C'est le cas du Comité des régions et du Parlement européen qui ont réalisé plusieurs rapports sur ce thème.

(1) Le Comité des régions et le Conseil économique et social européen

Le Comité des régions s'intéresse à la politique de voisinage dans la mesure où l'un de ses objectifs est de développer la coopération régionale entre les pays partenaires. Par exemple, le document de stratégie de la Commission sur la politique de voisinage de mai 2004 contient des recommandations sur le développement de la coopération et de l'intégration régionales, notamment au travers d'une coopération transfrontalière engageant des autorités régionales et locales ainsi que des acteurs non gouvernementaux, afin de régler certains problèmes qui surviennent aux frontières extérieures de l'Union européenne. Le Comité des régions s'efforce de favoriser cette dimension importante et encore trop embryonnaire de la politique de voisinage. Il rend ainsi des avis et réalise des rapports sur le sujet, mais ceux-ci restent généralement non suivis d'effet, ce que l'on ne peut que regretter. On peut citer par exemple le rapport Hanningfield (14 septembre 2005).

Le Conseil économique et social européen rend également des avis sur la politique européenne de voisinage, conformément à l'article 262 du traité instituant la Communauté européenne. Il se prononce notamment sur les communications de la Commission sur le sujet.

(2) Le Parlement européen

Le Parlement européen n'a pas de pouvoir de contrôle direct sur la politique de voisinage. Il n'est que consulté et ne peut qu'adopter des résolutions, qui restent en général non suivies d'effet. Cependant, il peut indirectement s'opposer à la Commission à travers ses pouvoirs budgétaires. Ainsi, pour ce qui concerne l'assistance financière proprement dite, il existe un comité spécial pour l'Instrument européen de Voisinage et de Partenariat (IEVP), qui doit approuver tous les financements.

Depuis 2003, les députés européens ont examiné plusieurs rapports sur la politique de voisinage proprement dite, ainsi que plusieurs rapports sur des thèmes connexes, tels que la mer Noire ou les conflits gelés. On peut citer notamment le rapport de Pasqualina Napoletano de 2003, ainsi que les rapports de Charles Tannock et Raimon Obiols de 2005 et 2007.

Les débats sur les rapports ou les projets de résolution permettent aux parlementaires d'exprimer leurs réflexions et leurs propositions sur l'évolution de la politique de voisinage. L'analyse de ces débats révèle que la plupart des parlementaires sont plus intéressés par le renforcement des relations avec les pays de l'Est et du Caucase qu'avec les pays méditerranéens, du moins dans le cadre strict de la politique de voisinage. Le dernier rapport de Charles Tannock et Raimon Obiols (Rapport sur le renforcement de la politique de voisinage, 15 novembre 2007) propose ainsi la création d'une assemblée parlementaire de l'Est, sur le modèle de l'Assemblée parlementaire méditerranéenne. Certains parlementaires européens militent pour l'adhésion de quelques pays partenaires à l'Union européenne, tels que l'Ukraine ou la Moldavie. On peut regretter ce déséquilibre, dû en partie à l'activisme des députés allemands et polonais et à la moindre implication des députés des pays méditerranéens de l'Union européenne.

Le renforcement de la politique européenne de voisinage

Rapport de Charles Tannock (RU, PPE) et de Raimon Obiols (ES, PSE)

Le rapport de M. Tannock et M. Obiols, et la résolution qui l'accompagne, tels qu'ils ont été adoptés par le Parlement européen le 15 novembre 2007, considèrent que la politique européenne de voisinage (PEV) reste l'une des priorités principales de la politique étrangère de l'Union européenne. Ils plaident en conséquence pour l'augmentation des ressources financières consacrée à cette politique, afin qu'elle puisse répondre aux ambitions et aux objectifs qui lui ont été assignés.

Le rapport reprend un thème que M. Tannock avait déjà abordé dans son précédent rapport sur la politique européenne de voisinage (7 décembre 2005) : la nécessaire résolution des conflits existants, tant à l'est qu'au sud, afin de débloquer la coopération régionale entre ces pays.

De plus, le rapport préconise de faire une distinction entre les pays du voisinage oriental de l'Union, dits « européens » et ayant vocation à adhérer, et les pays méditerranéens, qui n'ont pas vocation à adhérer.

Le rapport exprime ainsi des doutes sur la pertinence de la couverture géographique de la politique européenne de voisinage, dans la mesure où elle associe des pays qui sont dit européens d'un point de vue géographique à des pays méditerranéens non européens.

Le rapport recommande malgré tout de préserver, entre les volets oriental et méridional de la politique de voisinage, un équilibre global qui prenne en compte les ambitions et les objectifs de l'Union dans les régions, l'efficacité de l'aide antérieure et la taille de la population concernée.

Charles Tannock a rédigé la partie du rapport consacrée aux pays voisins d'Europe de l'Est. Il estime que l'Ukraine, la Moldavie et le Belarus, sous réserve d'évolutions démocratiques internes, ont tous les trois des perspectives européennes à long terme. Il est même favorable à l'inclusion du Kazakhstan dans la politique de voisinage. Sur cette proposition, le Parlement européen ne l'a pas suivi.

De plus, le rapporteur plaide pour des facilitations de visa et, à terme, pour un régime sans visa avec les pays du volet oriental de la politique européenne de voisinage.

L'une des propositions les plus innovantes de ce rapport est la création d'une Assemblée parlementaire Union européenne/voisinage Est, qui se nommerait Euro-Nest. Celle-ci s'inspirerait du modèle des assemblées parlementaires multilatérales déjà mises en place avec la participation du Parlement européen, telle l'Assemblée parlementaire euro-méditerranéenne.

En ce qui concerne le volet sud de la politique de voisinage, le rapport préconise une meilleure articulation entre le partenariat euro-méditerranéen (processus de Barcelone) et cette politique. La coopération bilatérale dans le cadre de la politique européenne de voisinage ne doit en effet pas porter atteinte à l'approfondissement de la coopération multilatérale dans la région, notamment à la poursuite des objectifs du processus de Barcelone.

Selon les rapporteurs, la Méditerranée doit rester une préoccupation politique commune à tous les États membres.

Enfin, le rapport confère beaucoup d'importance à la participation de la société civile ainsi qu'au rôle du Parlement européen dans le cadre de la politique de voisinage. Il déplore ainsi la situation actuelle, caractérisée par la prédominance de la Commission dans l'élaboration et la mise en oeuvre de la politique de voisinage. Le Parlement européen souhaiterait notamment s'impliquer davantage dans la définition et l'évaluation de la mise en oeuvre des plans d'action.

Afin de renforcer sa participation au processus de voisinage, le Parlement européen exprime également son intention d'améliorer sa coopération avec les parlements nationaux et les sociétés civiles des pays partenaires de la politique européenne de voisinage.

b) La non implication problématique des parlements nationaux et des citoyens

Plus encore, il est regrettable de constater que les parlements nationaux ne s'intéressent pas du tout à la politique de voisinage. Il faut dire que la gestion de la politique de voisinage par la Commission ne les implique pas spontanément. L'un des objectifs de votre rapporteur à travers ce rapport est précisément d'informer ses collègues et de susciter leur intérêt pour cette politique injustement ignorée.

Au demeurant, des études d'opinion révèlent qu'à peine un Européen sur cinq a entendu parler de la politique de voisinage. La majorité des personnes interrogées (79 %) se préoccupe du coût de cette politique. Parallèlement, 61 % des répondants considèrent qu'aider les pays voisins à prospérer est bénéfique pour l'Union européenne. Plus précisément, pour une majorité des personnes interrogées, il est important ou très important de coopérer avec les pays voisins de l'Union européenne dans la lutte contre la criminalité organisée (89 %), l'environnement et l'énergie (86 %), le développement économique (85 %), la démocratie (82 %), l'éducation et la formation (81 %), et l'immigration (71 %). Selon 73 % des sondés, l'Union européenne peut contribuer à promouvoir la démocratie dans ces pays. 67 % des personnes interrogées estiment que ce type de coopération permet de réduire les risques de guerre et de conflit en Europe, et 62 % qu'elle atténue l'immigration clandestine.

Ce type de sondage est très intéressant et devrait être réalisé plus souvent, sur un public plus large. De tels sondages devraient également être réalisés auprès des populations des pays partenaires, où la politique de voisinage manque cruellement de visibilité. Cela contribuerait aussi à impliquer davantage les pays partenaires, des gouvernements à la société civile. Au total, il faut renforcer l'information et la participation des citoyens, de la société civile et des parlements nationaux sur la politique de voisinage, en leur offrant davantage de possibilités de contribuer à son développement. La réussite de cette politique passe en effet aussi par l'établissement de contacts au niveau de la société civile.

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