B. LES RÉFORMES INDISPENSABLES

Le retour à l'équilibre de la sécurité sociale ne pourra aussi intervenir que si des réformes à caractère plus structurel sont mises en oeuvre. En effet, la caractéristique du déficit du régime général actuel est qu'il est essentiellement d'ordre structurel.

1. Assurance maladie : aller au-delà du plan d'économies

Le retour à l'équilibre en 2011 des comptes de l'assurance maladie ne pourra se faire sans l'adoption de mesures de fond visant à faire évoluer le système actuel.

Le directeur de la Cnam a présenté devant votre commission un plan de redressement qui repose sur la mobilisation de nouvelles recettes, de l'ordre de 1 milliard d'euros, et la réalisation d'environ 2 milliards d'euros d'économies ayant surtout pour objet d'utiliser les réserves « d'efficience » du système de santé.

Ce plan, utile à court terme, n'est cependant pas suffisant. Les ministres de tutelle ont d'ailleurs demandé au directeur de la Cnam de présenter d'ores et déjà un plan plus ambitieux , à hauteur de 4 milliards d'euros.

Votre commission estime que de véritables réformes structurelles devront également être rapidement engagées. Deux domaines en particulier pourraient faire l'objet de ces réformes :

- la prise en charge des ALD.

Dans le domaine des soins de ville, une réflexion sur la prise en charge des personnes souffrant d'une affection de longue durée est indispensable. Ce poste absorbe cette année 66 % des dépenses et représente 86 % de l'accroissement de ces mêmes dépenses .

Depuis dix ans, les admissions en ALD croissent à un rythme annuel moyen de 4,5 %. En 2006, les nouvelles déclarations se sont élevées à un million, soit une augmentation de 5,7 % par rapport à l'année précédente. Les maladies cardiaques et le diabète expliquent la plus grande partie de cette évolution. Au total, les effectifs de patients en ALD sont de 7,7 millions pour le régime général et de 9 millions pour l'ensemble des régimes.

La croissance des dépenses des ALD est extrêmement dynamique : elle s'élève en moyenne à 9,4 % par an depuis 2003. Leur contribution à l'augmentation des dépenses de soins de ville est supérieure à 73 % par an depuis 2003.

Ainsi, compte tenu de la charge que les ALD font peser sur les dépenses et de l'absence de résultat de la politique de médicalisation de la prise en charge de ces ALD, prévue par la loi du 13 août 2004 de réforme de l'assurance maladie, il est nécessaire aujourd'hui de s'interroger sur la possibilité d'adopter des mesures plus contraignantes en ce domaine.

- la réforme de l'hôpital

De même, il est urgent d'associer l'hôpital aux politiques de réduction des déficits de l'assurance maladie. Un récent rapport de la Mecss sur les insuffisances du pilotage de la politique hospitalière 3 ( * ) a fait un diagnostic de la situation et esquissé des propositions.

Ainsi, pour la Mecss, la réforme passe avant tout par une meilleure adaptation de l'offre de soins et par une restructuration des services et du secteur hospitalier sur l'ensemble du territoire.

Elle passe aussi par une politique active de redressement de la situation financière des hôpitaux , dont les déficits cumulés pourraient atteindre au moins 500 millions d'euros, voire un milliard d'euros en 2008.

Elle nécessite une meilleure maîtrise du processus de la tarification à l'activité , et notamment de la convergence des tarifs dont la mise en oeuvre constitue un gage d'efficience des dépenses et de qualité des soins aux patients.

Elle suppose également une clarification des rôles dans le contrôle des dépenses hospitalières . Cette question sera notamment abordée dans le cadre de la création des futures agences régionales de santé, réforme sur laquelle votre commission sera très attentive.

Enfin, les principes de la maîtrise médicalisée appliqués en ville doivent être étendus à l'hôpital, ainsi que le prévoit la loi du 13 août 2004.

2. Sauver le régime des retraites

Pour la branche vieillesse aussi, les réformes ne peuvent plus attendre.

Avec un déficit cumulé de 10 milliards d'euros pour 2007 et 2008, l'assurance vieillesse subit la conjonction de facteurs défavorables : une dynamique des dépenses plus forte que prévu, des comportements des assurés mal anticipés, un marché de l'emploi moins vigoureux qu'attendu, l'échec des dispositifs destinés à reculer l'âge moyen de départ en retraite.

Or, au-delà de ce constat de court terme, aucune perspective d'amélioration ne peut être envisagée à moyen terme. Il est donc impératif que des mesures d'envergure soient rapidement prises pour permettre un redressement des comptes et solvabiliser le régime de retraite de base d'un grand nombre de nos concitoyens. Cette nouvelle étape dans la réforme avait d'ailleurs été prévue dans la loi de 2003 qui avait instauré un « rendez-vous » législatif sur les retraites en 2008.

Le Gouvernement a rendu public le 28 avril dernier un document d'orientation issu de ses premières concertations. Il fixe plusieurs objectifs : mieux prendre en compte l'allongement de l'espérance de vie, encourager l'emploi des seniors et accroître le pouvoir d'achat des petites retraites.

Ces orientations sont bonnes sur le plan général mais, dans leur déclinaison qui doit intervenir dans le cadre des prochaines lois de financement de la sécurité sociale et loi de finances, il faudra qu'elles permettent une véritable réduction du déficit de la branche. Cela signifie que les mesures que proposera le Gouvernement devront corriger la situation actuelle sur au moins deux points :

- tout d'abord, il est impératif de parvenir à réellement promouvoir l'emploi des seniors : la France a un taux d'emploi des 55-64 ans de 38 %, ce qui la place aujourd'hui en dernière position en Europe avec un âge moyen de retrait du marché du travail de deux ans inférieur à celui de la moyenne européenne, de trois ans par rapport à l'Allemagne et de plus de cinq ans par rapport à la Suède.

Or, élever l'âge moyen de liquidation des pensions est l'un des paramètres essentiels de la situation financière des régimes. Si le moyen d'y parvenir passe par la pénalisation des entreprises qui « ne jouent pas le jeu », en continuant à se défaire de leurs salariés seniors, votre commission estime qu'il faudra aller dans cette direction ;

- ensuite, le dispositif des carrières longues devra être revu, en particulier pour éviter les effets d'aubaine et d'optimisation liés à l'utilisation des nombreuses possibilités de validations de trimestres actuellement en vigueur. Ce n'était en effet pas l'esprit de la réforme de 2003.

De la même façon, les discussions en cours sur la pénibilité devront intégrer une dimension de coût et de soutenabilité financière qui a fait défaut au moment de l'adoption de la mesure carrières longues.

D'une manière plus générale, comme cela est notamment affirmé dans le rapport d'étape de la mission commune d'information « dépendance » 4 ( * ) , l'ensemble des besoins et des coûts liés au vieillissement de la population devra faire l'objet d'une approche globale, prospective et surtout plus approfondie . Les besoins de financement devront notamment être chiffrés le plus correctement possible, de façon à éviter une nouvelle impasse financière.

3. Assurer un financement durable de la protection sociale

La question du financement de la protection sociale est un sujet essentiel pour garantir la préservation d'un système de sécurité sociale auquel nos concitoyens sont très attachés.

Cette question doit être examinée sous un double aspect, celui de la préservation des recettes actuelles et celui de l'apport éventuel de ressources nouvelles.

- la préservation des recettes actuelles

La préservation des recettes actuelles de la sécurité sociale suppose, d'abord, de maintenir l'assiette des ressources. Cela signifie qu'une réflexion doit s'engager sur l'ensemble des dispositifs d'exonérations de charges ou d'exemptions d'assiette.

Le développement des dispositifs d'exonérations qui atteignent, on l'a vu, le niveau record de plus de 30 milliards d'euros, est un fait majeur de l'évolution du mode de financement de la sécurité sociale au cours des dernières années. Ces dispositifs recouvrent à la fois les allégements généraux de charges sur les bas salaires et les exonérations ciblées sur certains territoires, certains secteurs d'activité ou des publics particuliers. S'y sont ajoutées les exonérations récemment adoptées pour favoriser l'augmentation du pouvoir d'achat : exonérations de charges sur les heures supplémentaires et sur les rachats de jours de RTT.

Dans leur grande majorité, ces dispositifs sont compensés par l'Etat . Votre commission se félicite d'ailleurs que le Gouvernement ait particulièrement bien veillé à ce qu'il en soit réellement ainsi au cours des deux derniers exercices. Néanmoins, l'absence de mécanisme de compensation automatique « à l'euro l'euro » est une source de fragilité réelle pour les finances de la sécurité sociale.

La préservation des recettes passe aussi par une réflexion sur les diverses exemptions d'assiette ou « niches sociales » qui représentent, selon un rapport du Gouvernement, une perte d'assiette de plus de 40 milliards d'euros .


Les exemptions d'assiette de cotisations de sécurité sociale

Ces exemptions constituent une exception à la règle posée par l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale selon laquelle l'assiette des cotisations de sécurité sociale du régime général recouvre l'ensemble des salaires et avantages versés, quelle qu'en soit la forme, au salarié en contrepartie ou à l'occasion de son activité professionnelle.

Elles peuvent être regroupées en quatre catégories pour les revenus d'activité salariée :

- les dispositifs d'épargne salariale : participation, intéressement, plan d'épargne en entreprise, stock-options, actions gratuites ;

- les aides directes destinées au financement de certains besoins précis : titres restaurant, chèques vacances, chèque emploi service universel ;

- les dispositifs de prévoyance complémentaire et de retraite supplémentaire ;

- les indemnités versées en cas de rupture du contrat de travail : indemnités de licenciement, indemnités de mise à la retraite.

Le total de ces exemptions d'assiette a été évalué par le Gouvernement à 41 milliards d'euros dans un rapport remis au Parlement au mois de décembre dernier.

Montants des exemptions d'assiettes en 2005

(en milliards d'euros)

Dispositifs

Montants des exemptions d'assiettes

I. Participation financière et actionnariat salarié

16,5

Dont :

Participation

7,0

Intéressement

5,9

Plan d'épargne en entreprise (PEE)

1,5

Stock-options

2,1

II. Aides directes consenties aux salariés

5,1

Dont :

Titres restaurant

2,1

Chèques vacances

0,3

Avantages accordés par les comités d'entreprise (2004)

2,6

Chèque emploi service universel (2006)

0,1

III. Prévoyance complémentaire, retraite supplémentaire

13,6

Dont :

Prévoyance complémentaire

10,7

Retraite supplémentaire

2,8

Plan d'épargne retraite collective (Perco)

0,1

IV. Rupture du contrat de travail (2002)

5,8

Dont :

Indemnités de licenciement

4,9

Indemnités de mise à la retraite

0,9

TOTAL

41,0

Source : rapport au Parlement sur les dispositifs affectant l'assiette des cotisations
et contributions de sécurité sociale - novembre 2007

Notre collègue député Yves Bur vient de publier un rapport 5 ( * ) extrêmement complet sur cette double question. Il en ressort que toute une série de dispositions pourrait être adoptée pour limiter la prolifération de ces exonérations, par exemple en restreindre leur durée ou les soumettre à des études d'impact régulières.

De son côté, votre commission a proposé d'instituer un système de validation obligatoire des mesures d'exonération en loi de financement de la sécurité sociale. Cette préconisation a déjà fait l'objet d'une proposition de loi organique votée par le Sénat le 22 janvier dernier 6 ( * ) . Le Gouvernement avait néanmoins estimé, au cours des débats, que cette mesure était peut-être d'ordre constitutionnel. Aussi, à l'occasion de la réforme constitutionnelle en cours d'examen, votre rapporteur et le président de votre commission ont déposé, conjointement avec le président et le rapporteur général de la commission des finances, un amendement au projet de loi de modernisation des institutions. Le texte proposait d'autoriser l'adoption de dispositifs d'exonérations de charges dans des lois ordinaires mais subordonnant leur maintien en application à une validation par la loi de financement suivante. Le Sénat a effectivement adopté cet amendement mais les deux commissions des lois du Parlement ont finalement estimé que cette disposition relèvait non pas du domaine constitutionnel mais bien de la loi organique... Aussi ont-elles décidé d'écarter cette disposition du texte qui sera soumis au Congrès. Dans son rapport, Yves Bur semble partager cette analyse. Dans ces conditions, votre commission appelle vivement l'Assemblée nationale à se saisir de la proposition de loi organique précédemment adoptée par le Sénat.

La préservation des recettes de la sécurité sociale ne signifie pas pour autant que leur répartition actuelle soit figée. En effet, le redéploiement des recettes disponibles est une nécessité .

Votre commission a toujours été extrêmement attachée à la non fongibilité des branches et des comptes , seul moyen de permettre une gestion claire, transparente et responsable des finances sociales.

Néanmoins, elle ne s'opposera pas à d'éventuels transferts de recettes si ceux-ci sont faits dans la transparence et à bon escient . Dans le rapport préparatoire au débat d'orientation des finances publiques, le Gouvernement envisage d'ores et déjà deux redéploiements : l'accroissement des cotisations vieillesse en contrepartie d'une baisse des cotisations d'assurance chômage et la prise en charge intégrale des majorations de pensions pour enfants par la branche famille.

- la mobilisation de ressources nouvelles

Même parfaitement réformé, le système de protection sociale ne pourra subsister sans l'apport de ressources nouvelles. Toutes les études effectuées, tant en France que dans les pays comparables, montrent que le poids des dépenses sociales dans le Pib va s'accroître au cours des prochaines années, essentiellement au titre de la santé et de la vieillesse. Il faudra les financer.

Plusieurs possibilités existent. Aucune ne doit être écartée a priori. De façon simplifiée, on peut distinguer, un financement par des taxes ou par l'impôt et un financement de type assurantiel, obligatoire ou facultatif.

Dans le cadre de la discussion du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, votre commission avait proposé deux pistes qui lui paraissent toujours mériter d'être retenues : d'une part, l'instauration d'une contribution forfaitaire de faible montant sur l'ensemble des niches sociales (la « flat tax »), idée que Yves Bur reprend d'ailleurs dans son rapport, d'autre part, la création d'une taxe sur les boissons sucrées et les produits de grignotage.

Cette dernière taxe, qui pourrait rapporter entre 500 millions et 1 milliard d'euros, tout en restant d'un montant très faible sur les produits concernés, serait établie dans un souci autant sanitaire que financier, afin de contribuer à la lutte contre les mauvais comportements alimentaires et l'obésité qui pèsent de façon non négligeable sur les comptes de la sécurité sociale. Votre commission attend sur ce sujet un rapport du Gouvernement qui lui avait été promis pour la fin du mois de juin.

Dans le même ordre d'idée, des marges existent encore pour la taxation de certains produits alcoolisés.

S'agissant d'autres modes de financement, il faudra poursuivre la réflexion sur une éventuelle modification de la répartition des charges entre l'assurance maladie obligatoire et les assurances complémentaires , dans les conditions toutefois que votre commission a posées, voici un mois, à l'occasion de l'examen du rapport de la Cour des comptes sur l'analyse récente de ces transferts de charges 7 ( * ) .

La mobilisation de financements de type plutôt assurantiel devra aussi continuer d'être étudiée, par exemple pour financer certaines dépenses liées à la dépendance . Le rapport d'étape précité de la mission d'information « dépendance » fait un point précis sur cette question.

* 3 Pour une gestion responsable de l'hôpital - Rapport d'information Mecss - Sénat n° 403 (2007-2008) de Alain Vasselle et Bernard Cazeau.

* 4 Construire le cinquième risque : le rapport d'étape - Rapport d'information Sénat n°447 (2007-2008) de Alain Vasselle.

* 5 Vers une révision générale des exonérations de cotisations sociales - Rapport d'information Assemblée nationale n°1001 (XIIIème législature) de Yves Bur.

* 6 Proposition de loi organique tendant à prévoir l'approbation par les lois de financement de la sécurité sociale des mesures de réduction et d'exonération de cotisations et de contributions de sécurité sociale adoptées en cours d'exercice - Texte Sénat n° 51 (2007-2008).

* 7 Santé : qui doit payer ? Une contribution au débat sur les transferts de charges entre l'assurance maladie, les complémentaires et les ménages - Rapport d'information Sénat n°385 (2007-2008) de Alain Vasselle.

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