N° 79

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2008-2009

Annexe au procès-verbal de la séance du 4 novembre 2008

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur le potentiel thérapeutique des cellules souches extraites du sang de cordon ombilical ,

Par Mme Marie-Thérèse HERMANGE,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Nicolas About , président ; Mme Isabelle Debré, M. Gilbert Barbier, Mme Annie David, M. Gérard Dériot, Mmes Annie Jarraud-Vergnolle, Raymonde Le Texier, Catherine Procaccia, M. Jean-Marie Vanlerenberghe , vice-présidents ; MM. François Autain, Paul Blanc, Mme Muguette Dini, M. Jean-Marc Juilhard, Mmes Gisèle Printz, Patricia Schillinger , secrétaires ; Mmes Jacqueline Alquier, Brigitte Bout, M. Jean Boyer, Mme Claire-Lise Campion, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Mme Jacqueline Chevé, M. Yves Daudigny, Mme Christiane Demontès, M. Jean Desessard, Mmes Sylvie Desmarescaux, Bernadette Dupont, M. Guy Fischer, Mme Samia Ghali, MM. Bruno Gilles, Jacques Gillot, Mme Colette Giudicelli, MM. Jean-Pierre Godefroy, Alain Gournac, Mmes Sylvie Goy-Chavent, Françoise Henneron, Marie-Thérèse Hermange, Gélita Hoarau, M. Claude Jeannerot, Mme Christiane Kammermann, MM. Marc Laménie, Serge Larcher, André Lardeux, Dominique Leclerc, Jacky Le Menn, Jean-François Mayet, Alain Milon, Mmes Isabelle Pasquet, Anne-Marie Payet, M. Louis Pinton, Mmes Janine Rozier, Michèle San Vicente-Baudrin, MM. René Teulade, Alain Vasselle, François Vendasi, René Vestri.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

L'humanité dispose d'une ressource thérapeutique abondante, simple d'accès et ne posant aucun problème éthique majeur. Il s'agit du sang placentaire, appelé plus communément sang de cordon ombilical car c'est dans cette partie du placenta qu'il est collecté. Le sang transitant par le cordon ombilical, qui alimente en oxygène l'enfant à naître, a été considéré depuis le début du XX e siècle comme un moyen de soigner les pathologies sanguines en raison de sa grande richesse cellulaire. On sait aujourd'hui plus précisément qu'il s'agit d'une richesse en cellules souches capables de reconstruire les tissus humains lésés.

Cette propriété du sang de cordon est à l'origine de trois types d'application. La première, déjà courante, est la thérapie des maladies du sang, où le cordon ombilical remplace avantageusement les greffes de moelle osseuse. Plus de dix mille personnes ont bénéficié d'une greffe de cellules extraites du sang de cordon depuis la première opération réalisée voici vingt ans par le professeur Eliane Gluckman et son équipe de l'hôpital Saint-Louis.

La deuxième est une perspective dont la réalisation se dessine à court terme : il s'agit de collecter dans le sang les cellules souches capables de reconstituer la peau, ce qui permettra d'une part, de soigner les grands brûlés, d'autre part, de donner aux pharmacologues des tissus humains constituant une alternative pour tester leurs nouveaux médicaments, susceptibles de remplacer en tout ou partie les modèles animaux, voire humains, sur lesquels ils travaillent.

Le dernier type d'application est attendu à moyen ou long terme. Il s'agit de développer à partir des cellules souches extraites du sang de cordon des thérapies régénérant différents organes, allant du muscle cardiaque à la rétine et sans doute jusqu'aux neurones du cerveau. L'enjeu de santé publique se double ici d'une question stratégique pour permettre à la recherche française de se maintenir au plus haut niveau, dans un contexte de concurrence internationale exacerbé.

La France, pionnière en matière de thérapies issues du sang de cordon, ne peut se passer d'une politique publique en ce domaine d'autant que, malgré ses avantages objectifs (plus de huit cent mille naissances chaque année, une pratique de collecte et de stockage d'une excellence internationalement reconnue), elle accuse un retard considérable en matière de nombre d'unités disponibles par habitant et ne se situe qu'au seizième rang mondial derrière de nombreux pays européens et émergents. Cette politique publique est nécessaire pour ne plus traiter comme un simple déchet opératoire ce qui demain pourrait sauver des vies. D'une part, il s'agit de concrétiser l'espoir né des découvertes de la médecine en matière de biologie puis de thérapie cellulaire au cours des vingt dernières années. D'autre part, il apparaît nécessaire, dans le domaine facilement fantasmatique des cellules souches, d'informer véritablement et pleinement l'opinion publique.

En effet, le constat d'une plus grande artificialisation de la vie humaine est largement répandu. L'homme est de moins en moins dépendant de la nature mais de plus en plus dépendant de ses propres créations. Le développement de la science du vivant depuis le XIX e siècle, et surtout depuis l'essor des biotechnologies, donne pour la première fois à notre espèce la possibilité de connaître, pour les imiter, les processus fondamentaux de la vie que sont la création et la division cellulaires. Ainsi, l'homme voit se dessiner la possibilité de s'affranchir de la fatalité biologique qui marque sa condition. Ces progrès offrent la promesse de guérir de nombreuses maladies, voire de remédier à des handicaps, et en cela le progrès est porteur d'un espoir que les pouvoirs publics doivent accompagner. Il faut néanmoins prendre garde que l'homme, de moins en moins soumis à la fatalité, ne se considère également comme affranchi de toute hérédité et de toute filiation. Ceci impliquerait qu'il ne serait plus redevable de son existence qu'à lui-même, indépendamment de tout lien familial ou social. Rien ne s'opposerait donc à ce qu'il développe, avec l'aide de la science, ses capacités jusqu'à leur plus extrême limite, voire se lance dans la quête illusoire de l'immortalité. Si pareille recherche paraît très minoritaire, il ne faut pas négliger l'impact que ces notions, édulcorées, peuvent avoir au sein de la population. Les annonces très médiatiques de régénération d'organes qui pourraient un jour éventuellement être « réparés » ou « recréés » sont génératrices d'attentes déraisonnables. Il est donc nécessaire qu'une limite éthique soit posée au fantasme d'une humanité auto-fondée et parvenant à s'affranchir une fois pour toutes de la nature. Ceci permettra l'élaboration d'un discours politique clair, susceptible d'informer le citoyen relativement aux perspectives médicales et lui permettant d'agir en tant que membre responsable de la collectivité et de l'humanité. Ainsi, toute atteinte au principe de solidarité qui fonde l'approche française des produits issus du corps humain depuis les lois de bioéthique, c'est-à-dire le principe du don anonyme, gratuit et non dirigé, doit être envisagée avec la plus grande prudence.

Afin de concrétiser l'espoir tout en gardant la raison, ce rapport s'interroge sur les finalités de la collecte de sang de cordon liée aux progrès des connaissances et au développement des thérapies, avant de se pencher sur les moyens à engager pour permettre le meilleur usage du sang collecté.

I. L'INTÉRÊT THÉRAPEUTIQUE DES CELLULES SOUCHES EXTRAITES DU SANG DE CORDON

Le sang de cordon ombilical est une ressource thérapeutique particulièrement riche qu'une politique de santé publique efficace et prévoyante se doit de préserver. Afin de mesurer l'ampleur des avancées déjà acquises ou prévisibles, il est nécessaire de comprendre quels ont été les progrès en matière de connaissance du fonctionnement des cellules et de mesurer l'intérêt scientifique, fondamental et médical de ce qu'on ne peut plus considérer comme un simple « résidu opératoire ».

A. COMPRENDRE LA STRUCTURE DU VIVANT

Connaissance du corps humain et thérapeutique sont indissolublement liées. Le progrès de l'une suppose et provoque à la fois l'amélioration de l'autre. La recherche en matière de biologie humaine n'est donc jamais loin des applications cliniques. Un domaine en particulier a vu le lien entre recherche fondamentale et application s'accélérer, voire s'inverser, au cours des dernières décennies : la biologie cellulaire. Appréhender théoriquement la composition des tissus vivants encourage à la maîtriser pratiquement, c'est-à-dire à réparer les tissus ou à les remplacer en en créant de nouveaux. Comprendre les perspectives ouvertes par l'utilisation des cellules extraites du sang de cordon ombilical impose donc de saisir comment s'articulent, dans ce domaine spécifique, progrès des connaissances et prise en compte du potentiel thérapeutique des nouvelles découvertes.

1. Les progrès dans la connaissance du vivant

A partir de bases posées à la fin du XIX e siècle, la connaissance des structures du vivant a progressé peu à peu jusqu'aux avancées majeures des années quatre-vingt qui ont permis le développement des thérapies cellulaires fondées sur l'identification, la reproduction et la greffe de certains types de cellules souches.

a) Fondements de la théorie cellulaire

La première observation de cellules est liée au développement du microscope et date de 1665. Son auteur, le savant anglais Robert Hooke, est également à l'origine de l'analogie entre les structures closes qu'il avait identifiées dans le liège et les cellules monacales. De cette analogie est né le nom des cellules vivantes. Cependant, malgré l'ancienneté de l'identification des cellules, leur nature et leur fonctionnement n'ont pu être établis que très progressivement et après de nombreux débats 1 ( * ) . Georges Canguilhem 2 ( * ) associe la théorie cellulaire à deux postulats qui se trouvent réunis pour la première fois en 1849 dans la Pathologie cellulaire de l'Allemand Rudolf Virchow :

1. tout organisme vivant est un composé de cellules, la cellule étant tenue pour l'élément vital porteur de tous les caractères de la vie ;

2. toute cellule dérive d'une cellule antérieure.

Il en découle que l'oeuf d'où naissent les organismes vivants sexués est une cellule dont le développement s'explique uniquement par la division.

Canguilhem date la consécration de la théorie cellulaire de 1874, année où Claude Bernard, étudiant du point de vue physiologique les phénomènes de nutrition et de génération communs aux animaux et aux végétaux, écrit : « Dans l'analyse intime d'un phénomène physiologique on aboutit toujours au même point, on arrive au même agent élémentaire, irréductible, l'élément organisé, la cellule ». La cellule, c'est « l'atome vital » .

La composition du vivant une fois connue, se posait alors la question suivante : « si le corps est réellement une somme de cellules indépendantes, comment expliquer qu'il forme un tout fonctionnant de manière uniforme ? 3 ( * ) ». Au-delà des mécanismes de division cellulaire, c'est donc la manière dont elles parviennent à exercer une fonction spécifique dans l'organisme, leur spécialisation, qui est devenue un objet d'étude. Les recherches effectuées en ce domaine ont permis, au cours du dernier demi-siècle, la découverte de cellules encore non spécialisées, les cellules souches.

b) Découverte des cellules souches

Le terme de cellule souche apparaît, semble-t-il, dans les années soixante comme équivalent du terme anglais « stem cell » , littéralement « cellule tige » , apparu en 1883. Le terme « souche » ne renvoie donc pas à une dimension statique mais à une dynamique « végétative, c'est-à-dire support de vie et de transformation vitale » 4 ( * ) . Dès les années vingt, des cellules souches étaient découvertes chez le poulet mais ce n'est que trente ans plus tard qu'une telle découverte est faite également chez le mammifère, puis spécifiquement chez l'homme. Le terme a rencontré un très grand succès médiatique à partir des années quatre-vingt-dix, qui a pu faire oublier que sa définition a longtemps fait l'objet de controverses.

Selon les termes employés par François Gros, professeur honoraire au collège de France et spécialiste reconnu de cette question : « Les cellules souches sont des cellules indifférenciées qui, comme leur nom l'indique, sont à l'origine de la formation des divers tissus de l'organisme, soit au cours de l'embryogénèse normale, soit chez l'adulte, au cours de la régénération de ces tissus consécutive à un traumatisme, ou encore après avoir été greffées sur un animal receveur (exemple : greffes de moelle). Elles apparaissent dans les tout premiers stades du développement de l'embryon alors que les tissus ne sont pas encore formés par les mécanismes de différenciation. Le fait remarquable est cependant qu'elles ne se convertissent pas toutes in vivo en cellules spécialisées puisqu'elles persistent à l'état de cellules souches multipotentes en très petit nombre certes, mais de façon pérenne dans la plupart des tissus des organismes à l'état adulte 5 ( * ) . »

Définition d'une cellule souche

Copyright SO2 média pour la Cité des Sciences et de l'industrie, 2001

On en déduit une répartition principale entre deux types de cellules souches :

- les unes sont issues de l'ovocyte fécondé à différents stades de son développement. Elles sont dites, selon l'état d'avancement du processus, embryonnaires ou foetales ;

- les autres sont issues du cordon ombilical ou du corps humain constitué. Elles peuvent être regroupées sous le terme de cellules souches somatiques, le terme de cellule souche adulte étant réservé aux cellules souches présentes dans le corps humain.

Cette division en deux catégories apparaît comme la summa divisio en termes de recherche, de thérapeutique et d'éthique. On leur ajoute néanmoins parfois un autre groupe de cellules dites « précurseurs » , que l'on trouve dans tous les types de tissus, qui sont issues de la division des cellules souches et sont plus spécialisées ; elles sont déjà fonctionnelles 6 ( * ) .

Divers types de cellules souches spécialisées ont été progressivement identifiées dans les tissus adultes. Le bilan de la recherche dressé en 2000 7 ( * ) pouvait ainsi affirmer :

« Des cellules souches (...) capables de « réparer » les tissus suivants ont été identifiées avec certitude chez l'homme : cellules souches nerveuses, hématopoïétiques, épidermiques, intestinales, osseuses, pancréatiques, hépatobiliaires, musculaires lisses, musculaires squelettiques. » Les différents types de cellules souches se différencient donc en divers types de cellules spécialisées.

Elles permettent aux différents organes de se régénérer, certaines quotidiennement et d'autres en cas de traumatisme. Comme le note le rapport de 2000, dans le corps humain : « Les cellules souches de trois tissus (sang, peau, intestin) fonctionnent en permanence, pendant la vie, pour renouveler régulièrement l'ensemble des cellules. (...) Quant à celles des autres tissus, elles ne sont activées que lorsque la nécessité d'une réparation se fait sentir. Elles sont par exemple présentes dans la moelle et, une fois greffées, reforment tous les éléments du sang (lesquels sont d'ailleurs en constant renouvellement). On les retrouve à l'état de cellules satellites dans les muscles adultes dont elles assurent la régénération post-traumatique. Elles permettent de reconstituer le derme et une partie de l'épiderme chez les brûlés. On est parvenu à les mettre en évidence dans le cerveau adulte et, sous certaines conditions, dans le foie » .

L'enjeu pour la recherche médicale est donc d'identifier ces cellules souches puis de connaître et de maîtriser leur processus de spécialisation afin de reconstruire non seulement les tissus atteints de lésions ou de malformations qui se réparent spontanément mais également ceux qui ne le font pas ou pas entièrement. Dans cette perspective, des travaux sont engagés tendant à permettre la reconstruction du muscle cardiaque, de la rétine, des dents, voire des neurones. Le potentiel thérapeutique des différents types de cellules souches doit donc être précisé.

Les différents types de cellules souches adultes et leur descendance

http://science-citoyen.u-strasbg.fr/dossiers/souches/html/partie4/index.html

* 1 Cf. François Duchesneau, Genèse de la théorie cellulaire, Montréal, Bellarmin ; Paris, Vrin, 1987, et article « cellule » in Dictionnaire de philosophie des sciences, sous la direction de Dominique Lecourt, Presses universitaires de France, Quadrige, 2004.

* 2 « La théorie cellulaire » in La connaissance de la vie, Vrin, 2006 (1965).

* 3 Idem.

* 4 Alain Rey « Les cellules-souches sont-elles bien nommées », M/S : médecine sciences, vol. 19, n os 6-7, p. 645, http://id.erudit.org/iderudit/006815ar

* 5 Article « Biologie et médecine (Perspective) » in Dictionnaire de la pensée médicale, sous la direction de Dominique Lecourt, Puf, 2004.

* 6 Rapport remis en novembre 2000 sur « Les cellules souches adultes et leurs potentialités d'utilisation en recherche et en thérapeutique, comparaison avec les cellules souches embryonnaires » - Rapport établi à la demande de Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche, par le groupe de travail présidé par François Gros, secrétaire perpétuel de l'académie des sciences - http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/014000287/index.shtml.

* 7 Idem.

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