2. Le potentiel thérapeutique

Au-delà de l'origine tissulaire des cellules souches, c'est leur capacité à se diviser en un plus ou moins grand nombre de cellules spécialisées qui détermine leur intérêt thérapeutique. L'étude du potentiel original des différents types de cellules souches doit s'appuyer sur les perspectives d'augmentation offertes par la recherche.

a) Potence et plasticité

La recherche fondamentale en biologie a élaboré une catégorisation devenue classique dans laquelle on range les différents types de cellules souches 8 ( * ) ; on parle de cellules :

- totipotentes, lorsque le type cellulaire peut se différencier en donnant tous les types cellulaires de l'organisme ;

- pluripotentes, lorsque le type cellulaire peut se différencier en un nombre plus restreint de types spécialisés ;

- multipotentes, lorsque le type cellulaire peut produire des cellules de morphologie et de fonction très différentes, généralement groupées au sein d'un même organe ou tissu (ainsi les cellules souches hématopoïétiques qui produisent l'intégralité du sang) ;

- unipotentes ou différenciées, lorsque le type cellulaire est stable et ne peut plus évoluer vers d'autres types.

L'intérêt porté par la recherche aux cellules souches embryonnaires ou foetales vient de ce qu'elles conservent le plus grand nombre de cellules totipotentes ou pluripotentes puisque, par nature, elles ne se sont pas encore spécialisées pour former un organe particulier. Il convient cependant de souligner que certaines cellules somatiques (donc issues des tissus adultes ou du sang de cordon) demeurent multipotentes voire pluripotentes. Elles offrent donc théoriquement le même intérêt que celles ayant le même potentiel mais issues du foetus ou de l'embryon. De plus, elles présentent l'avantage de ne pas se trouver confrontées à un problème éthique. La difficulté de leur étude et de leur utilisation thérapeutique est pratique : d'une part, elles sont peu nombreuses par rapport aux cellules de même type contenues dans les tissus foetaux ou embryonnaires ; d'autre part, elles sont moins nombreuses dans les tissus adultes et dans le sang de cordon que les autres types de cellules. Elles sont de ce fait moins facilement identifiables et plus difficiles à extraire. Il faut donc espérer que le progrès des techniques de recherche permettra rapidement de mieux isoler ces cellules.

Mais avant même d'atteindre ce résultat, les connaissances acquises au cours des dernières années ont prouvé l'intérêt des cellules différenciées en matière thérapeutique : non seulement elles peuvent être utilisées pour réparer les tissus dont elles sont issues, mais il apparaît en outre que, malgré leur spécialisation, ces cellules peuvent, en fonction du milieu où elles sont placées, se diviser en cellules d'un type nouveau. On parle de leur « plasticité ». Ainsi en 2003, dans un article consacré aux cellules souches adultes, le professeur Ali Turhan 9 ( * ) pouvait écrire : « Jusqu'à une date récente, les cellules souches adultes, définies classiquement par leurs propriétés d'autorenouvellement et de différenciation, étaient considérées comme étant spécifiques d'organes. Cette notion a été défiée par des expériences montrant que la greffe de certains tissus, notamment la moelle osseuse, pouvait générer chez l'animal létalement irradié, non seulement des cellules hématopoïétiques mais aussi des cellules musculaires, hépatiques et même neuronales ». La recherche laisse cependant subsister une incertitude, soulignée à l'époque par le professeur Turhan : des cellules totipotentes, dont la présence n'aurait pas été repérée, pourraient en fait être à l'origine de la formation des nouvelles cellules. Néanmoins, la plasticité des cellules souches adultes spécialisées semble désormais établie.

Ainsi l'organisme adulte et le sang de cordon contiennent des cellules souches à fort potentiel et des cellules souches déjà spécialisées mais capables de « transdifférenciation », c'est-à-dire de produire des cellules spécialisées qui ne soient pas celles du tissu dont elles proviennent mais du tissu dans lequel elles sont implantées. La recherche tend donc à leur reconnaître un potentiel thérapeutique plus grand qu'on ne le pensait à l'origine ; en outre elle a désormais les moyens d'améliorer ce potentiel.

b) Les perspectives offertes par la recherche

Le nombre de thérapies cellulaires efficaces reste en effet réduit par rapport aux possibilités de reconstruction des tissus, mais il augmente progressivement grâce à divers types de travaux, qui ouvrent des perspectives en matière thérapeutique. « Il est clair que l'ensemble de ces travaux a ouvert un nouveau chapitre de la biologie du développement et, peut-être, à plus ou moins long terme, de la médecine régénérative » affirme François Gros 10 ( * ) . Ainsi, la valeur thérapeutique des cellules souches dépend à l'évidence des progrès de la science. Ceux-ci sont à attendre à plusieurs niveaux.

Au niveau fondamental tout d'abord, si les mécanismes de division cellulaire sont bien connus depuis longtemps, ce n'est pas encore le cas des mécanismes de spécialisation. En dehors de toute pression pour l'obtention de résultats immédiatement traduisibles sur le plan thérapeutique, il est donc important que des équipes de recherche puissent se consacrer à la mécanique cellulaire. Leurs travaux permettront de comprendre le fonctionnement des cellules souches, les raisons de leur permanence dans certains tissus une fois passé le stade embryonnaire et les moyens par lesquels elles en viennent à créer certains types, et non d'autres, de cellules spécialisées puis définitivement différenciées.

Ensuite, en ce qui concerne le nombre de cellules disponibles, plusieurs pistes s'avèrent porteuses d'espoir. Tout d'abord, la possibilité de reproduire en laboratoire des cellules souches est devenue un axe essentiel de la recherche. L' « expansion cellulaire » qui permettrait l'accroissement du nombre de cellules cultivées en laboratoire à partir d'un faible nombre de cellules prélevées pourrait un jour permettre de s'affranchir de la contrainte liée à la taille des greffons nécessaires pour pratiquer une thérapie.

Par ailleurs, la transdifférenciation des cellules souches adultes peut déjà être obtenue en laboratoire. Une cellule souche déjà spécialisée peut donc, par transfert de noyau, être transformée en cellule souche d'un autre type de tissu. Il est même possible, depuis les travaux du professeur Shinya Yamanaka de l'Université de Kyoto dont les premiers résultats ont été annoncés en novembre 2007 et dont le perfectionnement a été obtenu moins d'un an plus tard, le 9 octobre 2008 11 ( * ) , de faire régresser une cellule souche adulte déjà spécialisée vers la pluri voire la totipotence. Ces cellules sont dites « cellules souches pluripotentes induites » ou iPS (de l'anglais induced pluripotent stem cells ) Le « matériau » vivant ayant le plus fort potentiel de reconstruction tissulaire est donc actuellement accessible à partir des tissus adultes, ce qui a incité plusieurs équipes de chercheurs à se détourner des recherches sur le foetus et l'embryon qui présentent moins d'intérêt, étant donné les contraintes imposées par leur cadre légal et la difficulté éthique que posent de tels travaux 12 ( * ) .

D'une cellule somatique à une cellule souche pluripotente par transfert de noyau

http://www.frontier.kyoto-u.ac.jp/rc02/index.html

Enfin, en ce qui concerne plus précisément les cellules extraites du cordon ombilical, qui devraient être la ressource cellulaire la plus facilement accessible, deux choix doivent être faits pour permettre à la recherche d'approfondir les connaissances déjà acquises. D'une part, les échantillons prélevés qui ne peuvent servir de greffon en raison de la quantité insuffisante de sang recueilli ou de sa qualité, doivent être rendus disponibles pour les chercheurs. D'autre part, il est important que la recherche de cellules puisse se faire non seulement sur le sang extrait du cordon mais, comme c'est le cas déjà dans de nombreux pays et systématiquement en Chine, sur le cordon lui-même et sur le placenta qui peuvent également être des ressources importantes de cellules souches.

Le nombre de cellules disponibles et leur potentiel de différentiation peuvent donc tous deux être améliorés grâce aux travaux de recherche actuellement en cours. Un accent complémentaire à celui mis sur la recherche appliquée doit être placé sur la recherche fondamentale afin que soient mieux connus, et donc plus facilement reproduits, les mécanismes par lesquels les cellules souches permettent de réparer les tissus lésés.

La découverte des cellules souches a fait profondément évoluer notre connaissance du corps humain et a ouvert de nouvelles perspectives thérapeutiques que les recherches actuelles ne font que préciser. Les cellules extraites du sang sont déjà couramment utilisées dans un but thérapeutique, et avec succès.

* 8 Pascal Nouvel, article « Thérapie génique de seconde génération » in Dictionnaire de la pensée médicale, op. cit.

* 9 « Plasticité des cellules souches adultes » (résumé), Hématologie, 2003, vol. 9, n o 2, pp. 105-116.

* 10 Article « Biologie et médecine (Perspective) », op. cit.

* 11 Ccf. http://www.bloomberg.com/apps/news?pid=20601124&sid=audCgl.ZSJ4Q&refer=home

* 12 C'est le sens de l'annonce faite par le professeur Ian Wilmut, « inventeur » de la brebis Dolly, le 18 novembre 2007.

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