B. LES ACTEURS

En dehors des maternités, les principaux acteurs de la conservation du sang de cordon sont les banques de sang placentaire. Leur statut est cause de nombreux débats. Mais force est de constater que l'opposition classique entre banques publiques et banques privées est largement un faux problème dès lors que les principes de transparence, d'information et de solidarité sont préservés. Afin de garantir une meilleure efficacité de la collecte, il est également nécessaire de clarifier le rôle des autres acteurs, qu'ils soient opérateurs, régulateurs ou organismes de recherche.

1. La complémentarité possible entre banques publiques et privées.

La France a été, avec raison, prudente face à l'émergence d'acteurs privés en matière de stockage du sang de cordon ombilical. Toutefois, le rejet total des banques privées ne peut être une solution durable : elles sont en effet susceptibles d'apporter un complément utile aux banques publiques.

a) Les banques privées : un pari sur l'avenir qui doit être encadré

Il est important de conserver à l'esprit, quand on aborde le débat sur les banques privées, que, s'il est important que les familles puissent faire le choix de donner le sang du cordon ombilical de leur enfant à la collectivité, prélever l'ensemble des sangs de cordon n'est ni utile, ni possible, ni souhaitable.

Cela n'est pas utile, car nous avons vu qu'avec 50 000 greffons en stock la France approcherait de l'autosuffisance en termes de besoins thérapeutiques. Certes, deux facteurs entraîneront probablement une augmentation des besoins en sang de cordon dans les années à venir : le développement souhaitable des thérapies et le développement d'une solidarité internationale qui devraient entraîner le traitement de patients de pays en développement grâce à des greffons français. Néanmoins, même si l'on prend en compte cette double évolution, les besoins ne seront jamais tels qu'on aurait besoin de conserver tous les cordons.

Cela n'est pas non plus possible, car tous les cordons ombilicaux ne comportent pas les soixante-dix millilitres de sang qui permettent d'espérer en extraire des cellules à des fins thérapeutiques. De plus, beaucoup ne franchissent pas l'ensemble des tests qui sont imposés ; dans certains cas également, il est impossible de déterminer clairement leur identité, ce qui entraîne leur destruction. En moyenne, seuls 27 % des unités de sang collectées peuvent être stockés dans des conditions permettant un usage thérapeutique efficace. Cela rend illusoire l'idée d'un stockage privé destiné à la greffe autologue ou au sein de la famille.

Enfin, il n'est pas souhaitable de collecter le sang de cordon de tous les bébés nés en France car le coût lié au prélèvement systématique du sang de plus de 800 000 cordons chaque année dépasserait de beaucoup les capacités physiques et financières de l'assurance maladie alors qu'un stock permanent d'environ 6 % de ce nombre suffit.

Surtout, conserver le sang du cordon ombilical à titre privé, pour son enfant ou sa famille, dans l'espoir qu'un traitement futur sera développé à partir des cellules qu'il contient et permettra de guérir une éventuelle pathologie, malgré les 73 % de chance que le sang prélevé soit inutilisable, est un pari sur l'avenir qui n'est pas validé par les connaissances actuelles en matière médicale. En matière de thérapie, il est le plus souvent préférable d'avoir recours à un donneur extérieur. En effet, la récurrence des mêmes pathologies (exprimées ou inscrites dans les gènes) à l'intérieur d'une même famille est fréquente : il est donc préférable d'utiliser le sang d'un donneur extérieur à la famille, dont les cellules ne seront pas porteuses des mêmes pathologies que le malade. De fait, les thérapies existantes qui font usage du sang de cordon reposent sur les greffes allogènes, c'est-à-dire extrafamiliales.

Cependant, dès lors que l'Etat ne s'engage pas dans la collecte excessivement coûteuse de l'ensemble des sangs de cordon d'enfants nés en France, il paraît illusoire d'espérer empêcher les familles qui le souhaitent de conserver le sang du cordon ombilical de leur enfant : le respect de la liberté de choix des familles incite en effet à leur permettre d'accomplir cette démarche. Ceci suppose toutefois la réalisation d'une condition suspensive. Il faut que leur information sur les possibilités offertes par le stockage payant soit complète - car le stockage public prend la forme d'un don qui suppose que la prise en charge soit faite par l'Etat, au contraire du stockage privé qui resterait à la charge des familles. Or, les banques privées, très nombreuses (près des trois quarts des banques de sang placentaire au monde sont privées, et la France est le seul pays européen à ne pas autoriser leur implantation) font souvent des promesses irréalistes ; les obligations de rentabilité commerciale qui s'imposent à ces entreprises pourraient d'ailleurs entrer en conflit avec les intérêts de l'enfant et de sa famille. Ces risques sont au coeur de l'avis n° 74 donné par le comité consultatif national d'éthique en 2002. Insistant sur le fait que la conservation à des fins autologues (pour soi-même ou sa famille) risquait de porter atteinte au principe de solidarité qui fonde l'approche française en matière d'utilisation thérapeutique des organes et des produits du corps humain, l'avis concluait sur le refus d'autoriser le développement des banques privées en France et sur la nécessité d'augmenter le financement des banques publiques. Cet avis est également celui de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques 27 ( * ) . L'avis n° 19 du groupe européen de bioéthique, en date du 16 avril 2004, reprend ces préoccupations mais considère qu'une interdiction stricte des banques privées représenterait une restriction trop importante de la liberté d'entreprendre et priverait les parents de leur liberté de choix.

A condition de respecter les obligations liées à la solidarité et à la transparence de l'information sur les bénéfices à attendre du stockage, il semble effectivement que les banques privées, qui prennent en charge à titre onéreux le stockage des greffons à visée intrafamiliale, peuvent être un complément utile aux banques publiques.

b) La participation des banques privées au financement du stockage et de la recherche

Les banques publiques sont susceptibles de répondre à la quasi-intégralité des besoins de stockage de la France depuis l'appel d'offres lancé par l'agence de la biomédecine (ABM), clos le 15 octobre 2007 et ayant abouti à l'ouverture de quatre nouvelles banques dont deux implantées dans des centres hospitaliers universitaires (CHU), ceux de Poitiers et Montpellier, et deux sites gérés par l'EFS, l'un à Grenoble et l'autre au sein de l'hôpital Henri Mondor à Créteil. Le financement de 900 000 euros sur trois ans par l'agence de la biomédecine, dont 150 000 euros d'aide à l'investissement la première année et le paiement de la moitié des unités conservées dans la limite de 250 unités par an sur trois ans, devrait éviter une renouvellement du cas de la banque de l'hôpital Saint-Louis contrainte à la clôture en 2002 par manque de financement avant de pouvoir ouvrir à nouveau ses portes en 2008. Avec les banques gérées par l'EFS à Bordeaux et à Besançon, ce sont en tout sept banques 28 ( * ) , ayant chacune une capacité de stockage de 7 000 unités, qui sont actuellement ouvertes, soit la possibilité de stocker 49 000 des 50 000 unités souhaitables 29 ( * ) . Ouvrir de nouvelles banques, à statut privé de surcroît, peut donc paraître inutile.

Pour autant, il ne faut pas minimiser le coût associé à l'ouverture et à la gestion d'une banque pour l'EFS comme pour les CHU. Le coût de l'investissement en matériel spécifique permettant la congélation et la miniaturisation des unités est ainsi d'environ 250 000 euros, frais auxquels s'ajoutent ceux liés aux autres matériels, aux consommables et au personnel. L'EFS estime ainsi le montant de son investissement dans les banques de sang de cordon sur la période 1999-2005 à 9,9 millions d'euros. Il est donc impossible de constituer une banque sans faire appel à des fonds extérieurs à ceux de l'ABM. Cette situation, on l'a vu, est particulièrement contraignante pour les CHU. Ils sont dans l'obligation d'y consacrer des ressources importantes : si celui de Poitiers dispose de la possibilité de se financer sur fonds propres, celui de Montpellier bénéficie d'une dotation de l'agence régionale d'hospitalisation.

Sachant qu'il est presque impossible d'équilibrer financièrement une activité de banque allogénique publique, il paraît utile de faire appel à l'entreprise privée pour venir abonder les frais de stockage. Cette activité privée, autologue, pourrait être exercée par les établissements publics à titre complémentaire. Elle peut surtout être exercée par les banques privées qui garantissent le respect de la solidarité et dont il existe plusieurs modèles, notamment en Espagne, en Italie et au Royaume-Uni.

Le projet de la banque Cryosave, créatrice du modèle de l'autologue solidaire en Italie, est intéressant. Dans ce modèle, le stockage est fait à titre payant dans une perspective autologue mais les greffons, inscrits sur la liste nationale, sont susceptibles d'être mobilisés pour des besoins allogéniques solidaires. La société Cryosave rembourse alors le propriétaire du greffon. Ayant développé le fonctionnement de ce système en Italie, la société Cryosave souhaite s'implanter aujourd'hui en France et négocie actuellement la possibilité de s'installer à Lyon où elle créerait également un grand centre de recherche en matière d'expansion cellulaire et de thérapies innovantes issues des cellules du sang de cordon. Ce projet mérite d'être autorisé à titre expérimental par les autorités compétentes étant donné les contreparties proposées à l'implantation de la banque privée qui s'inscrit dans le respect des principes de solidarité qui guident la politique publique de la France. Ces contreparties ne sont d'ailleurs que l'expression des intérêts communs entre la collectivité et l'entreprise privée qui a intérêt à ce que l'expansion lui permette de répondre à une éventuelle demande solidaire sans se départir du greffon de ses clients et à voir se développer des thérapies nouvelles qui pousseront des familles plus nombreuses à s'engager dans la voie de l'autologue.

Ouvrir la possibilité d'une conservation privée impose néanmoins de clarifier préalablement le statut des acteurs.

* 27 Rapport sur les recherches sur le fonctionnement des cellules humaines, n° 101, Alain Claeys session 2006-2007.

* 28 Une banque de l'EFS à d'Annemasse se charge de la conservation à long terme des greffons dans l'azote liquide.

* 29 La banque de l'Institut Paoli-Calmette de Marseille doit également être mentionnée. Elle ouvrira ses portes en 2009 et devrait travailler avec une maternité privée et avec celle de l'hôpital Nord de Marseille.

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