III. LES PÊCHES FRANÇAISES ET EUROPÉENNES : L'ÉCHEC D'UNE POLITIQUE

La politique commune des pêches est l'une des plus anciennes politiques européennes et reste l'une des plus intégrées. Les premières mesures communes adoptées dans le secteur de la pêche datent de 1970, moment où fut décidé l'égal accès aux zones de pêche de tous les pêcheurs des États membres, tout en réservant la bande côtière à la pêche artisanale y ayant des droits historiques. En même temps apparaissait une politique commune de marché et une coordination de la politique de modernisation des navires de pêche.

Ces mesures prirent une nouvelle dimension avec la décision collective de 1976 d'étendre de 12 à 200 miles marins les zones économiques exclusives des États membres.

La politique commune de la pêche apparut quelques années plus tard, en 1983.

Sans la caricaturer, il est possible d'écrire que, s'inspirant de la politique agricole commune et s'imprégnant du contexte de l'époque marqué par le développement des pêcheries et l'extension des ZEE, la PCP a d'abord eu pour objectif d'accroître la capacité de pêche de la communauté européenne . Cela paraissait d'autant plus nécessaire que le déficit commercial était important et que l'on pouvait avoir l'impression qu'il était possible de le résorber, au moins en partie, par un accroissement de l'effort de pêche dans les eaux communautaires et dans celles des pays tiers. La PCP fut donc en premier lieu une politique visant à accroître la production. Ce n'est que progressivement et surtout au tournant des années 1990 suite à une grave crise du secteur qu'apparaît la nécessité de réduire les capacités et de viser une gestion durable des ressources plutôt qu'un accroissement des captures.

Depuis 1990, la Commission est consciente que la flotte communautaire souffre d'une importante surcapacité (estimée à 40 % à l'époque) et de graves difficultés dans la méthode de gestion des stocks. Dans son rapport de 2003, l'Académie des sciences remarquait : « Dans l'incapacité d'ajuster les capacités de production au potentiel de renouvellement des stocks halieutiques, les autorités européennes ont renoncé depuis une dizaine d'années à l'objectif de maximisation de la production durable pour s'en tenir, en application du principe de précaution, à une limite de sécurité en deçà de laquelle la survie des stocks serait mise en péril ».

Si le tournant était dès lors amorcé, les politiques européennes ne sont pas de nature à pouvoir « changer de pied » aussi radicalement dans un cours laps de temps, d'autant que les mécanismes de gouvernance conduisent les États à résister à ces évolutions et les pêcheurs dont les bateaux ont été subventionnés se trouvent dans l'obligation de pêcher pour couvrir des charges accrues.

Votre rapporteur reviendra ici sur l'analyse que l'on peut porter sur la politique commune de la pêche à travers le Livre vert de 2001, la réforme de 2002 et les perspectives futures. Il s'intéressera également à l'un des exemples les plus patents des pêcheries européennes avec la situation en Méditerranée. Enfin, il dressera un panorama de la pêche en France.

Le secteur de la pêche au sein de l'Union européenne

Le secteur de la pêche représente 1 % du PIB de l'UE . Ce chiffre modeste masque le fait que l'Union est l'une des principales puissances mondiales en matière de pêche, derrière la Chine, avec 7 millions de tonnes issues de la pêche et de l'aquaculture en 2005. Bien qu'elle exporte 2 millions de tonnes, elle est extrêmement dépendante des pêcheurs étrangers avec une importation de 6 millions de tonnes et un déficit commercial de plus de 13 milliards d'euros .

Il y a environ 88.000 navires de pêche dans l'UE . Si en termes d'emploi, la pêche n'est plus très importante au niveau européen, elle reste importante dans certaines régions dépendantes de cette activité (Galice, Algarve, Açores, Écosse...). Au total, il y aurait 190.000 pêcheurs à temps partiel ou complet .

L'aquaculture représente à la même date 1,3 million de tonnes.

Le 1 er pays pêcheur de l'UE était, en 2006, le Danemark (17,4 %), suivi de l'Espagne (15,2 %) et de la France (12 %).

A. LE LIVRE VERT DE 2001 : UN DOCUMENT TOUJOURS D'ACTUALITÉ

Le Livre vert intitulé « L'avenir de la politique commune de la pêche » a été publié en mars 2001 par la Commission européenne pour préparer la réforme de la PCP prévue en 2002. Il a été conçu pour servir de cadre au débat européen. Selon votre rapporteur, il constitue une étape importante car la Commission a montré, par sa publication, sa capacité à dresser un panorama lucide de la PCP et de son indispensable réforme.

Publié il y a déjà huit ans, ce document conserve une étonnante actualité et pourrait être repris quasiment in extenso aujourd'hui. Non seulement le diagnostic sur les pêcheries européennes n'a pas pris une ride mais la plupart des préconisations gardent également toutes leurs pertinences. En le lisant, on a parfois l'impression d'une décennie perdue. Votre rapporteur y a retrouvé bien des remarques qu'il a collectées au fur et à mesure de ses rencontres .

Votre rapporteur voudrait ici procéder à une reprise cursive de ce document afin de permettre de mesurer, d'une part, le « consensus des experts » sur l'analyse de la situation et sur les propositions de réforme, et, d'autre part, l'ancienneté de constat .

1. Le constat d'échec

Pour la Commission, la PCP était « confrontée à de grands défis », car « elle n'a permis d'atteindre l'objectif visé, à savoir une exploitation durable des ressources ». Elle considérait que « nombreux sont les stocks dont le volume s'établit en-deçà des limites biologiques raisonnables » en raison de la surexploitation, la situation étant particulièrement grave en ce qui concernait les stocks démersaux comme le cabillaud, le merlu et le merlan. Elle estimait à l'époque : « si les tendances actuelles persistent, de nombreux stocks vont s'effondrer » et notait « les diverses flottes de pêche de la Communauté disposent d'une capacité bien supérieure à celle nécessaire pour pratiquer une pêche durable . La réduction actuelle des stocks provient dans une large mesure, de la fixation des limites de captures annuelles à un niveau supérieur à celui proposé par la Commission sur base de l'avis scientifique et de plans de gestion de la flotte moins ambitieux que ce qui est nécessaire. La faible mise en application des décisions prises a aussi contribué à la surpêche ». Elle ajoutait encore « L'inquiétude est vive dans le monde entier quant à l'état désastreux où se trouvent de nombreux stocks de poissons et à la surcapacité de la flotte ».

Par ailleurs, « le secteur de la pêche se caractérise par une fragilité économique découlant d'un surinvestissement, d'une augmentation rapide des coûts et d'un amenuisement de la ressource, évolution que reflète la rentabilité médiocre et une régression constante de l'emploi ».

Enfin, « sur le plan politique, les acteurs de la pêche ne se sentent pas suffisamment associés à la gestion de la PCP et bon nombre d'entre eux pensent qu'il n'y a pas égalité de traitement lorsqu'il s'agit d'en respecter les dispositions et de les faire appliquer ».

A cette synthèse réaliste mais plutôt sombre, la Commission ajoutait une note plus positive : « Tout n'est cependant pas négatif. La PCP a permis d'enregistrer quelques résultats positifs pendant les vingt dernières années. Elle est parvenue dans une large mesure à endiguer les conflits en mer, à procurer une certaine stabilité au secteur de la pêche et à prévenir, du moins jusqu'à ce jour, l'effondrement de stocks, phénomène qui s'est produit épisodiquement dans d'autres parties du monde. L'obtention de ces résultats a toutefois coûté cher si l'on se réfère à la viabilité à long terme du secteur de la pêche. La situation actuelle requiert d'urgence une réforme en profondeur de la PCP, indépendamment des obligations juridiques liées à l'échéance de 2002 ».

Après cette présentation générale, la Commission revenait sur les principes fondamentaux de la PCP. Elle relevait le large consensus en faveur de l'objectif général d' une pêche responsable tel que défini par la FAO : pourvoir à la conservation, à la gestion et au développement des ressources en respectant les écosystèmes et la biodiversité pour que les générations présentes et à venir puissent continuer à profiter des services environnementaux des océans.

Elle rappelait également que selon l'article 174 du traité, la PCP interagissant avec l'environnement devait se fonder sur le principe de précaution .

La Commission relevait cependant que les objectifs qui s'imposaient à la PCP étaient contradictoires voire incompatibles :

- assurer la conservation des stocks de plus en plus fragiles tout en favorisant la poursuite des activités de pêche ;

- moderniser les moyens de production tout en limitant l'effort de pêche ;

- mettre convenablement en oeuvre les mesures de conservation, étant entendu que les États membres gardent la haute main sur le suivi et sur les sanctions ;

- maintenir l'emploi tout en réduisant la capacité de la flotte ;

- assurer un revenu décent aux pêcheurs, alors que le degré d'auto-approvisionnement de la Communauté en produits de la pêche est en diminution.

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