b) La pêche en Manche en 1996-1997 : un modèle de surcapacité

Avant même ces résultats qui, comme votre rapporteur l'a souligné s'inscrivent dans le prolongement d'autres études, l'Académie des sciences dans son rapport de 2003 23 ( * ) avait voulu prendre l'exemple des pêcheries françaises de la Manche pour donner un caractère concret à des évaluations obligatoirement trop générales.

Il s'agissait alors non pas de montrer du doigt les pêcheurs français car les autres pêcheries étaient soumises aux mêmes problématiques, mais de mettre en évidence l'impact des surcapacités sur la rentabilité de la pêche en cherchant à modéliser quel serait le profil de la flotte française en Manche si on avait pour objectif de maximiser sa profitabilité et non de maintenir des emplois .

Dans la situation de base, c'est-à-dire pour la saison 1996-1997, le résultat net est très faible, moins de 3 % de la valeur débarquée pour 1.674 bateaux et 4.840 marins.

L'application du modèle de maximisation du résultat net permettrait son accroissement de 760 % et de 46 millions d'euros en valeur en dépit du recul de 25 millions d'euros de la valeur des débarquements.

Mais une telle évolution serait coûteuse en nombre de bateaux : - 526 (1/3 environ) et en emplois : - 2.000. Le coût du maintien de ces emplois en surnombre aurait été dès lors selon le même modèle de 23.300 euros annuels.

Ce modèle ne prenait pas en compte les effets sur les emplois induits mais l'Académie des sciences soulignait combien dans ce secteur, comme d'ailleurs en France en général, une partie importante de la filière aval n'est pas dépendante du produit de la pêche car elle fonctionne en réalité à partir d'importation à destination du marché national ou pour réexportation.

Votre rapporteur ne considère pas que ces chiffres déjà anciens et relevant d'un modèle doivent être compris d'une manière prescriptive. Ils illustrent cependant parfaitement la fragilité d'un secteur économique dans une situation de surcapacité et l'intérêt qu'il y aurait à les réduire aussi bien dans l'intérêt des stocks halieutiques, des dépenses publiques et des pêcheurs eux-mêmes. Il met également pleinement en lumière le choix politique de maintenir des emplois à la pêche pour un coût élevé.

***

Catastrophique et inacceptable, un tel bilan reste masqué par quelques pêcheries en bonne santé et surtout par un mécanisme de privatisation et de visibilité des profits tandis que les pertes sont socialisées et cachées .

Les politiques menées avec des objectifs de court terme ont trop souvent été des pansements ou des expédients et ont aggravé le mal à long terme, créant en outre une dépendance économique et sociale à la subvention publique .

A cet égard, il serait souhaitable que les comptes nationaux puissent prendre en considération l'impact positif ou négatif de la détérioration ou de l'amélioration des stocks halieutiques sur la richesse nationale. Serait mieux mis en évidence le caractère socialement contreproductif de certaines politiques ou au contraire leur dynamique constructive.

Il paraîtrait de bon sens d'investir les sommes aujourd'hui dilapidées au niveau mondial dans une réforme profonde, la transition vers une pêche durable et la science.

Cette réforme des pêches pourrait se fonder sur trois axes :

- la durabilité intergénérationnelle des stocks,

- la rentabilité économique des pêcheries,

- l'équité, prenant en compte la dimension sociale de ces évolutions et l'équilibre de la filière et des territoires.

Parce que toute réforme ne peut qu'être issue d'un diagnostic partagé, il a paru indispensable à votre rapporteur de diffuser plus largement ces données qui font l'objet d'un large consensus parmi les scientifiques, qu'ils soient économistes ou halieutes.

A cet égard, et contrairement à ce qui est trop souvent soutenu à travers l'opposition des « amis des pêcheurs » et des « amis des poissons », le seul objectif ne peut pas être celui de Johannesburg c'est-à-dire le retour des stocks au niveau d'exploitation soutenable en 2015 ( Maximum sustainable yield ). Un tel objectif est beaucoup trop « halieutico-centré » et de surcroît espèce par espèce. Il est nécessaire de développer une vision plus large, économique et sociale, visant à organiser des pêcheries rentables, socialement profitables et, au fond, de s'interroger sur la meilleure façon d'exploiter la richesse halieutique.

* 23 Ibid. p.36 et s.

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