N° 220

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2008-2009

Annexe au procès-verbal de la séance du 12 février 2009

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires européennes (1) sur la libéralisation des transports ferroviaires dans l' Union européenne ,

Par M. Hubert HAENEL,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Hubert Haenel , président ; MM.  Denis Badré, Michel Billout, Jean Bizet, Jacques Blanc, Jean François-Poncet, Aymeri de Montesquiou, Roland Ries, Simon Sutour, vice-présidents ; Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Hermange, secrétaires ; MM. Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Pierre Bernard-Reymond, Didier Boulaud, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Gérard César, Christian Cointat, Pierre-Yves Collombat, Philippe Darniche, Mme Annie David, MM. Robert del Picchia, Pierre Fauchon, Bernard Frimat, Yann Gaillard, Mme Fabienne Keller, MM. Serge Lagauche, Jean-René Lecerf, Mmes Colette Mélot, Monique Papon, MM. Jean-Claude Peyronnet, Hugues Portelli, Yves Pozzo di Borgo, Josselin de Rohan, Mme Catherine Tasca et M. Richard Yung.

Les transports sont le seul secteur, avec l'agriculture, à figurer dans le traité de Rome. Le secteur est évidemment symbolique : il évoque le lien, les échanges, l'interdépendance, la fluidité, la liberté même, autant de notions au coeur de l'idée de construction européenne.

Et pourtant, pendant trente ans, aucun texte ne sera proposé pour avancer dans la voie d'une politique commune. Même l'Acte unique européen, qui, en lançant un vaste mouvement de libéralisation du marché intérieur, marque le grand tournant de la construction européenne, ne semble pas concerner le ferroviaire. Le secteur était considéré à l'époque comme trop stratégique, trop réglementé, trop cloisonné, trop bloqué par l'histoire et les mentalités.

La libéralisation semblait impossible, et même impensable. Et pourtant, elle se fera.

Tout n'est pas encore possible, mais tout, peu à peu, le devient.

Ce rapport récapitule les étapes, les applications et les enjeux de la libéralisation du transport ferroviaire.

Cet examen se veut avant tout général et pédagogique. Il ne prétend pas à l'exhaustivité. Le lecteur pourra se reporter utilement aux autres travaux du Sénat (auditions et rapport de la commission des affaires économiques sur le projet de loi « Autorité de régulation des transports ferroviaires » (1 ( * )) et au rapport de M. Hubert Haenel au Premier ministre sur le système ferroviaire français (2 ( * )).

I. LES ÉTAPES DE LA LIBÉRALISATION DES TRANSPORTS FERROVIAIRES

A. UNE LIBÉRALISATION RELATIVEMENT TARDIVE ET TRÈS PROGRESSIVE

Le secteur ferroviaire est l'un des derniers à avoir été libéralisé. Dans le mouvement lancé par l'Acte Unique européen (AUE), pratiquement tous les secteurs, tous les services assurés par des entreprises publiques - souvent des monopoles - ont été ouverts à la concurrence : transport aérien, télécommunications, énergie, poste... La rapidité avec laquelle le transport aérien s'est transformé est stupéfiant (moins de dix ans séparent les vols d'Easy Jet sur Paris-Nice et le « monopole d'Air Inter »). Même les bastions réputés imprenables ont cédé.

Comment s'explique ce calendrier propre au secteur ferroviaire ?

Si l'homogénéité et la force du corps social que constituent les cheminots viennent à l'esprit, il y a aussi des raisons techniques et juridiques à cette réticence.

1. Les obstacles techniques à la libéralisation

Le secteur ferroviaire ne se prête pas facilement à la libéralisation, à l'ouverture à la concurrence, notamment venant de sociétés d'un autre État membre.

A l'origine, pourtant, le « chemin de fer » était international : ce sont ainsi des sociétés anglaises qui assuraient, avec leurs locomotives et leurs conducteurs, la traction sur les premières lignes françaises, des concessionnaires français s'étaient vu confier des lignes en Autriche, en Belgique ou des lignes internationales vers la Savoie. Cependant très vite, devant l'importance stratégique et économique du transport ferroviaire, les enjeux nationaux ont repris le dessus. Les logiques nationales, fort éloignées des coopérations, se sont affirmées. Parfois même, le réseau fut conçu, au contraire, pour qu'on ne passe pas les frontières. C'est ainsi par exemple que, considérant que le rail était le principal moyen de transport de troupes et de munitions, certains États ont choisi d'adopter des écartements de rails différents du voisin, afin d'être sûrs que les trains de ce dernier ne puissent circuler sur ses propres voies.

Outre cet héritage, les différences techniques entre réseaux sont innombrables. Le ferroviaire est un mode de transport guidé dans lequel les mobiles - les trains- ne se déplacent que dans un sens (pas de possibilité de doubler) ce qui impose une planification extrêmement rigoureuse adaptée à chaque type d'infrastructure (3 ( * )) . Le matériel roulant est différent, les tensions d'alimentation électrique des motrices sont différentes (avec par exemple quatre types d'alimentation électrique en Europe), le mode de fonctionnement de la signalisation est différent (il y a plus de quinze systèmes « majeurs » incompatibles en Europe). Par exemple, il fallait jusqu'à sept locomotives différentes pour un trajet Milan/Anvers. Trois sont encore nécessaires aujourd'hui (4 ( * )) . Ou même, tout simplement, il n'y a pas de langue officielle du rail (contrairement à l'avion où l'anglais s'est imposé d'emblée). Tous les essais d'interopérabilité technique buttent sur de nombreux écueils pratiques. L'interopérabilité suppose dans les faits le plus souvent de créer de nouvelles lignes. Même les premiers essais sont rarement performants. Ainsi, l'Union européenne, à la fin des années 1990, a décidé la création d'un système unique de signalisation dit ERTMS - European Rail Traffic Management System -, mais, comme la mise au point en est très longue, il existe maintenant plusieurs versions informatiques qui n'ont pas les mêmes possibilités et ne sont même pas toujours compatibles...

Il existe également parfois des obstacles juridiques à l'ouverture à la concurrence.

* (1) Rapport de M. Francis Grignon, au nom de la Commission des affaires économiques, sur le projet de loi relatif à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires et guidés et portant diverses dispositions relatives aux transports - Sénat n° 184 (2008-2009)

* (2) M. Hubert Haenel : rapport au Premier ministre sur le système ferroviaire

T I : « Une organisation ferroviaire à la hauteur de ses ambitions »

T II : « Écrire l'acte II de la révolution ferroviaire régionale ».
Rapports remis les 8 et 26 octobre 2008 en cours d'édition à la Documentation française, collection rapports officiels.

* (3) La programmation du passage des trains est au coeur du fonctionnement du système ferroviaire. Elle consiste à affecter à chaque train devant aller d'une gare à une autre un sillon, c'est-à-dire un droit de passage sur une section donnée pendant une période de temps donnée.

* (4) Une sur le parcours Anvers-Lille ; une sur le parcours Lille-Chambéry ; une sur le parcours France-Milan.

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