N° 264

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2008-2009

Annexe au procès-verbal de la séance du 11 mars 2009

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la mission temporaire sur l'organisation et l'évolution des collectivités territoriales (1) présentant ses premières orientations sur la réorganisation territoriale (rapport d'étape),

Par M. Yves KRATTINGER et Mme Jacqueline GOURAULT,

Sénateurs.

(1) Cette mission temporaire est composée de : M. Claude Belot, président ; M. Pierre-Yves Collombat, Mme Anne-Marie Escoffier, MM. Charles Guené, Rémy Pointereau, Jean-François Voguet, vice-présidents ; MM. Yves Détraigne, Bruno Retailleau, secrétaires ; Mme Jacqueline Gourault, M. Yves Krattinger, rapporteurs ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Claude Bérit-Débat, Dominique Braye, Mme Claire-Lise Campion, MM. Bernard Cazeau, Jean-Patrick Courtois, Philippe Dallier, Éric Doligé, Mme Josette Durrieu, M. Jean-Paul Fournier, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Serge Lagauche, Alain Lambert, Marc Laménie, Philippe Leroy, Claude Lise, Hervé Maurey, Jacques Mézard, François Patriat, Jean-Claude Peyronnet, Louis Pinton, Bernard Piras, Hugues Portelli, Philippe Richert et Jean-Pierre Vial.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La grande réforme de la décentralisation lancée au début des années 80 a entraîné de profondes mutations dans la vie publique locale, dont notre organisation territoriale n'a pas encore tiré toutes les conséquences. En effet, modelé par plus de deux siècles de centralisation, le système institutionnel français n'est pas encore parvenu à surmonter toutes les résistances l'empêchant de s'adapter pleinement à cette nouvelle logique.

Au-delà des relations entre l'Etat et les territoires, la complexité du paysage local tient aussi à la diversité des situations liée aux évolutions historiques et aux contraintes géographiques très variées.

Les communes et les départements, qui sont les plus anciennes de nos collectivités territoriales, ont été placés sous le signe de l'uniformité statutaire dès leur création par la Révolution française. Ce régime juridique uniforme et le nombre des communes, qui ne s'est que très légèrement réduit depuis le début du XIX e siècle, constituent sans doute la véritable singularité française en Europe, alors que l'existence de trois niveaux de collectivités se retrouve pratiquement chez tous nos grands voisins, compte non tenu cependant des différentes formes de regroupements (SIVU, SIVOM, syndicats mixtes...) qui s'enchevêtrent et se superposent chez nous, à côté des intercommunalités de projet.

Il convient en outre de relever que les efforts successifs de déconcentration n'ont pas encore permis d'établir une articulation toujours claire des rôles entre les services territoriaux de l'Etat et les administrations décentralisées, investies de compétences toujours plus nombreuses et sur lesquelles l'Etat tend à accentuer ses contrôles. Il en résulte un empilement des structures donnant des arguments à ceux qui dénoncent notre « millefeuille institutionnel », qui serait peu lisible pour le citoyen et coûteux dans son fonctionnement.

Le Sénat, du fait de sa mission constitutionnelle propre, est pour sa part aux avant-postes de la réflexion relative au devenir des collectivités territoriales. Il a ainsi consacré de nombreux rapports d'information à la mise en oeuvre de la décentralisation sous ses différents aspects : intercommunalité, conditions d'exercice des mandats locaux, aspects financiers... Sur un plan plus global, le rapport présenté par notre collègue Michel Mercier, en juin 2000, et intitulé « Pour une République territoriale, l'unité dans la diversité » , demeure la référence, ses recommandations ayant inspiré les réformes qui allaient suivre et ouvert la voie à l'Acte II de la décentralisation.

Il est dès lors légitime que le Bureau du Sénat, à l'initiative du Président Gérard Larcher, ait décidé de créer, dès le mois d'octobre 2008, une Mission temporaire sur l'organisation et l'évolution des collectivités territoriales, au moment où le Président de la République mettait en place le Comité pour la réforme des collectivités locales et en confiait la présidence à M. Edouard Balladur, ancien premier ministre.

A l'heure où se fait plus évident le besoin de rationalisation dans l'organisation des structures territoriales et de clarification dans la répartition des compétences, il était d'autant plus naturel que le Sénat ouvre ce chantier que, depuis la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, c'est à lui qu'il revient d'examiner en premier tous les projets de loi ayant pour principal objet l'organisation des collectivités territoriales (article 39 de la Constitution). Aussi convenait-il d'engager la réflexion le plus en amont possible, dans la perspective de l'examen, en toute connaissance de cause, de la réforme législative annoncée par le gouvernement.

Expression du pluralisme, la mission sénatoriale est composée de trente-six membres représentant toutes les sensibilités politiques. Ayant tous, à un titre ou à un autre, une expérience des responsabilités locales, ceux-ci sont particulièrement qualifiés pour apprécier les contraintes et les exigences de la gestion locale ainsi que les attentes de nos concitoyens et des entreprises à l'égard des services qui peuvent leur être fournis par les différents niveaux d'administrations décentralisées. Ils sont aussi en mesure d'évaluer l'impact des différentes formules envisagées pour améliorer notre système institutionnel à la lumière de leur connaissance des réalités locales.

Adoptant résolument une démarche pragmatique, la mission a souhaité s'entourer des avis de nombreux experts et universitaires, géographes, spécialistes de science politique, des institutions locales et du droit comparé, représentants des grandes associations nationales d'élus, responsables économiques, hauts responsables politiques et administratifs en charge des territoires, de la décentralisation et de l'aménagement du territoire. Elle a également décidé de recueillir le témoignage des anciens Premiers ministres et ministres à l'origine des grandes étapes de la décentralisation, ainsi que les représentants des territoires très spécifiques : l'Outre-mer, l'Alsace, le Grand Paris, les territoires de montagne...

Indépendamment des enseignements qu'elle a tirés de la première série d'auditions qu'elle a conduites 1 ( * ) , la mission a spécifiquement entendu ceux de ses membres qui ont souhaité témoigner de leur expérience. En outre, les réponses au questionnaire qu'elle a adressé à l'ensemble des sénateurs sur les différentes orientations de réformes possibles lui ont également apporté un précieux concours. Vos rapporteurs saisissent cette occasion pour remercier leurs nombreux collègues qui ont bien voulu accepter d'éclairer la mission par cette voie et, pour certains, d'assortir leur réponse d'observations complémentaires très instructives.

La mission a par ailleurs tenu à se déplacer, accompagnée de M. le Président du Sénat, en divers points du territoire pour y étudier les différentes dimensions de la réorganisation territoriale : le fait métropolitain, son impact sur l'espace régional, l'intercommunalité dans ses dimensions rurale et urbaine... La rencontre et le débat direct avec les responsables de tous les niveaux de collectivités territoriales et de leurs groupements, qui ont témoigné de leurs préoccupations de terrain, ont apporté un inestimable enrichissement à sa réflexion.

C'est ainsi qu'elle s'est rendue à Bordeaux où elle a pu prendre la mesure du rôle et de l'attractivité d'une grande capitale régionale sur son aire d'influence, puis à Jonzac, où la délégation de la mission a noué un dialogue très fructueux avec de très nombreux responsables locaux sur la dynamique intercommunale et les relations entre communes, intercommunalités et pays.

Puis c'est à Lyon qu'elle a pu approfondir son étude du fait métropolitain et des relations entre une très grande métropole et son département, acquérant ainsi une vision plus concrète encore sur les perspectives de création de métropoles dotées d'un statut de collectivité territoriale, et qui exerceraient des responsabilités élargies par rapport aux missions déjà remplies par la communauté urbaine.

Ces déplacements ont conforté votre mission dans la conviction que si des améliorations à l'organisation territoriale actuelle sont sans doute nécessaires et doivent apporter des réponses adaptées à la diversité des territoires et des situations, la décentralisation n'en a pas moins été, en dépit d'un maillage institutionnel complexe, très bénéfique pour la modernisation et le développement de la France au cours du dernier quart de siècle.

La mission a, en outre, confié une étude à un cabinet en stratégie sur ce que pourrait être la répartition optimale des compétences entre les niveaux de collectivités territoriales et leurs groupements au regard tant des contraintes financières que de la qualité du service rendu aux citoyens. Ce travail, qui se fonde sur des critères aussi objectifs que possible et prend appui sur des études de terrain, doit passer au crible une dizaine de compétences locales, qu'elles soient essentiellement confiées à un niveau ou partagées entre plusieurs, afin de détecter les doublons et de déterminer les améliorations possibles. Les résultats de l'étude devraient être présentés fin mars et figurer dans le rapport définitif.

La mission a, enfin, tenté d'établir des comparaisons avec les autres pays européens, observant que s'il n'existait pas de modèle unique, des principes communs pouvaient se dégager, en particulier une tendance à la collaboration entre collectivités, la montée du fait régional et l'émergence progressive des grandes métropoles.

A partir de tous ces éléments, dans quel état d'esprit la mission a-t-elle conduit ses travaux ?

Se gardant de tout dogmatisme et de tout a priori qui pourraient déboucher sur des solutions sans doute intellectuellement séduisantes, mais vouées à l'échec si elles sont mal acceptées, elle a préféré fonder sa démarche sur l'observation des pratiques locales pour en faire émerger, si elles s'avéraient convaincantes, des principes nouveaux d'organisation.

Bien qu'elle prévoie de poursuivre ses travaux jusqu'en mai prochain, il lui a paru possible, après quatre mois d'un travail dense, de présenter ce rapport d'étape.

Dans ce cadre, et au titre des objectifs qu'elle s'est assignés pour guider ses réflexions, elle a d'abord cherché à apprécier le degré exact de dysfonctionnement du système institutionnel local et du besoin de réorganisation qu'il appelle. Tout en étant consciente des contraintes qui pèsent sur les finances publiques, elle s'est, certes, attachée à identifier des pistes permettant d'obtenir une meilleure efficience de l'action publique locale.

Dans le présent rapport d'étape, vos rapporteurs ne prétendent pas être parvenus à des conclusions définitives mais, après avoir porté un diagnostic sur l'organisation territoriale actuelle et tenté de définir les enjeux de la réforme, la mission se propose d'énoncer quelques grandes orientations sur ce que devrait être le nouveau modèle de gouvernance territoriale.

Animés par la volonté de faire évoluer les choses, vos rapporteurs ont été attentifs à ce qu'ils ont entendu et se sont donné pour ligne générale de ne pas craindre de préconiser des solutions innovantes, tout en privilégiant les évolutions sans rupture.

Il leur est apparu tout d'abord nécessaire d'améliorer les rapports des collectivités territoriales avec l'Etat, en s'attachant à établir un climat de confiance pour assurer efficacement la mise en oeuvre des compétences transférées. De même, l'Etat territorial doit-il adapter ses propres structures aux missions nouvelles assurées par les services décentralisés.

L'adaptation des structures territoriales ne pourra, quant à elle, donner des résultats satisfaisants que si l'on veille à adapter les structures à la diversité des territoires, en apportant des solutions institutionnelles différenciées aux grandes métropoles, aux territoires urbains et périurbains et aux territoires ruraux.

La restructuration territoriale passe prioritairement par l'approfondissement de l'intercommunalité de projet, ce qui suppose l'achèvement de la carte intercommunale à partir d'un réexamen de la pertinence des périmètres et le renforcement de l'intégration entre communes et intercommunalité. L'attachement des Français à l'identité communale n'en reste pas moins une réalité forte, excluant la remise en cause de l'existence des communes, qui demeurent la base de la démocratie locale. Dans ce contexte, la question de la représentation démocratique au sein des intercommunalités paraît trouver sa solution dans un « fléchage » des conseillers communautaires sur les listes de candidats aux élections municipales.

Il a semblé également important à la mission de mettre l'accent sur la recherche d'une clarification dans la répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivités, d'une meilleure lisibilité pour les citoyens et d'une plus grande efficacité dans la mise en oeuvre des compétences locales.

C'est pourquoi, la mission a non seulement tenu compte des propositions émises en la matière par les représentants des collectivités, mais elle a souhaité aussi se doter d'instruments d'analyse objectifs en faisant appel, comme cela a été indiqué plus haut, à un cabinet d'études spécialisé pour éclairer sa réflexion.

Elle s'est, en outre, interrogée sur la signification et la portée de la clause générale de compétence ainsi que sur son éventuelle articulation avec une spécialisation renforcée des compétences des différents niveaux. En cas de compétence partagée, il lui a semblé que le recours à un chef de file devrait être encouragé, développé, codifié.

Se réservant pour l'étape suivante d'engager un travail plus approfondi sur les finances locales, la mission n'en a pas moins jugé nécessaire, dans le cadre de l'amélioration des relations entre les collectivités territoriales et l'Etat, que celui-ci veille au respect du principe de l'autonomie financière et fiscale locale, désormais inscrit dans la Constitution. Cela implique en particulier que toute modification des règles du jeu donne lieu, préalablement à toute décision, à une négociation avec les acteurs locaux.

La péréquation, dont le principe est également inscrit dans la Constitution, devra certainement aussi être améliorée car elle constitue un corollaire indispensable de la décentralisation, laquelle ne porte pas en soi d'effet correcteur des inégalités.

Enfin, si le cofinancement des projets par plusieurs collectivités présente l'inconvénient d'allonger notablement les procédures, la mission a pris en compte le fait que, pour certaines collectivités, nombre d'équipements ne pourraient voir le jour sans l'appel à ce type de financements conjoints. C'est pourquoi la souplesse lui a paru devoir rester la règle en la matière.

Telles sont les orientations qu'il a paru possible à votre mission de formuler à ce stade de ses travaux et qui ont inspiré les premières préconisations qu'elle soumet ci-après à la réflexion du Sénat.

* 1 Dont la liste figure en annexe 1, d'autres auditions étant prévues d'ici l'examen du rapport définitif.

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