LES RÉSULTATS DE L'EXPERTISE COLLECTIVE NATIONALE ET INTERNATIONALE

Docteur Laurent BONTOUX, Scientific Officer - Comité Scientifique sur les Risques Emergents et Nouvellement Identifiés pour la santé (SCENIHR), Commission européenne

Merci Monsieur le Président. Merci beaucoup de m'avoir invité pour vous présenter les résultats du Comité européen.

Le SCENIHR, c'est le Comité Scientifique Européen pour les Risques Émergents et Nouvellement Identifiés. Je vais d'abord vous parler très rapidement du mandat qui a été donné à ce comité, l'année dernière, sur le sujet des radiations électromagnétiques. Ensuite, je vous ferai un petit exposé de la méthodologie qui a été utilisée. Enfin, je ferai un aperçu de tous les résultats.

Ce Comité Scientifique Européen est très similaire à d'autres comités scientifiques qui ont été présentés précédemment. Les gens qui participent sont nommés à titre d'expert personnel, avec des règles d'indépendance et de transparence publiées sur tous les sites officiels.

Sur ce sujet des champs électromagnétiques, la Commission européenne a demandé au SCENIHR de mettre à jour ses dernières conclusions en la matière, datées du 21 mars 2007, et de fournir un cadre méthodologique et des recommandations sur la façon dont on pouvait évaluer les données scientifiques disponibles afin d'obtenir la meilleure évaluation possible du risque.

Du point de vue méthodologique, le Comité a d'abord fait une recherche de tout ce qui était publié, en termes de mesures d'exposition, en termes d'études épidémiologiques et d'études expérimentales et ce, pour toutes les gammes de champs électromagnétiques : champ statique, très basse fréquence, fréquence intermédiaire et radiofréquence. Les sources primaires utilisées ont été essentiellement des articles publiés dans la presse scientifique internationale à comité de lecture, avec une primauté donnée aux articles qui apportaient des informations nouvelles par rapport à l'opinion précédente.

Une fois que toute cette littérature a été identifiée, le Comité a trié les études à garder, en évaluant pour chaque article les méthodes utilisées par ces différentes études ainsi que leurs résultats. Après ce travail de sélection, toutes les études considérées comme étant de bonne qualité se sont vues attribuées le même poids dans l'évaluation globale finale et ce, que les résultats soient positifs ou négatifs, qu'elles montrent des associations avec les champs électromagnétiques ou pas. Tous les articles pour lesquels les données ne pouvaient pas être vérifiées par les experts n'ont pas été pris en compte.

Le but de cette analyse était de caractériser les dangers liés aux champs des quatre catégories que j'ai exprimées précédemment ; d'examiner la relation entre l'exposition et tout effet pertinent ; d'évaluer la plausibilité des modes d'action proposés par les différentes études ; et puis enfin, d'identifier les incertitudes de l'évaluation et de faire des propositions pour tenter d'y répondre.

Les champs magnétiques statiques concernent les implants, des procédés industriels, des soudures, des systèmes de transports. Mais c'est surtout l'Imagerie par Résonance Magnétique qui en produit de façon assez importante. Les conclusions du Comité sont que dans la littérature à propos de ces champs magnétiques statiques, les résultats publiés sont nombreux, divers, parfois contradictoires, manquant généralement de données adéquates pour faire une bonne évaluation des risques. Cela dit, certains effets à court terme ont été observés, surtout liés à des expositions aigües très intenses, sur les fonctions sensorielles de l'homme. Cependant, ces observations n'ont démontré aucune évidence d'effets nocifs permanents pour des niveaux d'expositions pouvant atteindre plusieurs Teslas. A noter que ce sont des niveaux très élevés par rapport à celui du champ magnétique terrestre, par exemple, qui, lui, est de l'ordre de 60 microteslas.

Ensuite, au sujet des très basses fréquences, on en connaît déjà les sources principales d'exposition. Cela concerne la distribution et l'utilisation de l'électricité, les lignes à Haute Tension, les appareils domestiques, les moyens de transport particuliers et professionnels ou encore les moteurs électriques, les transformateurs, les soudures, le chauffage à induction. Ici, les conclusions du Comité liées au cancer confirment celles qu'il avait déjà faites en 2007 : il y a effectivement une association dans les études épidémiologiques entre l'exposition au champ magnétique à très basse fréquence et la leucémie infantile. Il n'y a pas d'information vraiment nouvelle qui remettrait en cause les conclusions précédentes sur cette association qui reste donc pertinente et dont le phénomène de cause à effet reste inexpliqué.

Les autres conclusions déduites par le Comité sont qu'il n'y a pas d'indication de lien causal avec les symptômes liés à l'hyper sensibilité électromagnétique. Les experts ont également découvert, dans des études épidémiologiques récentes, des liens possibles avec la maladie d'Alzheimer. Ces études ont identifié des corrélations, mais sans toutefois réussir à les expliquer. Ensuite, il y a des indications d'effets in vivo chez des animaux expérimentaux sur le système nerveux, mais à des niveaux d'exposition à des champs magnétiques qui s'étaleraient entre 100 et 1 000 microteslas. Le problème est que ces études ont des qualités très différentes et leurs données en sont assez incohérentes. Cela empêche donc malheureusement de tirer des conclusions fermes pour la santé humaine. Et ce qui interpelle le Comité c'est que certaines études in vivo et in vitro, donc expérimentales, montrent certains effets, mais à des niveaux d'exposition beaucoup plus élevés que ce que l'on observe dans les corrélations identifiées dans les études épidémiologiques.

Pour ce qui est des fréquences intermédiaires, jusqu'à maintenant c'étaient des expositions assez rares, mais leur nombre d'application est en croissance, surtout dans le domaine professionnel. Cela concerne par exemple les anti-vols, les chauffages et cuissons par induction, la soudure, les applications médicales, les écrans ou encore les lampes fluorescentes. Les conclusions du Comité sont, qu'en fait, on manque de recherches pertinentes sur ce sujet. On est donc vraiment trop limité au niveau des données scientifiques pour pouvoir faire une bonne évaluation des risques. Ce qui se passe maintenant c'est que les évaluations des risques sont faites en extrapolant ce que l'on sait sur les autres bandes de fréquence.

Pour les radiofréquences, c'est surtout la téléphonie mobile et les émissions de télévision et de radio qui sont connues du public.

En résumé, les conclusions du Comité sur le cancer sont équivalentes à celles qu'il avait publiées en 2007. Les experts se sont appuyés sur trois sources indépendantes d'évidence : sources épidémiologiques, sources in vivo et sources in vitro qui indiquent qu'il est improbable que l'exposition aux champs radiofréquences augmente l'apparition de cancer chez l'homme. Dans le cas particulier de la téléphonie mobile, le recul est encore insuffisant pour pouvoir faire des études épidémiologiques à très long terme. Donc, pour l'instant, pour les utilisations jusqu'à une période de dix ans, par exemple, il n'y a pas d'association avec le cancer. Quant aux cancers qui pourraient avoir des temps de latence plus longs que l'historique que l'on détient sur l'utilisation massive des GSM, des études supplémentaires sont nécessaires.

Nous n'avons donc pas non plus d'évidence, jusqu'à ce jour, de lien entre les radiofréquences et les symptômes liés à l'hyper sensibilité électromagnétique. Les experts évoquent la possibilité d'un effet nocebo c'est-à-dire l'inverse du placebo . On a certes mis en évidence quelques effets sur l'électro-encéphalogramme et sur le sommeil chez l'homme. Mais ce sont des effets passagers et donc il n'est pas possible de savoir s'ils sont nocifs sur la santé, ou pas. Par ailleurs, on voit bien des modifications de l'électro-encéphalogramme, mais est-ce que c'est un effet néfaste sur la santé ? On n'est pas capable de le dire.

Pour toutes les autres études sur le système nerveux, soit il n'y a pas d'effet mis en évidence, soit ce sont des études inconsistantes et donc sans cohérence dans les résultats.

Pour ce qui concerne la fonction de reproduction et le développement chez l'homme et chez l'animal, il n'y a pas de nouvelles données qui puissent indiquer des évidences d'effets.

Et pour la question spécifique de l'exposition des enfants, les informations restent limitées par rapport aux considérations générales qui concernent la population adulte.

Pour ce qui concerne des effets environnementaux, le Comité d'experts a constaté qu'il n'avait pas assez de données pour en tirer des conclusions.

Devant l'absence d'informations mise en évidence, les experts ont également listé dans leur rapport un certain nombre de recommandations de recherches pour ce combler ce manque.

Pour les champs magnétiques et statiques, ils demandent des recherches sur tout ce qui est effet, surtout dans le milieu professionnel parce que ce sont ces personnes qui sont les plus exposées. Ils veulent, par ailleurs savoir quels pourraient être les effets potentiels car pour le moment, ils n'ont pas de compréhension très approfondie sur la question, même dans le cas des études épidémiologiques ayant montré certaines corrélations.

Pour ce qui est des très basses fréquences, dans le cas de la leucémie infantile, ils ne comprennent pas. Il y a bien des associations dans les études épidémiologiques, mais on ne connaît pas les mécanismes. Donc, la recherche est nécessaire dans ce domaine. C'est aussi le cas pour la recherche concernant les maladies neuro-dégénératives. Là aussi, on a mis en évidence des associations pour la maladie d'Alzheimer par exemple, mais sans en comprendre les mécanismes. Là, on a vraiment besoin de recherches supplémentaires. Et ensuite, dans beaucoup d'études disponibles, les résultats sont incohérents, sans bonnes corrélations entre des effets remarqués et les expositions. On aimerait donc mieux comprendre afin d'établir des courbes et des relations dose/effet cohérentes.

Pour tout ce qui est des fréquences intermédiaires, il y a carrément un manque général d'information. Il faut donc investiguer tous les effets possibles pour palier au manque de données.

Enfin, pour les radiofréquences, on a une image assez bonne pour tout ce qui remonte jusqu'à dix années d'exposition. Mais on a besoin de faire des études à plus long terme pour le cancer. On a besoin de faire des études d'exposition sur les enfants. Car même si on n'a pas d'indication qui permette de nous faire trop de souci pour le moment, ça vaudrait quand même le coup de savoir avec davantage de précision ce qui se passe dans le cas des enfants. Je profite de cette audition publique pour mentionner que la Commission européenne est en train de financer une étude dans ce domaine qui devrait commencer cette année. Les résultats seront disponibles dans quatre ou cinq ans. Ensuite, le Comité d'experts exprime le désir de développer des systèmes de dosimétrie qui puissent évaluer l'exposition globale aux champs électromagnétiques. Parce qu'il y a beaucoup de bandes de fréquences différentes. On a des études qui s'attaquent à une bande de fréquence particulière, c'est bien. Mais on aimerait mieux comprendre ce qui se passe dans le cadre d'une exposition globale à beaucoup de sources multiples de radiofréquence. Et ensuite, dans le cas de certaines études dont les résultats préliminaires pourraient indiquer quelque chose, on aimerait pouvoir confirmer ces résultats par des études supplémentaires.

Donc, en règle générale, le Comité d'experts voudrait voir des études de mécanismes. Parce que, jusqu'à maintenant quand certains effets sont mis en exergue dans certaines études, on ne comprend toujours pas bien les mécanismes mis en cause. On aimerait aussi élucider les modes d'actions possibles et ensuite, voir s'il pourrait y avoir des risques liés aux combinaisons d'exposition entre les radiations ou les champs électromagnétiques d'une part, et d'autres facteurs environnementaux, d'autre part. Ou bien alors dans une combinaison entre des expositions à différentes bandes de fréquences. Par exemple que se passe t-il si on combine des champs magnétiques statiques avec des radiofréquences ? Ou si on combine des radiofréquences avec des fréquences intermédiaires ? Ou encore des très basses fréquences avec des radiofréquences ? Là, il y a toute une complexité avec la vie réelle qui nécessite de l'investigation pour pouvoir vraiment faire des évaluations des risques précises. Voilà en quelques mots, un survol des conclusions du Comité qui ont été prises et adoptées le 19 janvier 2009. Et ce rapport devrait être publié soit ce jour, jeudi 29 janvier 2009, soit demain. Site Internet :

http://ec.europa.eu/health/ph_risk/committees/committees_en.htm

Daniel RAOUL

Merci beaucoup. Je passe la parole au Professeur Aurengo.

Professeur André AURENGO, APHP - Président du Conseil Supérieur d'Hygiène Publique de France (CSHPF)

Merci à l'Office et merci à Monsieur le Président Raoul de me donner l'occasion de parler de ce problème. Je vais me limiter strictement à celui des champs magnétiques. Je me présente en deux mots : je suis ingénieur, médecin spécialiste de médecine nucléaire, administrateur d'EDF représentant de l'Etat, membre de l'Académie de Médecine et du Haut Conseil de Santé Publique. Voilà pour faire bref et par ordre chronologique.

En 2004 à la demande de la DGS puis du Conseil Supérieur d'Hygiène Publique de France, a été élaboré un rapport sur les Champs Magnétiques d'Extrêmement Basse Fréquence et Santé. Les auteurs, là aussi, sont par ordre alphabétique. Jacqueline Clavel et Pascal Guénel, épidémiologistes de l'INSERM, René de Seze, membre de l'INRIS, Jacques Joussot-Dubien, physicien de l'Académie des Sciences et Bernard Veyret, Directeur de recherche au CNRS, spécialiste des problèmes de champs magnétiques.

Quel était le contexte dans lequel ce travail s'inscrivait ? Eh bien, la classification du CIRC, en 2001, a été rappelée et le CIRC parle de Limited Evidence of carcinogenicity . Qu'est-ce que ça veut dire exactement ? Je crois que les termes sont importants. Pour le CIRC, Limited Evidence signifie « association statistique crédible, mais pouvant être due à des facteurs de confusions, les biais de sélection ou des erreurs de classification » . C'est à ne pas oublier. Et c'est pour ça que le CIRC a classé en 2b. En termes de causalité, également, aucune preuve ne mentionnait que l'association entre l'exposition aux champs électromagnétiques d'Extrêmement Basse Fréquence et la leucémie de l'enfant soit causale, c'est-à-dire que l'un soit la cause de l'autre, comme ça a été dit, tout à l'heure, en particulier par Monsieur Maillard.

Dans ce contexte-là, il restait ce que j'appellerais des dangers résiduels. C'est un débat ouvert depuis une trentaine d'années. Petit à petit, un certain nombre de types de tumeurs ont été éliminés après avoir fait quand même, en leur temps, beaucoup de bruit, médiatique en particulier. Tumeurs cérébrales, mélanomes, etc. Il reste actuellement des interrogations sur les leucémies de l'enfant et, tout particulièrement, les leucémies lymphoïdes aigues, et pour des expositions de l'ordre de 0,4 microtesla. Alors quelle est la population concernée ? On a des éléments au Royaume-Uni : en Angleterre, ça représente à peu près 0,4 % de la population ; et dans 20 % des cas, c'est-à-dire une fois sur un millième de la population, en raison des lignes à Haute Tension. Dans les autres cas, ça peut être le câblage de la maison, l'éclairage public ou d'autres causes. En France, on commence à avoir des éléments qui vous seront expliqués tout à l'heure par Monsieur Fleury.

Quelles étaient les conclusions du rapport du Conseil Supérieur ? J'insiste sur le fait que la section qui a été, au début, chargée d'élaborer ce rapport était la section de radioprotection que je présidais. Ensuite, le rapport a été transmis à la Section des Milieux de vie qui était présidée par Isabelle Momas. Il y a donc eu deux analyses conjointes de ce rapport. Les conclusions que je vous donne aujourd'hui sont celles sur lesquelles avait insisté la Section des Milieux de Vie. Donc, indication limitée - pour reprendre les termes du CIRC - issue de l'épidémiologie sur une relation possible entre les expositions aux champs et la leucémie de l'enfant. Aucune explication scientifique établie pour cette association. Aucune association mise en évidence avec les autres types de cancers. Et, pour les adultes et l'animal, rien de probant quant à la cancérogénicité.

Les recommandations étaient, tout d'abord, de donner un cadre réglementaire qui existe en réalité, actuellement ; de réaliser une estimation, une caractérisation des expositions de la population française - c'est un peu l'étude Expers dont parlera Gilles Fleury tout à l'heure ; d'encourager des études expérimentales au niveau national et européen et d'informer la population sur les champs électromagnétiques.

Qu'est-ce qui s'est passé depuis ? Eh bien depuis, en réalité, il n'y a pas eu énormément de choses. Et j'ai prévu de vous parler plus spécifiquement d'une étude et d'un rapport. Le temps est bref et je vais essayer de m'y tenir. Je vais vous parler de l'étude de Draper qui est parue en juin 2005 dans le British Medical Journal . Elle portait sur un grand nombre de cancers, de leucémies et de cancers solides de l'enfant. Comme elle n'a pas trouvé de lien pour les cancers solides, je n'en parlerai plus. Elle avait pris comme critère d'exposition, un critère qui dépend de la distance aux lignes à 275 000 et 400 000 volts lors de la naissance de l'enfant, c'est-à-dire où l'enfant était sinon né, du moins revenu, après sa naissance.

Ce qui est étrange dans cette étude, c'est tout d'abord qu'elle montre un risque relatif de leucémie avec un intervalle de confiance qui, lui, est significatif. Je rappelle que c'est significatif quand 1 est au-dessous cet intervalle. Mais également entre 200 et 600 mètres. C'est-à-dire que cette étude montre une persistance du risque significatif à des distances où il n'y a en fait, plus de champ électromagnétique. Et les auteurs, eux-mêmes, s'en étonnaient puisque à cette distance, les champs calculés dus aux lignes sont inférieurs à 0,1 et souvent 0,01 microtesla, ce qui est inférieur au niveau moyen de champ magnétique au domicile et provenant d'autres sources que les lignes.

Alors, pourquoi ai-je cité cette étude ? D'abord parce qu'elle est importante puisqu'elle relativise un peu la distance de 200 mètres dont parlaient tout à l'heure Messieurs Le Bouler et Etienne. Et puis d'autre part, parce qu'elle pointe du doigt un problème sur lequel je pense qu'on ne peut pas faire l'impasse qui est un problème de crise de l'épidémiologie environnementale. Ce n'est pas un problème nouveau puisqu'en 1995, Gary Taubs, dans Science, a publié un article « l'épidémiologie confrontée à ses limites ». Et Paolo Boffetta, un membre éminent du CIRC, beaucoup plus récemment, a publié un article très intéressant sur « les faux positifs en épidémiologie de la cancérologie » qui était un plaidoyer pour une certaine modestie épistémologique.

Alors qu'est-ce que cela veut dire et pourquoi y a t-il une crise de l'épidémiologie, du moins dans ce domaine ? Eh bien, sous la pression, je dirai, du public, de certaines associations, de la presse, aussi, pour les chercheurs - parce qu'ils doivent publier - ils s'orientent préférentiellement vers des études cas-témoins plutôt que vers des études de cohortes. Je rappelle la différence : dans une étude de cohorte, on suit la population, on attend que les maladies arrivent. Dans une étude cas-témoins, on part de la maladie et on cherche des témoins. Donc, c'est évidemment beaucoup plus adapté à des pathologies rares - ce que sont fort heureusement les leucémies lymphoïdes aigues de l'enfant - mais ça pose un certain nombre de problèmes. Le problème de la sélection des témoins sur lesquels il peut y avoir des biais, de l'estimation rétrospective de l'exposition qui, d'une façon très générale, est faite par des indicateurs très indirects : ça va jusqu'à l'endroit où était le gamin quand il est né. Quand cette estimation repose sur un interrogatoire, ça conduit à des biais d'anamnèse, les « cas » ayant davantage tendance à se rappeler les expositions que les « témoins ». Ce n'est pas un hasard d'ailleurs si les médecins utilisent des techniques de double aveugle pour les études de médicament. Et enfin, toutes ces incertitudes sont exceptionnellement - pour ne pas dire jamais - prises en compte dans les études statistiques. Donc, les études statistiques ne sont pas réellement adaptées au cadre dans lequel elles publient leurs résultats et aux conclusions qu'elles font apparaître.

Il est absolument nécessaire d'avoir cela en tête. Peut-être faudrait-il reprendre un certain nombre d'études et les passer au crible de cette incertitude sur les expositions ? Quel est l'effet de cette incertitude ? Premièrement, une diminution artificielle des « odd-ratios » (donc on peut trouver un risque relatif plus faible que sa valeur réelle, mais surtout, artificiellement, une diminution des intervalles de confiance. Et d'ailleurs, c'est une simple question de bon sens. Quand vous avez peu d'information sur une exposition, vous ne pouvez pas vous attendre à avoir une très bonne certitude, une précision importante sur son risque relatif.

Toutes les études qui ont été conduites, depuis trente ans, ont montré une amélioration progressive de la qualité de la mesure de l'exposition avec successivement code de Wertheimer, champs calculés puis mesurés dans la chambre des enfants, puis mesure individuelle continue.

Diapositive : voilà un exemple de mesure individuelle continue qui concerne un adulte (chez les enfants, c'est un peu plus stable mais ça peut avoir aussi des fluctuations importantes) - et montre à quel point des codes, ou des champs calculés ou même mesurés simplement dans la chambre de l'enfant ne vous donne pas véritablement l'exposition. Il faut vraiment avoir une mesure très précise pendant très longtemps pour avoir une idée de la dose d'exposition. Et on constate actuellement, malheureusement, une certaine régression. L'étude de Draper, citée précédemment, revient pratiquement au code de Wertheimer c'est-à-dire il y a trente ans, puisqu'elle prend l'endroit où l'enfant était lors de sa naissance. D'ailleurs, on a pu montrer qu'une des hypothèses importantes de cette étude : « quand la distance est inférieure à 50 mètres, alors le champ doit être supérieur ou égal à 0,2 microtesla » n'est vraie qu'une fois sur cinq.

Un mot sur « Bio Initiative ». Ce rapport a fait beaucoup de bruit en août 2007, et disait, en gros, que les normes actuelles étaient insuffisantes pour protéger la santé publique. Je préciserai simplement que ce rapport a été analysé par le Health Council of the Netherlands . C'est l'équivalent du Haut Conseil de Santé Publique de maintenant. Il dit que le rapport « Bio Initiative » n'est pas une image objective et équilibrée de l'état des connaissances scientifiques actuelles et qu'il n'apporte aucun motif de revoir l'appréciation actuelle des risques d'exposition aux champs électromagnétiques. L'ICNIRP et l'OMS, eux, ont refusé de le commenter au motif qu'il ne s'agit pas d'un rapport scientifique.

Les raisons sont que seules les études, qui ont montré un effet, sont prises en compte. D'autres études, négatives, bien plus nombreuses, sont occultées. Enfin compte tenu des fonctions de Madame Cindy Sage, la question d'un conflit d'intérêt a été posée.

Je ne vais pas vous donner mes conclusions qui n'auraient aucun intérêt, mais celles de l'OMS. Je pensais d'ailleurs répéter ce qu'aurait dit le collègue de l'OMS, mais comme il n'est pas là, vous allez les découvrir. L'OMS, en juin 2007, a rendu un rapport dans lequel il disait :

Premièrement, il n'y a pas de raison de modifier la classification de 2B et d'ailleurs ses conclusions rejoignent, aussi, celles du rapport de 2004 du HCSPF.

Deuxièmement, les éléments épidémiologiques perdent leur force à cause de problèmes méthodologiques, tels des biais de sélection possible. Donc, revient l'idée que la méthodologie devrait être mieux précisée et qu'il devient nécessaire de ne plus financer n'importe quelle étude. Il n'existe aucun mécanisme biophysique accepté qui laisserait à penser que les expositions de faible intensité jouent un rôle dans le développement d'un cancer. S'il y avait des effets, ils résulteraient d'un mécanisme biologique qui, jusqu'ici, est inconnu. Et ceci est à mettre en confrontation avec les progrès considérables qu'a faits, par exemple, la découverte des mécanismes intimes de la cancérogenèse depuis trente ans et, encore plus, depuis dix ans. Et tout bien considéré, les éléments de preuve en rapport avec la leucémie infantile ne sont pas suffisamment probants pour être incriminés en tant que cause. Merci de votre attention.

QUESTIONS/DÉBAT

Daniel RAOUL

Merci. Je suis persuadé qu'il va y avoir un certain nombre de questions, mais concernant l'exposé du rapport de Monsieur Bontoux, ça rejoint sans doute les aspects méthodologiques : c'est notre exposition globale dans notre environnement électromagnétique : comment peut-on faire une évaluation sérieuse de l'effet d'une partie du spectre ?

Laurent BONTOUX

Je ne sais pas non plus. C'est pour ça que le SCENIHR recommande de faire de la recherche dans ce domaine-là : pour développer des méthodes plus robustes de l'évaluation des expositions. Les limitations que vous avez mises en évidence sont reconnues par tout le monde. On a donc besoin, pour apporter des réponses définitives, d'avoir des outils techniques plus fiables pour être capables de savoir quantifier réellement l'exposition subie par les sujets de toutes ces études, épidémiologiques ou autres. Ça c'est une grosse limitation qui empêche les experts de tirer des conclusions solides.

Daniel RAOUL

Je pose la question aux deux experts : est-ce que vous pouvez trouver des populations témoins pour faire un panel représentatif, ou alors faire des études épidémiologiques, mis à part les Inuits - et encore je ne sais pas s'ils ne sont pas, eux aussi, exposés à un environnement électromagnétique. Mais dans notre environnement quotidien, vous l'avez évoqué, que ce soit dans les basses fréquences, dans les fréquences intermédiaires et dans les radiofréquences, nous baignons dans un environnement global. Comment faire la part des choses ? Comment trouver une population témoin, vierge, qui n'a pas été soumise à un tel environnement, et la comparer à celles qui sont soumises ? En fait, je me pose une question sur la faisabilité des études et, du coup, sur leur fiabilité.

André AURENGO

Je vais répondre. Une population totalement non exposée, ça n'existe pas. Il n'y en a plus dans le monde. En revanche, des populations exposées à des niveaux différents, cela ça existe. Mais encore une fois, il faudrait se mettre d'accord sur la signification de la dose, dans ce débat. Puisqu'en réalité, quand on parle de dose, on parle d'un débit de dose multiplié par un certain temps. Or toutes ces études sont faites en parlant de débit de dose, uniquement. On ne parle pas de la durée pendant laquelle les gens ont été exposés. Et ça, c'est aussi une grande limitation parce que si on évoque un phénomène épigénétique, les phénomènes génétiques ayant été éliminés, le temps pendant lequel les gens ont été exposés n'est pas pareil quand cette exposition dure seulement dix minutes ou plusieurs années. Là, les seuils qui sont donnés sont des moyennes quotidiennes. Quand on parle de 0,4 microtesla c'est en moyenne dans la journée. Mais ça correspond à quoi ? Une journée par semaine ? Tous les jours pendant dix ans ? Donc là, il y a un vrai problème qui est celui de se mettre d'accord sur ce qu'on veut dire par la dose. Et peut-être de revenir à certains fondamentaux.

Jean-Claude ETIENNE

On a le sentiment, après vous avoir entendus, l'un et l'autre, les deux derniers intervenants, qu'on vit un grand tournant dans ce genre d'affaire. Jusqu'à présent, Monsieur Bontoux l'a dit : Il a dit pour les leucémies aigues de l'enfant : « on ne comprend pas - ça là-dessus on est tous d'accord - mais c'est toujours là » . Le « toujours là. » devient une réalité. Le fait qu'on ne comprenne pas cette réalité est autre chose. Pour finir, ce n'est pas parce qu'on ne comprend pas quelque chose que ça n'existe pas. D'où un crédit dans l'opinion publique qui est construit sur ce qu'on croyait être une certitude - ou tout au moins une réalité de relevé de terrain - c'est toujours là.

Et puis, on entend André Aurengo qui, avec la précision du scalpel d'un chirurgien, nous découpe les limites de l'épure de sécurité de l'épidémiologie, notamment environnementale. Et là, on mesure, encore plus et mieux. Et on se demande si on n'est pas en train de construire sur un relevé de terrain, que l'on croyait assuré, une réflexion remplie d'incertitudes, comme toutes les réflexions humaines, qui va déboucher sur des idées qui vont avoir un grand cours parce qu'elles ont un caractère tonitruant dans l'opinion publique qui ne retiendra que l'aboutissant sans, bien sûr, prendre en compte l'incertitude et les limites de l'outil qui auront permis de cerner la réalité sur le terrain.

Alors sur cette réalité-là, l'OPECST - à travers ton rapport cher Daniel - a effectivement une notion fondamentale à introduire qui est assez nouvelle. Nous avons à faire valoir cette incertitude, ses limites. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas des certitudes obtenues par cette science de l'épidémiologie. Mais ce qui veut dire qu'il y a des zones très incertaines qu'il va bien falloir signaler. Sinon, où va-t-on ? On est dans une dérive intellectuelle théorisée qui va avoir des retombées pratiques, concrètes extrêmement dommageables pour le mode relationnel interhumain dans notre société.

Daniel RAOUL

Je donne la parole à mon collègue Gatignol.

Claude GATIGNOL

Je voudrais demander au Professeur Aurengo, qui a fait état du rapport Draper, de nous apporter un peu plus de précisions quant à sa réalisation. Il a été précédé de quelle méthodologie ? Combien d'années se sont déroulées avant de signer ce rapport ? Parce qu'il est, par certains moments, incohérent. Puisqu'il donnerait davantage de cas de maladies au-delà de la dose reçue : au-delà des centaines de mètres. C'est assez curieux comme conclusion. Que pouvez-vous nous communiquer sur son évaluation ?

André AURENGO

Draper, ce n'est pas à proprement parler un rapport. C'est une étude épidémiologique, comme il y en a eu des dizaines. Et donc, il a simplement pris, collecté les cas de leucémie et les cas de cancers solides. Ensuite, il a essayé d'évaluer l'exposition. Et il retombe sur les problèmes qu'on a soulevés. Il a pris la distance à la ligne, ou plus exactement l'inverse de la distance à la ligne, comme si c'était un reflet fidèle, non seulement de l'exposition au moment de la naissance de l'enfant - puisque c'était son habitation - mais même pendant les années qui ont suivi. Et c'est là que le bât blesse : c'est-à-dire qu'on a une grande incertitude sur cette exposition.

Alors qu'est ce que ça veut dire, en réalité, pour rejoindre la question que posait le Président Raoul ? Ça veut dire que, si on passe toutes les études qui ont montré des effets positifs - il y en n'a pas beaucoup, mais il y en a quelques unes - et qu'on tient compte de l'incertitude : il faudrait savoir si ces études restent positives ou pas.

Parce que ce que l'on a vu trop souvent, c'est bien un lien entre les indicateurs secondaires, par exemple là où est né le gamin. Mais les gens en déduisent ipso facto que c'est un lien, aussi, avec le champ électromagnétique. Et ça, c'est quelque chose d'erroné. C'est-à-dire que cette espèce de saut à pieds joints « mon indicateur me dit ça, ce sont les champs électromagnétiques les coupables. » C'est là que le bât blesse et c'est là qu'il faut tenir compte de l'imprécision. Et peut-être que dans les champs électromagnétiques, ça a un impact qui n'est, quand même, pas très fort. Mais il y a eu des cas où l'impact de ce genre de raccourci a été dramatique. Je rappelle qu'il y un quart de siècle, une étude a montré que le DDT était dangereux. Donc le DDT a été interdit. Les pays qui ont de l'argent s'en sont bien tirés, ils ont trouvé des substituts qui coûtaient plus cher. Mais on s'est aperçu, après, que c'était une erreur de l'épidémiologie. Et comme les pays en voie de développement n'avaient pas l'argent pour acheter les substituts du DDT, ça s'est traduit par des millions de morts. Donc, ce genre d'erreur n'est pas du tout anodin en termes de santé publique.

Laurent BONTOUX

Je suis entièrement d'accord avec le professeur Aurengo. L'évidence mise en avant par le SCENIHR dans la maladie d'Alzheimer est basée sur des études très similaires à celle de Draper. C'est le même genre de corrélation qu'on trouve, sans mise en évidence d'une mesure de champ électromagnétique. Ça c'est le premier point.

Le deuxième point : dans les conclusions du SCENIHR, il y a une remarque qui est faite comme quoi, dans des études expérimentales en laboratoire, on trouve certains effets à des champs magnétiques qui sont de 100 microteslas ou plus - donc, dans des valeurs très élevées - alors, que les associations qu'on trouve dans les études épidémiologiques, c'est avec des valeurs extrapolées ou estimées de l'ordre de 0,4 à 1 microtesla. On a donc un décalage fort entre les études en milieu contrôlé expérimental et l'épidémiologie.

Daniel RAOUL

Je passe la parole à Monsieur Le Ruz.

Pierre LE RUZ

Je voulais faire trois remarques. La première sur la leucémie des enfants, la deuxième sur les problèmes de spectre et puis, la dernière sur Bio Initiative.

Daniel RAOUL

Monsieur Le Ruz, vous aurez la parole sur Bio Initiative tout à l'heure. Donc, avant la pause, parlez des deux premières uniquement.

Pierre LE RUZ

Oui, mais puisqu'on en parle....

Daniel RAOUL

Alors, d'accord, mais très rapidement, parce que tout à l'heure, vous aurez dix minutes, ça sera plus confortable.

Pierre LE RUZ

Ça va être très court. Par rapport aux leucémies, puisqu'il y a tant d'incertitude. Je suis désolé, mais le principe de précaution s'applique. Et les 200 mètres, eh bien ce sont des zones où l'on ne trouve pas 0,4 microtesla - tout le monde a fait des mesures là-dessus - on sait très bien qu'on est largement en dessous de 0,4 microtesla. Donc principe de précaution, à réfléchir quand même.

Deuxièmement : par rapport au spectre, il y a quelque chose qui énerve fortement les physiciens et on l'avait signalé dans les petits livrets de l'INRS et de l'INRIS. C'est clair : les lignes à Très Haute Tension ne sont ni des basses fréquences, ni de très basses fréquences, mais des extrêmement basses fréquences. Il y a un problème : radio frequencies en anglais ne veut pas dire radiofréquence, mais veut dire « onde électromagnétique ». Et je suis désolé mais quand on parle de radiofréquence pour la téléphonie mobile ou autre, ce ne sont pas des radiofréquences. Les radiofréquences, ce sont la FM, la CB et c'est la Télé. Ça s'arrête à 300 ou 400 Mégahertz. Et après, on est dans des hyperfréquences. Alors quand on parle de radiofréquence pour la téléphonie mobile ou autre, ça inquiète quelque peu les physiciens. Et ces confusions sont embêtantes. Il faudra, une fois pour toutes, que les physiciens qui essaient d'expliquer un peu les bandes de fréquence soient écoutés par les gens qui s'occupent de ces problèmes de fréquence et comprennent que « Attention, les lignes à Très Haute Tension, ce sont des Extrêmement Basses fréquences et pas des Basses fréquences. Et quand on parle de téléphonie mobile, on parle de Hyper fréquence et non pas de Radiofréquence. » Il y a un problème qui est signalé dans beaucoup de livres de Physique et qu'on explique aux étudiants. Mais maintenant, si personne ne respecte même pas ce type de remarque, où va t-on ?

Daniel RAOUL

Monsieur Le Ruz, on peut revenir au sujet des lignes à Haute Tension ?

Pierre LE RUZ

Et puis, à propos de Bio Initiative : je ne vais pas faire de commentaire, mais je rappelle quand même que l'Agence Européenne de l'Environnement l'a pris en compte, que le Parlement européen l'a pris en compte puisqu'il y a une résolution du 4 septembre 2008 qui dit qu'actuellement, toutes les normes sont à revoir et que la recommandation demande à la Commission européenne de revoir toutes ces normes. Attention, c'est une résolution. Donc, il y a un problème qui n'est pas évoqué ici et j'ai voulu le faire.

Daniel RAOUL

Monsieur Bontoux, confirmez-vous ce qui se passe à la Commission à propos des normes ?

Laurent BONTOUX

Le Parlement européen a écrit un rapport en réponse au rapport à mi parcours de la mise en oeuvre du plan d'action Environnement et Santé, dans lequel, effectivement, il a fait référence au rapport Bio Initiative. Donc, ça c'est vrai. Et sur cette base-là, il y a effectivement un point qui demande un resserrement des normes existantes. Mais ce n'est pas un document législatif.

Du côté de la Commission, pour le moment il n'y a pas de plan pour faire une révision des normes existantes. Donc, un des éléments importants que la Commission attendait, avant de prendre une position, c'était la publication de cette nouvelle opinion du SCENIHR et donc, sur cette base-là, je pense que les gens vont voir quelles discussions mettre en place en ce moment pour savoir si oui ou non, il va falloir modifier les recommandations du Conseil de 1999. Pour le moment, vu que les conclusions du SCENIHR sont très similaires à ce qu'elles étaient la fois précédente en 2007, je ne pense pas qu'il y aura une discussion très forte pour changer la recommandation du Conseil de 1999.

Mais je vous le dis, la discussion vient de s'ouvrir, donc je ne peux pas confirmer ou infirmer de façon définitive ce que va faire la Commission.

Daniel RAOUL

Quand vous parlez de la recommandation de 1999, il s'agit bien des normes d'exposition ?

Laurent BONTOUX

Oui. Il y a une résolution contenant, effectivement, ce point-là. Mais ce n'était pas du tout dans un cadre législatif. C'est simplement une opinion exprimée par le Parlement européen sur un rapport de la Commission à propos de la mise en oeuvre du plan d'action Environnement et Santé. Et le Parlement européen est en train de préparer un nouveau rapport d'initiative qui aura probablement davantage de poids que le rapport précédent. D'ici au mois de mai ou juin, je pense qu'on aura le rapport définitif. Et là, on verra la position qu'il prendra.

Jean-Jacques DUBY, professeur des Universités

Je suis mathématicien et ancien Directeur d'un grand groupe d'assurances. Je m'intéresse particulièrement aux risques. J'ai participé, Monsieur le Sénateur, à votre première Commission sur la téléphonie mobile. Je voudrais simplement faire une remarque très courte pour appuyer ce qu'a dit le Professeur Etienne sur la nécessité de ne pas oublier les incertitudes faute d'arriver à des catastrophes. Nous vivons actuellement une catastrophe financière due au fait qu'on a oublié les incertitudes liées aux modèles financiers. Les modèles de produits dérivés sont des modèles qui marchent à 95 %, ce qui veut dire qu'un jour par an, une Bourse par mois, ça ne marche pas.

Deuxième chose, on a oublié aussi ce qu'a dit le Professeur Aurengo : c'est-à-dire les domaines de validité, ces modèles qui supposent - les spécialistes le savent bien - une volatilité constante. Or vous suivez les cours en Bourse : la volatilité n'est pas constante. Donc, si on ne prend pas en compte les incertitudes et les conditions de validité des conclusions, on court à des catastrophes. Des exemples l'ont montré.

Je voudrais ajouter une autre remarque puisque ici nous sommes entourés de politiques qui sont amenés à prendre des décisions, malgré les incertitudes. Or, s'il existe des incertitudes sur la raison, le motif d'une décision politique qui porte sur la prévention d'un risque, la même incertitude va régner sur les effets de la décision qu'on aura prise. Finalement, on ne saura pas si la mesure de prévention a diminué le risque puisque de toute façon, on ne pouvait pas le mesurer avant, on ne pourra pas plus la mesurer, après. Merci, Monsieur le Président.

Daniel RAOUL

Madame, vous avez la parole.

Catherine LANGUMIER, philosophe plasticienne

Je voulais poser une question liée justement à la précaution. J'aimerai bien revenir sur des choses qui ont été dites concernant la dimension de subjectivité, de reconnaissance des risques. Et pour la départager de l'objectivité, j'aurai deux ou trois éléments à apporter à votre discernement. Les personnes concernées par les champs électromagnétiques se retrouvent dans une situation tout à fait schizophrénique. D'un côté, il y a les résultats de l'impact sanitaire des champs électromagnétiques conçus par les acteurs essentiels de notre société que sont les assurances, les cabinets immobiliers, ou les notaires, qui vous disent que toutes les propriétés qui se trouvent dans un périmètre assez important autour des lignes à Haute Tension, connaissent une dévaluation de 60 % officiellement, mais qui, en réalité, sont invendables. En effet, aujourd'hui toute personne qui veut acquérir une propriété découvre sur Internet que le débat sur l'impact sanitaire des lignes Haute Tension fait rage. Et d'un autre côté, les assurances qui, pour la plupart, on fait passer les dommages liés aux champs électromagnétiques sur les biens et les personnes, dans leurs clauses d'exclusion. Les assurances sont chargées de voir l'avenir, de le prévoir et quand elles trouvent le coût de cet avenir trop élevé, elles font passer ces risques dans des clauses d'exclusion. On a vu, déjà, jurisprudence sur l'amiante, par exemple.

Donc, dans les critères d'objectivation, il y a aussi ce à quoi peuvent accéder les populations concernées, à partir des études indépendantes faites par les experts de la communauté internationale qui n'ont aucun conflit d'intérêt avec les groupes industriels. Ce qui n'est pas forcément le cas des études sur lesquelles on se base aujourd'hui, pour dire qu'il n'y a pas de problème. S'il fallait donner un seul exemple, j'ai entendu tout à l'heure le Professeur Aurengo citer qu'à l'OMS on prône ne pas revoir des normes qui vont jusqu'à autoriser légalement une exposition à des champs électromagnétiques allant jusqu'à 100 microteslas. Quand vous demandez à des médecins « à quoi correspond une incidence de 100 microteslas sur la cellule vivante ? », ils vous répondent que ça créé un dommage thermique qui est irréversible sur cette cellule. Donc, est-ce que cette norme peut servir de protection du public quand on entendait de la bouche même de Monsieur RTE qu'on voyait un rapport entre 0,4 microtesla et les leucémies infantiles ? Voilà, j'arrive à la fin de mon intervention.

La question, quand même, des conflits d'intérêt des experts qui gênent la neutralité, de la même façon d'ailleurs, quand on entendait parler du café comme exemple de produit cancérigène. Mais on aurait pu aussi prendre l'exemple du plomb ou du fioul. Alors, ma question c'est : devant ces incertitudes qui engagent notre avenir comme le disait si justement Monsieur Duby, on en a peut-être assez avec la dette financière, on ne va pas en plus ajouter une dette environnementale et sanitaire à cette dette financière. Ça nous coûterait moins cher de prévoir. Quelles sont les décisions que nous allons prendre pour intégrer dans le coût d'exploitation et de production de l'électricité, les préjudices véritables induits par les champs électromagnétiques ? On entendait, tout à l'heure, dire que ça ferait un contentieux juridique hors coût. Mais la santé, elle, n'a pas de coût.

Isabelle BAUDRY

Je suis une citoyenne lambda. Quand vous parlez d'études épidémiologiques, je voudrais savoir où il faut se renseigner pour connaître les noms des départements où de telles études ont été menées. Parce que je connais plusieurs départements où aucune n'a été faite.

Daniel RAOUL

Monsieur Aurengo pourra sans doute vous répondre.

André AURENGO

En général, les grandes études épidémiologiques, que ce soit une étude comme celle de Dol ou de Draper, ne se limitent pas à un département. Il n'y a pas assez de cas dans un département. Si vous voulez avoir une puissance statistique suffisante, il faut avoir plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de cas. Vous avez vu pour Draper, je vous ai donné le nombre. Pour Dol, c'est une étude qui portait sur 3 000 cas. Donc, limiter à un département, ou à une région, même l'Ile-de-France ne suffirait pas. Dol par exemple, a pris tous les cas de leucémies pendant X années qui sont survenus en Angleterre, au Pays de Galles, en Ecosse et en Irlande du Nord. Même si les études épidémiologiques sont incertaines, elles montrent que si le risque existe, il est très faible. Donc, on recherche quelque chose de très faible. Et il faut avoir une grande puissance statistique et autant que possible, comme on l'a dit plusieurs fois, une très bonne maîtrise, une très bonne estimation de l'exposition. J'ai montré une diapositive, pour répondre à la question que posait Madame tout à l'heure : quand on prend 100 microteslas, c'est déjà avec des normes de sécurité. C'est-à-dire que les seuils d'observation des faits, c'est pour des courants induits de 100 milliampères par mètre carré. Ensuite, on a pris un rapport, si vous voulez, de sécurité de 10. Et donc, on a limité à 10 milliampères par mètre carré pour les professionnels. Encore un rapport 5 pour le public, ce qui aboutissait à 2 milliampères par mètre carré, ce qui correspond à des champs à peu près de 320 microteslas et il y a eu encore un facteur de sécurité dans la manière dont la Communauté européenne a calculé la correspondance, et c'est là qu'on arrive à 100 microteslas. Donc, ce n'est pas à la limite des effets établis.

Daniel RAOUL

Monsieur, s'il vous plaît.

Jean-Charles HERRIAU, coordonnateur de l'enquête « Vivre avec la THT » (CRIIREM)

Je suis un citoyen qui s'intéresse au sujet depuis le débat public sur le projet Cotentin-Maine. J'avais deux choses à dire. D'une part, par rapport à la question de Madame, je pense qu'en France il n'y a pas d'étude épidémiologique d'ampleur qui a été réalisée. Elles sont réalisées à l'étranger. Et l'autre question c'était suite à votre intervention, Monsieur le Président où vous parliez d'un biais. Mais est-ce que le biais, aujourd'hui, ce n'est pas de restreindre l'impact des lignes à Très Haute Tension simplement aux champs électromagnétiques ? Parce que l'étude Draper montre qu'il y aurait des effets au-delà de la zone d'effet des champs électromagnétiques. Il y a d'autres observations qui montrent des personnes en grande souffrance à proximité des lignes à Haute Tension. Donc, ne sommes-nous pas en train de nous focaliser sur un point qui est très essentiel au niveau de la recherche, mais dont il faudrait élargir l'axe de recherche ?

Et quand je reprends votre titre, c'était bien « Ligne à Haute Tension et à Très Haute Tension : quels impacts sur l'environnement ? » Et dans le déroulement de l'ordre du jour, nous en sommes revenus aux champs électromagnétiques uniquement. Alors, il y a sans doute autre chose, mais quoi ?

Daniel RAOUL

Si on se fie simplement aux résultats de l'étude Draper, il y a forcément autre chose, parce qu'on ne peut pas expliquer des effets à 600 mètres uniquement par les champs. Ou bien c'est le paramètre 1 sur D qui fausse tout. Je ne suis pas un spécialiste, mais je crois qu'il y a quelque chose de biaisé. Ou il y a autre chose. Bon, je vous propose de nous arrêter cinq minutes.

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