II. LES PROBLÈMES POSÉS PAR CES ÉVOLUTIONS

Outre les problèmes importants que pose la déformation du partage de la valeur ajoutée en termes d'égalité de revenus (voir plus loin), deux questions essentielles doivent ici être abordées :

- celle de la soutenabilité des conditions de ce partage en termes d'activité économique ;

- celle de la soutenabilité de la coexistence de régimes nationaux différenciés de partage des richesses dans une Union économique et monétaire intégrée.

A. RÉFLEXIONS SUR L'ÉQUILIBRE DU PARTAGE DE LA VALEUR AJOUTÉE

Dans la théorie économique classique, le partage de la valeur ajoutée dépend d'un déterminant fondamental qui est la productivité marginale des facteurs de production : le travail et le capital.

Cette situation est, par ailleurs, optimale puisque chaque facteur est rémunéré selon sa contribution effective à l'activité économique.

Comme cette contribution est normalement stable (elle peut cependant évoluer quand des innovations interviennent) le partage de la valeur ajoutée est relativement stable lui-même 23 ( * ) .

Cette analyse est toutefois perturbée par le constat de déformations historiques du partage de la valeur ajoutée ; en particulier, par l'expérience récente de ces 25 dernières années qui ont vu chuter la part des salaires 24 ( * ) .

Dans l'encadré ci-après on recense les explications possibles d'une telle instabilité.

Le fait saillant qui en ressort est que les effets des équilibres alternatifs sur les marchés des facteurs de production - le marché du travail et le marché financier - n'ont pas tout le pouvoir explicatif attendu du moins quand on les appréhende dans les termes usuels. Pour le dire autrement, la déformation des prix relatifs du travail et du capital n'a pas modifié le partage de la valeur ajoutée dans le sens attendu quand on appréhende ces événements dans les conditions habituelles.

En revanche, lorsqu'on prend en considération les grandes évolutions économiques du moment - la financiarisation et la mondialisation -, les variations de la part des rémunérations dans la valeur ajoutée ressortent comme plus compréhensibles, même si c'est encore sur une base largement hypothétique.

Demeure un problème fondamental : celui de l'acceptabilité des processus de déclin de la rémunération du travail dans les économies européennes.

1. Part des salaires dans la valeur ajoutée, mondialisation et financiarisation

Les explications apportées à la déformation du partage de la valeur ajoutée par les chocs sur les prix des facteurs ne sont convaincantes, en Europe, que mises en perspective avec la mondialisation et la financiarisation de l'économie.

Les différentes analyses avancées pour expliquer la baisse de la part des rémunérations de travail dans la valeur ajoutée et, par conséquent, l'instabilité du partage de la valeur ajoutée, ne rallient pas entièrement l'adhésion.

Toutefois, prises dans le contexte économique actuel, qui, en réalité, prévaut depuis le début des années 80, marqué par la mondialisation et la financiarisation de l'économie, elles ressortent comme plus convaincantes.

Une attention toute particulière a été portée à un fait saillant : le déclin tout particulièrement important de la part des rémunérations versées aux non-qualifiés .

PART DANS LES RÉMUNÉRATIONS DU TRAVAIL
PAR NIVEAU DE QUALIFICATION

On observe, en effet, que ce déclin a été particulièrement prononcé tandis que les emplois très qualifiés ont vu croître leur part de les revenus du travail.

Cette observation a conduit à polariser les explications sur les effets des évolutions technologiques et de la mondialisation sur les bas salaires.

C'est par au moins deux voies que le progrès technologique pourrait avoir pesé sur la part des salaires dans la valeur ajoutée :


• par un effet de substitution entre le capital et le travail dû à leurs prix relatifs ;


• par le changement de nature du progrès technique qui aurait progressivement permis « d'économiser » des emplois non qualifiés et requis davantage d'emplois qualifiés.

Mais, la corrélation entre le niveau relatif du capital et la part des salaires paraît peu solide . En effet, dans de nombreux pays, l'intensité capitalistique a peu évolué alors que la part des salaires dans la valeur ajoutée baissait.

Quant à la mondialisation , l'hypothèse est que l'avènement d'un marché du travail mondialisé pour les non-qualifiés , pèserait sur le niveau de ces emplois, et leur rémunération, dans les pays développés, conformément à la théorie traditionnelle des échanges internationaux (le modèle d'Heckscher-Ohlin-Samuelson) qui veut que les pays se spécialisent selon les avantages comparatifs résultant de leurs dotations et facteurs.

L'effet de la globalisation des économies est robuste selon des récents travaux économétriques 25 ( * ) . Toutefois, cette dernière explication ne rend sans doute pas compte de la totalité de la baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée.

Il reste, en effet, une objection : alors que tous les pays ont été peu à peu confrontés à des changements analogues, les évolutions concernant le partage de la valeur ajoutée ont été très différenciées, entre les trois grandes régions économiques étudiées, et au sein de l'Union européenne.

D'autres pistes doivent donc être explorées, en complément .

En plus de l'hypothèse assez vraisemblable d'une exposition différenciée des pays , notamment des pays européens, à la mondialisation , deux d'entre-elles semblent particulièrement fécondes.

Il paraît d'abord assez établi que le pouvoir de négociation du partage de la valeur ajoutée se soit déplacé au profit des détenteurs du capital . La dépendance financière des firmes envers les épargnants de plus en plus organisés, la concurrence des gestionnaires d'actifs, la généralisation de normes élevées de retour sur investissement... et, en même temps, la persistance d'un chômage de masse en Europe et l'érosion des syndicats et des prestations sociales d'inemploi vont dans le même sens, d'une baisse du pouvoir relatif de négociation du travail face à celui du capital.

Les phénomènes en cause sont plus ou moins facilement maîtrisables par les politiques publiques. Mais, aucun n'est réellement hors de portée de l'action publique, à cette réserve près, qui est capitale, que la plupart des évolutions ici retracées ne sauraient être infléchies efficacement par un seul pays dans un contexte aussi mondialisé que celui qui prévaut aujourd'hui.

Une seconde piste , complémentaire, concerne les effets d'un possible renforcement de certaines positions de marché (rentes) sur les conditions du partage de la valeur ajoutée.

En ce sens, l'une des évolutions sectorielles les plus spectaculaires de ces dernières années a été l'augmentation du poids du secteur financier dans la valeur ajoutée totale des économies occidentales. Or, le poids relatif des profits de ce secteur a encore plus augmenté si bien qu'un pur effet de composition de la production semble en cause dans la déformation du partage de la valeur ajoutée au détriment des salaires.

Une partie de l'accroissement de la part des profits dans la valeur ajoutée s'expliquerait par la montée des profits du secteur bancaire et financier et de leur niveau relatif dans le total des profits.

* 23 Voir l'annexe n° 3.

* 24 A partir d'un point dont il faut rappeler qu'il était particulièrement haut.

* 25 Voir Arnaud Sylvain : part des salaires et mondialisation : une analyse économétrique pour treize pays de l'OCDE, 1970-2002. CEPII. Economie internationale n° 114, 2008-2.

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