4. Une mesure symbolique forte : l'inscription du droit au respect de la vie privée dans la Constitution

Compte tenu des risques et des enjeux précédemment identifiés, il pourrait être intéressant de revenir sur une idée écartée par le comité présidé par Mme Simone Veil : l'inscription du droit au respect de la vie privée dans notre Constitution.

Par lettre datée du 9 avril 2008, le Président de la République a confié à Mme Simone Veil la présidence d'un comité de réflexion chargé de s'interroger sur l'opportunité de compléter les droits fondamentaux reconnus par la Constitution de principes nouveaux, et, le cas échéant, de proposer un texte correspondant à ses préconisations. Dans leur rapport, remis le 17 décembre 2008 au chef de l'Etat, les membres du comité, après avoir entendu un grand nombre de personnalités, se sont déclarés défavorables à une révision du Préambule de notre Constitution.

En ce qui concerne plus particulièrement la question de la reconnaissance du respect de la vie privée et de la protection des données personnelles, le comité a choisi de ne pas recommander l'inscription de ces deux notions dans le Préambule :

§ D'une part, le comité a observé que le droit au respect de la vie privée comme celui à la protection des données à caractère personnel étaient déjà consacrés , non par le texte même de la Constitution ou de son Préambule, mais par deux sources de droit qui s'imposent au législateur : la jurisprudence du Conseil constitutionnel d'une part, les engagements internationaux auxquels la France est partie d'autre part (voir supra ). Le comité est ici resté fidèle à la doctrine de l'effet utile qu'il s'était donnée comme principe et selon laquelle l'inscription d'un principe dans le Préambule ne doit être recommandée que pour autant qu'elle constitue une véritable innovation ou apporte une garantie des droits sensiblement supérieure.

§ D'autre part, le comité a fait valoir que les contraintes propres au processus de révision de la Constitution et de son Préambule pouvaient se révéler inadaptées à certains domaines ou à certaines matières, particulièrement sensibles à une exigence d'adaptabilité de la règle de droit : de ce point de vue, le comité a considéré que la loi était mieux adaptée pour suivre, avec une réactivité suffisante, l'évolution des techniques.

Le comité en a conclu que, considérant l'environnement constitutionnel et international préexistant, la voie législative et jurisprudentielle demeurait la plus efficiente pour assurer le réglage fin de la protection de la vie privée et des données à caractère personnel, et qu'il était préférable de confier au législateur la tâche d'épouser l'évolution des sciences et des techniques et d'assurer, sous le contrôle du juge, la conciliation nécessaire des intérêts et des droits en présence.

Ce faisant, le comité a choisi de ne pas retenir les propositions formulées par M. Alex Türk, président de la CNIL, lors de son audition par les membres du comité le 25 mai 2008 110 ( * ) . Ce dernier avait alors fait valoir que notre sphère privée était aujourd'hui exposée à des risques sans précédents, causés par l'accélération des progrès technologiques et leur diffusion dans un cadre globalisé ainsi que par la recherche d'une sécurité collective toujours plus infaillible. Dans ce contexte, M. Türk avait estimé qu'il serait à la fois logique et pertinent de reconnaître de manière explicite dans notre Constitution le droit au respect de la vie privée et à la protection des données , dont le Conseil constitutionnel avait fait un principe de référence de sa jurisprudence et dont un nombre croissant d'Etats européens reconnaissaient aujourd'hui la valeur constitutionnelle.

Vos rapporteurs ont suivi avec beaucoup d'attention ce débat et souhaitent faire valoir les arguments suivants :

• D'une part, comme ils l'ont exprimé précédemment, ils ont acquis la conviction qu'en ce qui concerne la conciliation entre développement technologique et droits au respect de la vie privée et à la protection des données, ni la loi, ni a fortiori la Constitution ne devraient contenir de dispositions trop rigides, qui risqueraient de se retrouver rapidement dépassées par le développement technologique et d'entraver ce dernier, sinon de rester inappliquées.

• D'autre part, il leur a semblé évident qu'à l'heure où le développement technologique suscite, à juste titre, des craintes de voir se multiplier et s'amplifier les risques d'atteintes à la vie privée, l'inscription de cette notion dans le coeur de notre texte constitutionnel aurait valeur de symbole fort.

A cet égard, vos rapporteurs ne considèrent pas pour leur part qu'il serait utile d'inscrire dans notre Constitution à la fois le principe de respect de la vie privée et le droit à la protection des données à caractère personnel : pour vos rapporteurs, le droit à la protection des données à caractère personnel doit être regardé comme une déclinaison du principe de respect de la vie privée , et non comme un droit autonome et spécifique dont la reconnaissance devrait être élevée au niveau constitutionnel.

Ce faisant, ils rejoignent les arguments développés par les professeurs Yves Poullet et Antoinette Rouvroy dans un article consacré à « l'auto-détermination en tant que concept-clé » 111 ( * ) , lesquels font valoir les éléments suivants : « en plaçant le droit à la protection des données au même niveau que le droit au respect de la vie privée, ne risque-t-on pas d'atténuer l'intelligibilité des fondements des régimes de protection des données - la dignité et l'autonomie individuelle - et de rendre de ce fait plus difficile la tâche du législateur lorsqu'il aura à évaluer et, éventuellement, à revoir les instruments de protection des données au vu des évolutions socio-politiques et technologiques de la société de l'information ? [...] Faire du « droit à la protection des données » un droit fondamental distinct entraîne un autre inconvénient. En effet, cela risque d'atténuer le lien essentiel existant entre le respect de la vie privée et la protection des données et de détacher ainsi la protection des données des valeurs fondamentales de dignité humaine et d'autonomie individuelle, valeurs fondatrices du concept de respect de la vie privée, dans lesquelles les régimes de protection des données trouvent leurs racines ».

En revanche, vos rapporteurs ont acquis la conviction qu' une reconnaissance de la notion de respect de la vie privée par notre Constitution, au même titre que la liberté, l'égalité ou la laïcité, complèterait de façon pertinente notre Loi fondamentale dans un sens conforme aux principes fondateurs de notre ordre politique.

A cet égard, vos rapporteurs tiennent à rappeler que la reconnaissance de la notion de respect de la vie privée figurait dans le projet de loi constitutionnelle portant révision de la Constitution du 4 octobre 1958 et relatif à l'organisation des pouvoirs publics adopté en Conseil des ministres le 10 mars 1993. Ce projet avait été déposé sur le Bureau du Sénat mais n'avait jamais été inscrit à l'ordre du jour par le Gouvernement issu des élections de mars 1993. Or, ce projet de loi constitutionnelle prévoyait d'inscrire expressément la notion de respect de la vie privée dans le texte de l'article 1 er de notre Constitution 112 ( * ) .

A l'heure où le développement des nouvelles technologies soumet la notion de respect de la vie privée à un certain nombre de défis, vos rapporteurs considèrent que la reprise d'une telle disposition parait essentielle.

Recommandation n° 15 : Inscrire dans notre texte constitutionnel la notion de droit au respect de la vie privée.

*

* *

Au cours de leur réflexion, probablement parce qu'ils étaient chaque jour plus avertis des évolutions technologiques et de leur impact sur la vie privée des consommateurs et utilisateurs d'Internet, vos rapporteurs ont mesuré l'absolue nécessité d'encadrer plus strictement l'utilisation des outils numériques.

Sans nier ni rejeter en aucune façon ces outils dont l'existence et le développement sont incontournables et, au demeurant, porteurs de progrès, ils se sont attachés à relever l'extrême vigilance qui doit accompagner leur évolution dans un contexte non seulement national mais international.

La mondialisation actuelle des flux d'informations emporte l'obligation d'une harmonisation des politiques et des procédures en la matière, dans le respect absolu des principes fondateurs de la protection des données personnelles.

L'enjeu primordial de ce nouveau siècle est bien celui du respect de la dignité humaine.

Réunie le mercredi 27 mai 2009, la commission a autorisé la publication du présent rapport .

* 110 Son intervention est reproduite en annexe du rapport du comité, lequel est disponible en accès libre sur le site Internet de la Documentation française.

* 111 En cours de publication.

* 112 Le projet de loi constitutionnelle prévoyait de compléter l'article 1 er de la Constitution par la phrase suivante : « Elle [la France] assure le respect de la vie privée et de la dignité de la personne ».

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