2. La tutelle : Quai d'Orsay versus Rue de Valois ?

La transformation de l'association CulturesFrance en EPIC vise à consolider sa souplesse de gestion, dans le respect des règles de la comptabilité publique, tout en responsabilisant l'opérateur vis-à-vis de l'administration centrale . Il reviendra à cette dernière de définir clairement les orientations stratégiques censées donner une pleine portée au contrat d'objectifs et de moyens liant la future agence à l'État.

Les statuts de l'association, approuvés par arrêté du 1 er juin 2007, établissent pour l'heure sa double tutelle par les ministères des affaires étrangères et de la culture : elle est ainsi administrée par un conseil d'administration de 22 membres, dont sept représentants du ministère des affaires étrangères, trois représentants du ministère de la culture et douze personnalités qualifiées. Ces deux ministères comptent chacun un vice-président de l'association.

À l'heure actuelle, la question de la tutelle du futur établissement public en charge du rayonnement culturel de la France à l'étranger ne fait l'objet d'aucun consensus.

En tout état de cause, quelle que soit l'hypothèse retenue pour la tutelle de l'agence, un espace de discussion interministériel devra être aménagé afin de coordonner l'action et mutualiser les moyens des différents départements ministériels concernés.

Avant de se prononcer pour l'une ou l'autre des hypothèses de tutelle, vos deux commissions ont souhaité récapituler les différents arguments avancés aussi bien par les partisans de la double tutelle que par ceux défendant l'exclusivité de la tutelle au profit du ministère des affaires étrangères.


• De nombreux rapports plaident pour un rapprochement des échanges artistiques, coeur de métier de l'association CulturesFrance , et la gestion du réseau culturel français à l'étranger. Ils défendent, en conséquence, le maintien d'une double tutelle du futur établissement public entre le Quai d'Orsay et le ministère de la rue de Valois.

La proposition de loi de M. Louis Duvernois consacre la légitimité de cette double tutelle : elle va dans le sens d'un renforcement de la dimension interministérielle de l'action culturelle extérieure, déjà illustrée par le fait que le dernier contrat d'objectifs et de moyens liant l'opérateur à l'État, conclu le 2 mai 2007 pour la période 2007-2009, a été signé par les deux ministères.

La proposition de loi déposée M. Adrien Gouteyron va dans le même sens, puisqu'elle tend à créer à partir de CulturesFrance une « agence interministérielle » en charge du rayonnement de la culture et de la langue françaises, appelée à mettre en oeuvre à l'étranger « la politique de soutien à la francophonie et de promotion de la culture française définie conjointement par le ministère chargé de la culture et le ministère chargé des affaires étrangères ».

Les deux ministères seraient ainsi placés sur un pied d'égalité en matière de définition du pilotage stratégique du futur établissement public.

À l'appui du maintien de cette double tutelle, il peut être rappelé que la Cour des comptes, dans son audit conduit en 2006 sur la gestion passée de CulturesFrance, a clairement appelé de ses voeux au renforcement de la présence du ministère de la culture dans le fonctionnement de CulturesFrance, présence qu'elle estime « essentielle car ses différentes directions et délégations disposent de moyens d'expertise efficace dans le domaine culturel ». La Cour constatait, néanmoins, que le faible niveau de participation financière de ce ministère (moins de 20 % du budget primitif de l'association) limite de façon significative la portée de son engagement.

En conséquence, la Cour avait jugé « souhaitable de renforcer dans la structure nouvelle la contribution du ministère de la rue de Valois, notamment s'agissant des actions menées par l'AFAA sur le territoire national », relevant que va dans ce sens « la décision prise par le ministère de la culture de transformer en délégation ayant le rang de direction le service à vocation internationale dont il s'est doté de longue date, délégation qui consacre plus de 10 % de son budget [évalué à 19 millions en 2006] , soit 2 millions d'euros, au financement de l'AFAA ».


• Toutefois, la perspective du maintien de cette double tutelle ne recueille pas l'unanimité. Dans une note sur le statut et l'avenir de CulturesFrance en date du 15 novembre 2008, M. Thierry Le Roy, conseiller d'État, estime que « la démarche de renforcement de la tutelle s'accommoderait mal du maintien d'une dualité qui n'est, au demeurant, pas nécessaire au maintien des relations professionnelles courantes avec le ministère de la culture ». En conséquence, il se prononce en faveur d'une tutelle exclusive du ministère des affaires étrangères sur le futur EPIC.

Lors de son audition au Sénat, M. Christian Masset, directeur général de la mondialisation, du développement et des partenariats, a également considéré que la cotutelle était un système qui fonctionnait moins bien qu'une tutelle unique.

Dans le même ordre d'idées, M. Jean-Claude Jacq, secrétaire général de la Fondation Alliance française, s'est également prononcé en faveur d'une tutelle unique, de préférence celle du ministère des affaires étrangères et européennes car l'expérience montre que l'existence de plusieurs tutelles ministérielles aboutit en réalité à une absence de tutelle.

M. Oliver Poivre d'Arvor a de même estimé que le Quai d'Orsay était l'autorité la mieux placée pour exercer le pilotage principal en matière d'action culturelle extérieure.

Il semble établi que la légitimité et le poids de chaque administration centrale dans la définition de la stratégie culturelle extérieure seront, en partie, fonction du niveau de sa contribution financière au fonctionnement du futur établissement. À cet égard, le président de l'association CulturesFrance, M. Jacques Blot, soutenait que la tutelle du ministère de la culture serait davantage légitime si celui-ci apportait une contribution substantielle à son fonctionnement, à la fois en termes financier et de commandes.

Rappelons que le ministère de la culture contribue à hauteur de 2 millions d'euros au budget de CulturesFrance, alors que la subvention du ministère des affaires étrangères est de l'ordre de 20 millions d'euros.

Dans ces conditions, bien que l'association CulturesFrance soit formellement soumise à une double tutelle, c'est bien, en pratique, le seul ministère des affaires étrangères qui en exerce la tutelle.


• La définition des responsabilités concrètes qu'emporte l'exercice de la tutelle, ainsi que l'identification au sein de chaque ministère des services chargés de cette tutelle, entrent également dans le champ de la réflexion. Il semble acquis, a priori , que la tutelle sur les opérateurs doit s'entendre comme la définition des orientations stratégiques de la politique qu'ils doivent mettre en oeuvre. Cela suppose de réserver à la future agence et au réseau culturel déconcentré la charge des tâches strictement opérationnelles et d'exécution.

Notre collègue Yves Dauge, dans son « Verbatim de la session du Haut conseil de la coopération internationale du 19 mars 2008 », déplorait que l'ancienne direction générale de la coopération internationale et du développement (DGCID) du Quai d'Orsay soit absorbée de façon excessive par des tâches de gestion quotidienne qui finissaient par masquer son rôle principal de direction stratégique.

Dans le cadre de l'ancienne DGCID, l'action culturelle extérieure avait traditionnellement été envisagée comme un volet parmi d'autres des problématiques plus larges de soutien au développement économique et politique. C'est précisément dans la logique du renforcement d'une diplomatie d'influence envisagée dans sa globalité que s'est inscrit le rapprochement de la DGCID et de la direction des affaires économiques du Quai d'Orsay au sein d'une direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats .

Toutefois, vos deux commissions relèvent que la nécessité de lier systématiquement économie, développement, sciences et culture n'a pas soulevé de consensus au sein de la commission du Livre blanc dont les membres étaient partagés entre deux visions :

- d'une part, certains estimaient pertinent de fondre culture et économie au sein d'une direction des affaires globales, en particulier dès lors que la mondialisation est de plus en plus appréhendée sous l'angle de la compétition dans le domaine de l'économie de la connaissance ;

- d'autre part, certains considéraient, au contraire, que la coopération en matière de développement et l'action culturelle constituaient deux sphères d'intervention autonomes, soulignant à ce titre qu'il existait une spécificité des questions culturelles liée à la nature même de la commande artistique et que les biens culturels faisaient précisément l'objet d'un traitement spécifique dans le cadre de la mondialisation commerciale.

La détermination des autorités de tutelle est donc directement liée à la redéfinition des contours de notre politique de coopération culturelle et technique, partagée entre la volonté de faire émerger une diplomatie d'influence au sein de laquelle le culturel n'est qu'un levier (certes important) parmi d'autres, et la nécessité de conserver une action culturelle identifiable en tant que telle .

Par ailleurs, vos deux commissions ont relevé que le ministère de la culture s'est employé, ces dernières années, à asseoir la légitimité administrative et politique de ses instruments d'action internationale . Le département des affaires européennes et internationales , placé jusqu'en 2003 sous la responsabilité du cabinet, s'est vu rattaché à la délégation au développement et aux affaires internationales (DDAI), afin de développer des synergies avec les autres services de l'administration centrale du ministère de la culture. Ce département a vocation à devenir, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, une sous-direction des affaires internationales intégrée au sein d'un service des affaires juridiques et internationales, sous l'autorité d'un secrétariat général renouvelé. Cette sous-direction devrait avoir la charge de coordonner l'action internationale des différentes directions administratives comme celle des multiples établissements publics placés sous la tutelle du ministère.

Dans son rapport, M. Bernard Faivre d'Arcier estime qu' « il y a donc lieu de considérer les activités culturelles en propre », c'est-à-dire de « n'en faire ni un sous-produit de l'activité diplomatique, ni une activité accessoire que l'on traite en fin de réunion ».

Il ajoute, plus loin, qu' « une direction chargée de définir les objectifs stratégiques de la mondialisation doit s'entourer de personnalités hautement qualifiées dans le domaine culturel, comme ont su le faire le Royaume-Uni et l'Espagne, par le moyen de conseils consultatifs qui ne se contentent par d'être des structures prestigieuses de parrainage, mais qui soient aussi le lieu de débats qui placent la culture au même niveau que la diplomatie ».

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page