B. ÉTABLIR DE NOUVELLES RELATIONS ENTRE ÉLEVEURS ET ACHETEURS

1. La situation actuelle

a) Les rapports producteurs/acheteurs aujourd'hui

Il a été évoqué (II B 2. Les acteurs du marché) le rapport entre producteurs et acheteurs. Pour schématiser, on compte en moyenne un acheteur pour 100 producteurs. Ce rapport peut aller jusqu'à 1 à 1 000, voire 1 à 10 000 pour les grandes laiteries et/ou transformateurs. Mais ce seul déséquilibre est à lui seul insuffisant pour mesurer le vrai rapport de force entre producteurs et acheteurs, qui mêle une sorte de paternalisme et d'intimidation.

Les contacts entre les deux sont très étroits. La collecte a lieu une fois tous les deux jours. L'industriel vient « relever » les « tanks » réfrigérés qu'il met à la disposition de l'éleveur (la traite a lieu deux fois, voire trois fois par jour). En France, cette proximité est doublée par une curiosité commerciale. Les ventes de lait se font par contrat oral. Il n'y a pas de contrat écrit. Mieux : la facture est rédigée par l'industriel : en d'autres termes, le vendeur reçoit une facture établie par l'acheteur ! L'éleveur est à la fois dans sa logique paysanne, à l'ancienne, avec le contrat oral, et dans une logique de « feuille de paye », comme un salarié ordinaire.

Cette relation du quotidien n'est pas équilibrée. Elle l'est d'autant moins que, d'une part les éleveurs doivent vendre leur lait, qui ne se conserve pas et que dans les faits, tous les acheteurs de lait se connaissent et, s'ils sont concurrents, sont aussi soudés par une solidarité de métier. L'hypothèse peut être émise de possibles « listes noires » contre des producteurs jugés indélicats. Comme, par exemple, un éleveur livrant son lait en Espagne lorsque les prix sont plus élevés qu'en France et qui peine à retrouver des acheteurs en France lorsque le marché espagnol s'est fermé, ou bien encore des sanctions inavouées à l'encontre des producteurs casseurs ou établissant des points de vente sauvages sur les parkings de grandes surfaces... La profession regorge d'anecdotes - non vérifiées - de ce type.

Jusqu'en 2008, cette « négociation » entre producteurs et laiteries était toutefois encadrée par des recommandations d'évolution des prix du CNIEL (Centre national interprofessionnel de l'économie laitière) et par un encadrement des productions : les quotas laitiers.

b) La fin programmée des quotas laitiers

L'abandon des quotas laitiers a été décidé en 2003 et programmé par les conclusions du bilan de santé fin 2008. La chute du prix du lait était alors déjà amorcée mais sans atteindre les niveaux de mars/avril 2009. Mais l'effondrement du prix du lait ne modifie en rien la position des États membres. La question a été posée aux représentants de tous les États de l'Union européenne. La réponse est catégorique. Nulle part la crise n'a modifié la position officielle des États membres sur les quotas. Il y a bien les partisans d'un maintien des quotas, en l'état, des partisans d'une augmentation des quotas, assez généreuse, soit pour développer un potentiel de production (Pologne), soit pour éviter une chute brutale des prix au moment de l'abandon des quotas (Irlande), et les partisans d'un abandon des quotas. Les décisions adoptées en 2008 ne seront pas modifiées par la crise du lait.

La France avait un allié crucial sur ce thème, mais le rapprochement franco-allemand sur ce point ne doit pas faire illusion. La position allemande, présentée supra - page 27-, peut être ambiguë au départ, l'est de moins en moins. « Les ministres des länder se sont réunis le 29 mai 2009, et n'ont pas décidé d'inflexion de leur position sur les quotas laitiers : fin des quotas en 2015 ». D'ailleurs, il n'est pas dans l'habitude allemande de revenir sur des décisions adoptées.

Les éleveurs français, très majoritairement favorables au maintien du système actuel, ne doivent pas se leurrer. Certes, la crise actuelle doit entraîner une réflexion sur la régulation du marché. Mais il est à craindre que les seuls « rapports d'étape » rédigés par la Commission en 2010 et 2012 ne suffisent pas à faire revenir l'Union européenne sur ce choix collectif. Selon toute vraisemblance, les quotas disparaîtront en 2015. Même s'ils étaient conservés, les éleveurs devraient se préparer comme s'ils disparaissaient.

c) Le nouveau cadre légal de formation des prix en France

Jusqu'en 2008, le cadre général de détermination du prix est « une recommandation » d'évolution de prix fixé par le CNIEL (Centre national interprofessionnel de l'économie laitière) qui réunit les trois parties prenantes du marché à savoir la fédération des producteurs de lait et les deux fédérations de transformateurs (les coopératives et les industriels). Cette recommandation nationale valable pour 3 mois était déclinée au niveau régional au sein des CRIEL (Centres régionaux de l'interprofession de l'économie laitière). Les ajustements locaux se faisaient sur la qualité (bilan MG/MP), ainsi que sur la prise en compte d'éventuelles spécificités type AOC...

En avril 2008, ce régime, qui fonctionnait depuis dix ans, a été critiqué par la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) considérant que le système contrevenait aux règles de la concurrence fixées par l'article 81 du traité de Rome. La DGCCRF a adressé une injonction au CNIEL afin de faire cesser ces pratiques anticoncurrentielles. La critique portait sur une entente verticalo-horizontale puisqu'il y avait à la fois une association producteurs/fabricants, une concentration de la demande (des acheteurs), et de troublantes similitudes dans les achats des grands groupes.

Le système de recommandation nationale a été modifié fin 2008 par la loi de finances pour 2009. Le dispositif, codifié à l'article L632-14 du code rural, consiste à remplacer le système antérieur de « recommandation » par l'élaboration d' indices (élaborés par le CNIEL) et de valeurs (élaborées par les CRIEL), censés constituer des éléments objectifs qui peuvent servir de base à l'établissement du prix du lait.

Ainsi, l'interprofession laitière reste compétente pour établir des bases statistiques, des comparaisons pertinentes (par exemple, l'évolution des charges des producteurs, le prix de la poudre de lait, le différentiel entre le prix de l'emmenthal et du cheddar) mais la négociation des prix est libre.

Cette limitation du rôle du CNIEL est censée mettre un terme aux critiques d'entente. A priori, toute critique concernant l'entente verticale (producteurs-fabricants) n'a plus de fondement. Au contraire, l'abandon du système de recommandation, associé au maintien de pratiques commerciales très traditionnelles, a accentué la dépendance des producteurs à l'égard des fabricants. Une fois le lait produit, il doit être acheté. Ainsi, dans les faits, le prix est fixé par le fabricant.

Ce pouvoir des fabricants est même accru en temps de crise. En période de tension sur le marché, c'est-à-dire en cas de forte demande de produits laitiers, les fabricants ont intérêt à négocier les prix afin de ne pas acheter trop cher. La négociation est équilibrée car chaque partie à intérêt à s'entendre. Quand la demande baisse, les fabricants bénéficient d'un avantage réel : les producteurs n'ont pas le choix, doivent vendre leur lait, et, de plus, ce sont les fabricants qui font leurs factures ! Ainsi, les producteurs constatent, sans être prévenus, que les prix ont baissé, d'un trimestre à l'autre, de 10, 20, 30 % !... Les producteurs sont dans une dépendance économique totale. Il y a aujourd'hui 40 000 prix du lait différents. Le système des indices fonctionne convenablement en période de petit temps mais est inadapté en période de tempête et de retournement brutal.

Le cas des ententes horizontales entre fabricants (acheteurs) reste posé.

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