2. La piste de la contractualisation

La profession laitière, pas plus qu'une autre, ne peut vivre dans cette instabilité meurtrière. La volatilité des prix est excessive et le sera d'autant plus que la régulation physique de l'offre, au niveau européen par les quotas sera vraisemblablement abandonnée. Certes, le marché opère cette régulation, mais toujours à contretemps et à quel coût !

L'idée d'une contractualisation est celle d'une régulation privée, entre producteurs, regroupés en organisations de producteurs - OP - et acheteurs, avec des engagements de prix et de quantités. Des sortes de quotas professionnels à prix garantis. Mais privés. Une formule de contrats privés qui se substituerait au régime administré des quotas publics, régime perçu par les éleveurs français comme une sorte de contrat moral public.

Sur le plan juridique, quelle est la possibilité de contractualiser dans ces domaines ? L'intervention de la DGCCRF en 2008 auprès de l'interprofession laitière montre la grande vigilance des pouvoirs publics à l'égard du respect des règles de concurrence. Pourtant, en dépit de cette alarme sérieuse, il semble que la possibilité d'accords professionnels soit ouverte, dans les conditions fixées par l'article 81 du traité CE.

Article 81 du traité CE

Les règles de concurrence
Section 1

1.  Sont compatibles avec le marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, et notamment ceux qui consistent à  (...)

a) fixer de façon directe ou indirecte des prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction ;

b) limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements,

2. Toutefois, les dispositions du paragraphe 1 peuvent être déclarées inapplicables à toute pratique concertée ou catégorie de pratiques concertées qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits.

Sur le plan politique, quelle est la situation au niveau communautaire ? Plusieurs États membres sont satisfaits de leur mode de fixation des prix qui n'est d'ailleurs pas toujours éloigné de ce concept de contractualisation. Certes, les contrats entre producteurs et livreurs sont des contrats privés et non des contrats professionnels. Toutefois, quand l'acheteur est une laiterie qui occupe 80 ou 90 % du marché, comme c'est le cas aux Pays-Bas par exemple, l'accord « privé » est de fait, un accord « professionnel ».

Néanmoins, la fiction des relations contractuelles individuelles demeure. Ces États, satisfaits de leurs procédures, n'on en vérité aucune raison d'en changer.

Enfin, sur le plan technique, même s'il est a priori plutôt attractif, le concept doit être accueilli avec une certaine prudence.

Les questions techniques sont nombreuses. Contrat type ou contrat individuel ? Contrat local, régional, national, rendu obligatoire par l'État membre - une spécificité française parfaitement incompréhensible pour tout autre État membre. Sur quelle durée, dans quelle fourchette de prix ? Sur quelles quantités ? L'étude précise fera remonter les difficultés... et les pièges.

Aujourd'hui, les deux parties - producteurs / acheteurs - sont déséquilibrées. L'équilibre sera-t-il rendu meilleur par la contractualisation, fut-elle professionnelle et régionale ? D'ailleurs, qui a le plus intérêt à contractualiser ? Les producteurs qui peuvent avoir ainsi une visibilité des prix et des quantités. Certes. Mais sur des prix et des quantités négociées avec l'acheteur. Aujourd'hui, la laiterie achète en pratique tout le lait porté par le producteur. Il utilise et transforme le lait pour ses propres produits finis, et gère les éventuels surplus comme il peut, en transformant le lait en poudre quand il y a un marché, voire en jetant le lait, comme c'est arrivé en début d'année chez un grand fabricant. Mais il va de soi que la contractualisation change les choses. L'acheteur ne s'engagera que sur la seule quantité qu'il est certain d'écouler.

L'accord se fera donc sur une quantité minimale. Les prix seront peut-être un peu plus élevés mais sur des quantités, qui elles, seront réduites. L'excédent restera « hors contrat », c'est-à-dire en réalité sans prix. L'excédent serait alors acheté au « meilleur prix », c'est-à-dire, bien entendu au prix le plus bas.

Une solution envisagée pour inciter à cette contractualisation serait l'incitation budgétaire. De même que les DPU actuels sont subordonnées au respect de règles d'écoconditionnalité, on peut imaginer que les aides du second pilier seraient majorées voire seraient subordonnées à leur tour à la conclusion de contrats laitiers professionnels. Cette hypothèse fragilise toutefois le producteur en le mettant en état d'infériorité puisqu'il y a davantage besoin d'un contrat pour continuer à bénéficier des aides européennes que l'acheteur.

On le voit, la voie de la contractualisation peut s'avérer délicate à mettre en oeuvre. Néanmoins, la régulation privée entre entreprises de transformation et agriculteurs réunies en organisations de producteurs donnerait un cadre utile à tous. Le mécanisme serait moins rigide que celui des quotas et serait ouvert aux évolutions des prix et de la demande mondiale.

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