C. LA SITUATION DANS LES NOUVEAUX ÉTATS MEMBRES

L'adhésion de nouveaux États membres (NEM) en deux vagues (2004 et 2007) a mêlé de part et d'autre, c'est-à-dire tant chez les anciens États membres que chez les nouveaux, appréhensions et espoirs. Y aurait-il de nouvelles concurrences ou de nouveaux marchés ? Une disqualification des productions ou leur restructuration ? Un coût pour la PAC ou une occasion de démontrer son utilité ? En fait, il y eut tout à la fois. La crise des prix ne fait qu'ajouter une secousse supplémentaire à un secteur déjà ébranlé par les effets de l'adhésion.

1. Les effets de l'adhésion sur le secteur laitier

a) Les caractéristiques des nouveaux États membres

L'importance du secteur agricole dans les nouveaux États membres (NEM), en particulier dans les pays d'Europe centrale et orientale (PECO) - qui excluent Chypre, Malte et les États baltes - est bien connue (5 ( * )). Comme dans le reste de l'Union européenne, tous les pays sont producteurs de lait, du plus modeste, avec des productions inférieures à 1 million de tonnes, aux plus importants. La Pologne est le cinquième producteur européen et représente près de la moitié de la production et de la collecte de lait dans les NEM. Les douze NEM comptaient à la veille de leur adhésion 2,6 millions d'exploitations laitières.

Cette disparité et cette concentration des productions sur quelques États membres sont générales en Europe. En revanche, les NEM présentent deux spécificités. Il y a, d'une part, une très forte hétérogénéité dans les structures d'exploitation. Les NEM vivent dans le double héritage de l'agriculture de subsistance et de l'agriculture collectiviste. À une extrémité, la Roumanie où 95 % des exploitations n'ont qu'une à deux vaches. À l'autre, la République tchèque, habituée aux grandes fermes collectives.

D'autre part, les NEM ont pour caractéristique de garder des modes de commercialisation très traditionnels. Nulle part mieux que dans les NEM, la distinction s'impose entre production et collecte. Tandis que la quasi-totalité des productions dans les Quinze est livrée à des laiteries, ce n'est pas le cas dans les NEM qui comptent beaucoup d'autoconsommation et de ventes directes aux consommateurs (voisinage, marchés...). En Roumanie, par exemple, le circuit de collecte est encore plutôt archaïque. Tandis qu'en Europe de l'ouest, la laiterie vient chercher le lait chez le producteur, conservé dans des « tanks » réfrigérés, les petits producteurs roumains amènent par leurs propres moyens leur lait dans les points de collecte après chaque traite.

Production/collecte de lait dans les NEM (2007-2008)

Production (en millions de litres)

Collecte (en millions de litres)

% de collecte par production

Nombre de vaches par exploitation

Pologne

12,1

8,8

72,3 %

4,3

Rép. tchèque

2,7

2,4

90,6 %

74,0

Hongrie

1,8

1,5

78,6 %

21,8

Lituanie

1,9

1,3

70,0 %

3,2

Roumanie

5

1,1

22,7 %

1,6

Autres

4,3

3,5

81,0 %

ns

Total NEM

27,8

18,6

67,0%

ns

Total UE

148,0

134,0

90,0%

9,8

Dans ces conditions et pour beaucoup de nouveaux entrants, l'adhésion relevait aussi du défi.

Trois pays avaient un potentiel laitier : la Pologne, qui avait le cheptel le plus important, la Hongrie qui avait les rendements les plus élevés, et la République tchèque, qui avait de grandes exploitations et un bon potentiel de produits transformés.

Le premier impact attendu était l'augmentation des productions laitières, non seulement en raison du gros potentiel de certains États membres, mais aussi en raison de l'effet aspirant des prix communautaires dans la plupart des cas supérieurs aux prix nationaux. La hausse rapide du prix du lait était une incitation forte à la production. À condition, bien entendu, que les quotas soient fixés en conséquence et n'entravent pas le développement attendu et espéré des producteurs. La restructuration des exploitations était un autre challenge. Chacun pouvait comprendre que, en dépit de coûts de production faible, les « fermes » de une (en Roumanie) à trois ou quatre vaches (en Lituanie et en Pologne) étaient très éloignées du modèle européen de production et des conditions sanitaires exigées. L'adhésion ne pouvait qu'être anxiogène pour beaucoup d'éleveurs d'Europe de l'Est.

Pourtant, la principale difficulté de l'adhésion était ailleurs et d'ordre financier. Les NEM gardent aussi en mémoire l'accord agricole qui, certes, permit leur adhésion, mais qui n'a jamais été vraiment « digéré » par une partie de la population. Il faut rappeler en effet que le montant des aides agricoles européennes attribuées aux NEM fut le noeud de la négociation d'adhésion. Les nouveaux entrants revendiquaient l'application immédiate, pleine et entière, du régime des aides directes du premier pilier, introduit en 1992, tandis que d'autres États rappelaient que ces aides aux revenus avaient été attribuées pour compenser une baisse des prix et que, par conséquent, ne pouvaient s'appliquer à la situation présente puisque, en l'espèce, les prix communautaires étaient plus élevés que les prix locaux. Deux logiques défendables mais contradictoires. Le noeud se dénouera finalement par l'accord conclu au Conseil européen de Bruxelles les 24 et 25 octobre 2002, au terme duquel le principe de l'attribution des aides directes aux NEM fut retenu, mais serait appliqué de façon progressive, selon la procédure dite de « phasing in » : 35 % du montant théorique en 2006, 40 % en 2007, puis une augmentation de 10 % par an pour atteindre le taux plein, 100 % en 2013.

Même si ces aides directes entraînaient une augmentation du niveau de vie très supérieure à la moyenne de leur pays, les agriculteurs des NEM ont toujours considéré cet accord comme une injustice et une humiliation. Certains députés européens se font forts de rappeler que les agriculteurs des NEM perçoivent la moitié de ce que perçoivent les autres agriculteurs européens. On rappellera que ce régime différencié sera supprimée en 2013.

b) Les effets de l'adhésion

L'adhésion s'est accompagnée d'une restructuration des élevages avec une amélioration rapide des rendements, grâce notamment à la généralisation des machines à traire et la restructuration des exploitations. Même si le cheptel moyen polonais est très faible, la Pologne compte aussi quelques très grosses exploitations, fabriquant plus d'un million de litres, dirigées par des managers étrangers.

La restructuration des exploitations dans les NEM Évolution sur cinq ans

Nombre d'exploitations 2004-2008

Cheptel 2003-2007

Rendement 2003-2007

Collecte 2003-2007

Nombre moyen de vaches 2004-2008

Pologne

-40%

-5%

+12%

+12%

3,3 4,3

Rép. Tchèque

-13%

-9%

+23%

-6%

55 74

Hongrie

-28%

-14%

+10%

-16%

13 22

Lituanie

-43%

-10%

+20%

+31%

2,3 3,2

Source CNIEL - L'économie laitière 2009

Mais c'est surtout sur la transformation de produits laitiers que l'adhésion a eu le plus d'impact, avec une arrivée massive d'investisseurs ouest-européens, poussés par l'euphorie industrielle qui a accompagné l'élargissement, par le potentiel d'un marché en expansion, tant pour les produits fabriqués localement que pour des produits industriels de moyenne gamme fabriqués en Europe de l'ouest, et enfin par des perspectives commerciales à l'exportation. Le phénomène a été très visible. La présence étrangère est particulièrement forte en Roumanie, avec Danone et Lactalis (France) et plusieurs groupes hollandais (Friesland), allemand (Hockland), grec (Bronac pour la fabrication de la feta) et même israélien (TNUVA). De même, les principaux groupes laitiers français sont présents en Pologne : Danone, Lactalis, Bongrain, Bel, Entremont ... Cette implantation, démarrée à la fin des années 90, a entraîné la modernisation de la filière et un changement d'orientation des productions, avec une diminution du lait liquide, consommé localement, et un développement des productions fromagères et des productions d'exportation. En Pologne, le montant des exportations de produits laitiers a triplé en cinq ans (2003 à 2007) et représente plus d'un milliard d'exportations, 850 millions d'excédent commercial. Les produits laitiers constituent le poste agro-alimentaire le plus important du commerce extérieur polonais.

* (5) L'agriculture emploie 6,5 millions de personnes représentant 8 % de la population active (jusqu'à 17 % et 32 % en Pologne et en Roumanie) et 3,5 % de la valeur ajoutée totale (jusqu'à 12 % en Roumanie).

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