B. LA SITUATION DANS LES 15 ANCIENS ÉTATS MEMBRES

L'ancienne Union européenne (UE) à Quinze compte de très grands producteurs laitiers : l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l'Italie. Bien entendu, la baisse des prix est générale, mais avec des différences sensibles entre États membres, avec par exemple une baisse décalée en France par rapport aux autres États membres (résultat du système de fixation des prix, en vigueur jusqu'à la fin 2008), une baisse considérable pour certains pays ouverts aux marchés internationaux (Irlande), une baisse parfois accélérée par un phénomène de contagion quand un pays ou une région d'un État membre est limitrophe d'une région d'un autre État membre où la baisse est plus sensible (cas de certaines régions d'Allemagne et de l'Irlande du Nord).

Au-delà des chiffres et au terme du tour d'information réalisé auprès des services économiques des Ambassades de France dans les pays de l'UE comme auprès des services agricoles des ambassades des États membres à Paris, il semble que la crise soit perçue de façon assez différente selon les États. La crise affecte tous les États, le malheur est partout, car dans la plupart des pays, les prix du marché ne couvrent pas les coûts de production. Mais la réponse est variable. Dans quelques États, la crise est perçue comme un mauvais moment, avant le rebond généralisé. Une péripétie et même une opportunité pour devenir plus compétitif encore. Ailleurs, la colère est grave. De nouvelles solidarités se forgent dans l'épreuve et les manifestations de dimension européenne sont des appels politiques qui doivent être écoutés.

Quelques situations particulières peuvent être évoquées.

Allemagne - Les prix ont évolué comme suit: 27,3 €/100 kg en 2006, 33,4 € en 2007, 33,8 € en 2008, 23,5 € en avril 2009. Entre le pic atteint en novembre 2007 (41,6 €) et avril 2009, la chute est de 43,5%. Elle est globalement plus forte qu'en France et affecte les différentes régions de façon différenciée. L'Allemagne est un pays fédéral. Chaque land a son propre gouvernement et son ministre de l'agriculture. Il y a un fort sentiment régional mais avec beaucoup d'écarts - de compétitivité, de sensibilité - entre régions. Les nouveaux länder paraissent exposés aux concurrences d'Europe centrale. Certaines laiteries ont installé des établissements à la frontière tchèque, destinés à la consommation allemande. Des contacts similaires ont été pris en Pologne.

On pourra observer que les écarts de prix entre länder se sont réduits pendant la crise, contrairement à la France (voir tableau page suivante).

Concernant la fixation des prix, il n'y a pas de tradition de fixation de prix du lait par accord interprofessionnel comme en France. Il n'y en a jamais eu. Cela est interdit. Les négociations se font laiteries par laiteries, avec des contrats de livraison très longs, de plusieurs années (en moyenne de deux ans). Chaque laiterie discute avec ses producteurs. Ainsi, une grande laiterie avec des marchés à l'exportation doit s'aligner sur le marché mondial (c'est le cas des grandes coopératives du nord et les prix les plus bas sont ceux du land de Schleswig-Holstein) tandis qu'une laiterie qui a des produits de niche avec une bonne valorisation (comme en Bavière par exemple) a plus de possibilités de s'affranchir des conditions mondiales.

Concernant les quotas, la position allemande est ambiguë. La Bavière soutient le maintien des quotas, mais pas le reste de l'Allemagne. La ministre fédérale de l'agriculture, Mme Aigner, d'origine bavaroise, a défendu la non-augmentation des quotas laitiers lors du bilan de santé. En septembre 2009, lors du changement de gouvernement, rien ne dit que l'Allemagne reprendra un ministre bavarois. Le premier land agricole allemand, la Basse-Saxe, est totalement en faveur de l'abandon des quotas laitiers. Les ministres de l'agriculture des länder se sont réunis le 29 mai 2009 et n'ont pas décidé d'inflexion de leur position sur les quotas laitiers : fin des quotas en 2015 et distribution des quotas supplémentaires aux éleveurs. (source : mission économique en Allemagne).

France - La France est dans une situation moyenne : un niveau de prix moyen et une baisse dans la moyenne des baisses constatées dans les autres États membres. La France a cependant trois caractéristiques fortes :

- la variation des prix est en décalage d'environ un trimestre par rapport aux autres États membres, tant à la hausse qu'à la baisse. En Allemagne, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, en Irlande, le pic haut est atteint en octobre/novembre 2007, mais seulement en janvier 2008 en France. Pour ces mêmes pays, la baisse est nette à partir de septembre 2008 mais n'apparaît vraiment en France qu'au début 2009 ;

- la France compte parmi les acheteurs de nombreux industriels de l'agroalimentaire, souvent considérables voire de dimension mondiale. L'établissement des prix se fait moins entre éleveurs et laiteries coopératives, comme c'est le cas dans de nombreux États membres, qu'entre éleveurs et industriels. Le déséquilibre entre l'offre et la demande n'en est que plus fort ;

- enfin, jusqu'en 2009, la fixation des prix, sans être administrée, était très encadrée par des « recommandations d'évolution » établies par l'interprofession laitière, réunissent éleveurs, coopératives et transformateurs. Il s'agit, sous cette forme, d'un cas unique. Les évolutions étaient établies pour trois mois, ce qui explique le décalage évoqué (dans beaucoup d'autres États membres, la fixation est mensuelle).

Les variations régionales du prix du lait en France et en Allemagne

(en euros par tonne)

France

Allemagne

Région

Avril 2008

Avril 2009

Baisse

Land

Mars 2008

Mars 2009

Baisse

Alsace

331

238

- 93

Bade-Wurtemberg

385

254

- 131

Aquitaine

313

263

- 50

Bavière

392

258

- 134

Auvergne

301

218

- 83

Berlin, Brandebourg

384

246

- 138

Basse-Normandie

310

211

- 99

Hesse

405

270

- 135

Bourgogne

330

236

- 94

Mecklembourg-Poméranie occidentale

336

219

- 117

Bretagne

305

210

- 99

Basse-Saxe, Brême

321

218

- 103

Centre

302

223

- 79

Rhénanie du Nord-Westphalie

359

245

- 114

Champagne-Ardennes

307

210

- 97

Rhénanie Palatinat, Sarre

369

240

- 129

Franche-Comté

330

288

- 42

Saxe

372

233

- 28 -

- 139

Haute-Normandie

304

214

- 90

Saxe-Anhalt

347

221

- 126

Ile-de-France

305

237

- 68

Schleswig-Holstein, Hambourg

291

200

- 91

Languedoc-Roussillon

309

229

- 80

Thuringe

390

251

- 139

Limousin

301

218

- 83

Anciens Länder

360

240

- 120

Lorraine

330

238

- 92

Nouveaux Länder

359

229

- 130

Midi-Pyrénées

309

229

- 80

Moyenne

360

237

- 123

Nord Pas-de-Calais

304

210

- 94

Pays de Loire

305

240

- 65

Picardie

305

237

- 68

Poitou-Charentes

305

242

- 63

PACA

309

229

- 80

Rhône-Alpes

312

219

- 93

Moyenne

309

226

- 83

Source : France : CNIEL - Allemagne : Mission économique à Berlin

Belgique - Même s'il y a une différence non négligeable entre le prix indicatif public et le prix effectif payé aux producteurs, entre laiteries privées et laiteries coopératives dans lesquelles les producteurs sont représentés, la Belgique a connu une chute très importante de l'ordre de 49 % entre le prix de novembre 2007 et avril 2009 (de 43 centimes à 22 centimes en prix réel).

En mars 2009 la Belgique n'avait pas encore de position officielle sur les quotas dans la mesure où les deux principales régions institutionnelles - Flandre et Wallonie - ont des visions radicalement opposées. Néanmoins, nombreux sont ceux qui pensent que l'augmentation des quotas n'a pas été un facteur déterminant dans l'adoption des prix du lait. Le problème vient avant tout d'un effondrement de la demande conjugué à une faible valorisation des produits. La Belgique est convaincue qu'il faut mettre en place une nouvelle gouvernance dans le secteur via la contractualisation des relations entre producteurs et laiteries. Il faut, avant tout, donner plus de visibilité et de prévisibilité aux producteurs sur l'évaluation des marchés.

Source : mission économique - Belgique

Royaume-Uni - Le pays présente des spécificités fortes. La baisse des prix qu'il a connue est l'une des plus faibles de l'UE. Trois raisons à cela : d'une part, les prix sont déjà très bas et parmi les plus faibles de l'UE et ne peuvent descendre en-dessous. D'autre part, le pays est depuis plusieurs années en-dessous des quotas et ce déficit s'accroît. Les principaux facteurs de cette baisse de la production sont la diminution du cheptel et les prix bas à la production qui ont prévalu entre 1998 et 2007, qui ont entraîné un désintéressement et/ou un sous-investissement de la part des producteurs. Selon une enquête réalisée par DairyCo en mars 2009, 13 % quitteraient la profession à l'horizon 2011. Si le déclin de la production devait continuer au même rythme, la production chuterait à 7,5 Md de litres à l'horizon 2030, entraînant l'importation de 53 % des produits laitiers consommés au Royaume-Uni. Cette pénurie entretient donc un niveau de prix stable. Enfin, la population est grande consommatrice de lait frais pasteurisé, qui ne se conserve pas, ne voyage pas, et qui doit donc être produit localement. Cette demande captive est un élément supplémentaire de stabilité de prix.

Une dernière spécificité tient à l'écart important -et même croissant avec la crise- entre le prix du lait en Grande-Bretagne et le prix du lait en Irlande du Nord (respectivement 24,4 et 17,7 pence par litre en mars 2009). Les très faibles prix d'Irlande du Nord seraient tirés par les prix encore plus faibles pratiqués dans le reste de l'Irlande.

Source : mission économique du Royaume-Uni

L'Irlande a en effet pour caractéristique d'avoir connu la plus forte hausse en 2007, avec un pic à 44,6 € les 100 litres en novembre 2007, suivi de la plus forte baisse de l'UE à 15 pour atteindre 22 € en mars 2009, soit une chute de 50 %. Cette extrême volatilité tient au positionnement de l'Irlande sur les marchés internationaux. 80 % de la production est exportée (beurre et poudre de lait). La crise affecte à plein les pays exportateurs.

Danemark - « Après une moyenne de 38 centimes par litre en 2008, le prix du lait est tombé à 28 centimes en avril 2009. Les prix de détail sont restés relativement stables. Le Danemark a pour particularité que la collecte est assurée par une « laiterie dominante », Arla Foods. Arla Foods est une coopérative, ce qui signifie que le prix est décidé par un « board » constitué des représentants des éleveurs propriétaires de la compagnie. Le prix fixé sert de référence aux autres collecteurs privés. Les petites laiteries privées perdraient leurs fournisseurs s'ils faisaient différemment et s'éloignaient du prix d'Arla Foods.

La structure coopérative au Danemark signifie que, d'une certaine façon, les éleveurs ont le contrôle du prix du lait. Mais, bien sûr, ils doivent tenir compte des conditions générales du marché. La baisse générale des prix n'est guère différente des autres États membres.

A notre point de vue, cette méthode est un moyen raisonnable d'établir le prix de base - a quite round and reasonnable way to settle the milk price -. La structure coopérative assure que l'intérêt des producteurs n'est pas écrasé -dwarfed- par l'intérêt des grandes entreprises laitières.

Le secteur a souffert de la baisse des prix comme les autres États membres. Mais le Danemark a aussi beaucoup souffert des dévaluations de la livre sterling et de la couronne suédoise qui sont deux pays très importants pour les laiteries danoises.

Ni la position officielle, ni la position des professionnels - Danish Dairy Board - n'a changé sur les quotas. Nous sommes convaincus que la sortie progressive de quotas n'a rien à voir avec la crise du prix du lait. D'ailleurs si les quotas ont augmenté de 1 % en avril 2008, la production a diminué, alors que pays pouvait produire davantage.

Nous croyons en un marché libéral, sans soutien aux exportations, sans intervention, sans quota ni autre instrument susceptible de dénaturer le marché (market distorting instrument). »

Source : Ambassade du Danemark

Pays-Bas - La baisse des prix a été brutale : - 50 % entre le pic de novembre 2007 et mars 2009. Une particularité du pays est que le prix établi par le leader national Friesland-Campina, troisième groupe laitier mondial, présenté comme un « prix garanti » aux éleveurs, est calculé sur la moyenne des prix pratiqués par les autres laiteries hollandaises, le prix moyen en Allemagne, le prix des principales laiteries danoise (Arla Foods) et belge (Milcobel). Ainsi, le prix hollandais est le plus proche de ce qui peut être caractéristique d'un « prix européen ».

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